Passage à l'échelle du dépistage de la malnutrition par l’Organisation mondiale de la Santé en Syrie
Par Mahmoud Bozo, Hala Khudari et Mutasem Mohammad
Mahmoud Bozo est agent technique en nutrition à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en Syrie. Il est spécialisé dans le dépistage et la prise en charge de la malnutrition.
Hala Khudari est agent technique en nutrition au Bureau régional de la Méditerranée orientale de l’OMS, au Caire. Nutritionniste de profession, Hala est spécialisée dans la gestion et la coordination de programmes de santé et de nutrition d’urgence en Syrie et apporte un soutien à d’autres contextes d’urgence dans la région.
Mutasem Mohammad est responsable de la gestion de l’information sanitaire pour l’OMS en Syrie. Il est chargé de l’amélioration des systèmes d’information sanitaire, des enquêtes, de la gestion des données et de l’analyse de l’information pour assurer une planification et une réponse basée sur des données probantes.
Les auteurs souhaitent remercier Elizabeth Hoff, représentante de l’OMS, Dr Ayoub Al-Jawaldeh, conseiller régional en nutrition et Ayman Al-Mobayed, spécialiste au niveau global des systèmes d’information pour leur soutien accordé à ce programme et à la rédaction de cet article.
Lieu : Syrie
Ce que nous savons : La surveillance nutritionnelle est un moyen efficace de diagnostiquer les cas de malnutrition, de faciliter les traitements en temps opportun, de surveiller le nombre de cas et, ainsi, de planifier les services.
Ce que cet article nous apprend : En 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et le Ministère de la Santé syrien ont mis en place en Syrie un projet pilote de système de surveillance nutritionnelle (SSN) en s’appuyant sur les services de suivi de la croissance de 115 formations sanitaires. Le développement du système a permis de dépister des enfants dans 802 centres de santé jusqu’en 2018. Les cas diagnostiqués font l’objet d’une prise en charge au niveau communautaire (86 centres) ou sont renvoyés vers des centres de stabilisation (23) selon le cas. Les données de surveillance permettent d'assurer la planification à l’échelle du district et du pays. À partir de 2017, la formation des professionnels de la santé et les systèmes informatisés ont permis d’optimiser la collecte des données et la qualité des rapports. En 2018, sur 928 000 enfants dépistés, 1,8% souffraient de malnutrition modérée et 0,6% de malnutrition sévère (0,1% présentaient des complications). Le système de dépistage a été étendu par la mise en place d’équipes sanitaires mobiles intervenant auprès des populations touchées par les conflits, ainsi que par l’implication d’organisations non-gouvernementales et de médecins privés. Les populations dépistées par les équipes mobiles étaient considérablement plus touchées par la malnutrition aiguë globale (MAG, 12%) et le retard de croissance (30%) que la moyenne nationale. Les efforts coordonnés de l’OMS, de l’UNICEF et du Programme Alimentaire Mondial ont permis de mieux prendre en charge la malnutrition aiguë présentant ou non des complications. À l’échelle nationale, la prévalence de la MAG a chuté entre 2015 (5,25%) et 2018 (2,4%). Cette diminution est due à la stabilisation de la situation et au soutien humanitaire continu pour répondre aux besoins essentiels, par le dépistage précoce et le référencement des cas, par une meilleure prise en charge de la malnutrition aiguë, ainsi que par des actions en faveur de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Les populations assiégées restent particulièrement vulnérables. Il est prévu d’augmenter le champ d’action du SSN et de l’intégrer dans le système d’information sanitaire national.
Contexte
Les huit années de crise prolongée en Syrie ont eu des conséquences dramatiques sur les conditions de vie de la population. La violence, l’interruption des services et les déplacements forcés ont compromis l’accès aux services et aux biens essentiels, tels que la nourriture, les moyens de subsistance, l’eau potable, l’hygiène, l’éducation, le logement et les soins médicaux. Cela a augmenté la vulnérabilité de la population face à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, au manque de diversification alimentaire et aux maladies. Ces difficultés, couplées aux pratiques d’alimentations inadéquates – des nourrissons, des jeunes enfants et des mères – et aux inégalités d’une région à l’autre ou d’une sexe à l’autre, ont significativement augmenté le risque de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans.
