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Continuum de soin pour la prise en charge des enfants atteints d'émaciation en Inde : opportunités pour une approche intégrée

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Par Arjan de Wagt, Eleanor Rogers, Praveen Kumar, Abner Daniel, Harriet Torlesse et Saul Guerrero

Arjan de Wagt est chef de la section nutrition au bureau de l'UNICEF Inde à New Delhi. Il a plus de 25 ans d’expérience internationale dans plusieurs pays et est spécialisé dans la gestion de la malnutrition aiguë sévère, la nutrition d’urgence et la nutrition des personnes vivant avec le VIH. 

Eleanor Rogers est spécialiste de la nutrition au sein de la Division de la nutrition de l'UNICEF Inde, spécialisée dans la gestion de l'émaciation chez les enfants de moins de cinq ans. Elle a précédemment travaillé pour Action contre la faim et le Coverage Monitoring Network.

Le docteur Praveen Kumar est pédiatre et professeur de pédiatrie au Lady Hardinge Medical College et à l’hôpital pour enfants de Kalawati Saran à New Delhi, qui gère le centre national d’excellence de la malnutrition aiguë sévère en Inde.  

Harriet Torlesse (PhD) est conseillère régionale en nutrition au bureau régional de l'UNICEF pour l'Asie du Sud. Elle a 20 ans d’expérience dans la recherche, la surveillance, les politiques et la programmation en matière de nutrition avec l’UNICEF et Helen Keller International.  

Saul Guerrero est spécialiste de la nutrition au siège de l'UNICEF. Auparavant, il a occupé les postes de directeur technique chez Action contre la faim aux États-Unis et Action contre la faim au Royaume-Uni, et a travaillé pour Valid International dans plusieurs pays. Il est cofondateur de la coalition No Wasted Lives.

Abner Daniel est médecin et titulaire d'un doctorat en médecine communautaire. Il travaille actuellement en tant que spécialiste de la nutrition à l'UNICEF, à New Delhi. Il a travaillé pendant 14 ans avec des organismes des Nations Unies dans des programmes de santé maternelle, néonatale et infantile.  

Les résultats, interprétations et conclusions de cet article n'engagent que leurs auteurs. Ils ne reflètent pas forcément les opinions de l'UNICEF, de ses directeurs ni des pays qu'ils représentent et ne doivent pas leur être attribués.

Lieu : Inde

Ce que nous savons : On estime à 26 millions le nombre d’enfants de moins de cinq ans atteints d'émaciation en Asie du Sud ; quatre de ces enfants sur cinq vivent en Inde. Les progrès pour atteindre les objectifs de lutte contre l’émaciation sont lents.

Qu'apporte cet article : En Inde, la prévalence de l'émaciation est la plus élevée à la naissance et au cours des six premiers mois de la vie. L'émaciation sévère est principalement prise en charge dans les établissements hospitaliers. L’engagement politique renouvelé en faveur de la mise en place d’un programme communautaire de prévention et de traitement de l'émaciation est reflété dans le cadre de POSHAN Abhiyaan, le nouveau programme phare du gouvernement visant à réduire toutes les formes de sous-nutrition. Celui-ci vise à soutenir une approche intégrée d'un continuum de soins en optimisant les plates-formes existantes, y compris (sans toutefois s'y limiter) les services de traitement des patients hospitalisés pour malnutrition aiguë sévère (F-MAS) ; le programme de nutrition complémentaire en Inde (SNP) mis en œuvre par les services Anganwadi dans le cadre du programme de services intégrés de développement de l’enfant (ICDS) ; le programme Mother's Absolute Affection (MAA) ; et le programme de soins à domicile pour jeunes enfants récemment mis en place. Le programme gouvernemental a un potentiel énorme, mais nombreuses interventions existantes ne touchent pas tous les enfants et n’ont pas l’impact requis. Les obstacles majeurs liés à la mise en œuvre doivent être systématiquement abordés afin que les interventions de nutrition à haut impact soient exécutées avec Couverture, Continuité, Intensité et Qualité (C2IQ).

