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Amélioration de l'efficacité d’un programme de prise en charge communautaire de la malnutrition en Zambie

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Par Stefania Moramarco

avec le soutien technique de Giulia Amerio, Elisabetta Garuti, Gloria Gozza, Ersilia Buonomo et Leonardo Palombi

Stefania Moramarco est une nutritionniste titulaire d'un doctorat en santé publique et possédant de nombreuses années d'expérience dans la programmation et la recherche de programmes à base communautaire en Zambie. Elle est chargée de recherche en nutrition et santé publique au Département de Biomédecine et de Prévention de l'Université de Rome Tor Vergata (Italie) et coordonne les programmes de nutrition de Rainbow en Zambie.

Giulia Amerio est pédiatre diplômée en médecine tropicale/hygiène et titulaire d'un master en santé publique. Elle est l'ancienne coordonnatrice des programmes de nutrition de Rainbow en Zambie. Giulia est une représentante de l'Association Pape Jean 23 aux Nations Unies à Genève, travaillant à la défense des droits humains, en particulier le droit à la santé.

Elisabetta Garuti est diplômée en économie et membre de l'Association Pape Jean 23. Elle a conçu le projet Rainbow comme un modèle de prise en charge des orphelins et des enfants vulnérables en Zambie.                    

Gloria Gozza est la coordinatrice nationale du projet Rainbow en Zambie et la représentante de l'Association Pape Jean 23 en Zambie.

Ersilia Buonomo est professeure agrégée d'hygiène et de santé publique à l'Université de Rome Tor Vergata et spécialiste de la malnutrition infantile et du VIH/SIDA dans les pays à revenu faible et intermédiaire dans le cadre du programme DREAM de la Communauté de Sant'Egidio.

Leonardo Palombi est professeur d'hygiène et de santé publique, ancien directeur du Département de Biomédecine et de Prévention de l'Université de Rome Tor Vergata et directeur scientifique du programme DREAM de la Communauté de Sant'Egidio.

Les constats, interprétations et conclusions de cet article font partie de la thèse de doctorat de l'auteur principal.1

Les auteurs remercient les organisations non gouvernementales et communautaires zambiennes et leur personnel pour leur travail, notamment Maxilda Mushoke (Kanyala Nutrition, Nkwazi Nutrition), Daisy Kumwenda (Rainbow Pamodzi), Chibesa Chiti (Nsansa Nutrition Club), Maria Agape Thindwa (Rainbow Merciful Aid Care Centre) ; Julius Pezulu (Sukumuna Orphanage and Destitute Centre), Stanley Malwa (SADTI), Mwelwa Mwelwa (Little Angels), Elina Mukokili (Kawama Nutrition), Philip Bwalya (Kaoloko Emmaus), Tina Banda (Maria Cimona Love and Grace). Les auteurs remercient également le Bureau de santé du district de Ndola, le Bureau provincial de nutrition ainsi que les nutritionnistes hospitaliers et le Département de Biomédecine et de Prévention de l'Université de Rome Tor Vergata pour leur soutien et leurs conseils.

Lieu : Zambie

Ce que nous savons : La malnutrition aiguë est généralement prise en charge par des programmes distincts de lutte contre la malnutrition aiguë sévère (MAS) et la malnutrition aiguë modérée (MAM). Les enfants présentant une insuffisance pondérale ne sont pas systématiquement pris en charge dans le cadre des programmes de traitement.

