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Répondre à la malnutrition aiguë pendant une situation d'urgence : résultats et avantages d'un programme de prévention intégré au Cameroun

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Par Eveline Ngwenyi, Mica Jenkins, Nicolas Joannic et Cécile Patricia

Eveline Ngwenyi est responsable nutrition au Programme Alimentaire Mondial (PAM) Cameroun. Elle est titulaire d'un Master en nutrition appliquée et santé publique et a sept ans d'expérience en programmation de la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë.

Mica Jenkins est responsable de la recherche et des connaissances pour la Division de la nutrition, au siège du PAM. Elle est titulaire d'un Master en santé et développement humain, axé sur la nutrition et les systèmes alimentaires durables. Avant de rejoindre le PAM, Mica a mis en œuvre des projets de développement rural et de recherche au Mozambique et en République Dominicaine.

Nicolas Joannic a plus de 15 ans d'expérience dans la gestion de la réponse nutritionnelle en contextes humanitaires et fragiles au PAM, et est actuellement chef de l'équipe chargé de la nutrition en situation d'urgence au sein de la Division de la nutrition au siège du PAM. Il est titulaire d'un Master en alimentation et nutrition dans les pays en voie de développement.

Cécile Patricia est directrice du sous-département de l'alimentation et de la nutrition du Ministère de la santé publique au Cameroun et sert de Point Focal SUN (Scaling Up Nutrition) pour le Cameroun. Elle est nutritionniste et titulaire d'un Master en nutrition appliquée.

Les auteurs souhaitent remercier le Ministère de la santé publique au Cameroun, le bureau du Programme alimentaire mondial (PAM) au Cameroun et Elvira Pruscini, Directrice régionale adjointe du bureau régional du PAM pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre.

Lieu : Cameroun

Ce que nous savons : le Cameroun abrite un nombre important de réfugiés et de populations déplacées ; cette situation augmente l'insécurité alimentaire et nutritionnelle chronique et peut surcharger les services.

Qu'apporte cet article : la faible couverture des programmes alimentaires complémentaires ciblés (PACC) pour traiter la malnutrition aiguë modérée (MAM), l'augmentation des taux de malnutrition aiguë et les capacités limitées ont déclenché, en 2016, un changement stratégique vers un programme axé sur la prévention, piloté par le PAM et le gouvernement du Cameroun dans les régions de l'Extrême-Nord, de l'Est et de l'Adamaoua. La nouvelle approche utilise le programme d'alimentation supplémentaire générale (PASG) comme plateforme opérationnelle pour délivrer de multiples services, y compris une aide alimentaire aux ménages, une alimentation nutritive spécialisée, de la communication pour le changement de comportement, et des services de santé, d'eau, d'assainissement et d'hygiène. Ce programme cible tous les enfants âgés de 6 à 24 mois pour prévenir la malnutrition et traiter les cas de MAM sans complications, les cas complexes de MAM (lorsque des services de référencement ne sont pas disponibles) et les cas de malnutrition aiguë sévère en cours de guérison afin de prévenir une rechute parmi les enfants de 6 à 59 mois. En 2017, le programme a été décentralisé pour une amélioration de l'intégration, de l'accès et de la couverture. Le nombre d'enfants bénéficiaires a doublé depuis 2015 ; le coût total par bénéficiaire a été divisé par deux par rapport au coût du PACC et la prévalence de malnutrition aiguë dans les régions ciblées a diminué. Les admissions de cas de MAM concordent avec le nombre de cas estimé et le taux de guérison est élevé. Le succès du programme est attribué à une prise de décision bien informée, de forts leadership et coordination de la part du gouvernement, un engagement de la communauté, un apprentissage et des ajustements continuels, la mise en œuvre d'un engagement et d'une communication intersectoriels et un financement externe adéquat et durable.

Contexte du pays et du programme

Le Cameroun est sujet à des chocs climatiques dans les régions du Nord, exacerbés par les récentes années de conflit dans les pays voisins, y compris la crise socio-politique en République centrafricaine depuis 2013, ayant pour conséquence l'arrivée d'un grand nombre de réfugiés dans les régions de l'Est, et la crise du bassin du lac Tchad, conséquence des activités de Boko Haram. L'influx consécutif de réfugiés, qui s’ajoute aux déplacements internes résultant de l'insécurité à travers le Cameroun, a entrainé une détérioration importante d'une situation déjà chronique de sécurité alimentaire et nutritionnelle au Cameroun en 2014.

