L'accès à des recherches de qualité pour l'élaboration de politiques nationales basée sur des données probantes : les expériences du Zimbabwe
Par Willie Ganda
Willie Ganda est le Directeur des Recherches, du Développement et de l'Innovation, au Ministère de l'Enseignement Supérieur et du Développement Scientifique et Technologique, au Zimbabwe.
Lieu : Zimbabwe
Ce que nous savons : Des politiques nationales basées sur des données probantes et des plans de mise en œuvre sont nécessaires pour atteindre les cibles globales telles que les Objectifs de développement durables.
Ce qu'ajoute cet article : Le résultat des recherches en Afrique est à la traîne derrière celui de l'Europe. Les défis à des recherches de pointe dans le continent comprennent : le manque de financement (les recherches ne sont pas des priorités pour les décideurs de budget) ; un mauvais investissement dans l'éducation au niveau du Doctorat (en privilégiant l'éducation de base) ; la migration des compétences vers des institutions à l'étranger ; et une collaboration internationale limitée, surtout en ce qui concerne l'innovation et la conception des recherches. Ces facteurs sont amplifiés par une connectivité internet coûteuse et limitée ; une dépendance face à des donateurs étrangers pour l'infrastructure de la recherche, ce qui ébranle l'affirmation des politiques de recherche par des acteurs nationaux ; et peu d'exigences des décideurs de politiques concernant les besoins de recherche. La faible capacité éprouvée par les chercheurs, pour simplement communiquer leurs résultats, et par les décideurs des politiques, pour interpréter les recherches, ralentit le développement des politiques basées sur des données probantes ; la collaboration entre ces communautés est vraiment faible. Les actions requises comprennent : développer un cadre de chercheurs de formation doctorale ; mobiliser et attirer une diaspora de chercheurs ; innover par le biais des technologies de l'information et de la communication afin d'exploiter des compétences mondiales ; et établir des référentiels locaux pour des résultats de recherche raffinés et des dossiers de politique afin de renforcer les relations entre les chercheurs et décideurs de politique.
Introduction
Le manque de recherches de pointe, ainsi que le manque de prise de décision informée, sont des obstacles majeurs au développement en Afrique. Si l'Afrique est censée remplir ses obligations concernant les Objectifs de développement durable (ODD), elle devrait être soutenue par le développement et l'utilisation des recherches de pointe. Cet article explore les expériences et défis impliqués dans des recherches nationales à haut calibre et les défis impliqués dans le développement de politiques basées sur des données probantes au Zimbabwe.
État de la recherche en Afrique
L'état de la recherche en Afrique est loin d'être satisfaisante. De 2005 à 2010, une moyenne de 33,65 documents de recherche a été observée pour les résultats de recherche par personne par million d'habitants des pays faisant partie de l'enquête. Mis à part l'effort de l'Afrique du Sud, les résultats tombent à 25,68 documents de recherche par personne par million d'habitants. La situation de la recherche à travers l'Afrique se reflète au Zimbabwe. De 2005 à 2010, les résultats de recherche et développement (R-D) par personne par million d'habitants au Zimbabwe étaient de 25,0 (NEPAD, 2014). Ces résultats représentent une baisse de 2 % attribuable aux défis économiques auxquels le pays continue à faire face et à la migration ultérieure des compétences dans de nombreux domaines. Cela contraste fortement avec des résultats de plus de mille documents par million d'habitants dans de nombreux pays en Europe.
La totalité des résultats de recherche en Afrique reflète l'état médiocre de la recherche sur le continent. La totalité des résultats de la recherche totale de l'Afrique (NEPAD, 2014) de publications entre 2008 et 2010 était 106 825, seulement 1,96 % de capacité au niveau mondial, soit 5 436 451. Mettre ceci en perspective au niveau mondial, l'Afrique a une population de 1,2 milliard de personnes, soit environ 16 % de la population totale du monde. Encore inquiétante est la qualité des résultats de recherche. Selon le même rapport, l'impact des résultats de recherche des pays africains, en fonction des facteurs d'impact des revues de publications, est inférieur à la moyenne mondiale dans la plupart des domaines, à l'exception des études historiques (supérieurs à la moyenne mondiale) et d'ingénierie, de santé publique et des services de santé (moyenne mondiale).
Les défis à des recherches de pointe au Zimbabwe
Comme la plupart des pays africains, le Zimbabwe fait face à des défis divers mais interdépendants dans le domaine de la recherche. Ce qui suit, présente certains de ces défis qui sont les plus pertinents.