Introduction

On estime à 26 millions le nombre d'enfants âgés de moins de cinq ans atteints d'émaciation en Asie du Sud ; plus de la moitié des cas mondiaux d'émaciation (UNICEF, OMS et Groupe de la Banque mondiale, 2018). L'Inde abrite quatre de ces enfants sur cinq et se situe à l'épicentre de ce problème de santé publique mondial, avec 22 millions d'enfants atteints d'émaciation et plus de huit millions atteints d'émaciation sévère à chaque instant (UNICEF, OMS et Groupe de la Banque mondiale, 2018). En 2015, l'Inde s'est engagée à réduire à moins de 5 % la proportion d'enfants souffrant de d'émaciation, une cible Nutrition de l'objectif de développement durable (ODD) 2. Cependant, la prévalence de l'émaciation (21,0%) et de l'émaciation sévère (7,5%) reste très élevée dans le pays (NFHS 4 2015-2016) et n'a pas diminué au cours de la dernière décennie, malgré une baisse de 10 points de pourcentage du retard de croissance au cours de la même période. Cette absence de progrès dans la réalisation de l'objectif de lutte contre l'émaciation et le nombre toujours élevé d'enfants souffrant de ce problème sont extrêmement préoccupants. 

Le modèle de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA), reconnu à l'échelle mondiale, n'existe pas à grande échelle en Inde et l'émaciation sévère est principalement prise en charge dans des établissements pour patients hospitalisés. Cependant, il existe des plateformes pour mettre en place un programme communautaire de prévention et de traitement de l'émaciation et un nouvel engagement est pris afin d'utiliser cette infrastructure pour mettre en place un modèle de prise en charge communautaire pour les enfants souffrant de d'émaciation sévère. Parallèlement à l’engagement politique de POSHAN Abhiyaan (le nouveau programme phare du gouvernement visant à réduire toutes les formes de sous-nutrition), les opportunités de ressources et de mise en œuvre de services à grande échelle pour prévenir et traiter l'émaciation sévère n’ont jamais été aussi prometteuses. 

Cet article décrit les caractéristiques de l’émaciation chez les enfants en Inde, ainsi que les opportunités et les difficultés pour exploiter l’infrastructure de santé publique communautaire du pays afin de contextualiser l'intervention dans un continuum de soins.  

Caractéristiques de l'émaciation en Inde

La prévalence de l'émaciation en Inde est la plus élevée à la naissance (37%) et diminue avec l'âge, tendance observée dans d'autres pays de l'Asie du Sud, tels que le Bangladesh (Figure 1).1 Plus de 30% des nourrissons âgés de moins de six mois sont atteints d'émaciation en Inde, d'où la nécessité impérative de remédier à un défaut de croissance au tout début de la vie. En comparaison, des données provenant de certains pays d'Afrique occidentale et centrale montrent que la prévalence de l'émaciation dans ces pays est relativement faible à la naissance et augmente pendant la petite enfance, atteignant un pic vers 12 mois environ. 

Figure 1 : Prévalence de l'émaciation (%) selon l’âge, rapports des enquêtes EDS

Ces tendances divergentes suggèrent que les mauvaise nutrition et santé des mères pourraient jouer un rôle plus important dans l’étiologie de l'émaciation au début de la vie en Inde (et au Bangladesh) que dans d’autres contextes. En Inde, près du quart (23%) des femmes en âge de procréer sont maigres (indice de masse corporelle (IMC) <18,5 kg/m2), 11% sont de petite taille (<145 cm) et 53% sont anémiques (NFHS 4, 2015-2016). En Inde, la maigreur, la petite taille et l'anémie maternelles prédisent une insuffisance pondérale à la naissance et l'émaciation (Bhilwar et al, 2016 ; Harding et al, 2018). Ces résultats indiquent qu’une réponse globale contre l'émaciation en Inde doit mettre un fort accent sur la prévention et la gestion du ralentissement de la croissance chez les nourrissons de moins de six mois, y compris par des interventions pour améliorer l’état nutritionnel des femmes avant et pendant la grossesse. 