Dans les premiers temps de la réponse humanitaire à la crise des réfugiés de République centrafricaine début 2014, le soutien du Programme Alimentaire Mondial (PAM) au gouvernement s'est focalisé principalement sur la mise à disposition de services de traitement de la malnutrition aiguë modérée (MAM) dans le cadre de programmes alimentaires complémentaires ciblés (PACC) mis en œuvre dans les formations sanitaires existantes. Cependant, une mission conjointe du Haut Commissariat des Nations Unis pour les Réfugiés, de l'UNICEF et du PAM en juin 2014 a conclu que l'intervention nutritionnelle dans les régions de l'Est n'atteignait pas les résultats escomptés, avec une couverture et une efficacité des programmes de traitement en-deçà des standards humanitaires Sphère et des augmentations spectaculaires de la prévalence de la malnutrition aiguë globale (MAG) parmi les réfugiés et les communautés d'accueil, exacerbés par un manque de ressources, de capacité et de préparation pour gérer la fourniture de services de traitement pour un nombre de cas subitement élevé. Il a ainsi été conclu que, plutôt que d'investir plus de ressources pour améliorer la performance et la couverture du programme de traitement MAM, la réponse nutritionnelle serait réorientée pour porter une plus grande attention à la prévention. Le PAM et ses partenaires ont donc accru la couverture du programme de prévention contre la malnutrition, ainsi que l’assistance alimentaire générale.

En 2015, le Cameroun a accueilli approximativement 80 000 réfugiés dans la région de l'Extrême-Nord et plus de 234 000 dans les régions de l'Est et de l'Adamaoua, en plus du nombre croissant de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, fuyant l'insécurité. Les échanges et les marchés commerciaux ont été fortement perturbés et les services essentiels, y compris les écoles et les hôpitaux, n’étaient plus que partiellement fonctionnels, submergés par l'influx de réfugiés et les mouvements de déplacés internes. La sécurité alimentaire s'est nettement détériorée, en même temps que l’intensification de la violence, particulièrement dans la région de l'Extrême-Nord, où environ 35% des foyers souffraient d'insécurité alimentaire (PAM, 2015). Tandis qu'une enquête SMART de 2015 a confirmé la stabilisation de la situation nutritionnelle dans les régions affectées par la crise des réfugiés de République centrafricaine, la prévalence de la malnutrition aiguë globale (MAG) et de la malnutrition aiguë sévère (MAS) a continué de s'empirer de manière importante dans les régions du Nord affectées par le conflit du Nord-Est du Nigeria, atteignant 13,9% de MAG et 2,2% de MAS, comparés à 9% et 2% respectivement dans l'enquête SMART de 2014.

Lorsque l'opération d'urgence du PAM a été lancée dans la région de l'Extrême-Nord au début de 2015, le PAM soutenait uniquement le traitement de la MAM. Malgré les efforts et les ressources investies dans ce traitement, la couverture est restée trop faible (<10%) du fait du manque de capacités, de la faiblesse de la coordination des partenaires dans la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA), de la mauvaise qualité de la prestation du service, et des difficultés liées à l'accès pour intensifier l'intervention nutritionnelle dans la région. Étant donnée la détérioration de la situation alimentaire dans l'Extrême-Nord, le Ministère de la Santé Publique (MSP) a accepté de changer la stratégie de la réponse nutritionnelle d'urgence en début 2016 pour une approche préventive, tout en suspendant graduellement l'approche basée sur le traitement de la MAM.

Aperçu du programme

Le PAM et le MSP ont conçu une intervention alimentaire innovante se focalisant plus fortement sur des stratégies préventives, qui comprenaient à la fois des interventions spécifiques et sensibles à la nutrition focalisées sur la prévention de la malnutrition chez les enfants et les femmes enceintes et allaitantes (FEA), comme décrit dans la Figure 1.

Figure 1 : Programme renforcé de prévention au Cameroun

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La nouvelle approche, testée depuis début 2016 dans les régions de l'Extrême-Nord, de l'Est et de l'Adamaoua, s'est appuyée sur la présence du PAM au niveau de la communauté, en utilisant le programme d'alimentation supplémentaire générale (PASG - Blanket Supplementary Feeding Program, BSFP en anglais) comme plate-forme opérationnelle pour délivrer les multiples services permettant de répondre à la fois aux causes immédiates et sous-jacentes de la malnutrition. Le programme est conçu pour que l'état nutritionnel des enfants qui ne souffrent pas de malnutrition soit protégé, tandis que ceux qui sont déjà malnutris reçoivent le même supplément nutritionnel fourni par les programmes classiques de traitement MAM (PACC). La manière dont ceci est organisé dans le cadre de la gestion globale de la malnutrition aiguë est reflétée dans la Figure 2.