Effet de la crise sur le système de santé
En raison de la crise, les services de santé en Syrie ont été fortement perturbés, les attaques ont endommagé les centres de santé et, dans certains cas, les ont mis hors service, réduisant ainsi significativement l’accès à des services de santé essentiels pour les populations touchées. Jusqu’à la fin de l’année 2018, sur 1811 centres de santé publique contrôlés, seulement 68% ont été déclarés fonctionnels (46% totalement et 22% en partie) et sur 11 hôpitaux publics, 76% ont été déclarés fonctionnels (52% totalement et 24% en partie). Trente-et-un pour cent des centres de santé ont été déclarés endommagés (7% totalement et 24% en partie), ainsi que 45% des hôpitaux (11 % totalement et 34 % en partie) (HeRAMS 2018a; HeRAMS 2018b). La Figure 1 présente l’emplacement des centres de santé fonctionnels et hors service dans le pays. Elle révèle que les zones très vulnérables et difficiles d’accès ou assiégée disposent de services de santé limités. Cette situation a été exacerbée par le fait que 50% des professionnels de santé ont soit fui la Syrie, soit se sont réfugiés dans des régions du pays plus sûres. Les professionnels de santé sont en plus grand nombre dans les zones considérées plus sûres (principalement dans les gouvernorats du centre du pays), tandis que les zones vulnérables au nord-est, nord-ouest et sud connaissent un manque de professionnels de santé compétents et disponibles (Figures 2 et 3).
Figure 1 : Répartition des installations sanitaires publiques par gouvernorat en Syrie, 2018
Figure 2 : Proportion de médecins dans les centres de santé publics par gouvernorat en 2017 et 2018
Figure 3 : Proportion de médecins dans les hôpitaux publics par gouvernorat en 2017 et 2018
Répondre aux nouveaux besoins causés par la malnutrition
Selon l’enquête syrienne sur la santé de la famille (2009), la situation en matière de nutrition des enfants de moins de cinq ans était déjà médiocre avant la crise (23% en retard de croissance, 9,3% émaciés et 10,3% ayant une insuffisance pondérale). Seulement 42,6% des nourrissons de moins de six mois étaient allaités exclusivement au sein et seulement 42,2% étaient allaités dès la première heure suivant la naissance (OMS/Ministère de la Santé, 2009). Les carences en micronutriments étaient également courantes chez les moins de cinq ans avant la crise, notamment l’anémie (29,2%, Ministère de la Santé, 2011), la carence en vitamine A (8,7%, Ministère de la Santé, 1998) et la carence en iode (12,9%, Ministère de la Santé, 1998). Les taux de mortalité néonatale, des nourrissons, et des enfants de moins de cinq ans s’élevaient à 12,9/1000, 17,9/1000 et 1,4/1000 respectivement. Avant la crise, la malnutrition aiguë sévère (MAS) était prise en charge par le département de pédiatrie dans certains hôpitaux principaux de référence. Des services de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) ont depuis été mis en place pour faire face aux nombre de cas croissants résultant de la crise. Des programmes d’alimentation supplémentaires (PAS) et des programmes d’alimentation thérapeutique ambulatoires (PTA) sont désormais regroupés dans 86 centres dans tout le pays, gérés respectivement par le PAM et par l’UNICEF. Trente-trois centres de stabilisation (CS) pour les cas de MAS présentant des complications médicales sont installés au sein d’hôpitaux publics bénéficiant de l’appui de l’OMS.