Qu'apporte cet article : Le projet Rainbow est un programme d'alimentation complémentaire mis en œuvre dans 11 sites en Zambie par des organisations à base communautaire et des bénévoles communautaires. Outre les enfants souffrant de MAM, les enfants atteints de MAS ainsi que les enfants présentant une insuffisance pondérale ont été admis dans les programmes d'alimentation complémentaire ciblés (PACC) en raison de défaillances dans la prestation des programmes thérapeutiques ambulatoires locaux. Les études d'évaluation publiées (2012-2017) ont éclairé les développements visant à améliorer l'efficacité des programmes, notamment le suivi continu, le renforcement des capacités, de meilleurs systèmes d'aiguillage pour les cas de VIH et un meilleur apport en nutriments. L'analyse rétrospective des résultats obtenus après la modification du programme a montré des améliorations statistiquement significatives des taux de guérison, de décès et d’abandons, une réduction de la durée du séjour et du gain de poids moyen , et une augmentation du nombre de diagnostics pour le VIH. Les conseils individuels en matière de nutrition ont considérablement amélioré la diversité alimentaire, la fréquence des repas et le traitement de l'eau potable. Des variables explicatives ont été trouvées pour expliquer de manière significative la mortalité, à savoir : l'infection à VIH, la MAS œdémateuse et l'insuffisance pondérale sévère. Le projet Rainbow montre les avantages potentiels de la fourniture d'un continuum de soins visant à prévenir et à traiter les multiples formes de malnutrition dans les situations où la prise en charge de la malnutrition aiguë par la communauté n'est pas entièrement couverte ou mise à l’échelle, ainsi que la nécessité d'intégrer les activités de santé et de nutrition pour prévenir et traiter la malnutrition infantile dans les zones d'insécurité alimentaire où le fardeau de la malnutrition et de l'infection au VIH est lourd.

Prise en charge de la malnutrition aiguë par la communauté dans le contexte zambien

La réduction de la malnutrition infantile demeure une priorité nationale de santé publique en Zambie. Les progrès de la Zambie en matière de croissance économique ces dernières années (reclassée comme pays à revenu intermédiaire par la Banque mondiale en 2012) ne se sont pas traduits par une réduction significative de la pauvreté. La prévalence de la malnutrition reste élevée, 40 % des enfants zambiens souffrant d'un retard de croissance, 15 % d'insuffisance pondérale et 6 % d'émaciation (OSC, Ministère de la Santé, ICF International, 2014). Cette situation est exacerbée par les taux élevés de VIH/SIDA, avec environ 85 000 enfants infectés par le VIH en 2015 (ONUSIDA, 2018).  Le Gouvernement zambien reste déterminé à développer les services à fort impact, en accordant une attention particulière à la santé maternelle et infantile dans le Septième plan national de développement 2017-2021. Le Sommet national sur l'alimentation et la nutrition d'avril 2018 sous le thème Investir dans l'alimentation et la nutrition pour accélérer le développement national : passer à l'action pour la nutrition, a démontré la volonté accrue du gouvernement zambien à traduire les priorités de sécurité alimentaire et nutritionnelle en actions concrètes, mesurables et multi-sectorielles menées par des acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.

Bien que la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) soit le critère de référence en matière de traitement de la malnutrition aiguë chez les enfants en Zambie, ses principales composantes ne sont pas encore pleinement mises en œuvre ou intégrées à grande échelle dans le système de santé et les services sont parfois interrompus. Le soutien et l'innovation des organisations non gouvernementales (ONG) sont nécessaires pour combler les lacunes. Un exemple en est le projet Rainbow, qui soutient une approche communautaire intégrée de prise en charge de la malnutrition combinant traitement et prévention de la malnutrition aiguë modérée (MAM), de la malnutrition aiguë sévère (MAS) et de l'insuffisance pondérale par des programmes d'alimentation complémentaire ciblés (PACC).

Le modèle du projet Rainbow

Évolution

Le projet Rainbow, sous l'égide de l'Association Pape Jean 23,2 opère dans les districts de Ndola et Kitwe depuis 1998, fournissant un modèle à grande échelle de soins aux orphelins et enfants vulnérables. Au départ, il s'agissait d'un réseau d'organisations déjà actives voulant travailler au développement, à l'autonomisation et à la coordination d'une meilleure prise en charge des enfants vulnérables. Depuis 2001, Rainbow a été mandaté par l'autorité sanitaire du district pour développer et mettre en œuvre des programmes d'alimentation complémentaires afin de gérer la malnutrition chez les enfants âgés de 6 à 59 mois. Aujourd’hui, le district de Ndola compte 11 PACC de Rainbow dont neuf dans les zones urbaines et deux dans les zones rurales. Les PACC sont gérés par de petites ONG locales et des organisations communautaires et coordonnés et soutenus par le bureau du projet Rainbow, qui travaille également en étroite collaboration avec les établissements de santé locaux, l'hôpital pour enfants du district, les équipes cadre du district sanitaire (DHMT) de Ndola et autres autorités sanitaires.