Une autre découverte importante est la relation entre l'émaciation et la mortalité en Inde et en Asie du Sud, qui semble être affectée par des facteurs différents de ceux observés dans d'autres régions du monde. La figure 2 montre que la prévalence de l'émaciation et de l'émaciation sévère est plus élevée en Inde et en Asie du Sud que dans d'autres régions, mais que les taux de mortalité des moins de cinq ans sont comparativement plus faibles. Ces comparaisons doivent être interprétées avec soin et des recherches plus approfondies sont nécessaires pour comprendre la relation entre la mortalité et l'émaciation en Inde.  

Figure 2 : Taux de mortalité des moins de cinq ans et prévalence de l'émaciation en Inde par rapport à d'autres pays 

Sources : Estimations 2018 du Groupe inter-agences des Nations Unies pour l'estimation de la mortalité infantile (UN IGME) ; estimations du SRS pour les taux de mortalité en Inde ; estimations conjointes UNICEF/OMS/Banque mondiale 2018 sur la malnutrition. 

Note : les données de la région Asie du Sud comprennent les données de l'Inde.  

Opportunités et défis d'une approche intégrée pour faire face à l'émaciation grâce à un continuum de soins 

En Inde, il existe toute une série de dispositifs et de programmes gouvernementaux pour lutter contre la malnutrition et ses causes sous-jacentes. Toutefois, il ressort clairement de la forte prévalence persistante de l'émaciation que ces dispositifs et programmes ne sont pas conçus pour faire face à ce fardeau de manière adéquate, ou ne fonctionnent pas de manière optimale. 

Actuellement, la principale approche pour traiter l'émaciation sévère en Inde est le traitement dans les formations sanitaires, connue en Inde sous le nom de F-MAS. Les lignes directrices de la F-MAS, qui fournit un traitement hospitalier pour traiter les cas de MAS présentant des complications médicales, ont été publiées en 2011. Un réseau de 1 151 centres de réhabilitation nutritionnelle (CRN) a depuis été établi dans l'ensemble du pays et ceux-ci gèrent environ 180 000 cas par an, ce qui représente une petite fraction du nombre annuel de cas. Cette infrastructure existante pour patients hospitalisés n'est ni suffisante ni destinée à prendre en charge tous les enfants souffrant d'émaciation sévère. Environ 85 à 90 % des enfants souffrant d'émaciation sévère n'ont pas de complications médicales et peuvent être pris en charge en toute sécurité au niveau de la communauté. En effet, les directives nationales concernant la F-MAS reconnaissent la nécessité d'une prise en charge communautaire de l'émaciation sévère sans complications médicales. Cependant, la mise en œuvre de la prise en charge communautaire a été difficile en l'absence de directives nationales, actuellement en cours d'élaboration par le gouvernement, bien que leur contenu reste flou.

En 2018, le lancement de POSHAN Abhiyaan par le gouvernement témoigne d'une ferme volonté d'intensifier les efforts visant à améliorer l'état nutritionnel des enfants et des femmes, et offre l'occasion de transformer la prise en charge des enfants souffrant d'émaciation dans ce pays. POSHAN Abhiyaan est conçu pour fournir un continuum de soins afin de lutter contre la malnutrition de la pré-grossesse jusqu'aux deux ans d'un enfant, grâce à un ensemble complet d'interventions convergentes dans le cadre de multiples programmes et projets gouvernementaux. Son ensemble intégré d'interventions en matière de santé et de nutrition comprend la prise en charge communautaire de la MAS, qui fait partie d'une gamme d'interventions spécifiquement tournées vers la nutrition. Les États, les districts et les quartiers doivent élaborer des "Plans d'action convergents" qui définissent les priorités et les rôles de chaque service gouvernemental pour lutter contre la malnutrition de manière globale, et ces plans doivent inclure des indicateurs sur le nombre d'enfants dépistés, diagnostiqués et recevant des soins ambulatoires (au niveau communautaire) et en milieu hospitalier pour l'émaciation. 

