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Traitement de la malnutrition aiguë modérée avec des produits alimentaires ou des conseils nutritionnels : une analyse systématique

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Par Natasha Lelijveld, Alexandra Beedle, Arghanoon Farhikhtah, Eglal Elrayah Elamin, Jessica Bourdaire et Nancy Aburto 

Natasha Lelijveld est enseignant-chercheur à l'Université de Southampton. Auparavant, elle a travaillé dans le cadre de recherches sur la malnutrition aiguë et chronique à l'hôpital des enfants malades de Toronto, à l'University College de Londres, à la London School of Hygiene and Tropical Medicine ainsi que pour l'initiative No Wasted Lives à Action contre la Faim. 

Alexandra Beedle vient d'obtenir son diplôme de master en nutrition pour la santé mondiale à la London School of Hygiene and Tropical Medicine. Depuis l'obtention de son diplôme, elle a travaillé pour plusieurs sociétés de conseil et de recherche, et s'apprête à rejoindre l'équipe chargée de la nutrition pour le Programme Alimentaire Mondial au Soudan du Sud. 

Arghanoon Farhikhtah est spécialiste en nutrition au siège du Programme Alimentaire Mondial. Son travail se concentre essentiellement sur les liens entre les aliments et la sécurité nutritionnelle, l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, ainsi que la mise en œuvre de solutions mobiles innovantes pour la collecte des données sur la nutrition et les changements de comportement. Elle possède un master en sciences de la nutrition et diététique, et est diététicienne agréée.

Eglal Elrahyah Elamin exerce en tant que médecin spécialisé en médecine communautaire avec une expérience dans les milieux cliniques, opérationnels et académiques. Elle a récemment terminé son master en santé maternelle et de l'enfant, et est actuellement chargé de cours au département de médecine communautaire de l'université Al-Neelain à Khartoum, au Soudan.

Jessica Bourdaire a plus de 10 ans d'expérience dans le secteur de la nutrition humanitaire. Elle possède une licence en soins infirmiers et un master en sciences de la nutrition. Elle travaille actuellement comme spécialiste en prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë au siège du Programme Alimentaire Mondial, où elle contribue à générer des preuves sur le traitement de la malnutrition aiguë.

Nancy Aburto a plus de 15 ans d'expérience dans le domaine de la nutrition à l'échelle mondiale et est actuellement cheffe de l'Unité « nutrition spécifique » au sein de la Division de la nutrition au siège du Programme Alimentaire Mondial. Elle est titulaire d'un doctorat en sciences de la santé de l'Université Emory et d'un master de l'Université de Géorgie.

Lieu : International

Ce que nous savons : Il y a un manque de directives internationales sur le traitement le plus approprié pour la malnutrition aiguë modérée (MAM). 

Qu'apporte cet article : Une analyse systématique menée en 2018 a synthétisé les preuves actuelles de l'efficacité du traitement des enfants atteints de MAM par des interventions alimentaires, comparé à l'absence de traitement ou à la gestion au moyen de conseils nutritionnels. Puisqu'une seule étude éligible avait été identifiée, les critères d'inclusion ont été élargis et 11 études ont finalement été considérées. Sept études ont déterminé que les interventions alimentaires étaient supérieures en termes de résultats anthropométriques, en comparaison avec le counseling et/ou les suppléments de micronutriments en poudre. Deux études n'ont trouvé aucun avantage notable aux interventions par les produits alimentaires par rapport à un contrôle. Enfin, deux études se sont avérées non concluantes. Les résultats sont certainement influencés par le type de suppléments alimentaires fournis, le dosage et la durée du traitement, ainsi que la quantité, le contenu et l’adhérence aux programmes de counseling. Davantage de recherches sont nécessaires dans ce domaine, en particulier des études mesurant l'insécurité alimentaire et les résultats fonctionnels au-delà des progrès anthropométriques.  

Introduction

Les directives internationales sur le traitement le mieux adapté de la malnutrition aiguë modérée (MAM) sont insuffisantes. De plus, les stratégies nationales de traitement divergent. Certaines directives nationales pour le traitement de la MAM recommandent la distribution de produits alimentaires supplémentaires, tandis que d'autres recommandent que les personnes chargées des enfants atteints de MAM bénéficient uniquement de conseils nutritionnels. Les opinions divergent quant à la nécessité d’utiliser des produits alimentaires supplémentaires dans le cadre du traitement de la MAM, et quant à savoir si ces produits offrent de meilleurs résultats par rapport à l'absence de traitement ou à une gestion au moyen de conseils nutritionnels. Avec l'augmentation des maladies non transmissibles dans les environnements à faibles revenus et de l'incompréhension des causes exactes, il est important d’être convaincu de l'efficacité des interventions pour le traitement de la MAM afin d'optimiser la survie immédiate ainsi que la bonne santé sur le long terme (Shrimpton and Rokx, 2012). De plus, les interventions utilisant des produits alimentaires peuvent s'avérer coûteuses et non durables. Par conséquent, des preuves concrètes doivent être apportées afin de déterminer leur efficacité sur la santé des enfants par rapport à des méthodes alternatives.  