Depuis 2008, le projet Rainbow a mis en place et géré six PTA (programmes thérapeutiques ambulatoires) dans le district de Ndola pour faciliter la prise en charge de la MAS, en collaboration avec la DHMT. Chacun était dirigé par un médecin du projet Rainbow et un(e) infirmier/infirmière de la DHMT. En 2011, après plusieurs orientations et formations intensives, tous les PTA ont été remis aux autorités du district. Actuellement, 7 PTA sont en service et gérés par le personnel local sous la supervision du nutritionniste de l'équipe cadre du district  sanitaire (DHMT). Alors que les PTA sont bien utilisés, ils font face à de sérieux défis à cause d'un approvisionnement irrégulier d'aliments thérapeutiques prêts à l'emploi (ATPE) et à d'autres défis liés à l'intégration des services routiniers dans les cliniques locales où ils sont en vigueur. Devant ce constat, pour des raisons éthiques et humanitaires, il a été décidé d'inscrire régulièrement les cas de MAS (malnutrition aiguë sévère) aussi bien que ceux de MAM (malnutrition aiguë modérée) dans les PACC du projet Rainbow. En outre, le programme PACC de Rainbow inscrit les enfants en insuffisance pondérale sur le principe qu'un état nutritionnel amélioré et une croissance optimale peuvent réduire et éviter les périodes d’émaciation. Cette approche plus globale permet l'inclusion et la prise en charge des enfants les plus exposés aux dangers et/ou nécessitant une action de détection et d'assistance précoce.

Aperçu du programme

Tous les enfants provenant de cliniques ou hôpitaux locaux font l'objet d'un triage en vue de leur admission dans les PACC. Les admissions prioritaires sont d'abord les cas de malnutrition aiguë sévère (périmètre brachial (PB) ≤ 11,5 cm et/ou œdème bilatéral) et les cas de malnutrition aiguë modérée (PB >11,5 cm et ≤ 12,5 cm). Les deuxièmes cas prioritaires sont les enfants en insuffisance pondérale (poids pour l'âge inférieur <-2SD).3 Tous les enfants identifiés dans l'ensemble de la communauté sont dépistés pour la malnutrition et envoyés à la formation sanitaire la plus proche pour une évaluation médicale. Ceux qui sont éligibles pour intégrer les programmes communautaires sont contre-référés aux PACC avec une demande d’admission signée par le personnel de santé.

Les activités hebdomadaires dans chaque PACC incluent une évaluation et un contrôle anthropométrique ; des démonstrations culinaires ; des sessions de discussion en groupe sur la santé ; un service de consultation de nutrition individuel ; une fourniture de repas sur place et une distribution de suppléments alimentaires (mélange d’aliments enrichis – aliments protéinés à haute valeur énergétique, équivalent au Super Cereal du PAM) et d’aliments locaux. Jusqu'en 2014, 2 kg de supplément alimentaire étaient distribués par mois à chaque enfant bénéficiaire (environ 75 g par jour), qu'ils souffrent de MAM ou MAS, dans l'hypothèse que les enfants souffrant de MAS recevaient aussi des aliments thérapeutiques (ATPE) de leurs programmes thérapeutiques ambulatoires. Cependant, lorsque les approvisionnements ATPE dans les programmes locaux thérapeutiques ambulatoires s'interrompaient (une situation courante), une ration additionnelle de supplément alimentaire (1kg par semaine, environ 150 g par jour) était donnée aux enfants jusqu'à ce que les approvisionnements ATPE reprennent. Ce protocole a été changé après 2014, suite à une évaluation du programme décrite ci-dessous. Les aliments locaux (farine de maïs, huile, sucre, arachides) sont aussi distribuées dans les familles bénéficiaires pour contribuer à sa sécurité alimentaire du ménage et aider à prévenir la malnutrition parmi les autres enfants dans le foyer.

