Groupe nutrition du Yémen : programme intégré famine-prévention
Par Anna Ziolkovska
Anna Ziolkovska est actuellement coordonnatrice du Groupe nutrition au Yémen. Anna est titulaire d'un doctorat et compte plus de dix ans d'expérience dans les domaines de la nutrition, de l'aide humanitaire, de la coordination de groupe, de la gestion d'information, du renforcement des capacités et de la gestion de projet, tant au niveau d'un siège social que sur le terrain, notamment au Soudan du Sud, en Somalie, aux Philippines, en Ukraine, en Afghanistan et au Yémen.
L'auteure tient à souligner la participation du coordonnateur Gordon Dudi du Groupe sécurité alimentaire et agriculture (FSAC) qui a codirigé le processus de priorisation avec la coordonnatrice du Groupe nutrition. Elle souhaite aussi signaler les contributions des partenaires de la nutrition, de la santé, du WASH et du FSAC, leurs coordonnateurs respectifs et les Groupes de conseil stratégique (SAGs), le Groupe de travail en charge de l'évaluation du Groupe nutrition, les ministères concernés et le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA) ainsi que le soutien de l'équipe de coordination humanitaire (HCT) dans le développement et la mise en oeuvre du programme intégré de prévention de la famine.
Lieu : Yémen
Ce que nous savons :Depuis 2015, le conflit au Yémen s'est intensifié, engendrant un besoin d'assistance pour 20,7 millions de personnes et un risque de famine.
Qu'apporte cet article : Avant la réunion de Rome d'appel à l'action pour prévenir la famine, le Groupe nutrition, et le Groupe sécurité alimentaire et agriculture (FSAC) se sont concertés afin de privilégier les pays présentant un risque élevé de famine et ayant besoin d'un ensemble minimal de mesures communes. Après la réunion de Rome, les groupes nutrition, FSAC, eau, assainissement, hygiène et santé ont planifié de concert des actions à l'échelle du pays. À partir de là, la gestion du processus a été prise en charge par le Groupe nutrition. Les activités en cours comprennent l'adaptation de SMART pour intégrer les indicateurs des autres secteurs et une section conjointe sur la prévention de la famine dans le document Aperçu des besoins humanitaires et dans le plan d'intervention. Dans l'immédiat, on vise à se mettre d'accord sur une analyse commune et un programme intégré d'interventions pour des districts prioritaires. Des engagements ont été pris pour un financement conjoint. Les obstacles à la programmation intégrée sont entre autres l'absence de données récentes sur la mortalité et de données sectorielles à l'échelle du district, l'effondrement des systèmes de santé (auxquels s'ajoutent d'importantes poussées de choléra) et le manque de capacité des partenaires en matière de programmation intégrée. La gestion des processus par les pays est essentielle. Une vaste campagne de sensibilisation par le Groupe nutrition mondiale est essentielle pour garantir un engagement des pays à cet égard.
Contexte
Depuis mars 2015, le conflit s'est envenimé au Yémen; il y a maintenant plus de deux millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays (PDI) et sur une population totale de 27,4 millions, 20,7 millions ont besoin d'aide humanitaire. On estime à 17 millions le nombre de personnes (60% de la population totale) souffrant d'insécurité alimentaire, dont 10,2 millions se trouvent en situation de crise (phase 3) et 6,8 millions en situation d'urgence (phase 4), selon le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). L'illustration 1 montre la classification des gouvernorats au Yémen en fonction de la prévalence de la malnutrition aiguë globale (MAG). La prévalence de la malnutrition aiguë est élevée, le nombre d'enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë sévère (MAS) et de malnutrition aiguë modérée (MAM) étant estimé à 400 000 et à 1,8 million respectivement. On évalue à 14,5 millions le nombre de personnes ayant besoin d'assistance en matière d'eau potable, d'assainissement et d'hygiène (WASH) et à 14,8 millions celles qui ont besoin d'aide pour avoir un accès adéquat aux soins. Selon le système de cartographie des ressources de santé disponibles (HERAMS), il y a seulement 50% des structures sanitaires qui sont aujourd'hui complètement opérationnelles. Le choléra est aussi un problème avec plus de 750 000 cas suspects en octobre 2017.
