Mise à l’échelle des soins apportés aux enfants souffrants de malnutrition aiguë dans le cadre d'une intervention de nutrition d'urgence au Soudan du Sud entre 2014 et 2018
Par Dina Aburmishan, Vilma Tyler, Lucas Alamprese, Priscilla Bayo Nicholas, Marie Darline Raphael, Joseph Senesie, Allison Oman Lawi, Kibrom Tesfaselassie, Ismail Kassim, Kiross Abebe, Gilbert Dachi, Qutab Alam, Hermann Ouedraogo, Diane Holland, Patrick Codjia et Biram Ndiaye.
Dina Aburmishan est responsable de la nutrition pour le Programme Alimentaire Mondial (PAM) au Soudan du Sud après avoir été coordinatrice pour la mise à l’échelle du Plan de Réponse Nutrition Conjoint UNICEF/PAM dans ce même pays de 2015 à 2017.
Vilma Tyler est spécialiste nutrition pour l'UNICEF Moyen-Orient et Afrique du Nord après avoir été responsable nutrition pour l'UNICEF Soudan du Sud de 2014 à 2016.
Lucas Alamprese est membre d'une Equipe d'intervention rapide dans les situations d'urgence en matière de nutrition (siège du PAM). Il a été nutritionniste volant puis coordinateur nutrition du Mécanisme d'intervention rapide au Soudan du Sud à partir de 2015.
Priscilla Bayo Nicholas est spécialiste nutrition pour l'UNICEF Soudan du Sud.
Marie Darline Raphael gère actuellement les programmes de nutrition et de cantines scolaires pour le PAM au Soudan. Elle a été responsable nutrition pour le PAM au Soudan du Sud de 2014 à 2017.
Joseph Senesie est spécialiste nutrition au siège de l'UNICEF à New York. Il est membre de l'équipe d'intervention d'urgence de l'UNICEF. Il a aussi été nutritionniste pour l'UNICEF Soudan du Sud de 2014 à 2018.
Allison Oman Lawi est responsable régionale pour la nutrition, le VIH, la protection sociale et les cantines scolaires pour le PAM en Afrique Centrale et Afrique de l'Est.
Kibrom Tesfaselassie est spécialiste de la nutrition pour l'UNICEF Soudan du Sud, et responsable de la nutrition dans les situations d'urgence. Il apporte également son soutient à la coordination du Cluster Nutrition.
Ismail Kassim est spécialiste de la nutrition pour l'UNICEF Soudan du Sud et président du groupe de travail sur les informations relatives à la nutrition.
Kiross Tefera Abebe est spécialiste nutrition pour l'UNICEF Soudan du Sud.
Gilbert Dachi est spécialiste nutrition pour l'UNICEF Soudan du Sud.
Qutab Alam est spécialiste de la gestion de l'information relative à la nutrition pour la coordination du Cluster Nutrition au Soudan du Sud.
Hermann Ouedraogo est actuellement coordinateur du Cluster Nutrition au Soudan du Sud.
Diane Holland est conseillère principale en nutrition au siège de l'UNICEF à New York.
Patrick Codjia est responsable de la nutrition au sein de l'UNICEF Kenya. Il a assisté les équipes techniques consacrées à la nutrition au Soudan du Sud lorsqu'il travaillait au bureau régional de l'UNICEF pour l'Afrique de l'Est et l'Afrique australe.
Biram Ndiaye occupe actuellement le poste de chef de la nutrition pour l'UNICEF au Soudan du Sud. Il était chargé de la section nutrition de l'UNICEF Soudan du Sud en avril-mai 2014, au tout début de l'intervention d'urgence actuelle.
Avertissement : les constats, interprétations et conclusions de cet article n'engagent que leurs auteurs. Ils ne représentent pas nécessairement les opinions de l'UNICEF ou du PAM.
Lieu : Soudan du Sud
Ce que nous savons : l'UNICEF et le Programme Alimentaire Mondial (PAM) se partagent respectivement les tâches relatives au traitement de la malnutrition aiguë sévère et modérée. Dans les faits, les programmes peuvent être mis en place de manière séparée pour le plaidoyer, la planification du nombre de cas ciblés ou la sélection des partenaires de mise en œuvre.
Qu'apporte cet article : En 2014, l'UNICEF et le PAM ont lancé une opération conjointe pour assurer la mise à l’échelle du traitement de la malnutrition aigue chez les enfants du Soudan du Sud. Le but était d'optimiser l’exécution des programmes et d’harmoniser les interventions des partenaires mettant en œuvre le plan de réponse du Cluster Nutrition. Une stratégie conjointe ainsi qu'un plan mis à jour tous les ans permettent de spécifier les engagements, les principes d'opération, les actions détaillées de l'UNICEF et du PAM ainsi que les indicateurs permettant un suivi des livrables. La collaboration entre les deux agences a permis d'élargir les zones couvertes et d'améliorer la qualité des interventions. Les réalisations incluent une multiplication par 2,6 du nombre d'enfants traités, un élargissement des zones couvertes (augmentation du nombre de sites) et une harmonisation des services fournis par les Programmes Thérapeutiques Ambulatoires (PTA) et les Programmes d'Alimentation Complémentaire Ciblés (PACC). Une approche simplifiée du « critère d’admission élargi » a été introduite pour assurer un continuum de soin dans des situations exceptionnelles. Parmi les facteurs de succès, on compte : l'esprit de collaboration entre les agences à un niveau technique ou managérial, l'engagement structuré et prévisible de l'UNICEF et du PAM, une collaboration pour soutenir le Cluster Nutrition dans son leadership, l'engagement conjoint des donateurs, le partage de la gestion des données et l’analyse conjointe des besoins, la flexibilité des arrangements institutionnels traditionnels, ainsi que l'intégration d'actions conjointes dans le cadre des plans d’action nationaux des agences.