Les visites à domicile servent à identifier les besoins spécifiques et les défis au niveau des foyers et d'effectuer un suivi de l’état de santé des enfants. Les enfants qui souffrent de complications médicales durant la visite hebdomadaire programmée ou lors des visites à domicile sont immédiatement envoyés dans les cliniques locales pour un examen de santé et un traitement. Les dirigeants de chaque organisation locale qui gèrent les PACC se rencontrent régulièrement au bureau de Rainbow pour discuter des progrès et défis, recevoir des formations et des informations. Lorsque l'équipe cadre du district sanitaire peut le fournir, ceci est encouragé pour renforcer la collaboration et l'intégration des services.

L'engagement de la communauté dans le programme (sensibilisation communautaire, participation, implication et diffusion) est priorisée pour faciliter la détection précoce des cas d'enfants souffrant de malnutrition, augmenter la couverture des services et l'impact positif sur les résultats cliniques. Les volontaires de la communauté sont une partie essentielle du programme et ont permis aux PACC de devenir un point central de référence pour des communautés entières au cours des années. 

Suivi et évaluation

Les activités de suivi et d'évaluation sont bien intégrées dans le programme. Les données de base sont collectées régulièrement dans chaque PACC (par exemple le nombre d'admissions, réparti selon le type de malnutrition, et les sorties réparties selon les indicateurs de performance) et comparées aux normes internationales pour évaluer les résultats du programme.

Évolution du programme en fonction des données probantes

Évaluation externe (2012-2013)

En 2012 et 2013, les PACC ont fait l'objet d'une évaluation externe de la part des professionnels zambiens. Les points faibles identifiés comprenaient une planification écrite insuffisante, un manque de documentation des activités, un manque de supervision et un service de consultation nutritionnel individuel médiocre (Moramarco et al, 2014). En réponse, des adaptations ont été effectuées dans le programme, incluant le développement d'un registre imprimé pour uniformiser la documentation dans les PACC et améliorer la qualité du service de consultations nutritionnelles. Spécifiquement, les résultats montrent que le service de consultation ne peut être mené efficacement à ce stade seulement par les volontaires de la communauté. En réponse, en 2015, un nutritionniste local a été recruté par le programme pour mieux cibler la qualité du service de consultation et son efficacité (Moramarco et al, 2014).

Recherche doctorale

Trois années de recherche doctorale (2015-2017) ont été effectuées pour évaluer l’efficacité du PACC Rainbow dans la gestion de la malnutrition infantile dans le contexte zambien. Les constatations principales sont présentées ci-dessous.

Évaluation de la performance du programme (2012-2014)

Une première étude rétrospective (Moramarco et al, 2016) a été effectuée sur 858 enfants souffrant de malnutrition (MAM, MAS ou insuffisance pondérale) admis dans les PACC entre 2012 et 2014 pour évaluer la performance du programme et identifier les points forts et les points susceptibles d'amélioration. Si on le compare aux normes internationales (Sphere (2011) ; HCR/PAM (2011)), le programme était jugé efficace dans la gestion de la malnutrition aiguë modérée (taux de récupération de 86,1 % comparé à >75 % d'acceptabilité et un taux de mortalité de 2,8 % comparé à <3 % d'acceptabilité pour les PACC) (tableau 1). Cependant, les taux de mortalité étaient supérieurs aux normes internationales lorsque l'on analysait ensemble l'échantillon global de MAM, MAS et les enfants en insuffisance pondérale (5,6 %) et particulièrement dans l'échantillon de MAS (12,4 %). Les variables principales prédictives de la mortalité étaient l'infection à VIH, la malnutrition aiguë sévère et un très faible poids-pour-âge (WAZ <-3 SD) à leur admission (Rapport des Risques (RR) : 3,1 ; RR : 3,8 ; et RR : 3,1 respectivement). Le temps dont les enfants nécessitaient pour leur récupération dépassait les normes internationales d'environ sept semaines de traitement. Cependant, les résultats ont révélé que pour atteindre des taux de guérison plus élevés, la période d'assistance nutritionnelle devrait encore se prolonger jusqu’à 24 semaines, après laquelle 80 % des enfants avaient récupéré de la malnutrition. Le taux moyen de gain de poids était bas (tableau 1), ce qui suggérait le besoin d'améliorer la qualité des compléments alimentaires distribués chaque semaine (ce qui pourrait entrainer une réduction de la durée de séjour). Sur la base de ces résultats, les changements suivants ont été apportés :