La décision de poursuivre ce modèle est basée sur la compréhension que, dans une région de forte insécurité alimentaire avec un accès réduit aux services de santé de base, l'efficacité et la couverture limitées d'une approche de traitement uniquement n'auraient pas d'effet significatif sur la réduction de la malnutrition aiguë et les conséquences associées sur les enfants, et les femmes enceintes ou allaitantes (FEA). Une approche multisectorielle, centrée sur la prévention de la malnutrition, était nécessaire pour accroître la portée du programme dans des zones à haute prévalence et réussir à réduire la malnutrition dans la durée, sans compromettre l'accès direct aux services de traitement de la MAM et les référencement pour traitement contre la MAS. Ainsi, le programme a un double but de réduction de l’incidence et de la prévalence de la MAM, par le moyen de la prévention et du traitement, ainsi que d'offrir la possibilité de référer à temps les cas de MAS vers les services de traitement.

La modification de la réponse nutritionnelle d'urgence a pour but de fournir un ensemble de services spécifiques et sensibles à la nutrition, axés sur la prévention et ciblant les populations les plus vulnérables et difficiles à atteindre, et d'améliorer la coordination entre les acteurs en matière de nutrition et à travers les secteurs, afin qu'il y ait convergence et complémentarité des activités, surtout en ce qui concerne les programmes de traitement contre la MAS. Ceci a été facilité par la mise en œuvre d'un plan rigoureux de suivi et évaluation (S&E).

Les paquets de prévention comportent :

  • La distribution de Super Cereal Plus aux enfants âgés de 6 à 24 mois pour la prévention de la MAM et pour les enfants âgés de 6 à 59 mois pour le traitement de la MAM (figure 2).
  • La communication pour le changement de comportement est axée sur l'Alimentation du Nourrisson et du Jeune Enfant (ANJE) et sur les pratiques relatives à l'Eau, l'Assainissement et l'Hygiène, et comprend des démonstrations culinaires pour préparer les aliments nutritifs disponibles localement.
  • L’assistance alimentaire générale dans les régions du pays particulièrement touchées par l'insécurité alimentaire, notamment avec des Super Cereal principalement destinés aux FEA.1
  • Rendre les services complémentaires disponibles dans les structures sanitaires et au niveau de la communauté par le biais des plateformes PASG, y compris : la gestion des maladies infantiles, la vaccination, le déparasitage, la prévention du paludisme grâce à des moustiquaires imprégnées, la supplémentation en micronutriments, le counseling et la promotion des bonnes pratiques d'ANJE, et le planning familial.
  • Le dépistage et la référence systématique par la mesure du périmètre brachial (PB) et la détection de la présence d’œdèmes.2
  • Le renforcement des capacités des agents de santé, notamment les agents de santé communautaires (ASC), aux niveaux national, régional et local. 

La nouvelle approche cible les réfugiés et déplacés ainsi que la population d'accueil, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur des camps. La mise en œuvre dans le cadre des camps est rendue plus facile par une plus grande concentration d'acteurs humanitaires et des réunions régulières de gestion des camps, pour aider à la coordination, la synergie et la complémentarité.

Mise en œuvre du programme

En 2016, une directive a été rédigée par le MSP3 et le PAM sur la mise en œuvre du PASG, et en 2017 la directive nationale pour la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) a été modifiée pour inclure le PASG. Le MSP et ses représentants au niveau régional4 ont pris des mesures proactives pour promouvoir un processus de décentralisation de la prise en charge par la réplication du modèle.

Sous l'impulsion du gouvernement, la nouvelle approche s'appuyait sur une analyse approfondie de la situation et un système de suivi robuste qui comprenait un dépistage complet par le PB et la vérification de la présence d’œdèmes, et un suivi post-distribution, ce qui permettait d’ajuster et de corriger le programme. Les activités de prévention ont été conduites en étroite collaboration avec les structures sanitaires nationales pour maximiser les synergies ; toutes les zones ciblées par le programme renforcé de prévention avaient des structures sanitaires qui disposaient de services de traitement de la MAS. De plus, l’alimentation supplémentaire a été couplée à l’assistance alimentaire générale distribuée aux populations affectées ; 80% des enfants âgés de 6 à 23 mois dans les foyers recevant une assistance alimentaire générale ont également reçu des aliments nutritifs spécialisés.

