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Approches simplifiées pour traiter la malnutrition aiguë : aperçus et réflexions issus de la programmation de Médecins Sans Frontières, Centre Opérationnel de Paris

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Par Kerstin Hanson

Kerstin Hanson a une formation en pédiatrie et en santé publique. Elle a récemment travaillé en tant que conseillère en nutrition pour Médecins Sans Frontières au Centre Opérationnel de Paris.

Contexte de l’utilisation par MSF du programme de prise en charge simplifiée de la malnutrition aiguë

Médecins Sans Frontières (MSF) s'est engagé à simplifier et à rationaliser le traitement de la malnutrition aiguë, même avant la création des aliments thérapeutiques prêts à l'emploi (ATPE), dans le but d’améliorer à la fois la couverture et la qualité des soins, dans l’objectif ultime de réduire la mortalité. Travaillant dans des contextes très différents, notamment dans des situations d’urgence humanitaire aiguë et chronique et dans des contextes urbains et ruraux, MSF a dû développer des interventions qui répondent aux contraintes et aux objectifs opérationnels.

Les obstacles actuels à l’accroissement de la couverture et de la qualité du traitement de la malnutrition aiguë comprennent notamment des protocoles nationaux de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA), rigides et irréalistes, et la faible intégration avec les programmes et les stratégies de soins de santé primaires et secondaires. L’approche PCMA classique nécessite beaucoup de ressources, est souvent peu pratique pour les soignant, et n’a pas la flexibilité nécessaire pour s’adapter à différents besoins et contraintes, tout en négligeant par ailleurs largement le continuum entre santé et nutrition.

Caractéristiques des opérations de nutrition de MSF – Centre Opérationnel Paris (OCP)

De nombreuses caractéristiques opérationnelles singulières de MSF-OCP permettent et encouragent l’organisation à simplifier ses interventions en matière de nutrition, et à les adapter aux différents contextes dans lesquels elle opère. En tant qu’organisation médicale d’urgence, la priorité est de fournir un traitement qui sauve des vies, réduisant ainsi la mortalité. Les interventions préventives ne sont pas exclues mais sont souvent secondaires. Les programmes de nutrition sont donc centrés sur le traitement de la malnutrition aiguë sévère (MAS), comprenant notamment des soins hospitaliers et médicaux de haut niveau pour les malades sévères. Le traitement de la malnutrition aiguë modérée (MAM) n’est mis en œuvre que dans des contextes spécifiques, en fonction des besoins et de la faisabilité. Et parce qu’elle est avant tout une organisation médicale, l’intégration des programmes de soins de santé et de nutrition est la norme pour MSF-OCP. Lorsque MSF soutient un programme thérapeutique ambulatoire (PTA), il existe généralement un service de médecine externe ambulatoire et, aux côtés de tout Centre de Stabilisation (CS), il existe le plus souvent également un service de pédiatrie interne, offrant un accès gratuit aux soins de santé pour toute personne faisant partie de la tranche d’âge ciblée. Cela permet à la fois de réduire la morbidité et la mortalité chez les patients ne souffrant pas de malnutrition aiguë, et de traiter les maladies qui entraînent généralement une détérioration de l’état nutritionnel. 

Parce que MSF est une organisation indépendante en termes de financement et de fonctionnement, et parce que l’organisation a développé des compétences fortes en logistique, elle a cela d’unique qu’elle est suffisamment flexible pour pouvoir intervenir rapidement, avant que d’autres partenaires de la nutrition n’aient pu être mobilisés. Les équipes de MSF font donc souvent partie des premiers intervenants internationaux dans les situations d’urgence humanitaire. MSF choisit de travailler dans des contextes opérationnels difficiles et instables, avec un accès limité à la fois pour les équipes et pour les bénéficiaires. Cela nécessite des stratégies opérationnelles flexibles et adaptées aux réalités du terrain. MSF intervient dans des zones géographiques où l’accès est limité, visant les populations prioritaires par des interventions ciblées, souvent de manière horizontale (approche intégrée). Cela contraste avec les agences des Nations Unies et d’autres partenaires, qui mettent souvent en œuvre des programmes de nutrition à grande échelle (généralement en approche verticale).

La complexité des programmes en approche horizontale et intégrée exige que chacune des composantes soit la plus simple possible. En retirant une partie de la complexité de la programmation nutritionnelle, on laisse alors de la place et des ressources pour la programmation en soins de santé primaires, entre autres. Il est également nécessaire de mettre en place des réponses rapides mais progressives permettant d’accorder une attention immédiate aux personnes les plus exposées, puis d’adapter l’intervention à mesure que le contexte évolue, notamment avec l’apparition de nouveaux acteurs. Ces caractéristiques concernant le mode de travail de MSF encouragent l’utilisation de protocoles simplifiés et adaptés au contexte pour le traitement de la malnutrition aiguë.