  • La ration hebdomadaire d’aliments de complément a été doublée à 150 g / jour / enfant pour tous les bénéficiaires et la formule a été améliorée en ajoutant de l'huile et du sucre durant la préparation de la bouillie, en utilisant la ration d’aliments locaux à emporter.
  • La même ration a été donnée aux enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère, indépendamment du fait que le traitement thérapeutique (ATPE) soit fourni par le programme thérapeutique ambulatoire, en soulignant toujours que l'ATPE (si disponible) aurait dû être le meilleur choix alimentaire pour les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère.
  • Les connaissances des volontaires communautaires sur la manière de promouvoir la consultation et le dépistage volontaire du VIH ont été renforcées. La sensibilisation sur la prévention et le traitement du VIH a été intégrée dans des discussions en groupe et les discussions sur les questions de santé (avec le conseil de se rendre dans des cliniques locales pour le dépistage et le traitement) et les consultations de counseling nutritionnel ont continué à être encouragées.

Évaluation de l’impact suite aux modifications du programme (2015-2017)

Une seconde analyse rétrospective a été réalisée sur 900 enfants souffrant de malnutrition admis dans le PACC de Rainbow entre 2015 et 2017 pour évaluer l'impact des modifications réalisées dans le programme. Les résultats, publiés dans un article par Moramarco et al (2018, montrent que les principaux indicateurs de performance (récupération, taux de mortalité et abandons) respectaient maintenant les normes internationales. Ces taux s’étaient tous améliorés depuis l'évaluation de 2012-2014, avec un changement statistiquement significatif du taux de récupération pour la malnutrition aiguë sévère. La réduction des taux de mortalité était significative dans l'échantillon global (5,6 % à 3,1 %) et dans les cas de malnutrition aiguë sévère (12,4 % à 6,1 %), avec tous les taux de mortalité conformes aux normes internationales. La durée moyenne de séjour restait au-dessus des normes internationales, bien que les normes pour la MAM étaient dépassées seulement d'une semaine. Les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère nécessitaient une période de récupération plus longue (+4 semaines) et les enfants émaciés restaient plus longtemps (OR 2,3, CI : 1,6-3,4), pendant que les enfants avec œdème récupéraient avant (OR 0,4, CI : 03.-0,6) (Moramarco, 2018). Des réductions significatives dans la durée moyenne d'hospitalisation ont été constatées pour le groupe global ainsi que pour les groupes de MAS et de MAM. Le taux de rechute, défini lorsqu'un enfant a été auparavant admis dans un programme d'alimentation complémentaire dû à un problème de malnutrition antérieur (MAM, MAS ou sous-poids), était de 14,3 %.