Les informations recueillies pendant la revue conjointe du programme, menée par le MSP en octobre 2016, indiquent que le PASG est une plateforme adaptée pour intégrer efficacement des services complémentaires à grande échelle. Bien qu'expérimental et testé dans un contexte spécifique, ce programme renforcé de prévention fournis des leçons importantes pour la conduite de programmes de nutrition multisectoriels à grande échelle axés sur la prévention dans des contextes d'insécurité alimentaire ou de conflits.

Figure 2: Prise en charge de la malnutrition aiguë des enfants de 6 à 59 mois

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Résultats

Le passage à l’échelle progressif du programme par le biais de la décentralisation vers les formations sanitaires et le niveau communautaire a abouti à une meilleure intégration du programme de prévention dans les services sanitaires habituels et a amélioré l'accès et la couverture pour les bénéficiaires. Globalement, le nombre d'enfants atteints de MAM qui ont pu accéder au programme de traitement a plus que doublé par rapport à 2015. Le coût total par bénéficiaire (figure 3) a été quasiment divisé par deux par rapport au coût du traitement dans un programme d'alimentation complémentaire ciblée (PACC) en raison du coût relativement élevé pour la logistique des distributions mensuelles dans de multiples zones isolées dans les PACC, ainsi que des frais de recrutement et de formation de personnels spécialisés et de l'achat de matériels. De plus, la nouvelle plateforme préventive utilise une denrée alimentaire moins chère (Super Cereal Plus à 800 dollars US par tonne, plutôt que Plumpy-Sup à 2800 dollars US par tonne), ce qui a grandement réduit le coût par bénéficiaire.

Figure 3: Coût par bénéficiaire de la réponse nutritionnelle du PAM en 2015 et en 2016

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La couverture des districts sanitaires a également augmenté, passant de 30% en 2015 à 46% en 2016 sur le trois régions. En 2016, la quasi-totalité des 377 sites de prévention avaient intégré d'autres services complémentaires en lien avec la santé et l'hygiène. Dans la région de l'extrême Nord seule, le nombre de sites qui fournissaient des services de nutrition a augmenté de 109 en 2015 à 301 en 2016, et le nombre de bénéficiaires d'alimentation supplémentaire a augmenté de 24 000 en 2015 (admissions au PACC) à près de 100 000 (admissions au programme de prévention) en 2016 et 2017.

Les résultats des suivi post-distribution, montrent qu'à la fin de l'année 2016, 70% de la population éligible dans la zone ciblée (165 000 enfants âgés de 6 à 59 mois) avaient reçu des aliments nutritifs spécialisés et 90% des bénéficiaires inscrits au programme avaient pris part à un nombre suffisant (deux tiers) de distributions. Au total 30 979 cas de MAM âgés de 6 à 59 mois étaient inscrits en 2016 sur un nombre total de cas estimé de 31 787 dans les zones ciblées et environ 85% des FEA dans les zones ciblées participaient à des sessions éducatives sur la santé et la nutrition. En 2017 le programme préventif fournissait des services complémentaires à environ 155 000 bénéficiaires mensuellement (20% de garçons et 80% de femmes et filles).

Les dépistages mensuels par la mesure du PB ont été effectués pour tous les enfants éligibles dans les zones d'intervention. La prévalence de malnutrition aiguë chez les enfants (PB<125 mm et/ou œdèmes bilatéraux) a été comparée au nombre de bénéficiaires qui avaient reçu une assistance. Un déclin de la proportion d'enfants avec un PB<125mm a été observé dans toutes les régions. Dans les régions de l'est le taux de MAG basé sur le PB a baissé de 17% en mai 2014 à moins de 2% en décembre 2017 (figure 4), avec des tendances similaires observées dans l'extrême Nord. Ces conclusions ont été corroborées par les résultats de l'enquête SMART réalisée par le Gouvernement du Cameroun et l'UNICEF en octobre 2016 et septembre 2017. Bien que cette baisse ne puisse pas être attribuée uniquement au programme de prévention, il est probable qu'il y ait largement contribué.