Justification et considérations pour simplifier le traitement de la malnutrition aiguë

MSF a plaidé pour la simplification des approches de traitement de la malnutrition aiguë afin de permettre aux programmes de nutrition d’améliorer l’accès et la qualité des soins, en fonction des divers besoins et contraintes opérationnelles imposés par le contexte. Il s’agit notamment d’utiliser la mesure du périmètre brachial (PB) comme seul indicateur anthropométrique pour identifier les enfants nécessitant un traitement nutritionnel et pour suivre les progrès réalisés au cours du traitement ; de réduire la fréquence de suivi des patients en soins ambulatoires ; d’avoir recours à une programmation unique pour traiter à la fois la MAM et MAS ; et de simplifier le dosage des aliments nutritifs spécialisés. Les recommandations de MSF concernant les adaptations selon le contexte incluent également une utilisation des antibiotiques appropriée aux différentes situations ; le choix de la population cible en fonction du contexte (avec l’utilisation, par exemple, d'un barème évolutif pour mesurer le PB) ; et l’intégration du dépistage et du traitement nutritionnel avec les interventions de santé lors de stratégies d’urgence globales, dans des contextes dépourvus de programmes de nutrition efficaces (dépistage anthropométrique et fourniture d’ATPE lors de campagnes de vaccination anti rougeoleuse ou de chimio-prophylaxie saisonnière du paludisme, par exemple).

Usage exclusif du PB

Bien que le débat autour de l’utilisation de la mesure du PB comme seul critère d’accès aux programmes soit toujours d’actualité, il permet, dans la pratique, un dépistage et une identification décentralisée et rapide des enfants à risque. Cela présente un grand intérêt pour les structures de santé en sous-effectif et surchargées et permet une prise en charge des soins décentralisées, effectuée par le biais des agents de santé communautaires et des mères. Un autre avantage est l’amélioration de la détection précoce.

Réduction de la fréquence de suivi

La programmation standard de la PCMA nécessite un suivi hebdomadaire pendant le traitement ambulatoire de la MAS. C’est une lourde charge, autant pour les mères que pour les établissements de santé. Lorsqu’il y a des problèmes d’accès, cela peut faire la différence entre la possibilité de recevoir un traitement ou non. Diminuer la fréquence des visites lorsque les enfants sont dans un état stable peut réduire considérablement la charge des soignants et des programmes. On y parviendra idéalement grâce au transfert de la surveillance et du suivi aux agents de santé communautaires ou aux mères.

Programmation conjointe MAS et MAM

La programmation unique concernant la MAS et la MAM, que l’on appelle aussi programmation « élargie », « étendue » ou « simplifiée », offre un traitement à la fois pour la MAS et la MAM, grâce à un circuit patient et à un personnel médical en commun, et avec l’utilisation d’un seul aliment nutritif spécialisé. Cette approche présente de nombreux avantages administratifs et logistiques, et permet une meilleure adaptation de la population cible en fonction des ressources et des besoins, au fur et à mesure que le contexte évolue. Cette approche permet également un continuum de soins pour chaque enfant en cours de traitement pour la malnutrition aiguë.

Adaptations en fonction du contexte

Pour optimiser véritablement la couverture des besoins et la qualité des services, les interventions doivent être simplifiées et ajustées en fonction des besoins et des obstacles spécifiques au contexte. La décision de prendre en charge conjointement la MAS et la MAM peut dépendre de la stratégie générale de traitement de la MAM : selon si l’on est confrontés à une urgence grave par exemple, ou en fonction du volume de travail attendu, des ressources disponibles, des secteurs géographiques ciblés, de l’existence de comorbidités ou de facteurs contributifs, ou de la présence d’autres acteurs. Dans certains contextes, par exemple, plutôt que d’inclure tous les cas de MAS et de MAM, il peut être plus réaliste et plus faisable d’élargir les critères pour inclure uniquement les enfants dont le PB est inférieur à 120 mm (barème évolutif du PB). Le contexte doit également être pris en compte pour décider si l’on doit avoir recours aux mères ou aux agents de santé communautaires pour l’identification de cas grâce au PB et pour le suivi entre les visites, ainsi que pour déterminer s’il faut espacer les visites ambulatoires et à quel point.

Les protocoles actuels de PCMA incluent un traitement systématique à l’amoxycilline, et ce malgré l’absence de preuves concluantes sur les avantages de cette pratique, une résistance croissante aux antibiotiques et les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) visant à limiter et à rationaliser l’utilisation des antibiotiques. La fourniture d’antibiotiques à large spectre uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire serait plus conforme aux recommandations de l’OMS et simplifierait encore plus le traitement de la MAS. Bien qu’un traitement systématique puisse être justifié dans certains contextes, des facteurs locaux tels que les comorbidités prévalentes, l’accès aux soins de santé et les schémas de résistance doivent être pris en compte au moment de décider de fournir des antibiotiques à large spectre pendant le traitement de la MAS (Trehan, 2013 ; Isanaka, 2016). 