Le manque de financement
La principale cause majeure de la faible proportion des résultats de recherche au Zimbabwe (et en Afrique en général) est le financement. Au cours de la période succédant à l'indépendance, la plupart des pays africains ont investi massivement dans l'éducation de base. Malgré l'engagement des gouvernements africains à consacrer au moins 1 % du produit intérieur brut (PIB) à la recherche, aucun pays n'a atteint ce seuil minimum. En 2010, les dépenses du Zimbabwe en R-D étaient seulement de 24 millions $ US - environ 0,254 % du PIB (NEPAD, 2014). Un examen plus approfondi de ces dépenses montre que la majeure partie est expliquée par les salaires du personnel en équivalent temps plein dans les universités et dans les instituts de recherche pour des activités liées à la recherche.
Grâce à la mise à disposition d'une éducation de base gratuite, la plupart des pays africains ont été en mesure de produire une masse critique de populations relativement bien éduquées en matière d'alphabétisation de base. En règle générale, les secteurs de l'éducation (de base) et de la santé obtiennent la plus grande partie des budgets nationaux ; les décideurs de ces budgets ont souvent des questions en ce qui concernent des allocations spécifiques à la recherche. Tant que la recherche n'est pas une priorité pour les gouvernements africains, il est impossible de s'attendre à des résultats significatifs de R-D qui changeraient les choses aux niveaux local, régional et mondial.
Capacité des compétences des chercheurs
Afin de mener à bien la recherche de pointe, les chercheurs ont besoin d'avoir des compétences appropriées au niveau le plus élevé possible. Au niveau de base, un pays a besoin d'un bon stock de chercheurs ayant fait des études au niveau du doctorat. Alors que le Zimbabwe a un stock relativement bon de chercheurs, les 15 dernières années on observe une migration significative des compétences puisque les chercheurs les plus qualifiés émigrent vers d'autres pays à la recherche de meilleures opportunités. L'enquête de 2013 ((NEPAD, 2014)) a indiqué que seul un des 500 meilleurs chercheurs d'Afrique est du Zimbabwe ; bien que contestée par des chercheurs zimbabwéens, la pénurie de compétences dans de nombreux secteurs clés est incontestable. L'enquête de pays du Zimbabwe a confirmé que seulement 13,23 % du personnel travaillant en R-D avait obtenu un doctorat : 68,2 % avait atteint le niveau de premier cycle de l'enseignement théorique et pratique (licence) ; le reste avait obtenu d'autres diplômes non tertiaires. Cette situation est clairement indésirable du point de vue des compétences ; idéalement la majorité devrait avoir un doctorat.
L'évolution rapide de la technologie a amplifié le problème en rendant certaines compétences obsolètes. Le matériel de recherche, par exemple, est devenu plus sophistiqué et a été numériquement transformé, du fait que le traitement scientifique et la présentation des résultats ne demandent presque pas de manipulations humaines. L'arrivée des superordinateurs a considérablement changé le domaine de la recherche, en donnant de nouvelles capacités inimaginables il y a quelques années. L'incapacité des chercheurs à améliorer leurs compétences et à s'adapter au temps a également rendu certaines personnes, prétendument qualifiées, non pertinentes dans le contexte actuel.
Collaboration internationale limitée
L'une des principales caractéristiques de l'entreprise de recherche mondiale d'aujourd'hui est la collaboration internationale. La mondialisation de la recherche permet aux chercheurs de faire partie de réseaux internationaux de recherche permettant l'accès à des ressources hautement concurrentielles, car les bailleurs de fonds exigent de plus en plus un retour sur investissement crédible. L'incapacité d'assurer des compétences et des infrastructures nécessaires a limité la mesure dans laquelle les chercheurs zimbabwéens peuvent collaborer au niveau international. Amplifié par la perception d'être un pays à haut risque, le Zimbabwe a, au fil des ans, subi une baisse considérable de collaborations de recherche internationales. Les travaux en cours ont été limités à des collaborations en queue dans les essais de recherche clinique, principalement dans le domaine de la santé et d'autres collaborations dans le domaine de l'agriculture. Cette situation a créé un déficit de compétences graves dans la plupart des segments de la chaîne de valeur de la recherche et n'a pas contribué à équiper le pays en compétences nécessaires pour participer à la chaîne de valeur de découverte personnelle de vaccins ou de médicaments, par exemple.