Cette analyse vise à identifier et à synthétiser les preuves actuelles de l'efficacité du traitement des enfants atteints de MAM avec des interventions alimentaires, en comparaison avec l'absence de traitement ou avec la gestion au moyen de conseils nutritionnels. Grâce à l'identification de l'état actuel des connaissances et la mise en avant des lacunes, nous espérons apporter des informations utiles pour l’élaboration de directives internationales et les recherches futures dans le cadre du traitement de la MAM. 

Méthodes 

En octobre 2018, nous avons réalisé une analyse documentaire systématique qui identifie les études ayant comparé le traitement des enfants atteints de MAM (âgés de 6 à 59 mois) avec des produits alimentaires par rapport à la gestion au moyen de conseils nutritionnels ou à l'absence d'intervention, et ce en utilisant le processus Population, Intervention, Contrôle et Résultat (PICO en anglais) (Tableau 1). Nous avons effectué nos recherches dans les bases de données Pubmed, Cochrane et ScienceDirect, ainsi que dans les ressources cataloguées des sites suivants : ENN, Valid International, Evidence Aid et State of Acute Malnutrition.

Tableau 1: Processus PICO pour la stratégie de recherche

Résultats

Nous avons analysé un total de 673 résumés de publications et identifié une seule étude qui répondait aux exigences du processus PICO. En raison de ce nombre très limité d'études éligibles, nous avons élargi les critères d'inclusion et identifié deux études qui ont fourni des suppléments de micronutriments en poudre au groupe de contrôle, et huit études qui ont recruté les enfants d'après des définitions de la MAM différentes des définitions communes actuelles. Les enfants atteints de MAM faisaient toutefois partie de l'échantillon. Par exemple, le recrutement pouvait être basé sur un faible rapport poids-pour-âge ou un périmètre brachial (PB) <12,9 cm. 
Sept études sur 11 ont déterminé que les produits alimentaires s'avéraient supérieurs en termes d'efficacité anthropométrique, en comparaison avec le counseling et/ou la distribution de suppléments de micronutriments en poudre. Deux études n'ont trouvé aucun avantage notable à l'intervention utilisant des produits alimentaires par rapport au contrôle. Enfin, deux études se sont avérées non concluantes. Le Tableau 2 présente une synthèse des résultats. 

Tableau 2 : Synthèse des résultats de l'analyse systématique


* RCT = Essais cliniques contrôlés et randomisés. MNP = Micronutriments en poudre. WSB++ = Farine mélangée blé-soja enrichie. Les indices Z sont obtenus en utilisant les références de l'OMS de 2006, sauf si stipulé autrement.

Discussion

La majorité des études inclues dans cette analyse systématique ont révélé que les produits alimentaires donnaient de meilleurs résultats pour la prise de poids que les conseils nutritionnels ou les apports en micronutriments. Ceci a été en particulier démontré avec des aliments supplémentaires de qualité et administrés à l'enfant sur une période suffisamment longue.

Le manque d’adhésion aux programmes de conseils nutritionnels est peut-être une des raisons ayant limité leur efficacité chez les groupes de contrôle au sein de ces études. L'analyse per protocol de Nikièma et al (2014) révèle qu'à condition qu'il soit bien suivi, le programme de conseils nutritionnels peut se révéler aussi efficace que l'intervention par suppléments alimentaires. Une autre étude a également souligné de forts taux d'échec au sein du groupe sous conseils nutritionnels (Hossain and Ahmed, 2014) ; en revanche, aucune autre étude n'a présenté de résultats d'analyses per protocol. Il est nécessaire d’explorer de nouvelles solutions pour améliorer l’adhésion aux interventions par conseils nutritionnels. La standardisation de la qualité et des contenus des interventions par conseils nutritionnels mérite également d'être prise en considération.

Il est important de souligner que l'étude de Nikièma et al (2014) a été menée dans un contexte « de sécurité alimentaire relative », ce qui peut représenter un facteur important pour l’efficacité et le succès des interventions par conseils nutritionnels. Une autre étude souligne qu'elle a été menée dans un environnement de sécurité alimentaire relative, dans une zone urbaine en Iran (Javan et al, 2017). Elle a noté que les suppléments alimentaires associés aux conseils nutritionnels peuvent se révéler supérieurs aux les suppléments multivitaminés associés aux conseils nutritionnels ; bien que des guérisons spontanées (P/T>-2) (32 %) ait été notée au sein du groupe sous conseils nutritionnels, ceci était bien inférieur à celles constatées au sein du groupe ayant bénéficié de suppléments alimentaires (80 %). Trois études indiquent que les populations ciblées dans leurs analyses vivent très probablement dans un environnement d'insécurité alimentaire. Roy et al (2005) soulignent que, bien que le gain de poids le plus important ait été obtenu grâce aux suppléments alimentaires, le groupe ayant bénéficié de « conseils nutritionnels intensifs » avait tout de même indiqué un gain pondéral plus satisfaisant que le groupe sous « conseils nutritionnels standards », et ce, malgré un environnement où la sécurité alimentaire n’était pas bonne?; alors que Christian et al (2015) ont conclu que les conseils nutritionnels seuls étaient insuffisants dans des zones d'insécurité alimentaire.