Beaucoup de ces stratégies sont maintenant étudiées et mises en œuvre plus largement. Bien que des résultats positifs aient pu être démontrés, il faut faire attention à ne pas chercher à développer trop rapidement ces nouvelles stratégies et, lorsqu’elles sont mises en œuvre, ces nouvelles stratégies doivent faire l’objet d’un suivi approprié. Les expériences menées par MSF démontrent qu’il y a à la fois des avantages et des inconvénients à prendre en compte. L’une des expériences les plus récentes et les plus significatives en matière d’utilisation de protocoles simplifiés et adaptés au contexte remonte aux interventions de MSF-OCP à Borno, au Nigeria, en 2014-2015.

Expériences d’approches simplifiées du traitement de la malnutrition aiguë dans le nord-est du Nigeria menées par MSF

Contexte

MSF-OCP a maintenu une présence permanente dans l’État de Borno, au Nigeria, depuis 2014, fournissant des soins de santé aux habitants touchés par la violence et les déplacements de population dans la région. Les opérations ont varié dans le temps, avec des activités en constante évolution, mises en place dans des lieux distincts et sur des durées différentes. MSF est intervenu à la fois dans des camps officiels et non officiels dans Maiduguri (la capitale de l’État) et à sa périphérie, ainsi que dans diverses autres régions de l’État, venant en aide aux communautés déplacées et aux communautés hôtes. Les activités comprenaient notamment des interventions en eau, assainissement et hygiène (WASH) ; des soins de santé primaires et nutritionnels (incluant un centre de stabilisation) et des soins de santé secondaires (avec notamment un centre pour le traitement de la MAS avec complications) ; des soins périnatals ; une surveillance et un suivi épidémiologiques ; une réponse aux épidémies ; et des distributions de produits alimentaires et non alimentaires. Les opérations ont toutefois été sérieusement entravées par de multiples facteurs, notamment l’escalade de la violence, les problèmes de sécurité et le manque d’accès aux populations dans le besoin. MSF avait des relations difficiles avec le Ministère de la Santé, notamment, concernant le manque d’accès aux territoires ou aux structures leur permettant de mener à bien leurs activités. Bien que le Comité International de la Croix-Rouge avait une présence internationale à Maiduguri, en 2014-2016 il n’y avait qu’une présence minimale de toute autre organisation non gouvernementale internationale.

En juin 2016, on dénombrait qu’environ 1 404 483 personnes avaient été déplacées dans l'État de Borno en raison des conflits. Maiduguri était extrêmement surpeuplée (avec plusieurs camps / installations informelles et 11 camps officiels), avec un accès insuffisant à la nourriture, aux soins de santé, au logement et à l’hygiène. En juin 2016, le nombre de consultations externes dans les deux services ambulatoires mis en place par MSF-OCP à Maiduguri avaient dépassé les 1 000 par jour et étaient restées à ce niveau jusqu’en octobre de la même année : 20 % des enfants qui se présentaient été identifiés comme souffrant de MAS. Au cours de la même période, les PTAs des deux sites s’occupaient de 1 000 à 2 000 enfants souffrant de malnutrition, tandis que les services de maternités pratiquaient chaque semaine 120 accouchements simples et organisaient 1 200 consultations . Après avoir été contraint par le Ministère de la Santé de quitter l’ancien site, un nouveau centre de stabilisation de 30 lits a été créé dans le district de Maiduguri à Gwange en mai 2016. Malgré une expansion à 115 lits en juillet, le taux d'occupation des lits du Centre a continué de dépasser les 100 %. La moitié des personnes admises au centre de stabilisation provenaient de la population hôte, qui se plaignait des prix élevés des produits alimentaires et de leur indisponibilité.