Mauvaise infrastructure
Afin de mener des recherches significatives, les chercheurs ont besoin d'une infrastructure appropriée. Comme la plupart des pays africains, depuis son indépendance, le Zimbabwe a fait face au problème persistant de mauvaises, ou obsolètes, infrastructures de recherche. Ceci est dû en grande partie à une pénurie de financement de la recherche, amplifiée par le syndrome de dépendance à des donateurs. Il est probable qu'une grande partie des infrastructures dans les institutions de recherche au Zimbabwe ait été obtenue grâce à des dons et il existe une longue culture ancrée sur le fait que les institutions universitaires approchent les bailleurs de fonds pour une bonne infrastructure de recherche. Le rôle des dons dans la construction des infrastructures de recherche est bien sûr la bienvenue, mais sans engagement égal ou supérieur à la construction d'infrastructures par le biais des propres ressources internes d'un pays, aucune propriété ne serait octroyée pour l'ensemble du programme national de recherche. Sans propriété, c'est possible que, dans certains cas, le matériel fourni finit par être sous-utilisé.
Chercheurs vieillissants (âgés)
Une caractéristique clé du profil africain de recherche est sa population clairement vieillissante. Ceci est plus prononcé dans la communauté scientifique. Le faible rendement de doctorats par les institutions est un facteur contributif, mais même pour les personnes rares qui ont l'occasion de continuer des études de doctorat à l'étranger, le retour au pays est un problème majeur. La mobilité des compétences de recherche est un phénomène mondial et les jeunes chercheurs veulent de plus en plus se retrouver dans ces pays qui leur offrent les meilleures opportunités. Compte tenu des conditions locales généralement défavorables, l'émigration des jeunes chercheurs a signifié que les institutions n'ont aucune option mais de titulariser un grand nombre de chercheurs âgés qui ont dépassé l'âge de la retraite. L'absence générale ou la pénurie de jeunes chercheurs qui peuvent être encadrés par des chercheurs plus âgés est une bombe à retardement, compte tenu de la large base de la pyramide de la population dans la plupart des pays africains. À moins que des mesures ne soient mises en place spécifiquement pour augmenter la formation de jeunes chercheurs en doctorat et de les conserver, ainsi que des mesures de motivation pour attirer la diaspora africaine de recherche, une crise critique des compétences de recherche est éminente dans le continent.
Le coût élevé de la connectivité
Une connectivité internet fiable est l'un des outils les plus importants dont un chercheur a besoin. Les mégadonnées (Big Data) sont maintenant le phénomène qui caractérise notre époque et tout chercheur de pointe devrait avoir une connexion internet rapide et fiable en tant qu'outil de base pour accéder aux sources de données globales et communiquer avec des pairs dans des réseaux de recherche. Bien que des progrès aient été réalisés dans l'accès à l'internet, les coûts restent élevés. Le coût d'accès à une connexion internet à débit illimité de base au Zimbabwe se situe entre 60 $ US et 120 $ US par mois. Tandis que cela est comparable à des pays tels que l'Australie, en termes absolus, il est très coûteux lorsqu'on compare le revenu mensuel moyen du Zimbabwe, qui est de 253 $, à celui de l'Australie, qui est de 6 500 $. En raison du coût, la bande passante est un facteur clé limitant les institutions, ce qui limite l'accès à l'information et la communication par courrier électronique de base. Cette situation est amplifiée par le fait que les sociétés de télécommunications continuent à facturer les institutions à des taux commerciaux très élevés, plutôt qu'à des taux d'éducation moins chers.
Peu de demande pour la recherche par les secteurs industriel et public
Pour que la recherche puisse prospérer, un marché prêt à recevoir ses résultats devrait être mis en place. Traditionnellement, les universitaires menaient des recherches afin de publier des documents et d'obtenir une promotion au sein de leurs institutions, mais le but principal de la recherche devrait être de produire de nouvelles informations utiles à la production de meilleurs produits et services par les secteurs industriel et public. Idéalement, le programme de recherche devrait être largement soutenu et financé par ceux qui profitent de ses résultats. Le contexte local, cependant, n'a pas ce facteur « pull » dans la chaîne de valeur de R-D, comme en témoigne la faible demande pour la recherche dans les secteurs industriel et public. De nombreuses raisons sont attribuées à ce phénomène. Certains d'entre eux sont d'ordre structurel, en particulier lorsque l'industrie est concernée. La domination du secteur industriel par les multinationales dans les pays en développement est un facteur majeur contribuant à des faibles investissements en R-D. La plupart des multinationales ont tendance à établir leurs centres de recherche dans leur pays d'origine à des fins stratégiques. Cependant, l'absence de demande de résultats de la recherche par le secteur public est le plus inquiétant. L'absence de recherche commanditée est évidente dans des politiques mal conçues qui ne tiennent pas compte des résultats de la recherche. Si les gouvernements eux-mêmes ne profitent pas des résultats de la recherche, ils ne sont pas incités à investir des ressources déjà limitées au programme de recherche.