L'Inde possède des systèmes de santé publique communautaire bien structurés et des plates-formes de prestation au niveau des formations sanitaires et des communautés qui peuvent être mis à profit par POSHAN Abhiyaan pour fournir une réponse globale à l'émaciation sévère. Quatre composantes devraient être prévues à cette fin : (i) la prévention de l'émaciation et de l'émaciation sévère, y compris la rechute après un traitement réussi ; (ii) la détection précoce des cas d'émaciation par le dépistage actif ; (iii) la prise en charge en formation sanitaires de l'émaciation sévère avec complications médicales, et (iv) la prise en charge au niveau communautaire de l'émaciation sévère sans complications médicales (figure 3). Chacune de ces composantes sera décrite ci-après tour à tour afin d'examiner les opportunités et les défis pour intégrer ces services au sein des dispositifs, programmes, services et plates-formes de prestation actuellement en cours ou prévues dans le cadre de POSHAN Abhiyaan.

Figure 3 : Approche globale de la lutte contre la malnutrition aiguë chez les enfants âgés de 0 à 59 mois

Prévention de l'émaciation 

En Inde, de nombreuses interventions nutritionnelles visant à prévenir l'émaciation et d'autres formes de malnutrition sont mises en œuvre au niveau communautaire par l'intermédiaire des services Anganwadi dans le cadre du programme des services intégrés de développement de l'enfant (ICDS). Les centres Anganwadi, un réseau national de centres communautaires ruraux, fournissent des services de santé et de nutrition ainsi qu'une éducation préscolaire à une population pouvant atteindre 1 000 personnes. Chaque centre Anganwadi est géré par un agent Anganwadi (AWW), qui fournit les services et assure la liaison avec les formations sanitaires. Il existe également deux autres types d'agents de santé communautaires : les infirmières-sages-femmes auxiliaires (ANM), basées dans les cases de santé, et les agents sanitaires et sociaux certifiés (ASHA), qui sont des bénévoles communautaires motivés basés dans chaque village. Les AWW, ANM et ASHA organisent des journées mensuelles dédiées à la santé, l'assainissement et la nutrition dans les villages (appelés VHSND) pour fournir un paquet de services de santé communautaires, y compris des bilans de santé, des vaccinations, des services liées à la contraception, des traitements contre la diarrhée et des services de référencement. Des interventions spécifiques à la nutrition sont également mises en œuvre pendant les VHSND ou lors de journées spécifiques, notamment le suivi de la croissance, la promotion et le soutien de l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant (ANJE), la supplémentation en micronutriments et l'alimentation de supplément. 

Il existe toute une série de dispositifs, de programmes et de services qui ciblent les femmes enceintes et allaitantes (FEA) par des interventions nutritionnelles. Il s'agit notamment d'une ration à emporter disponible dans les centres Anganwadi, de la prévention et de la lutte contre l'anémie dans le cadre du programme Anaemia Mukt Bharat, de services de soins prénatals, notamment de conseils diététiques par le biais des VHSND et de programmes tels que Pradhan Mantri Surakshit Matrutva Abhiyaan qui fournissent des examens prénatals de qualité. Les accouchements en institution sont encouragés par des programmes de transferts monétaires conditionnels (Janani Suraksha Yojna et Pradhan Mantri Matru Vandana Yojna) et de services gratuits d'accouchement et de soins néonatals précoces (Janani Shishu Suraksha Karyakaram), et offrent une opportunité importante d'aider les mères à établir de bonnes pratiques d'allaitement.  