À la mi-juin, l'armée nigériane, accompagnée d’une organisation non gouvernementale locale, a organisé l’évacuation de 1 192 personnes nécessitant des soins médicaux urgents, depuis le camp de Bama jusqu’à Maiduguri. Le camp était situé à environ 70 kilomètres au sud de Maiduguri, à l’intérieur d’un ancien hôpital où l’entrée et la sortie étaient contrôlées par l'armée. À leur arrivée à Maiduguri, sur 466 enfants dépistés par MSF-OCP à l’aide de la MPB, 66 % étaient émaciés et 39 % étaient atteints de MAS, ce qui a immédiatement déclenché l’alerte. Une première visite d’une équipe MSF-OCP en juin 2016 a révélé une situation humanitaire catastrophique : 15 000 personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays vivaient dans des conditions terribles, totalement dépendantes des aides, avec des taux très élevés de MAS (20 %) et un taux de mortalité élevé dû à la malnutrition et au paludisme. Un communiqué de presse a alors appelé à la mobilisation, en alertant la communauté humanitaire sur cette situation désastreuse. En raison de graves problèmes de sécurité, MSF-OCP a opté pour des interventions d’urgence mensuelles plutôt que de maintenir une présence permanente. Une équipe se rendait à Bama par hélicoptère chaque mois pendant quatre jours avec l’aide des Services aériens d’aide humanitaire des Nations Unies, pour mettre en œuvre un programme de traitement de masse pour la santé et la malnutrition, comprenant l'identification et le traitement de la MAS et de la MAM, la distribution ciblée de nourriture aux familles de tous les enfants de moins de cinq ans, ainsi que des interventions sanitaires et WASH. Les taux de malnutrition sont alors rapidement tombés sous les seuils d’urgence. En octobre 2016, Bama était devenue une destination prioritaire pour l’État et les agences des Nations Unies, avec des distributions de nourriture régulières organisées par le Programme Alimentaire Mondial et l’UNICEF, ainsi que la mise en place de cliniques soutenues par l’armée de l’air nigériane. La situation s’étant grandement améliorée, MSF-OCP a décidé de réorienter son secours vers d’autres zones plus vulnérables.

Interventions

Maiduguri

En juillet 2016, MSF-OCP gérait deux sites de PTA à Bolori et Maimusari et un centre de stabilisation à Gwange, ciblant les soins des enfants âgés de 1 à 59 mois atteints de MAS. À Bolori et à Maimusari, les traitements ambulatoires étaient accompagnés de consultations générales externes pour tous les arrivants, ainsi que des soins prénatals et de maternité. Les critères d’admission et de sortie du programme d’alimentation thérapeutique comprenaient des indicateurs standard : seuils anthropométriques basés sur le rapport poids-taille et sur la mesure du PB, et présence d’œdème bilatéral des membres inférieurs. Les personnes admises au centre de stabilisation provenaient principalement des deux PTAs soutenus par MSF, ou bien grâce à un système de référencement lors d’activités menées par MSF dans des camps de personnes déplacées à la périphérie de Maiduguri ou ailleurs. Etant donné l’urgence de la situation, des mesures ont été prises pour élargir la couverture, notamment l’ajout d'un poste de travail sur le site du centre de stabilisation (faisant passer à trois le nombre de PTA), l’augmentation du nombre de lits dans le centre de stabilisation, l’inclusion du traitement des enfants atteints de MAM jusqu’à l’âge de 59 mois, et l’inclusion du traitement des enfants atteints de MAS jusqu’à l’âge de 10 ans. Un deuxième objectif était d’améliorer la qualité des soins, en particulier ceux des enfants gravement malades arrivant au centre de stabilisation, mais également d’améliorer le continuum général des soins, grâce à des systèmes de référencement renforcés, et à des soins d’urgence et des soins intensifs améliorés.

Afin d’être en mesure de gérer la forte augmentation des activités dans un contexte d’immenses contraintes opérationnelles, une approche simplifiée était essentielle. MSF-OCP avait initialement utilisé l’usage exclusif du PB dans sa programmation pour les activités mises en place dans le nord-est du Nigeria en 2014, mais a ensuite dû adopter une combinaison de cette mesure et de celle du rapport poids-taille, requise par le Ministère de la Santé et l’UNICEF, afin de se conformer aux protocoles nationaux. Lorsque la situation s’est détériorée en 2016, la programmation avec usage exclusif du PB a été rétablie, parallèlement à d’autres méthodes pour faciliter, rationaliser et contextualiser la prise en charge, offrant notamment une posologie simplifiée basée sur le PB, et n’utilisant qu’un seul produit pour traiter à la fois la MAS et la MAM. Les enfants sortaient du programme une fois que le PB était au dessus de 125 mm lors de deux visites consécutives, et après avoir participé au moins quatre semaines au programme. L’amélioration du flux des patients était également une priorité, notamment le circuit patient et le triage, surtout pour faciliter les échanges entre les services de consultation externes et les PTA. Il était clairement avantageux d’avoir côte à côte les deux activités, permettant notamment un dépistage et une recherche de cas plus systématique, et un continuum de soins plus simple.

En intégrant ces modifications à sa stratégie, MSF-OCP a pu traiter 11 911 cas de malnutrition aiguë globale (MAG), dont 2 121 cas de MAS présentant des complications, sur la période allant de juillet à décembre 2016, dans ses trois PTAs et son centre de stabilisation.