Il est à noter que les études de cette analyse n'ont pas toutes identifié les suppléments alimentaires comme étant supérieurs aux conseils nutritionnels. Le type de suppléments alimentaires, ainsi que le dosage et la durée du traitement peuvent influencer leur efficacité. Les études ont en particulier souligné que la composition des micronutriments administrés ainsi que la qualité des protéines des suppléments alimentaires pouvaient jouer un rôle significatif dans l'efficacité du traitement. La majorité des études ont fourni à leurs patients des suppléments alimentaires sur une durée minimale de trois mois ; cependant, une des études a administré un sachet d'aliment thérapeutique prêt à l'emploi (ATPE) sur 14 jours à ses patients et s'est révélée inefficace dans la prévention de la MAS chez les enfants atteints de MAM en rémission de maladies (van der Kam, 2017). 

Les résultats de cette analyse indiquent que les suppléments alimentaires sont supérieurs aux conseils nutritionnels et/ou aux micronutriments concernant les progrès anthropométriques, lorsque le type de supplément alimentaire, le dosage et la durée du traitement sont appropriés. La qualité, le contenu et l’adhérence aux programmes de conseils nutritionnels doivent également être pris en considération. Ces résultats peuvent servir à guider les décideurs pour améliorer les politiques/recommandations en matière de traitement de la MAM. Les chercheurs devraient également prendre conscience que les études existantes sur ce sujet sont actuellement insuffisantes, en particulier celles qui utilisent les définitions standard en matière de MAM et de guérison, celles qui incluent les mesures de sécurité alimentaire et celles qui incluent des résultats fonctionnels essentiels au-delà des données anthropométriques. 

Pour en savoir plus, veuillez contacter Natasha Lelijveld.

Lelijveld, N, Beedle, A, Farhikhtah, A, Elrayah, EE, Bourdaire, J, Aburto, N. Systematic review of the treatment of moderate acute malnutrition using food products. Matern Child Nutr. 2020; 16:e12898. https://doi.org/10.1111/mcn.12898


Références 

Christian P et al. Effect of fortified complementary food supplementation on child growth in rural Bangladesh: a cluster-randomized trial. International journal of epidemiology, 2015. 44(6): p. 1862-1876.

Fauveau C et al. Limited impact of a targeted food supplementation programme in Bangladeshi urban slum children. Annals of tropical paediatrics, 1992. 12(1): p. 41-46.

Grellety E et al. Effect of mass supplementation with ready-to-use supplementary food during an anticipated nutritional emergency. PLoS One, 2012. 7(9): p. e44549.

Heikens GT et al. The Kingston project. I. Growth of malnourished children during rehabilitation in the community, given a high energy supplement. European Journal of Clinical Nutrition, 1989. 43(3): p. 145-160.

Hossain MI et al. Effects of community-based follow-up care in managing severely underweight children. Journal of pediatric gastroenterology and nutrition, 2011. 53(3): p. 310-319.

Hossain MI and Ahmed T. Efficacy of community-based follow-up, with or without food supplementation and psychosocial stimulation in the management of young moderately wasted Bangladeshi children. 2014.

Javan R, Kooshki A, Afzalaghaee A, Aldaghi M and Yousefi M (2017). Effectiveness of supplementary blended flour based on chickpea and cereals for the treatment of infants with moderate acute malnutrition in Iran: A randomized clinical trial. Electronic physician 9(12): 6078.

Nikièma L et al. Treating moderate acute malnutrition in first-line health services: an effectiveness cluster-randomized trial in Burkina Faso. The American journal of clinical nutrition, 2014. 100(1): p. 241-249

Roy SK et al. Intensive nutrition education with or without supplementary feeding improves the nutritional status of moderately-malnourished children in Bangladesh. Journal of Health, Population and Nutrition, 2005: p. 320-330.

Schlossman N et al. A randomized controlled trial of two ready-to-use supplementary foods demonstrates benefit of the higher dairy supplement for reduced wasting in mothers, and differential impact in infants and children associated with maternal supplement response. Food and nutrition bulletin, 2017. 38(3): p. 275-290.

Shrimpton R and Rokx C (2012). The double burden of malnutrition: a review of global evidence. World Bank.

van der Kam S. (2017). Does a short term nutritional supplementation prevent malnutrition in ill children? PhD thesis.

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