Le programme Mothers' Absolute Affection (MAA) vise à intensifier les efforts ANJE. Les AWW et les ASHA promeuvent et soutiennent les pratiques recommandées par l'ANJE dans la communauté, tandis que les ANM fournissent un soutien au premier niveau de référence (cases de santé). Dans le cadre du programme de soins à domicile pour les jeunes enfants récemment introduit, les ASHA rendront visite tous les trois mois, à partir de l'âge de trois mois jusqu'à 15 mois, à tous les ménages ayant de jeunes enfants, ce qui élargira considérablement les possibilités d'influencer les pratiques de l'ANJE. 

La mobilisation de la population se fait par le biais des plates-formes communautaires existantes, y compris des événements communautaires mensuels et des VHSND dans les centres Anganwadi, ainsi que des événements communautaires trimestriels pour toutes les femmes enceintes et les mères dans le cadre du programme MAA. Ces événements sont mis en avant par POSHAN-Maah, une campagne communautaire intensive d'un mois, organisée chaque année en septembre dans le cadre de POSHAN Abhiyaan, et qui a donné lieu à plus de deux millions d'événements liés à la nutrition en 2018. Cette gamme d’événements communautaires pourrait être utilisée comme plate-forme pour aider les familles à mieux comprendre l'émaciation sévère et la demande en services de traitement.

Les dispositifs, les programmes et les plates-formes de prestation ont beau être à l'échelle nationale, la couverture, la continuité, l'intensité et la qualité (C2IQ) des interventions nutritionnelles à impact élevé sont elles insuffisantes pour obtenir l'impact requis. Par exemple, seules trois femmes sur dix prennent des suppléments en fer et acide folique pendant au moins 100 jours de leur grossesse. De plus, ces divers projets et programmes fonctionnent souvent en silo et les mécanismes d'intégration et de convergence doivent encore être renforcés. 

Dépistage actif des cas et référencement des enfants souffrant d'émaciation 

Le dépistage actif d'enfants souffrant d'émaciation au niveau communautaire est essentiel afin d'assurer une détection des cas avant que l'émaciation ne devienne grave ou que les enfants développent des complications médicales. Les enfants de moins de cinq ans sont actuellement pesés tous les mois pour évaluer le rapport poids-pour-âge (P/A) dans le cadre de la promotion et du suivi de la croissance dans les centres Anganwadi. Dans le cadre de POSHAN Abhiyaan, les mesures de tailles seront incluses dans le suivi mensuel de la croissance. Cela permettra un dépistage de l'émaciation chaque mois chez les enfants au niveau communautaire.  

De nombreux défis doivent être résolus afin de garantir que le dépistage actif de l'émaciation sévère en utilisant le rapport poids-pour-taille (P/T) soit efficace au niveau communautaire. Premièrement, il est essentiel d'élargir la couverture des pesées mensuelles (et des mesures de taille) dans les centres Anganwadi. L'enquête nationale 2015-16 (NFHS 4) a révélé que seulement 43 % des enfants de moins de six ans avaient été pesés dans un centre Anganwadi au cours des 12 derniers mois (NFHS 4, 2015-2016). L’intérêt renouvelé de POSHAN Abhiyaan pour le suivi de croissance devrait augmenter la couverture du dépistage. Deuxièmement, les agents de santé communautaires doivent être équipés du matériel et des compétences anthropométriques nécessaires afin de prendre les mesures exactes de la taille et du poids, et pouvoir déterminer si un enfant est atteint d'émaciation sévère. Troisièmement, le dépistage de l'émaciation devrait faire partie des soins de santé de routine pour les enfants dans les centres de santé, afin d'optimiser les possibilités d'identifier les enfants souffrant d'émaciation sévère. Quatrièmement, des mécanismes de référencements des cas doivent être activés si on constate qu'un enfant est atteint d’une émaciation sévère afin de pouvoir lui fournir les soins appropriés. Ceci est particulièrement important pour les enfants souffrant d'émaciation avec complications médicales. 