Elaboration d’un système de surveillance de la nutrition (SSN)
Avant le conflit, un SSN national a fait état de cas de malnutrition aiguë et chronique chez les enfants de moins de cinq ans qui se rendaient dans les formations sanitaires pour la vaccinations de routine (visant tous les enfants de moins de cinq ans, soit une estimation de 2,7 millions d’enfants). Ce service devait fournir aux parents des informations à propos de la croissance de leur enfant grâce à un suivi régulier. Après le déclenchement de la crise, les préoccupations concernant le risque accru de malnutrition et le mauvais système de dépistage des cas ont conduit à la mise en place d'un système de surveillance pilote en 2014, s’appuyant sur les services de suivi de croissance déjà en place dans 115 installations sanitaires. Ce dispositif est par la suite devenu un SSN de situation d’urgence nutritionnelle qui couvrait 802 centres de santé en 2018. L’objectif du SSN est de repérer les enfants souffrant de malnutrition aiguë pour les référer vers des services de prise en charge dans des centres de soins. La malnutrition aiguë globale (MAG), ainsi que d’autres données collectées auprès de centres de santé publics, sont rassemblées dans des rapports consolidés nationaux pour informer la planification à partir de données factuelles, prévoir les besoins et évaluer les impacts du programme. Puisque les enfants bénéficient d’un suivi lorsqu’ils fréquentent des centres de santé centralisés ou décentralisés dans divers gouvernorats dans le cadre de la vaccinations de routine (sauf pour les zones difficiles d’accès telles que Idleb et certaines zones rurales de Deir ez-Zor et Raqqa), les taux de MAG obtenus au moyen de données de surveillance sont jugés assez représentatifs de la situation globale du pays. Les taux de couverture du service ne sont actuellement pas mesurés.
La version pilote du SSN
Le projet pilote a débuté au début de l’année 2014, en collaboration avec le Ministère de la Santé, des agences des Nations Unies (NU) et des organisations non gouvernementales nationales (ONGs). Il a été convenu que la logique de la démarche consiste en une adaptation du SSN déjà en place en s’appuyant sur le suivi de la croissance dans des centres de santé sélectionnés dans 12 gouvernorats. Ces adaptations incluent des outils de reporting et de suivi remaniés, ainsi que l’actualisation de la formation des professionnels de santé. Les gouvernorats du projet pilote ont été sélectionnés au moyen de deux critères : (i) les zones touchées par les conflits (Deraa, Homs, Alep, Damas rural, Idleb, Quneitra et Deir ez-Zor) et (ii) les zones densément peuplées présentant un nombre élevé de personnes déplacées internes (Damas, Tartous, Lattaquié, Hama et Soueïda). Dans les centres de santé sélectionnés, les taux de couvertures de la surveillance nutritionnelle, la capacité des ressources humaines, l’espace physique disponible et les besoins en équipement ont été évalués et les lacunes ont été comblées. Grâce aux efforts coordonnés des agents de terrain de l’OMS, la surveillance nutritionnelle a également repris dans le gouvernorat d’Ar-Raqqa particulièrement touché par les conflits. Les centres de santé sélectionnés ont fait état de nombreuses difficultés au cours de la phase pilote, notamment le manque de ressources humaines, d’espace, d’équipement et d’outils de télécommunication permettant de faire des rapports. Ces obstacles étaient particulièrement évidents dans le cas de Deir ez-Zor, une zone du pays manquant particulièrement de personnel et de ressources. Malgré ces difficultés, fin 2014, la version pilote du SSN avait inclus 115 centres de santé, couvrant 50 000 bénéficiaires.
Le SSN à l’échelle nationale : données et méthodes
Suite au succès du projet pilote, le système a été étendu à d’autres formations sanitaires à partir de 2015. Fin 2018, 802 centres de santé faisaient partie du dispositif, dépistant au total 928 000 enfants au cours de l’année 2018 (Figure 4). Parmi ces enfants, 40% étaient âgés de moins de six mois, 16,5% de 6 à 12 mois, 19% de 12 à 24 mois et 25% de 24 à 59 mois. Tous les enfants ayant fréquenté une clinique ont été dépistés, y compris ceux venant pour être vaccinés ou recevoir un traitement pour une maladie. Le SSN collecte des données sur le poids et la taille (pour évaluer l’émaciation et le retard de croissance), les œdèmes, la mesure du périmètre brachial et l’allaitement maternel exclusif (rapporté par les mères). Les cas de malnutrition aiguë modérée (MAM) sont référés vers les PAS, les cas de MAS sans complications vers les PTA et les cas de MAS avec complications vers les CS. L’OMS a travaillé en collaboration étroite avec le Ministère de la Santé, l’UNICEF et le PAM (membre du Cluster Nutrition) pour renforcer les voies de communication entre les différents niveaux de soins et ainsi garantir la qualité des services de référencement. En 2018, 848 cas présentant des complications ont été référés vers des CS et 905 cas ont été admis. Cela semble indiquer que le système de référencement de la prise en charge était fonctionnel.