Une augmentation statistiquement significative de la prise de poids moyenne (p<0,001) a été observée, dû probablement à une meilleure qualité et plus de quantité dans les rations de compléments alimentaires. Cependant, malgré ces prises de poids, cette mesure se trouvait encore en dessous des objectifs internationaux (2g/kg/jour versus 3g/kg/jour pour le PACC). Ceci est probablement dû au partage des aliments dans les familles, qui est une pratique culturelle courante, surtout dans des contextes d’insécurité alimentaire. Les résultats montraient que les PACC de Rainbow étaient efficaces dans la réhabilitation nutritionnelle des enfants en insuffisance pondérale (85,9 % guéris ; 13,8 % abandons ; 0,3 % de décès) ; toutefois les normes internationales ne fournissent pas d'objectifs spécifiques pour les enfants en insuffisance pondérale dans les PACC avec lesquels comparer les performances.

Les analyses univariées et multivariées montraient que l'infection VIH restait la variable explicative la plus importante de la mortalité (RR 5,5 ; Cl : 1,9-15,9), ainsi que la malnutrition aiguë sévère avec oedèmes (RR 3,5 ; CI : 1,2-9,5) et l’insuffisance pondérale sévère à l'admission (WAZ<-3) (RR 4,6 ; CI : 1,3-16,1). Ceci confirme la nécessité de considérer la prévention et la prise en charge de l’insuffisance pondérale comme un élément essentiel de la gestion de la malnutrition infantile.

Le renforcement de la formation des opérateurs/des volontaires communautaires sur la connaissance du VIH et l'intégration effective du counseling pour le VIH dans le programme de nutrition se sont montré efficaces. La Figure 1 montre une augmentation de 30 % dans le diagnostique des enfants séropositifs (p<0,001) et une forte diminution du pourcentage des enfants dont le statut VIH était ignoré au moment de leur admission (22,9 % en 2012-2014 à 8 % en 2015-2017). 

Tableau 1. Résultats du projet Rainbow en 2012-14 et 2015-17 comparés aux normes internationales

SI=soins intensifs (hospitalisation) ; MAM=malnutrition aiguë modérée ; PTA=programmes thérapeutiques ambulatoires ; MAS= malnutrition aiguë sévère ; PACC=programme d'alimentation complémentaire ; ET=Ecart-Type

Première publication du tableau dans Moramarco et al, 2018.

* Ces données restent les mêmes dans les normes SPHERE actualisées (2018)

Figure 1: Statut VIH à la sortie de l'hôpital : comparaison entre Rainbow 2012-14 et 2015-17

en traduction - Version française bientôt disponible

Impact du counseling nutritionnel (2015-2016)

L'impact du service de counseling nutritionnel individuel a été évalué par une étude de 37 enfants inscrits dans les PACC de Rainbow de 2015 à 2016. Les résultats publiés dans Moramarco et al en 2017 montrent que le régime alimentaire des enfants était insuffisant à leur admission, avec un manque de diversité alimentaire, des carences alarmantes en macronutriments et des pratiques d'alimentation inappropriées. Des améliorations significatives ont été remarquées à la suite de la mise en place du service de counseling nutritionnel individuel effectué par un nutritionniste local, basé sur des messages culturellement appropriés. Des augmentations statistiquement significatives (p<0,0001) ont été observés dans la diversité du régime alimentaire (de cinq à sept groupes alimentaires) et dans le nombre moyen de repas par jour (de trois à cinq). Une analyse comparative du régime alimentaire montre une augmentation significative de l'apport d'énergie et de tous les macronutriments, bien que 32,4 % des enfants recevaient encore moins de 75 % de l'apport énergétique quotidien recommandé selon les directives internationales (FAO, 1997). Lea figure 2 montre une augmentation de 35 % (p=0,004) du nombre d'enfants qui consomment des aliments d'origine animale (poisson, œufs, viande/volaille) et des aliments riches en vitamines (+ 35 % de légumes et + 50 % de fruits ; p<0,001). Cela peut être considéré comme un résultat direct du service de counseling nutritionnel et de l'éducation, puisque les programmes PACC de Rainbow n'incluaient pas ce genre d'aliments dans les aliments complémentaires. Le counseling nutritionnel comportait également une composante importante sur le traitement de l’eau potable. Des améliorations significatives (p<0,001) dans le traitement de l'eau potable (en la faisant bouillir) ont été remarquées entre les données de référence et l’évaluation finale (18,9 % vs. 72,9 %).