Prise en charge de l'émaciation chez les enfants âgés de 6 à 59 mois

En Inde, le programme de nutrition supplémentaire (SNP), géré par les services Anganwadi, vise à réduire la malnutrition dans tout le pays. Tous les enfants reçoivent actuellement une ration à emporter composée d'un mélange d'aliments complémentaires enrichis (pour les enfants âgés de six mois à trois ans) ou d'un repas chaud cuisiné (pour les enfants âgés de trois à six ans), distribuée dans les centres Anganwadi, afin d'augmenter la teneur en calorie, protéines et micronutriments de leur régime alimentaire. Les enfants souffrant d'insuffisance pondérale grave reçoivent une double ration du même aliment complémentaire. Il n'existe actuellement aucun supplément alimentaire spécifiquement formulé pour les enfants souffrant d'émaciation modérée ou sévère. L'effet que peut avoir la ration générale à emporter ou le repas cuisiné sur la condition de ces enfants est peu connu. 

La production et la distribution des rations à emporter et de plats chauds cuisinés incombent à chaque État. Les autorités ont la possibilité d'appliquer des modèles de production et de livraison adaptés aux conditions locales dans le respect des normes du ICDS. Les modèles de production de rations et de repas peuvent provenir de groupes d’entraide décentralisés comme de sites de production centralisés (Flanagan et al, 2018). La qualité nutritionnelle des aliments complémentaires varie considérablement d’un Etat à l’autre et le gouvernement cherche actuellement des moyens d'améliorer leur valeur nutritionnelle. La distribution présente également des défis qui compromettent la couverture et l’impact potentiel du programme. L'enquête nationale menée en 2015-16 a révélé que seuls 48 % des enfants de moins de six ans avaient reçu un complément alimentaire au cours des 12 derniers mois (NFHS 4 2015-2016), ce qui démontre le besoin urgent d'accroître la couverture du programme.   

Conformément aux directives F-MAS de 2011, les enfants identifiés au niveau de la communauté ou d'un centre de santé comme présentant une émaciation sévère et / ou un œdème bilatéral sont orientés vers un CRN pour confirmer ce diagnostic. Les enfants souffrant d'émaciation sévère et de complications médicales sont admis et traités avec du lait thérapeutique et une prise en charge médicale. Les futures directives gouvernementales sur la gestion de l'émaciation sévère au niveau communautaire préciseront comment les enfants atteints d'émaciation sévère sans complications médicales seront pris en charge. Il est important que le produit nutritionnel utilisé pour traiter l'émaciation sévère au niveau communautaire soit conforme aux spécifications de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). 

Soins des enfants de moins de 6 mois présentant un faible poids de naissance ou qui sont à risque 

Compte tenu de la prévalence élevée de faibles poids de naissance et d'émaciation à la naissance en Inde, ainsi que des taux de mortalité néonatale relativement élevés, il est essentiel de prendre en charge les nourrissons de moins de six mois présentant un risque de défaut de croissance. Il n'est ni possible, ni nécessaire, d'admettre tous les nourrissons à risque en établissement hospitalier, d'où la nécessité de se concentrer sur des interventions communautaires afin d'optimiser les pratiques d'allaitement maternel et la reprise de l'allaitement dans la mesure du possible. Ces interventions peuvent s’appuyer sur des programmes de santé existants qui ciblent les jeunes nourrissons, y compris ceux qui ont un faible poids de naissance. Dans le cadre du programme de soins aux nouveau-nés à domicile, les ASHA rendent visite à chaque nouveau-né ayant un faible poids de naissance au moins cinq fois au cours du premier mois de sa vie, puis tous les mois pendant deux ans, cela afin de fournir des conseils en matière d'allaitement et d'orienter les enfants vers des soins plus poussés, si nécessaire. Kangaroo Mother Care ainsi que le programme MAA figurent parmi les autres programmes communautaires qui ciblent des interventions sur les nouveau-nés présentant un faible poids de  naissance. 