Les données étaient initialement entrées manuellement dans des registres papier, soumis chaque mois au niveau du district par les centres de santé pour être regroupés et transmis à Damas. Cependant, la qualité des données était limitée par les erreurs humaines et parce que c’était un processus laborieux (et prenant souvent du retard). Pour y remédier, à partir de 2017, un meilleur suivi, des formations plus intenses, l’utilisation de tableaux Excel simples, ainsi qu’un système de reporting informatisé ont été mis en place au niveau central et au niveau des districts. En 2018, les formats de reporting ont été perfectionnés pour faciliter la distinction entre les nouveaux cas et les cas de rechute, afin d’optimiser la qualité des données, du traitement et du suivi. Depuis le milieu de l’année 2017, des infographies, telles que celles de la Figure 5, sont publiées de façon régulière pour faciliter la communication.
Figure 4 : Carte des centres de surveillance nutritionnelle, 2018
Figure 5 : Présentation infographique des données du SSN, 2018
Mobiliser les ONGs et le secteur privé
Dans les zones où les services de santé étaient sérieusement perturbés, le dépistage de la malnutrition nécessitait davantage de partenaires. En conséquence, la formation sur la surveillance nutritionnelle a été étendue aux ONGs locales capables de pratiquer des dépistages à Homs, Alep, Hama, Hassaké et Raqqa dans des zones connaissant un afflux important de personnes déplacées. En 2016, 30 médecins privés ont été formés, et 175 autres en 2018 dans huit gouvernorats (Damas, Damas rurale, Homs, Alep, Lattaquié, Tartous, Soueïda, et Hama), en collaboration avec la Société syrienne de pédiatrie. Dans la seule ville d’Alep, 878 enfants ont été dépistés par des médecins privés en 2018. Parmi eux, un cas de MAS avec complication a été diagnostiqué, ainsi que 12 cas de MAS sans complications et 54 cas de MAM.1 Tous ces patients ont été renvoyés vers le système de santé public pour recevoir un traitement.
Agir auprès des plus vulnérables grâce au dépistage de la malnutrition
Dans des situations telles que l’évacuation de la Ghouta orientale, l’offensive de Raqqa ou le dernier mouvement de déplacement de Hajine et Baghouz vers Deir ez-Zor, des centaines de milliers de personnes, souffrant d’insécurité alimentaire à long terme, couplé à un accès limité à des services de santé, à l’accès à l’eau et à l’hygiène, sont arrivés dans des installations informelles ou des camps en ayant besoin d’un soutien urgent. Parmi eux, les enfants de moins de cinq ans sont particulièrement exposés au risque de malnutrition. En réponse, des équipes mobiles ont été mises en place, composées de personnel d'ONG ou du Ministère de la santé ou de membres de la communauté locale ayant reçu une formation, afin de dépister rapidement tous les enfants à leur arrivée et de référer les cas de malnutrition identifiés vers une prise en charge. Au total, 46 équipes mobiles ont été soutenues par l'OMS pour dépister rapidement plus de 128 000 enfants en 2018, notamment en Ghouta orientale (70 000 enfants), à Alep (4 500 enfants), à Hassaké (7 000 enfants), à Deraa (26 000 enfants), à Qouneitra (10 000 enfants) et à Homs (10 000 enfants). L’OMS a travaillé en étroite collaboration avec l’UNICEF pour faire part des cas diagnostiqués. L’UNICEF a mobilisé des équipes mobiles pour fournir des services de PCMA et diriger les cas de MAS avec complications vers le centre de stabilisation le plus proche. Parmi les enfants dépistés, la prévalence de MAG était de 12% (1% de MAS et 11% de MAM) et 30% des enfants présentaient un retard de croissance (pourcentage plus élevé que la moyenne nationale de 2,4% en 2018).