Figure 4: Prévalence du PB<125mm et/ou d'œdèmes bilatéraux chez les bénéficiaires éligibles et nombre de bénéficiaires PASG dans les régions de l'Est et de l'Adamaoua, entre mai 2014 et décembre 2017

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Continuum des soins

La plateforme de prévention a été conçue pour faire en sorte que les enfants âgés de 6 à 59 mois souffrant de MAM puissent aussi recevoir des traitements. Les enfants âgés de 6 à 23 mois souffrant de MAM reçoivent une ration mensuelle de 3 kg de Super Cereal Plus (la même ration est fournie aux enfants souffrant de malnutrition dans ce groupe d'âge) et les enfants âgés de 24 à 59 mois souffrants de MAM reçoivent une ration mensuelle de 6kg de Super Cereal Plus. Les enfants atteints de MAM reçoivent également les traitements médicaux systématiques fournis par l'UNICEF dans les structures sanitaires. De cette façon, le programme protège à la fois l'état nutritionnel des enfants sains et promeut le rétablissement des enfants atteints de MAM.

Une recommandation clé émanant de la revue du programme en 2017 était d’assurer un meilleur suivi des admissions des cas de MAM. Ceci a été mis en œuvre à partir de 2018 et les données qui en résultent montrent que sur un total de 35 522 enfants inscrits au programme MAM en 2018, 25 253 étaient réhabilités à la fin du mois de décembre 2018, avec un taux de guérison de 96,7% à la sortie. Le nombre de cas de MAM pris en charge a dépassé le nombre estimé de cas éligibles (n = 33 440), reflétant vraisemblablement une demande élevée et une bonne adhésion. Les enfants atteints de MAM et présentant une maladie ont été traités conformément aux directives sur la prise en charge intégrée des maladies de l’enfant, soit sur le site de prévention, où des services de santé complémentaires étaient assurés, soit dans les formations sanitaires.

Dans les zones où la plateforme existe, la demande de services liés à la MAS a augmenté, principalement grâce au système actif de dépistage et de référencement associé à la plateforme. Par ailleurs, l’admission dans les centres de stabilisation pour les cas de MAS avec complications a progressivement diminué. Dans le district sanitaire de Lagdo, par exemple, le nombre mensuel de patients traités a progressivement diminué avec la mise en œuvre du PASG, passant de 15 cas en 2017 à une moyenne de deux cas à fin décembre 2018. L'accès aux centres de stabilisation est très limité en raison du nombre insuffisant de centres, de la distance qui les sépare et des fréquentes ruptures de stock. Une étude de couverture du programme MAS en 2018 a révélé une couverture modérée (20 à 50%) dans 72% des districts ciblés et une couverture faible (<20%) dans 18% des districts ciblés (PCIMAS, 2018). En 2018, 3 907 enfants âgés de 6 à 59 mois présentant un PB<115 mm ou des œdèmes bilatéraux ont été référés vers un traitement pour MAS par la plateforme de prévention (les données sur la proportion de cas compliqués ne sont pas disponibles). Ceci inclut les cas identifiés lors du dépistage trimestriel dans les communautés. Le référencement n'a été possible que là où le traitement était disponible et environ 75% des transferts effectués ont réussi (cas de MAS diagnostiqués dans la communauté qui ont ensuite été transférés et admis dans un établissement de santé), avec un taux de réussite de 100% enregistré dans certains districts de santé. Le suivi des transferts est effectué par les ASC, qui sont rémunérés en fonction des performances (financées par le PAM et le MSP par le biais du programme de financement basé sur la performance), y compris le nombre de transferts réussis. Cela incite fortement à suivre les enfants tout au long du continuum de soins, du programme de prévention au traitement de la MAS, et inversement après un rétablissement complet. Au total, 1 624 enfants âgés de 24 à 59 mois ont été orientés vers le programme de prévention après une guérison complète de la MAS (P/T z-score≥ -1,5 ou MPB≥ 125 mm et absence d'œdèmes bilatéraux). Les données sur les transferts d'enfants âgés de 6 à 23 mois ne sont pas disponibles.

Discussion

Une prise de décision réfléchie et éclairée

La décision de réorienter la réponse nutritionnelle au Cameroun a été fondée sur une analyse de la situation solide et une justification clairement énoncée. Les décisions prises sont le résultat d'un processus réfléchi auquel ont participé les principaux acteurs de la nutrition dans le pays. L'objectif était d'améliorer la couverture du programme tout en améliorant la rentabilité.