Graphique 1 : classification MAG du Groupe nutrition, Yémen (avril 2017)
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Groupe nutrition au Yémen
L'approche sectorielle (Groupe nutrition) a été adoptée au Yémen en août 2009 tout de suite après le déclenchement de la sixième guerre entre les forces gouvernementales et les Houthis dans le gouvernorat de Sa'ada situé dans le Yémen du nord. Depuis, le Yémen est toujours confronté à des situations d'urgence complexes largement imputable au conflit en cours et aggravées en partie par des guerres civiles et une instabilité politique. Le Groupe nutrition a été constamment actif pendant cette période. Par suite de l'intensification du conflit en mars 2015, une urgence de niveau trois à l'échelle du système a été déclarée au Yémen et est toujours en place à ce jour.
Le Groupe nutrition est établi actuellement à l'échelle nationale, et compte cinq groupes sous-nationaux au niveau zonal à Hodeidah, à Ibb, à Aden, à Saada et à Sanaa. Le groupe est codirigé par le ministère de la Santé publique et de la Population (MoPHP) et l'UNICEF et comprend 32 partenaires, dont les agences des Nations Unies (NU), le MoPHP ainsi que des organisations non gouvernementales nationales et internationales (ONG). Un Groupe consultatif stratégique (SAG) fournit des orientations stratégiques au groupe, tandis que trois groupes techniques de travail (TWG) sur l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants (IYCF), sur la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (CMAM) et sur les évaluations, soutiennent les partenaires dans ces domaines particuliers.
Priorités en matière de nutrition
Selon le plan d'intervention humanitaire 2017 (PRH), élaboré à la fin de l'année 2016, les objectifs en matière de nutrition au Yémen sont les suivants :
- Effectuer des interventions vitales de qualité auprès d'enfants souffrant de malnutrition aiguë et de femmes enceintes et allaitantes (PLW).
- Contribuer à la prévention de la malnutrition en améliorant le programme général d'alimentation complémentaire, les apports en micronutriments, les traitements vermifuges et le soutien à l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants (IYCF).
- Renforcer la capacité des autorités compétentes et des partenaires locaux afin d'assurer une intervention efficace, décentralisée en matière de nutrition, et
- Garantir une intervention nutritionnelle efficace, planifiée, en temps voulu grâce à une analyse des besoins, un suivi et une coordination.
En 2017, il y a eu une réelle réorientation vers un programme de nutrition intégré (multi-secteurs) à la suite de la classification IPC relative à l'insécurité alimentaire aiguë au Yémen en février de la même année. Avec l'augmentation du risque de famine, il y a eu une prise de conscience générale de la complexité de la situation qui n'est pas uniquement liée à la malnutrition mais à des facteurs causaux sous-jacents. Le lien direct avec la sécurité alimentaire était clair puisque les indicateurs de famine utilisés par le comité technique IPC sont en grande partie liés à la sécurité alimentaire (mortalité + prévalence de MAG + consommation alimentaire ou changement de moyens de subsistance ou analyse documentée par inférence fondée sur au moins quatre preuves fiables (directes ou indirectes) sur les facteurs contribuant à la sécurité alimentaire ou sur les résultats).
Prise en charge par les pays du plan de travail intégré
L'intervention intégrée a débuté au Yémen avant la réunion commune du Groupe sécurité alimentaire mondiale et du Groupe nutrition mondiale (GNC) du 26 avril 2017 à Rome. A l'origine, le processus au Yémen était dirigé par le Groupe nutrition et le Groupe sécurité alimentaire et agriculture (FSAC) , ce qui a donné lieu à la priorisation des lieux à haut risque de famine (voir Encadré 1) et à la création d'un programme conjoint d'interventions minimales (Illustration 2). Soixante dix-sept districts ont été désignés comme à haute priorité sur la base des points de référence sélectionnés. De plus, 18 districts reclassés à haute priorité après discussion avec les partenaires des groupes au niveau national et du terrain. Si un seul seuil était atteint (plus de 15% du MAG ou plus de 20% de la population en situation d'insécurité alimentaire sévère), les districts étaient considérés comme prioritaires pour cet unique secteur (Groupe nutrition ou Groupe sécurité alimentaire et agriculture).