Figure 2 : Evolution de la consommation en terme de groupes alimentaires dans le projet Rainbow entre les données de référence (admission) et l’évaluation finale (sortie)

Leçons apprises

En écoutant et en s’adaptant aux besoins spécifiques de la communauté locale, Rainbow a développé un modèle d'action innovant, "en mettant en œuvre ce qui existe au niveau local et en ajoutant ce qui manque." Dans le contexte de la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë, le PACC de Rainbow présente une approche innovante qui fournit une continuité des soins pour les enfants souffrant de malnutrition, avec l'intégration des activités de prévention et de traitement qui sont offertes par des volontaires communautaires bien formés et supervisés de près. Dans ce modèle, les volontaires se sont montrés capables d'identifier et de prendre en charge des cas de malnutrition aiguë sans complication et de fournir des données de qualité. 

Les PACC de Rainbow se sont révélés efficaces pour contribuer à la réduction de la mortalité des enfants de moins de cinq ans, souffrant de malnutrition, qu’il s’agisse de MAM, de MAS ou d’insuffisance pondérale. En reconnaissant le PTA comme premier choix pour un traitement de MAS sans complication, la prise en charge des enfants dans le PACC a aidé à compenser les insuffisances dans les services du PTA. Un ensemble d'activités spécifiques et sensibles à la nutrition dans les PACC a permis aux mères d'acquérir des compétences de base concernant la nutrition et des connaissances sur la santé infantile. Les visites à domicile ont joué un rôle primordial pour "garder un œil" sur les enfants souffrant de malnutrition et sur les familles vulnérables. 

Une évaluation et une surveillance constante ont permis une identification précoce des domaines critiques à prendre en compte et a fourni une base de données solide pour aider la prise de décisions. Le programme s'est adapté rapidement et a évolué au cours des années pour améliorer les résultats en adaptant l'assistance technique, le soutien et la formation pour répondre aux lacunes identifiées.

L’amélioration de l’intégration de la programmation VIH avec celle de la malnutrition par les différentes parties prenantes à un niveau local a facilité la détection précoce des enfants séropositifs qui ont le plus besoin de soutien médical. L'intégration du counseling nutritionnel individuel s'est avérée être une forme efficace de communication visant à faire évoluer les comportements, ce qui a permis d'améliorer l'alimentation des enfants et de les aider à se remettre de la malnutrition.

La découverte que l'insuffisance pondérale était l'un des principaux indicateurs de mortalité a confirmé l'hypothèse qu’il fallait inclure les enfants présentant une insuffisance pondérale dans le PACC, lorsqu'aucun autre programme de nutrition spécifique n'est disponible. Les PACC de Rainbow se sont révélés efficaces dans le cadre de la réhabilitation nutritionnelle des enfants présentant une insuffisance pondérale, bien qu'il n'existe pas de lignes directrices internationales spécifiques sur les protocoles de traitement ou les objectifs en matière d'insuffisance pondérale permettant de mesurer ce succès. Des recherches et des directives sont nécessaires pour identifier des seuils spécifiques d'insuffisance pondérale, ainsi que des indicateurs innovants pour les programmes de suivi de la croissance, afin de faciliter la détection précoce de la malnutrition infantile dans des contextes comme ceux de l'insécurité alimentaire chronique et de la forte prévalence du VIH/SIDA. 

Conclusions et recommandations

La malnutrition infantile est une priorité de santé publique dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne qui doit être abordée par des efforts de collaboration entre les autorités locales, les communautés, les ONG, les organisations à base communautaire, les organismes internationaux et les bailleurs de fond grâce à des interventions axées sur le traitement et la prévention. La prise en charge de la malnutrition aiguë par la communauté est efficace, mais l'inclusion de toutes les composantes pour atteindre une couverture complète n'a pas encore été réalisée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Dans les contextes de développement, les ressources sont généralement limitées, les compétences insuffisantes et le personnel peu motivé, et les systèmes de santé nationaux n'ont souvent pas suffisamment de marge de manœuvre pour intégrer la gestion de la MAM dans les services de santé courants. Trop souvent, les services de prise en charge de la malnutrition aiguë sévère ou modérée ne sont liés que lorsque le même organisme soutient les deux activités, ce qui demeure l'exception.