À la première moitié de l’année 2017, la situation avait changé. De nombreux autres acteurs étaient alors impliqués dans les programmes de nutrition dans la région, mettant en place des PTAs, un programme général de supplémentation alimentaire (Blanket Supplementary Feeding Program, BSFP en anglais) fournissant un complément alimentaire prêt à l'emploi par jour à tous les enfants de moins de cinq ans, des programmes de transfert monétaires et des distributions générales de nourriture. MSF avait renforcé le système de référencement vers et depuis le centre de stabilisation pour les cas traités dans les services externes ambulatoires soutenus par d’autres acteurs. Les pics de paludisme et de diarrhée étaient passés, mais l’accès aux soins primaires et secondaires pour les cas non atteints de MAS, et aux soins secondaires pour les enfants présentant une MAS avec complications, demeurait insuffisant. MSF a modifié sa stratégie en réponse à ces besoins changeants, pour finalement se limiter au traitement de la MAS chez les enfants de moins de 59 mois. Les cas compliqués de MAM étaient toujours gérés par MSF, ainsi que les cas de tous les autres enfants âgés de moins de cinq ans, mais traités comme des cas pédiatriques généraux à l’hôpital pédiatrique.

Aucune évaluation formelle n’a pour l’instant été réalisée concernant l’utilisation des adaptations décrites à Borno, mais des rapports internes montrent que les résultats du programme sont restés dans les limites des seuils MSF et des normes minimales de Sphere tout au long de leur utilisation en 2016 et 2017.

Bama

La stratégie à Bama n’était pas la même qu’à Maiduguri, en raison de contraintes différentes. Dans les deux sites, l’objectif était une couverture élevée des soins, utilisant une approche multidisciplinaire. Bien que la qualité des services reste un objectif constant, à Bama, un accent particulier a été mis sur la rapidité et l’exhaustivité de ces services, en raison de contraintes de sécurité (il s’agissait d’en faire autant que possible, dans le moins de temps possible, avec des visites ponctuelles et des services qui continueraient à présenter des bienfaits dans le temps). La stratégie comprenait des interventions d’urgence rapides conduites chaque mois, plutôt que le maintien d’une présence permanente sur le terrain. Lors de chaque visite, l’équipe a fourni de nombreux services, notamment un dépistage nutritionnel complet basé sur le système du PB pour tous les enfants de moins de 10 ans (âge estimé en fonction de la taille), des antibiotiques systématiques et un approvisionnement d’un mois en ATPE pour tous les enfants atteints de malnutrition aiguë (la posologie étant calculée selon qu’il s’agisse de MAS ou de MAM, en fonction des seuils de PB par âge), et une distribution alimentaire ciblée de mil, d’huile et de haricots aux familles de tous les enfants de moins de cinq ans. Les activités menées en simultané comprenaient les consultations ambulatoires, la chimio-prophylaxie saisonnière du paludisme, la distribution de moustiquaires et de produits non alimentaires, des activités relatives à l’eau et à l’hygiène, ainsi que la vaccination contre la rougeole et le pneumocoque.

Défis, leçons apprises et questions qui se posent

Protocoles avec usage exclusif du PB

À Maiduguri, l’usage exclusif du PB pour identifier les cas de MAS et suivre leurs progrès a été mise en œuvre principalement pour simplifier et accélérer le flux du circuit patient, en permettant à un plus grand nombre d’agents de santé de prendre des mesures anthropométriques, réduisant ainsi la charge des services ambulatoires surchargés. Dans ce contexte présentant de très nombreux cas de Malnutrition Aiguë Globale (MAG) et en raison de ressources limitées, il s’agissait du moyen le plus pratique d’identifier les enfants atteints de MAS présentant le risque le plus élevé de décès et ayant besoin d'un soutien supplémentaire. L’utilisation d’un seul marqueur anthropométrique a également permis d'étendre les soins au traitement d’enfants atteints de MAM, puis de revenir à la gestion axée sur la MAS.

Les équipes des services de consultations externes ont été satisfaites de l’approche, décrivant la facilité et la rapidité du dépistage systématique et global de tous les enfants qui se présentent pour des consultations générales et une plus grande efficacité lors des consultations de suivi. Dans l’ensemble, l’approche axée sur l’usage exclusif du PB a permis de gérer un plus grand nombre de cas, et de consacrer plus de temps et d’espace à l’amélioration des soins.

Le défi principal concernant la mise en œuvre était d’obtenir l’approbation du Ministère de la Santé et de l’UNICEF au niveau national, afin de pouvoir s’écarter des protocoles nationaux. Il existait également un certain désaccord sur les critères d’admission acceptables entre MSF et les autres partenaires d’exécution, la plupart d’entre eux utilisant à la fois le PB et le rapport poids/taille, en particulier en ce qui concerne les patients référés entre les service ambulatoires non gérés par MSF et les centres de stabilisation de MSF. Enfin, des inquiétudes ont été exprimées concernant les seuils définis pour les enfants âgés de 5 à 10 ans, compte tenu du peu d’expérience de l’usage exclusif du PB dans ce groupe d’âge.