Suivi des enfants grâce au continuum des soins

Les enfants doivent faire l'objet d'un suivi attentif dans les différents programmes et services de santé et de nutrition afin de prévenir et de traiter l'émaciation. Le gouvernement a mis en place divers mécanismes, notamment le système de suivi mère-enfant, l'utilisation de numéros d'identification uniques et la surveillance en temps réel par les agents Anganwadi à l'aide de téléphones portables en utilisant le logiciel SIDE-CAS (Common Application Software). Cependant, ces dispositifs doivent être standardisés à travers tous les programmes pour assurer un continuum de soins sur les différentes plateformes de prestation de services. 

Discussion  

POSHAN Abhiyaan a pour ambition énorme de faire en sorte que chaque enfant ait accès à des services de qualité pour lutter contre l'émaciation grâce à un continuum des soins. Cela nécessite une approche rentable, intégrée et durable qui prévient avec succès le développement de l'émaciation et fournit des soins à ceux qui en souffrent.

L’infrastructure permettant de mettre en place un programme communautaire exhaustif de prévention et de traitement de l'émaciation existe déjà en Inde ; un programme vertical de lutte contre l'émaciation est donc inutile. Il existe un vaste réseau de centres Anganwadi au niveau local et d'agents de santé communautaires, ainsi que des plans et programmes de santé et de nutrition, dans lesquels les éléments d'une approche exhaustive peuvent être intégrés à grande échelle. 

La priorité doit être donnée à des solutions spécifiques au contexte afin de prévenir le développement de l'émaciation chez les enfants. Ces solutions doivent être fondées sur une compréhension des causes et des facteurs spécifiques menant à l'émaciation. La forte prévalence de l'émaciation à la naissance en Inde suggère la nécessité d'améliorer l'état nutritionnel des femmes avant et pendant la grossesse et de veiller à ce que les mères aient accès à un soutien prodigué par un personnel qualifié pour un allaitement précoce et exclusif. À partir de six mois, les conseils sur l’alimentation complémentaire et la poursuite de l’allaitement au sein ainsi que la prévention et le traitement des maladies deviennent des éléments importants à inclure dans les approches préventives. Ces interventions font déjà partie de plans et programmes de santé et de nutrition existants, mais n'atteignent pas les enfants et les femmes avec la couverture, la continuité, l'intensité et la qualité souhaitées (C2IQ). 

L'introduction de mesures mensuelles de la taille pour tous les enfants au cours du suivi de la croissance dans les centres Anganwadi augmentera les possibilités de détection précoce de l'émaciation. Cependant, il est nécessaire de s'assurer que les agents de santé communautaires ont la capacité (équipement, compétences, temps et motivation) d'ajouter cette responsabilité à leurs rôles et d'accroître la demande en services de la communauté. 

Les centres Anganwadi s’adressent actuellement aux enfants souffrant d’insuffisance pondérale grave et tous les enfants que les agents de santé ont identifiés comme souffrant d’émaciation sévère avec complications médicales sont hospitalisés. Les futures directives communautaires sur la prévention et la gestion de l'émaciation détermineront la manière dont le traitement atteint les enfants présentant une émaciation sévère sans complications médicales au niveau communautaire. L'optimisation de la qualité, de la production et de la distribution des rations dans le cadre des Programmes nutritionnels supplémentaires (SNP) et l’identification du traitement nutritionnel qui sera utilisé pour lutter contre l’émaciation sévère au niveau communautaire sont nécessaires afin que les traitements remettent les enfants sur la voie d’une croissance saine. Un système solide de référencement des cas et un suivi individuel des enfants dans les différentes instances composant le programme, de la communauté à l'hôpital, sont également essentiels pour s'assurer que les enfants bénéficient d'un continuum de soins complet.    