L'exemple du projet Rainbow montre les avantages qu'il y a à fournir un continuum de soins qui facilite la prévention et le traitement de multiples formes de malnutrition dans le cadre d'un seul programme, en pleine coopération avec le système de santé existant. Les résultats présentés ici montrent que, lorsque la prise en charge de la malnutrition aiguë par la communauté n'est pas entièrement couverte ou mise à l’échelle à toutes ses composantes, il existe une forte probabilité que les programmes de nutrition opérationnels identifient des stratégies d'adaptation afin de ne négliger aucune forme de malnutrition infantile, surtout les cas les plus graves. D'après notre expérience, des changements mineurs mais essentiels, tels que l'inclusion de conseils nutritionnels, l'amélioration de l'alimentation et la formation continue, peuvent avoir un impact important sur la performance du programme. Le Projet Rainbow démontre également la nécessité d'intégrer les activités de santé et de nutrition pour la prévention et le traitement dans les zones d'insécurité alimentaire où la malnutrition et l'infection par VIH représentent un lourd fardeau.

Il faut davantage de données de qualité sur l'efficacité des PACC dans différents contextes afin d’identifier les « bonnes pratiques » pour mettre en œuvre des interventions préventives et curatives intégrées, de manière efficace et abordable à grande échelle. Bien qu'une attention particulière soit généralement accordée aux mesures curatives, il existe encore peu de données probantes sur les activités efficaces de prévention de la malnutrition.

Il est également nécessaire de mener des recherches supplémentaires pour identifier d'autres indicateurs à inclure dans l'évaluation de l'efficacité de la prise en charge de la malnutrition aiguë par la communauté, en particulier lorsqu'il s'agit de l'insuffisance pondérale, et pour élaborer un protocole standard dédié aux programmes de prévention et de traitement exécutés dans des contextes d'urgence minimale. En outre, des indicateurs supplémentaires spécifiques, tels que l'évaluation de la « vitesse de croissance » (Buonomo 2019 ; à paraître) et l'évaluation de routine des étapes du développement moteur (Buonomo et al, 2015), devraient être envisagés pour fournir une approche plus globale de prise en charge de la malnutrition infantile. 

Pour en avoir plus, veuillez contacter Stefania Moramarco.


Footnotes

1Stefania Moramarco (2017) Thèse "Programmes à base communautaires de traitement et de prévention de la malnutrition infantile en Zambie et au Malawi : Évaluation de l'efficacité et des processus durables pour améliorer les deux modèles" pour l'obtention du doctorat en sciences infirmières et en santé publique à l'Université de Rome Tor Vergata, Rome, Italie.

2L'Association « Communauté Pape Jean 23 » fait partie de l'Associazione Comunita Papa Giovanni XXIII qui a été fondée en Italie par le Père Oreste Benzi en 1968. https://www.apg23.org/

3Les programmes d'alimentation communautaire peuvent accueillir de 20 à 40 enfants en moyenne. Le système de priorité doit être utilisé lorsqu'un nombre excessif de nouveaux cas est renvoyé ; toutefois, dans la pratique, aucun enfant ne s'est vu refuser l'inscription à ce jour.


Références

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Buonomo E, Germano P, Moramarco S, Rossi R, Malizia A, Scarcella P, Orlando S, Guidotti G, Nielsen-Saines Karin, Tembo D, Marazzi M. C, Palombi L. (à paraître en 2019). Early assessment of weight velocity can support frontline health workers in predicting malnutrition in HIV exposed infants: preliminary results from a Dream cohort in Malawi. Minerva Pediatrica. Document accepté en février 2019

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