À Bama, le dépistage anthropométrique a été utilisé pour déterminer l’admissibilité à un traitement essentiel rapide plutôt que son inclusion dans un programme de nutrition plus typique. La mesure du PB était la seule option qu’il était possible de mettre en place pour effectuer un dépistage massif au cours d’une intervention multidisciplinaire. La seule inquiétude, comme à Maiduguri, concernait le manque d’expérience avec les seuils pour les enfants de plus de 59 mois.

Programmation en circuit unique/produit unique pour MAS et MAM

Face à la forte prévalence de la MAS, dans un contexte sous-jacent d’hygiène médiocre, de manque d’accès aux soins de santé et d’insécurité alimentaire, MSF a décidé non seulement de traiter la MAS, mais également de prévenir sa détérioration. Les stratégies préventives comprenaient l’élargissement de l’accès général aux soins de santé primaires, ainsi que l’identification et le traitement de la MAM. Comme la programmation MAS et les services de consultation externes existaient déjà, mais que les ressources humaines et physiques étaient limitées, le traitement de la MAM a été intégré au programme de MAS existant. Les services de traitement de la MAS et la MAM utilisaient alors un seul circuit patient, le même personnel et le même produit (ATPE). Les principales différences en matière de soins concernaient la posologie des ATPE (les enfants atteints de MAM recevaient la moitié de la dose reçue par les enfants atteints de MAS) et le traitement des cas présentant des complications (les cas de MAS avec complications étaient adressés au centre de stabilisation tandis que les cas de MAM avec complications étaient adressés au service d’hospitalisation de MSF pour des soins pédiatriques standard, conformément aux protocoles de MSF-OCP et nationaux, réduisant ainsi la durée du séjour à l'hôpital). La stabilisation nutritionnelle pour les cas de MAS dans les centres de stabilisation, impliquant une alimentation initiale avec du lait thérapeutique, suivie d’une réintroduction graduelle d’aliments solides et d’une augmentation de l’apport calorique, prend généralement entre 5 et 7 jours. Dans les soins pédiatriques standards, les enfants sont nourris au régime complet dès qu'ils sont stables sur le plan médical, et la durée de séjour à l’hôpital est en moyenne de 3 jours. Les enfants atteints de MAM avec complications ont ainsi pu rapidement reprendre une rééducation nutritionnelle après un traitement médical et n’ont pas été obligés de rester aussi longtemps que prévu à l’hôpital. 

L’utilisation d’un protocole avec critères élargis a permis à MSF-OCP de s’adapter au contexte en augmentant leur champ d’action en cas de besoin, et en réduisant la charge de travail du programme lorsque la situation évoluait. Le fait de fournir à la fois les traitements pour la MAS et la MAM dans le cadre d’un programme unique a également permis aux enfants en convalescence de bénéficier d’une continuité dans la prise en charge, leur permettant ainsi de poursuivre la rééducation nutritionnelle sans transfert ni admission dans un programme MAM distinct.

À Bama, où l’accès restreint nécessitait une intervention rapide, le dépistage et le traitement de la MAS et de la MAM en un seul processus et avec un seul produit permettaient un traitement et une prévention efficaces et rapides de la MAS. En outre, la fourniture et la distribution d’un seul produit ont grandement simplifié la logistique.

Le plus grand défi de cette stratégie avec critères élargis était le grand nombre d’enfants admis. Le nombre de cas a été multiplié par trois lorsque le seuil d’admission a été augmenté, passant de 115 à 125 mm. Ceci est en grande partie dû à l’augmentation du nombre de cas de MAM, qui représentait 70 % des admissions en 2016 (25 % étaient des cas MAS âgés de moins de 5 ans, les autres étaient des enfants atteints de MAS âgés de 5 à 10 ans). Dans le cadre général de l’intensification du projet, un service d’hospitalisation a été ouvert pour fournir des soins secondaires aux enfants de moins de 10 ans. MSF-OCP a ainsi pu hospitaliser des cas de MAM avec complications dans cet établissement, en les renvoyant au programme d’alimentation thérapeutique à la sortie. Cela aurait été plus difficile si à la fois les enfants atteints de MAS et de MAM avec complications avaient dû être hospitalisés au centre de stabilisation.