Analyse de l’expansion du SSN et tendances de la MAG
Entre 2014 et 2018, le nombre de centres de surveillance nutritionnelle est passé de 115 à 802, gagnant approximativement 200 centres de santé par an dans tout le pays (Figure 6) et augmentant ainsi le nombre d’enfants dépistés (Figure 7). En 2018, sur 928 000 enfants dépistés, la prévalence de MAG était de 2,4% (1,8% de MAM, 0,6% de MAS et 0,1% de MAS avec complication). Ces patients ont été renvoyés vers les PAS, PTA, et CS pour recevoir un traitement.
Depuis 2015, plusieurs approches ont été utilisées pour étendre le SSN et les services de soins associés, notamment :
- L’expansion géographique au moyen d’une augmentation du nombre d’établissements proposant la surveillance nutritionnelle afin d’étendre la zone géographique couverte par le dépistage.
- Le renforcement des capacités des professionnels de la santé pour pratiquer le dépistage dans les installations sanitaires afin d’augmenter le nombre de professionnels de santé qualifiés pour effectuer cette tâche.
- Un meilleur approvisionnement en intrants nutritionnels dans les centres de santé et les hôpitaux proposant des services de nutrition.
- L’accroissement du suivi et de la supervision ont été instaurés au niveau des formations sanitaires, afin d’optimiser la qualité des soins et des services de nutrition.
L’amélioration de la situation en matière de sécurité dans certains endroits depuis 2015 (ce qui a favorisé l’accès aux installations pour les bénéficiaires, les professionnels de la santé, ainsi que les organismes de soutiens) a également facilité la surveillance et la prise en charge. La Figure 8 présente l’augmentation au fil des années du nombre de centres de santé incluant la surveillance nutritionnelle. Fin 2018, le SSN avait été mis en œuvre dans tous les gouvernorats à l’exception d’Idleb, alors inaccessible depuis 2015, et de Deir ez-Zor, alors sous le contrôle de l’État Islamique et inaccessible entre 2015 et 2017.
Figure 6 : Nombre de centres de surveillance nutritionnelle en Syrie, 2014-2018
Figure 7 : Nombre total d’enfants dépistés dans des centres de surveillance nutritionnelle, 2014-2018
(résultats arrondis au millier le plus proche)
Figure 8 : Nombre de centres de santé incluant le SSN par gouvernorat de 2014 à 2018
Le principal objectif de l’expansion de la surveillance est de garantir la détection et la prise en charge précoces des cas de malnutrition aiguë. Les Figures 9 et 10 indiquent que la prévalence globale de la MAG est restée modérée et a diminué au fil du temps de 5,25% en 2015 à 2,4% en 2018 (928 000 patients dépistés). Les enquêtes SMART ont révélé qu’il y avait 2,5% de MAG en 2015 et 1,7% de MAG en 2019. Les gouvernorats tels que Damas, Damas rurale, Homs, Hama, Lattaquié et Tartous ont tous présenté des réductions importantes des taux de MAG entre 2015 et 2018, ce qui peut s’expliquer par la stabilisation de la situation dans ces zones et au constant soutien humanitaire pour répondre aux besoins essentiels. Les pics visibles observés à Alep, Deraa et Hassaké sont en corrélation avec les situations d’extrême urgence, telles que l’évacuation d’Alep à la fin de l’année 2016, l’escalade de la violence à Deraa au milieu de l’année 2018 et les déplacements massifs de population de Raqqa et Deir ez-Zor vers Hassaké dans la seconde moitié de l’année 2018. Au fur et à mesure que les populations ont quitté les zones assiégées pendant de longues durées ou ont fui la violence pour s’installer dans des zones plus sûres et accessibles, le dépistage s’est amélioré et les signalements de cas d’enfants souffrant de malnutrition ont donc augmenté. Dans le cas d’Hassaké, Raqqa et Deir ez-Zor, sous le contrôle de l’État Islamique avant 2017, le SSN n’a pas été étendu comme prévu jusque plus tard (2018-2019), lorsque plus de centres de SSN ont été mis en service.