Les défis à des politiques basées sur des données probantes au Zimbabwe
Une bonne politique et ses moyens de mise en œuvre devraient être le résultat des conditions bien considérés basées sur les données de recherches probantes. Le manque de demande pour des résultats de recherche reflète le manque de capacité concernant les chercheurs et les consommateurs de la recherche (les décideurs politiques). Le chercheur doit être en mesure de rechercher et de présenter les résultats de ses recherches d'une manière que le décideur politique pourrait comprendre. Ceux qui utilisent les résultats de la recherche devraient posséder des compétences de base afin d'interpréter les résultats et ils devraient pouvoir compter sur la recherche ; cette dernière est particulièrement importante lorsqu'elle aboutit à des conclusions contraires à celles auxquelles on s'attend. La croyance généralement répandue de la supériorité de la recherche internationale sur la recherche autochtone a exacerbé le manque de confiance et l'adoption de cette dernière. Le plus souvent, les chercheurs et les responsables politiques se sont retrouvés à contre-courant au lieu de travailler étroitement ensemble.
L'absence de référentiels locaux facilement accessibles des recherches publiées ou des notes d'informations de recherches fiables rend difficile l'utilisation des résultats de recherches pour générer une politique basée sur des données probantes. Les données les plus utiles sur la plupart des pays sont détenues et stockées en dehors de ces pays.
Dans le cas du Zimbabwe, l'une des grandes réussites de la politique basée sur des données probantes vient des secteurs de la santé et de l'éducation. A travers les recherches commanditées et le travail d'institutions dédiées comme l'Institut de recherche biomédicale, le Zimbabwe a mis en œuvre des politiques des données probantes qui ont vu une réduction massive de la prévalence du VIH et du SIDA à partir d'un pic de 27,7% en 1997 à la moyenne actuelle de 15%, mais cet exemple reste l'exception plutôt que la norme.
Envisager l'avenir
À l'avenir, il est impératif pour les pays en développement, y compris le Zimbabwe, de mettre en place des mécanismes robustes et d'entretenir une nouvelle culture se basant sur les résultats de la recherche pour élaborer des politiques. Pour ce faire il y a un besoin urgent d'investir dans la chaîne de valeur du développement des compétences en terme de recherche et d'accélérer la formation des chercheurs de niveau doctorat. Le secteur public doit être l'un des principaux bénéficiaires des résultats de la recherche par le biais de recherches commanditées et de la mise en place de groupes de réflexion qui utiliseront les résultats de la recherche pour éclairer les politiques publiques. Si le secteur public devient un consommateur actif des résultats de recherche, il est beaucoup plus facile d'aborder le problème pérenne du sous-financement ; ceux qui allouent des ressources peuvent voir une corrélation directe entre la recherche et la prestation des services du secteur public.
Les pays en développement qui ont souffert de la fuite des cerveaux devraient adopter des idées novatrices pour maîtriser cet état de fait. Les progrès des technologies de l'information et de la communication offrent beaucoup d'opportunités de puiser dans les compétences des chercheurs du monde entier. S'ils sont bien structurés et correctement mis en œuvre, les programmes de maîtrise de cette diaspora pourraient être une nouvelle source de croissance pour les pays en développement. Dans le but de les aider, il est impératif que les agences de développement élaborent des programmes qui aident à exploiter le potentiel de la diaspora. La nécessité d'établir des référentiels locaux pour des résultats de recherche précis et des notes d'orientation est urgent. Ces référentiels seront un moyen actif aidant à faire la liaison entre la recherche et la politique.
Pour plus d’informations, contacter : Willie Ganda, e-mail : wdganda@zchpc.ac.zw ; gandawd@yahoo.com ; https://www.LinkedIn.com/in/gandawillie
Bibliographie
NEPAD, 2014. African Innovation Perspectives II (NEPAD) Avril 2014, www.nepad.org/download/file/fid/949