Il est important de construire une base de données fiables autour de cette approche globale de la prise en charge des enfants atteints de malnutrition aiguë en Inde et de la fourniture de services tout au long du continuum de soins. Les apprentissages à en tirer pourraient profiter à l’Inde et à d’autres pays présentant un profil similaire en matière d'émaciation. Les questions portant sur des données essentielles incluent une compréhension du contexte de l'émaciation en Inde ; les manières d'intensifier efficacement le dépistage au niveau communautaire en utilisant le rapport poids-pour-taille (P/T) ; les modalités de gestion du défaut de croissance chez les nourrissons de moins de six mois ; et le rapport coût-efficacité des directives à venir sur la prise en charge des enfants souffrant d'émaciation sévère au niveau communautaire. En outre, il est nécessaire de mieux comprendre comment prendre en compte des problèmes complexes tels que les liens et les orientations entre divers programmes et plans afin de garantir un continuum de prévention et de soins. 

Conclusion 

On constate un engagement d'une ampleur sans précédent de la part du gouvernement de l'Inde pour une prise en charge globale et à l’échelle des besoins des enfants souffrant d'émaciation. Le gouvernement élabore actuellement un plan d'action qui s'appuie sur les infrastructures et les systèmes existants et vise à fournir des solutions durables axées à la fois sur la prévention et le traitement. Une fois qu'il sera lancé, le programme aura le potentiel d’atteindre rapidement tous les enfants atteints d'émaciation sévère en raison du vaste réseau de formations sanitaires et de plates-formes communautaires existant dans le pays. 

Malgré cet énorme potentiel, dans l'immédiat, bon nombre des interventions ne touchent pas tous les enfants et n’ont pas l’impact attendu. Les obstacles majeurs dans la mise en œuvre doivent être systématiquement abordés de manière à ce que les interventions de nutrition à impact élevé soient réalisées avec couverture, continuité, intensité et qualité (C2IQ). 

Pour en savoir plus, veuillez contacter Arjan de Wagt


Footnotes

1On définit l'émaciation comme le rapport poids-pour-taille / grandeur de l'écart z (WHZ) <-2SD. On considère qu'une émaciation est sévère quand le rapport WHZ <-3 SD, conformément aux normes de l'OMS, pour les nourrissons de moins de six mois. Des preuves récentes suggèrent que des indicateurs autres que le rapport faible poids-pour-taille (WHZ), permettent d'identifier plus efficacement les nourrissons de moins de six mois qui sont à risques de présenter des conséquences indésirables.


Références

Bhilwar M, Upadhyay RP, Yadav K, et al. Estimating the burden of ‘weighing less’: A systematic review and meta-analysis of low birth-weight in India. Natl. Méd. J. India. 2016 ; 29/73

Flanagan KF, Soe-Lin S, Hecht RM & Schwarz RK. (2018). THR Production and Distribution Models: Challenges and Opportunities for Improvement. Policy Brief 4. Pharos Global Health Advisors.

Harding KL, Aguayo VM, Webb P. Factors associated with wasting among children under five years old in South Asia: Implications for action. PLoS One. 2018a;13: e0198749.

NFHS 4 2015-16. National Family Health Survey 2015-16. International Institute for Population Sciences, 2017. Disponible en ligne à l'adresse suivante : http://rchiips.org/Nfhs/NFHS-4Reports/India.pdf. 

SRS 2016. Sample Registration System Statistical Report, 2016 edition [Internet]. (consulté le 16 avril 2019). Disponible en ligne à l'adresse suivante : www.censusindia.gov.in/vital_statistics/SRS_Reports__2016.html

UNICEF, OMS & Banque mondiale (2018). Estimations conjointes de la malnutrition infantile, édition 2019. Disponible en ligne à l'adresse : https://data.unicef.org/resources/jme/. 

UNICEF Mortalité infantile – UNICEF DATA [Internet]. (consulté le 1er février 2019). Disponible en ligne à l'adresse : https://data.unicef.org/topic/child-survival/under-five-mortality/

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