Les facteurs qui ont probablement contribué à la réduction de la MAG dans certains gouvernorats comprennent : la mise en place du SSN permettant une détection et une prise en charge précoces; la prise de conscience des mères concernant la santé et la malnutrition des enfants; des interventions efficaces concernant l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant dans les centres de santé et au niveau communautaire par de nombreux partenaires du domaine de la nutrition ; l’amélioration de la situation en matière de sécurité alimentaire; la prise en charge rigoureuse des cas de MAS et de MAM dans le système de PCMA, incluant un suivi à l’hôpital ou dans un centre de santé ; l’amélioration de la situation en matière de sécurité et l’amélioration des conditions de vie.
Figure 9 : Prévalence de la MAG résultant de la surveillance nutritionnelle, par gouvernorat, 2015-2018
Figure 10 : Prévalence de la MAG résultant de la surveillance nutritionnelle en Syrie, 2015-2018
Développement des services de prise en charge pour la malnutrition aiguë
Prise en charge des cas présentant des complications
Avant la crise, le Ministère de la Santé avait le leadership des initiatives relatives à la nutrition et l’OMS fournissait des recommandations techniques concernant le suivi de la croissance et les initiatives concernant l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (par exemple, le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel et l’Initiative des hôpitaux amis des bébés). Pendant la crise, l’OMS a pris les devants en matière de surveillance nutritionnelle et de prise en charge de la MAS avec complications, en collaboration avec le Ministère de la Santé, les ONGs et les partenaires du secteur de la santé. Pour prendre en charge la MAS avec complication, l’OMS a soutenu, depuis 2014, la création de 10 CS au sein des départements de pédiatrie des principaux hôpitaux publics. Des CS supplémentaires ont été créés dans des hôpitaux privés et mis en œuvre par les ONGs dans les zones où les services publics étaient trop gravement endommagés ou inaccessibles (Figure 11). L’OMS a apporté son appui aux CS au moyen du renforcement des capacités du personnel de santé (formation de 350 professionnels de la santé aux protocoles en vigueur de prise en charge de la MAS) et de l’approvisionnement en médicaments, fournitures médicales et équipement pour la pris en charge de la MAS (comme les équipements anthropométriques, les antibiotiques, les minéraux, les vitamines et les laits thérapeutiques F75 et F100) et d’une assistance technique concernant les protocoles de traitements et le reporting. Le taux de patients référés indique une grande complémentarité des programmes. En 2017, tous les cas de MAS avec complications référés vers des CS avaient été pris en charge, comparé à 60% des cas en 2015. En outre, le renforcement des capacités et le soutien continu ont permis l’amélioration de la mise en place et de la qualité des programmes. Cela s’est traduit par une réduction de la durée moyenne d’hospitalisation de 12 à environ 6 jours et une réduction de la mortalité de 9% à 2,2% en 4 ans (Figures 12 et 13). Ceci témoigne de la grande efficacité et de la qualité des services.
Figure 11 : Emplacements des CS en Syrie, octobre 2018
Figure 12 : Durée moyenne d’hospitalisation dans les CS, 2015-2018
Figure 13 : Taux de mortalité parmi les cas de MAS avec complications dans les CS, 2015-2018 (sur base d’un total de 905 cas au cours de cette période)
Prise en charge des cas ne présentant pas de complications
L’UNICEF et le PAM ont apporté leur appui aux centres de santé publics pour proposer des services ambulatoires de nutrition afin de prendre en charge les cas de MAS et de MAM sans complications en se servant de l’approche de la PCMA. Des centres ambulatoires se sont étendus à l’ensemble du pays et une grande complémentarité existe entre le SSN et les programmes hospitaliers et ambulatoires qui redirigent des patients régulièrement entre eux.