Le PAM a exploité les données recueillies dans le cadre des activités de suivi-évaluation pour éclairer la prise de décision. Un suivi post-distribution a été réalisé, comprenant un composant qualitatif mesurant le partage des rations et la gestion du temps des bénéficiaires et des prestataires de services. La participation et la couverture ont été mesurées grâce au suivi post-distribution et à une enquête transversale. Ces données ont été essentielles pour obtenir un consensus parmi les principaux acteurs de la nutrition. Une supervision conjointe sur site a été menée de manière mensuelle/trimestrielle par le MSP (Sous-direction de l'Alimentation et de la Nutrition et Délégation Régionale pour la Santé Publique), l'UNICEF, le HCR, le PAM et les partenaires de mise en œuvre  et un bilan intermédiaire conjoint a été conduit par le MSP. Les missions de supervision ont abouti à l'identification de domaines de collaboration entre les différentes agences pour la mise en œuvre de services complémentaires. Les missions ont également facilité l'identification de lacunes (par exemple : la capacité de suivi, le respect des critères d’entrée/de sortie et la distribution correcte des rations), conduisant à une résolution des problèmes et un suivi conjoints. 

Participation des pouvoirs publics et coordination

Le gouvernement du Cameroun, à travers le MSP, a été un acteur majeur de l'approche de prévention, depuis la conception jusqu’à la mise à l’échelle. Ce programme cadre bien avec l'engagement pris par le gouvernement d'atteindre les objectifs de la politique nationale de nutrition 2018-2030, du Plan National Opérationnel Multisectoriel de lutte contre toutes les formes de malnutrition et le développement continu des capacités institutionnelles au sein du système de santé. Ce programme contribue également à revaloriser la place de la nutrition dans la politique nationale et le programme de développement au Cameroun en inscrivant les activités de prévention essentielles dans le Plan-cadre des Nations Unies pour l'Aide au Développement (PNUAD 2018-2020).

Le PAM a pu œuvrer de façon stratégique pour fédérer les partenaires sous la direction des autorités nationales. Un plan d'action commun sur le programme de prévention a été élaboré par le MSP et le PAM lors de la phase de démarrage en 2016 pour informer et soutenir les acteurs de la nutrition sur les activités spécifiques, les calendriers, les rôles et les responsabilités.

Un plan de communication a été élaboré pour assurer que toutes les parties prenantes soient informées de la réorientation du programme. Des groupes de travail sur la nutrition ont été mis en place aux niveaux national et régional et des réunions mensuelles ont été organisées pour identifier les difficultés et trouver des solutions. Le MSP et l'équipe de nutrition du PAM ont apporté un soutien technique continu aux personnels de santé, ASC et partenaires de mise en œuvre.

Le PAM et l'UNICEF ont déployé des efforts considérables pour coordonner les activités dans ce contexte. Un plan d'action commun a été élaboré entre les deux agences des Nations Unies pour mieux intégrer les interventions et assurer la complémentarité des activités, et une stratégie commune de communication a été développée pour améliorer l'adhésion du gouvernement, des donateurs et autres parties prenantes. Dans certaines zones géographiques, les mêmes partenaires de mise en œuvre ont été utilisés pour réduire les coûts au minimum et garantir un système de référencement robuste, du traitement de la MAS au programme de prévention et inversement. Près de la moitié des zones ont bénéficié du même partenaire pour la prévention et le traitement de la MAS ; dans la plupart des autres zones, les services liés à la MAS ont été fournis directement par le personnel du MSP sans le soutien des ONG partenaires. Des consultations ont eu lieu pour déterminer le ciblage géographique du programme de prévention (soutenu par le PAM) et du programme de distribution de poudre de micronutriments, soutenu par l'UNICEF, afin d'éviter les duplications et d'optimiser l'utilisation des ressources disponibles. L’UNICEF a également dispensé un traitement médical systématique aux enfants atteints de MAM. Le PAM, l’UNICEF et le MSP ont assuré une formation conjointe à l’intention des prestataires de services (agents de santé, ASC et partenaires des ONG) sur le PASG, les poudres de micronutriments, la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë et l’ANJE.

Travailler sous la direction du gouvernement a favorisé une forte participation nationale et encouragé la responsabilisation de toutes les parties prenantes. Un atelier régional s'est tenu en 2017, au cours duquel divers ministères (Santé, Eau/Hygiène/Assainissement ou Agriculture) et les partenaires concernés ont élaboré un plan d'action pour la coordination d'activités multisectorielles. La coordination a été renforcée ainsi que la capacité du gouvernement à gérer la nutrition aux niveaux central et décentralisé, ce qui était essentiel au succès du programme. L’engagement manifesté par la direction du bureau national du PAM a également joué un rôle essentiel dans la fédération des partenaires et la garantie d’un engagement constant des principaux acteurs tout au long du processus.