Gestion des cas médicaux pour les enfants atteints de MAM dans le contexte du protocole élargi

Par définition, les cas de MAM ne sont pas aussi avancés dans le processus de la maladie, et ont moins de risques de complications et de décès que les cas de MAS. Élargir les critères pour inclure la MAM et ainsi fournir la même intensité de soins que pour la MAS pourrait entraîner un sur-traitement, une complication excessive des soins de la MAM, et un gaspillage des ressources. Ceci est flagrant lorsque l’on regarde de plus près la gestion médicale et le suivi fourni pour les cas de MAM. La MAM nécessite-t-elle la même intensité de soins que la MAS en ce qui concerne la fréquence des visites, la stabilisation pendant l’hospitalisation pour les cas avec complication, et l’administration d’antibiotiques de routine, par exemple ? Bien que MSF-OCP et les protocoles nationaux recommandent l’hospitalisation des cas de MAM avec complications dans un service pédiatrique général, ce n’est pas une règle universelle. Certains protocoles ne précisent pas où hospitaliser les patients et d’autres recommandent de les hospitaliser dans les centres de stabilisations, comme les cas de MAS. Bien que l’administration systématique d’antibiotiques ne soit pas pratiquée dans les programmes de supplémentation alimentaire et que les recommandations de l’OMS préconisent de réduire l’utilisation générale d’antibiotiques, un protocole de traitement combiné pour la MAG comporte le risque d’ajouter des antibiotiques non justifiés au traitement de la MAM. Les protocoles de traitement standard de la MAM recommandent généralement des visites de suivi mensuelles. Transformer cela en visites hebdomadaires, la norme actuelle pour le traitement de la MAS, est une pratique injustifiée, en particulier étant donné les ressources déjà limitées et la charge supplémentaire que cela impose aux soignants et aux prestataires de soins.

Schéma posologique simplifié des ATPE

Alors que la posologie standard pour le traitement de la MAS est basée sur le poids, avec plusieurs dosages différents possibles, MSF-OCP a utilisé un dosage basé sur les résultats de la phase 1 de l’étude ComPAS. Cette étude recommande un dosage simplifié en fonction du PB et l’utilisation d’un seul produit, traitant les enfants dont le PB <115 mm avec deux sachets d’ATPE par jour, et les enfants dont le PB ≥ 115 mm avec un seul sachet d’ATPE par jour (Bailey et al, 2016). Ce schéma thérapeutique a considérablement amélioré l’efficacité en pré-conditionnant les ATPE en lots, créant ainsi un stock adapté pour le traitement de la MAS ou de la MAM. Ces ATPE pouvaient ensuite être distribués facilement et rapidement aux mères lors de leur passage dans le circuit patient. Le même système a été utilisé pour Maiduguri et Bama, avec pour seule différence la durée que le lot devait couvrir (deux semaines pour Maiduguri et quatre semaines pour Bama).

Le dosage simplifié a été facilement mis en œuvre et généralement bien accepté. Le personnel du PTA a toutefois fait part de ses inquiétudes concernant le dosage pour le traitement de la MAM et concernant la sortie du traitement en fonction du PB, en observant que de nombreux enfants se stabilisaient autour de 120 mm, et prenaient beaucoup de temps pour atteindre le seuil de 125 mm. Ils ont estimé que cela alourdissait la charge de travail quotidienne et donc que les enfants devraient soit être libérés plus tôt, soit recevoir des doses plus élevées d’ATPE.

Réduction du suivi

Comme indiqué plus haut, les principales contraintes à Maiduguri étaient le grand nombre d’enfants souffrant de malnutrition, le manque de lieux dans lesquels mener les activités, et la nécessité de prioriser l’allocation de ressources limitées pour un résultat maximal. Les bénéficiaires vivant principalement dans les zones environnantes, le transport et l’accès aux centres de santé de MSF ne constituaient pas un obstacle. Les enfants atteints de MAS ayant réagi positivement au traitement ont donc été invités à se rendre à des consultations de suivi toutes les deux semaines, les parents étant encouragés à retourner au centre de santé rapidement en cas de problème. Cela a été bien accepté par le personnel et les parents, et a permis le traitement de deux fois plus d’enfants atteints de MAS. Les inquiétudes principales et les questions liées au suivi concernaient là encore les soins des patients atteints de MAM. Alors que les enfants atteints de MAM qui se remettent d’une MAS sont généralement vus toutes les semaines, le suivi standard pour les enfants atteints de MAM est mensuel. Le traitement conjoint de la MAS et de la MAM signifie que tous les enfants atteints de MAM sont suivis toutes les deux semaines, doublant ainsi la fréquence des visites de ces patients, et contribuant à la surcharge des centres de santé.