Planification coordonnée des services
Les données de surveillance, associées aux données d’enquête SMART, sont d’une importance capitale pour l’estimation des objectifs annuels et du nombre de cas attendus, permettant ainsi d’appuyer la mise en place de programmes pour la malnutrition aiguë par l’OMS, l’UNICEF et le PAM. La mise en œuvre et les liens entre les PAS, les PTAs et les CS sont gérés par des agents de la nutrition du Ministère de la Santé qui sont en charge de la supervision des activités sous la responsabilité du Ministère de la Santé à divers niveaux et jouent un rôle majeur dans la planification du passage à l’échelle et de la prise de décision concernant les lieux nécessitant de nouveaux services.
Conclusions
La transformation du système de suivi de croissance en place en un dispositif de SSN était extrêmement profitable pour le dépistage et la prise en charge en temps opportun de la malnutrition aiguë en Syrie. Un réseau solide de professionnels de santé formés a été établi et des installations sanitaires ont bénéficié d’équipements leur permettant de proposer des services de qualité en matière de dépistage et de prise en charge des cas. En complément des interventions appuyées par l’UNICEF et le PAM, ces éléments ont ouvert la voie pour le renforcement des interventions de PCMA. Les données fournies par le SSN ont permis au Ministère de la Santé, à l’OMS, à l’UNICEF et au PAM de planifier et concevoir des interventions appropriées et on fourni des informations essentielles pour la planification à l’échelle nationale, comme par exemple, pour informer les besoins humanitaires annuels (HNO) et le plan d’intervention humanitaire (HRP), utilisés pour collecter des fonds dans l’optique d’intervention d’urgence. Les données du SSN ont révélé une réduction des taux de MAG depuis 2015. Cette tendance correspond aux données d’enquête SMART. Cela semble indiquer une amélioration de la situation générale en matière de nutrition dans le pays résultant d’un référencement précoce des cas, d’une prise en charge opportune des cas avérés de malnutrition aiguë et de la fourniture de services complémentaires. Cependant, les populations assiégées restent très vulnérables. L’approche des services mobiles s’avère efficace pour s’occuper immédiatement des besoins des personnes ayant quitté des zones inaccessibles et une des préoccupations majeures reste de garantir l’accès à l’aide humanitaire.
En ce qui concerne le SSN, il est prévu d’étendre le dépistage dans le futur. Sur la base de l’objectif de vaccination de 2,77 millions d’enfants de moins de cinq ans, seulement un tiers est actuellement dépisté pour la malnutrition aiguë, il est donc encore possible de s’améliorer. Parmi les autres ambitions de l’OMS et du Ministère de la Santé figurent l’intégration des services de surveillance dans tous les centres de santé fonctionnels, ainsi que l’amélioration de la prise en charge des enfants dans les formations sanitaires faisant déjà partie du SSN. L’intégration du SSN sur les plateformes en ligne du système d’information sanitaire est également nécessaire pour les installations sanitaires utilisant encore des systèmes sur support papier, afin d’optimiser la qualité et l’actualité des données. De plus, la lente transition vers un début de redressement dans certaines zones du pays laisse penser que le système se dirigera vers un suivi régulier de la croissance (tout en continuant à faire des rapport au sujet de la malnutrition aiguë pour adapter les services en place) avec un accent particulier sur les retards de croissance, ainsi que d’autres préoccupations persistantes concernant la nutrition, comme les carences en micronutriments.
Pour en savoir plus, veuillez contacter Mahmoud Bozo à mahmoudbozo@gmail.com ou bozam@who.int
1Aucuns frais supplémentaires supérieurs aux frais habituels facturés par les cliniques privées n’ont été facturés pour ces services.
Références
HeRAMS (le système cartographique de disponibilité de ressources de santé) Annual Report-January-December 2018a - Public Hospitals in Syrian Arab Republic.
http://applications.emro.who.int/docs/syr/CoPub_HeRAMS_annual_rep_public_Hospitals_2019_EN.pdf?ua=1
HeRAMS Annual Report-January-December 2018b -Public Health Centres in Syrian Arab Republic
http://applications.emro.who.int/docs/syr/CoPub_HeRAMS_annual_rep_public_health_2019_en.pdf?ua=1
Ministry of Health, Nutrition surveillance system report, Syria, 2011.
Ministry of Health, Vitamin A deficiency Study, MoH, 1998
OMS/MDS. Syrian Family Health Survey, Syria, 2009