Encadré 1 : priorisation des lieux à haut risque de famine
Les indicateurs suivants ont été utilisés pour déterminer les priorités : prévalence du MAG (d'après les enquêtes 2016-2017 de SMART, l'évaluation en situation d'urgence de la sécurité alimentaire et de la nutrition (EFSNA) en 2016 et une étude complète sur la sécurité alimentaire en 2014), et du pourcentage de la population en situation d'insécurité alimentaire (selon l'IPC de mars 2017 et l' EFSNA 2016). Il a été nécessaire de prioriser les districts pour les interventions liées à la nutrition et à la sécurité alimentaire au sein des gouvernorats. Toutefois, les données par district n'étaient pas suffisamment représentatives pour être prises en compte. En conséquence, les districts ont été regroupés par zone de subsistance, zone agro-écologique et altitude, et la proportion des cas de MAG dans les nouveaux groupes a été recalculée. Les pourcentages ainsi calculés pour la priorisation ne fournissent pas les taux de prévalence de MAG pour les districts regroupés mais représentent la proportion d'enfants souffrant de MAG parmi le nombre total d'enfants évalués. Ils donnent une indication de la gravité de la situation dans ce domaine. Les valeurs limites pour chaque catégorie ont été déterminés, dans la mesure du possible, en fonction des seuils internationaux, en prenant en considération le contexte local.
À l'issue de la réunion de Rome, le Groupe nutrition et le Groupe sécurité alimentaire et agriculture ont invité les groupes WASH et santé à s'associer au projet. Le groupe a choisi de ne pas utiliser le plan d'action élaboré à Rome, car il avait été conçu par les coordonnateurs du Groupe nutrition et du Groupe sécurité alimentaire et agriculture sans que les partenaires aient été consultés et sans engagement des deux autres groupes (WASH et Santé). Il a préféré se mettre d'accord avec les quatre coordonnateurs des groupes et les quatre groupes consultatifs stratégiques (SAG). Le plan d'action pays esquissé à Rome a été largement suivi; il est décrit dans le Tableau 1. Les activités de plaidoyer de la réunion de Rome, y compris l'appel à l'action et la lettre du Coordonnateur des secours d'urgence (ERC), ont appuyé le processus visant à garantir l'adhésion de la direction et de l'équipe humanitaire pays (HCT).
Graphique 2 : Priorisation conjointe des lieux à protéger de la famine
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Tableau 1 : Plans du Yémen pour étendre le programme de nutrition intégré
État d'avancement (septembre 2017)
Le processus a été piloté par le Groupe nutrition. Jusqu'ici, la marche à suivre a été approuvée par tous les groupes intéressés. Adaptation des lignes directrices de SMART au contexte du Yémen, y compris une révision du questionnaire standard de SMART, utilisé dans le pays, afin de garantir que les informations de/pour Santé/WASH et FSAC sont intégrées. Une section conjointe sur la programmation intégrée pour la prévention de la famine, à ajouter à la vue d'ensemble des besoins humanitaires et au plan d'intervention humanitaire est en cours de préparation. Lors de la rédaction de ce document (octobre 2017), une réunion des quatre groupes consultatifs stratégiques (SAG), des ministères techniques visés, des coordonnateurs à l'échelon sous-national et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) a été planifiée afin de se concerter et de s'entendre sur le programme minimum d'interventions des quatre groupes dans les districts prioritaires. La réunion avait pour but d'en arriver à un accord sur l'analyse conjointe des besoins, la création d'un programme minimal d'interventions et ses modalités d'application. L'engagement d'un financement conjoint a été pris, avec une enveloppe spéciale attribuée en 2017 par les Fonds de financement humanitaire du Yémen pour traiter les causes immédiates et sous-jacentes de l'insécurité alimentaire et de la malnutrition en garantissant aux plus vulnérables un accès adéquat à la nourriture, à la santé et au WASH au moyen d'une approche intégrée. De même, plusieurs donateurs ont montré de l'intérêt pour le financement des programmes intégrés dans les districts prioritaires.