À Bama, la difficulté pour les équipes de MSF d’accéder à la population a nécessité une diminution de la fréquence des visites de suivi. Tous les patients atteints de malnutrition aiguë, qu’elle soit sévère ou modérée, ont reçu un approvisionnement en ATPE de quatre semaines (la dose étant calculée par rapport au PB), avec l’idée que l’équipe reviendrait quatre semaines plus tard pour examiner à nouveau la population entière et allouer de nouveaux approvisionnements en ATPE en fonction des besoins. Le suivi médical était assuré grâce à des consultations générales, comme pour le reste de la population. Bien que ce ne soit pas une situation idéale, cette solution a été considérée comme étant mieux que rien : il semblait préférable de donner un aliment thérapeutique, même sans possibilité de suivi et de surveillance réguliers, que de ne rien donner du tout faute de pouvoir fournir le traitement complet. Il n’a pas été possible d’évaluer l’impact de cette solution en raison du manque de suivi, mais un dépistage dans la population a révélé une diminution de la prévalence de la malnutrition aiguë au fil du temps, grâce à cette intervention multidisciplinaire. 

Dans d’autres contextes, un suivi moindre peut constituer un aspect important de la programmation standard (non urgente), lorsque l’accès à la programmation de la PCMA est limité et que les parents/enfants doivent parcourir de longues distances ou faire de gros sacrifices pour atteindre les centres de suivi.

Intégration de la programmation nutritionnelle et de l’accès aux soins de santé généraux

Comme indiqué plus haut, le nombre d’acteurs fournissant des programmes de nutrition à Maiduguri a augmenté de manière spectaculaire à mesure que la nouvelle de l’urgence se répandait. Le nombre d’acteurs fournissant des soins de santé primaires et secondaires a malheureusement très peu changé au cours de la même période, malgré la forte demande. Ainsi, en l’absence de traitement, les maladies diarrhéiques et le paludisme ont continué de contribuer aux cas de malnutrition aiguë. Comme le reconnaît le cadre conceptuel de l’UNICEF sur les facteurs de la dénutrition chez les enfants, la maladie constitue, en plus d’un apport nutritionnel insuffisant, une cause immédiate de malnutrition. L’accès aux soins de santé primaires est essentiel pour prévenir la malnutrition aiguë (et est tout aussi important que d’assurer un apport nutritionnel adéquat), mais il est trop souvent négligé dans les interventions nutritionnelles verticales standard.

Conclusions

L’expérience de MSF-OCP soutient l’idée que l’amélioration de la couverture du programme et de la qualité des soins passe par une simplification du traitement de la malnutrition aiguë. L’utilisation de critères d’admission et de sortie basés sur le PB, le traitement avec un seul produit, la réduction du nombre de visites de suivi pour les enfants stables, et une meilleure répartition et un roulement plus efficace des patients ont permis de réduire considérablement la charge de travail du personnel et des soignants. Cela a également facilité l’intégration des soins de santé primaires et secondaires, et répondu aux besoins d’un grand nombre d’enfants souffrant de malnutrition lors d’une crise humanitaire grave, dans une région peu sécuritaire et où l’accès était souvent problématique. Les résultats enregistrés étaient conformes aux normes internationales et cette approche a permis de prendre en charge beaucoup plus d’enfants qu’il n’en aurait été possible en utilisant une approche conventionnelle. Il reste cependant des questions en suspens, notamment concernant de meilleures méthodes et critères d’identification des enfants à risque ou souffrant de malnutrition aiguë dans différents groupes d'âge ; les dosages optimaux pour les aliments nutritifs spécialisés ; et si différents traitements sont nécessaires ou non en fonction du type et de la gravité de la malnutrition aiguë. Il est essentiel que les protocoles de nutrition conservent la flexibilité nécessaire pour s’adapter à des contextes variés et changeants, mais également pour s’adapter à de nouvelles connaissances et à des faits en constante évolution.

Pour en savoir plus, veuillez contacter Kerstin Hanson.

Adapter le protocole pour faire face aux réalités du programme : perspectives de l’UNICEF au Nigeria

L'expérience de l'USAID dans le plaidoyer pour l'utilisation des critères d'admission élargis au Nigeria


Références

J. Bailey, R. Chase, M. Kerac, A. Briend, M. Manary, C. Opondo, M. Gallagher et A. Kim (2016). Protocole combiné pour le traitement de la MAS et de la MAM : étude ComPAS. Field Exchangen°53, Novembre 2016, page 44, www.ennonline.net/fex/53/thecompasstudy

S. Isanaka, C. Langendorf, F. Berthe, et al. Routine Amoxicillin for Uncomplicated Severe Acute Malnutrition in Children. N. Engl J. Med. 2016 ; 374(5) : 444-453. doi : 10,1056/NEJMoa1507024

Trehan I, Goldbach HS, LaGrone LN, et al. Antibiotics as part of the management of severe acute malnutrition. N Engl J Med. 2013;368(5):425-435. doi:10.1056/NEJMoa1202851

MSF-OCP Internal reports and routine programme monitoring, 2016-2017.

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