Engagement de la communauté

Grâce à ce programme, les services se sont rapprochés des communautés éloignées et vulnérables, généralement hors de portée du système de santé, en utilisant la présence du PAM dans des contextes fragiles et de crise humanitaire. La plupart des sites de prévention étaient organisés au niveau communautaire dans les trois régions et les ASC étaient chargés de la plupart des tâches courantes. La plateforme de prévention a facilité le travail des ASC en leur permettant de fournir une diversité de services en même temps, plutôt qu'à plusieurs reprises au cours du mois et de l'année. Les sites de prévention regroupent des enfants de plusieurs villages, ce qui permet aux ASC d'être ensemble sur les sites et de diviser les tâches, rendant ainsi leur travail plus rapide et plus efficace. Le travail des ASC a été supervisé par le chef de chaque formation sanitaire nationale dans le but de garantir la pérennité du programme, afin que le PAM et ses partenaires transfèrent l’exécution directe du programme à l’avenir.

Des systèmes de référencement ont été mis en place au niveau communautaire entre la plateforme de prévention et les services en charge de la MAS, garantissant l'affectation des mêmes ASC d’une zone de santé donnée aux activités de prévention et de traitement de la MAS (c’est-à-dire la détection des personnes souffrant de malnutrition aiguë par le dépistage, le suivi et les visites à domicile). S'appuyant sur le système de suivi mensuel du PB mis en place par le PAM, un système communautaire de surveillance nutritionnelle mensuelle est maintenant en place, ce qui permet une détection rapide de la malnutrition et constitue un système d'alerte précoce. Les sites de proximité du PASG contribuent à accroître la couverture, atteignant ainsi les enfants jusque-là exclus du programme de traitement.

Apprentissage et adaptation continus des modalités de mise en œuvre

Une phase de démarrage du programme a été menée d'avril à juin 2016 afin d'évaluer les options disponibles pour fournir le paquet d’activités de prévention et le niveau d'intégration des services de nutrition dans les structures de santé existantes dans les régions de l'extrême nord, de l'est et de l'Adamaoua. Cela a permis au PAM et à ses partenaires de recommander la meilleure option pour chacun des sites identifiés pour le programme et a conduit à la révision et à l'adoption d'outils actualisés de rapportage et de suivi du programme, assortis d'indicateurs. 

Un plan de suivi et d'évaluation conjoint entre le MSP, le PAM et ses partenaires, a été mis au point au niveau national et régional, soulignant les rôles de chaque partie ainsi que les échéances précises. Les informations collectées dans le cadre des activités de suivi-évaluation ont été essentielles pour mesurer la performance du programme et améliorer l'efficience et l'efficacité.

Un défi typique de l’aide alimentaire est la disponibilité en temps voulu de fonds suffisants pour déclencher l'approvisionnement et éviter les ruptures dans la distribution. Lors du lancement de la phase pilote, des fonds adéquats ont été alloués (fonds du plan d'intervention humanitaire et du programme du PAM dans le pays), puis maintenus afin de couvrir toutes les composantes du programme de prévention prévues, permettant ainsi la fourniture en temps voulu d'aliments nutritifs spécialisés, ainsi que le renforcement des capacités des agents de santé gouvernementaux, des ASC et partenaires. La décentralisation au niveau communautaire et la mise à l’échelle en temps voulu des activités de prévention ont également été facilitées par une allocation appropriée des fonds.

La chaîne d'approvisionnement du PAM a été ajustée régulièrement pour répondre aux besoins du programme et les plans de distribution sur trois mois ont été mis à jour régulièrement, facilitant ainsi une affectation adéquate des ressources pour répondre aux besoins et atteindre les objectifs de distribution. En outre, le thème de la gestion d'entrepôt a été inclus dans le programme de formation destiné aux partenaires de mise en œuvre, aux agents de santé et aux ASC afin de garantir l'efficacité au niveau des formations sanitaire et de la communauté. Le pré-positionnement d'aliments nutritifs spécialisés au niveau des districts sanitaires était essentiel pour éviter les retards dans les activités du programme, en particulier pendant la saison des pluies.