Difficultés
Il y a eu des défis dans le processus de planification et de mise en oeuvre de la programmation intégrée dans le contexte de prévention de la famine. Par exemple, il y a un manque de données récentes sur la mortalité - l'un des indicateurs principaux de déclaration de la famine et de priorisation géographique - au Yémen. Il y a aussi un manque de données sur la nutrition, sur WASH et la santé à l'échelon du district, ce qui rend difficile un suivi efficace des changements dans les lieux géographiques prioritaires. Le recueil des informations sur la nutrition y compris au niveau des gouvernorats est compliqué : il est nécessaire de se procurer des autorisations des autorités concernées et il y a des contraintes pour y accéder. La population de base n'est pas standardisée, car les groupes utilisent des approches différentes pour calculer la population. Par exemple, certains utilisent la population ajustée pour des mouvements de population tandis que d'autres utilisent des projections non-ajustées publiées par l'Organisation de Statistique Centrale.
Les installations de santé sont sur le point de s'écrouler ; selon le système cartographique de disponibilité de ressources de santé (HERAMS) en 2016, seulement 50 pour cent des installations de santé sont entièrement opérationnels. Ceci est renforcé par le non-paiement de salaires aux travailleurs de la santé publique pendant plus d'un an, avec beaucoup de départ pour chercher des sources de revenu alternatives.
Le Yémen est actuellement le site de la plus grande éruption de choléra dans le monde, qui a détourné l'attention de l'EHP loin des besoins de nutrition de la population, aussi bien que l'attention de WASH et des Coordinateurs de Groupe de Santé, qui sont entièrement engagés dans la réponse au choléra.
Le fait que beaucoup d'agences partenaires sont spécifiques au groupe/ secteur, avec peu de capacité de programmation jointe, est un autre obstacle à la programmation intégrée. Une des façons suggérées de surmonter ceci est pour les partenaires de se connecter avec des agences d'autres groupes travaillant dans les mêmes emplacements géographiques et de soumettre des projets communs ; cependant ceci en est toujours à la phase première/ pilote. L'accent fort sur la programmation intégrée a eu un impact négatif en termes de mépris des emplacements prioritaires de nutrition , où la situation de la malnutrition est aussi critique, mais pour des raisons sans rapport avec la sécurité alimentaire.
Enseignements tirés
Le processus devrait être mené par pays pour assurer l'appropriation à la programmation intégrée, avec l'empressement clair de groupes (et des coordinateurs de groupe) à contribuer du temps aux discussions avec un désir d'avancer dans l'ordre du jour. Tandis que chaque groupe trouve sa propre façon de donner la priorité et de planifier sa réponse basée sur les informations limitées qu'il a, il reste difficile d'assurer une planification jointe , étant donné la disponibilité limitée d'informations sur lesquelles fonder des décisions. L'engagement de Global Cluster dans le plaidoyer de haut niveau est nécessaire pour assurer l'engagement de la gestion. Par exemple, le plaidoyer post-Rome avec la gestion et l'EHP a contribué à apporter de la visibilité aux initiatives et à aider à catalyser la participation et l'engagement multi-groupe La sensibilisation constante de partenaires sur la réponse commune est nécessaire pour assurer la compréhension et l'appropriation de partenaires de groupe à la programmation intégrée. Il y a un besoin d'explorer comment développer la capacité des partenaires pour étendre des programmes à d'autres zones techniques pour s'assurer que les programmes sont intégrés au niveau de la base et découvrir des façons pour que plusieurs ONG avec des expertises différentes travaillent ensemble.
Prochaines étapes
Des évaluations SMART doivent maintenant être augmentées proportionnellement au Yémen et PCI joints et l'analyse de nutrition effectuées. Le paquet de réponse commun doit être operationalisé au niveau sous-national. Le EHP au Yémen est actuellement en développement et le plaidoyer continu est exigé pour la planification jointe, la mobilisation de ressource et la réponse. Un support de niveau mondial est nécessaire pour faciliter l'atelier d'inter-groupe au Yémen sur la programmation jointe avec les quatre groupes. Les partenaires GNC devraient réfléchir sur leur capacité à programmer les quatre groupes communs et sur les changements à mettre en œuvre au niveau organisationnel pour permettre cela. Le support (à al fois technique et en termes de ressources humaines) au Yémen est nécessaire pour des ONG internationales et agences de l'ONU et pour assurer le contrôle constant de leur performance.
Pour plus d'informations, contactez Anna Ziolkovska.