Engagement dans tous les secteurs

Le programme adapté nécessitait une intensification de la part d'autres agences pour fournir des services complémentaires, ce qui a été complexe étant donné la disparité des sources de financement et des calendriers fiscaux. Cependant, le PAM a minimisé les effets de cette complexité en utilisant la disponibilité et la présence d'autres acteurs sur des sites géographiques comme critère de ciblage (en plus des critères de vulnérabilité) pour garantir un ensemble minimal de services à fournir aux communautés ciblées. La variation des services complémentaires fournis dépend fortement du nombre d'acteurs humanitaires présents sur chaque site. Un paquet d’activités minimal est basé sur les services fournis par le MSP et comprend la vaccination, la supplémentation systématique en vitamine A, le déparasitage, la prévention et le traitement du paludisme et d’autres maladies infantiles courantes, la planification familiale, la promotion de pratiques appropriées en matière d’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants et d’autres pratiques familiales essentielles.Lors du lancement du programme, un plan de communication a été élaboré et une stratégie d’approche préventive diffusée aux parties prenantes à tous les niveaux. Le kit de communication comprenait des informations sur les objectifs du programme et sur la manière dont les modifications proposées amélioreraient la couverture et la qualité du programme. Les plans d'activité annuels et mensuels, alignés sur les actions de sensibilisation dans les domaines de la santé tels que la vaccination, ont été partagés avec toutes les parties prenantes dans les régions cibles afin de faciliter la planification. Le PAM et ses partenaires de mise en œuvre ont œuvré au renforcement des mécanismes de coordination au niveau local ; par exemple en aidant le MSP à plaider pour la plateforme de prévention auprès d'autres ministères et d'acteurs humanitaires lors de réunions de coordination. Au cours de ces réunions, de brefs exposés ont été présentés pour montrer l’impact du nouveau modèle de prestation de services en mettant l’accent sur la couverture des services complémentaires.

Conclusions

Le PAM a aidé avec succès le gouvernement camerounais à réorienter le programme de nutrition en réponse à l'afflux croissant de réfugiés de République Centrafricaine et à la crise du lac Tchad. Le programme ne visait pas à remplacer le traitement, mais à répondre à une urgence immédiate et croissante, en tenant compte des ressources financières et humaines limitées et de la capacité d'intervention sur le terrain pour une approche centrée sur le traitement. Le passage à une approche préventive multisectorielle a été favorisé par une solide analyse de la situation.

Il est prévu que le programme se poursuive jusqu'en 2020, conformément au calendrier du Plan Stratégique du PAM pour le Cameroun. La future stratégie de transition nécessitera de continuer à se concentrer sur les zones géographiques à MAG élevée, via le dépistage par le PB, et d'étendre le programme à la prévention du retard de croissance, avec la possibilité d’utiliser des aliments nutritifs enrichis produits localement, distribués en nature ou rendus accessibles au moyen d'espèces et de coupons.

Cet exemple de réorientation de programme vers la prévention au Cameroun montre l’importance d’explorer des solutions innovantes en matière de nutrition, en particulier lorsque les programmes en place ne donnent pas les résultats escomptés. Cette expérience offre des enseignements importants pour la conduite de programmes multisectoriels à grande échelle visant à prévenir et à traiter la malnutrition dans des contextes humanitaires et fragiles et dans des zones exposées à une insécurité alimentaire élevée. L'intégration de cette approche programmatique dans le système de protection sociale nationale ou des filets de sécurité sociale reste essentielle pour une viabilité à moyen et à long terme.

Pour en savoir plus, veuillez contacter Eveline Ngwenyi.


Endnotes

1La décision a été prise de suspendre la fourniture d'aliments nutritionnels aux femmes enceintes et mère allaitantes sur la base des résultats des contrôles mensuels du PB et des enquêtes de nutrition SMART, qui montraient une prévalence faible à très faible du PB chez les femmes enceintes et mère allaitantes.

2Dans le programme de prévention, seul le PB est utilisé pour le traitement de la MAM.

3Sous-Direction de l'Alimentation et de la Nutrition (SDAN)

4Délégation Régionale pour la Santé Publique (DRSP)


Références

Enquête de Couverture du Programme PCIMAS, Régions de l’Extrême-Nord, du Nord, de l’Adamaoua et de l’Est, Novembre/Décembre 2018.

PAM, Évaluation de la sécurité alimentaire en situation d'urgence (EFSA). Juin et septembre 2015.

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