Contexte
Avec 23 % des enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition aiguë globale (MAG) dans le pays, le Cluster Nutrition a été activé au Soudan du Sud en 2010. Entre 2010 et 2013, le Cluster Nutrition a mené et coordonné un nombre limité d'interventions nutritionnelles étant donné les besoins relativement bas, les ressources limitées attribuées à la nutrition et la faible quantité de partenaires actifs. Les acteurs en matière de nutrition ont mis en place des programmes de prise en charge et de prévention de la malnutrition aiguë ainsi qu'une surveillance de la nutrition dans quelques départements de sept anciens États du Soudan du Sud (Northern Bahr el Ghazel, Warrap, Upper Nile, Unity, Jonglei, Western Bahr el Ghazel, Lakes and Eastern Equatoria). Pendant cette période, l'UNICEF et le Programme Alimentaire Mondial (PAM) ont travaillé essentiellement en parallèle. Leurs activités de plaidoyer, d'estimation du nombre de cas ciblés et de sélection des partenaires étaient menées séparément.
En décembre 2013, une guerre civile a éclaté au Soudan du Sud, entraînant des déplacements massifs de population, la suspension des services de base et la détérioration de niveaux déjà très élevés d'insécurité alimentaire et de malnutrition, appelant une intervention humanitaire à grande échelle. En août 2014, le cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) estimait que 3,9 millions de personnes étaient en situation d'insécurité alimentaire sévère dont 2,6 millions se trouvaient dans la phase aiguë (phase 3) et 1,3 million dans la phase d'urgence (phase 4). L’IPC prévoyait aussi une multiplication par deux du nombre de cas attendus de malnutrition aiguë sévère (MAS), passant d'un peu plus de 100 000 à 235 000 enfants entre 2013 et 2014. Le nombre de cas de malnutrition aiguë modérée (MAM) augmentait de 447%, passant de 123 383 à 675 400 enfants. Face à cette augmentation des cas attendus, à l’augmentation de l'étendue de la zone géographique touchée et à un environnement toujours dangereux, il était évident que l'UNICEF et le PAM devaient s'associer afin d'améliorer rapidement l'intervention humanitaire existante.
Approche
Mise en place des principes
En juin 2014, des représentants des niveaux techniques1 et managériaux2 de l'UNICEF et du PAM ainsi que le Cluster Nutrition se sont réunis pour réfléchir à leur intervention humanitaire conjointe. Tout en respectant leurs rôles respectifs à échelle mondiale (le PAM, chargé de la MAM, et l'UNICEF chargé de la MAS), les agences ont rassemblé leurs ressources et tiré parti de leurs avantages respectifs de sorte à développer une stratégie d'intervention détaillée.
Les agences se sont mises d'accord sur un ensemble crucial d'engagements généraux et de principes d'opération qui définissent le ton du partenariat (tableau 1). Les fondements clés pour un partenariat efficace entre les agences sont les suivants :
- Un plan d’action conjoint et régulièrement tenu à jour ;
- Des principes et engagements mutuellement convenus ;
- Une coordination étroite au niveau national et local ;
- Des rapports d'étape et des bilans trimestriels et annuels ;
- Un personnel spécialement chargé du développement et de la coordination du partenariat ;
- Des réunions préalablement programmées regroupant les dirigeants de l'UNICEF et du PAM pour faire les mises à jour du partenariat.
Les actions, conjointes et individuelles, qui incombaient à chacune des agences en vue d'atteindre leurs objectifs d'ici fin 2014, étaient précisément décrites dans ce nouveau Plan conjoint de passage à l’échelle de la réponse nutritionnelle. Le plan avait pour objectif d'accéder aux 330 000 femmes enceintes et allaitantes ainsi qu'à un million d'enfants souffrant de malnutrition aiguë, et de leur apporter des traitements vitaux. Après sa présentation, en juillet 2014, aux membres du Cluster Nutrition, qui comprenait les organisations non gouvernementales et l'ensemble des donateurs, le plan fut immédiatement approuvé.
Un plan d'action conjoint pour le passage à l’échelle de la nutrition vit également le jour, exposant les actions urgentes et immédiates qui permettraient à chaque agence de contribuer à une réponse nutritionnelle d'urgence ainsi qu'au plan d’action du Cluster Nutrition de manière plus large3. Chaque action était décrite en détail avec précision des calendriers, responsabilités, scénarios humanitaires et leurs répercussions, risques et mesures de mitigation. Le plan rendait chaque agence responsable des actions pour lesquelles elle s’était engagée tout en soulignant qu'aucun objectif ne serait atteint sans conjuguer les actions et les efforts.
Tableau 1 : Principes opérationnels et engagements communs de l’UNICEF et du PAM
Approche relative aux critères d’admission élargis
La persistance du conflit avait rendu certaines zones beaucoup moins accessibles et donc réduit la présence des partenaires sur le terrain. Il était nécessaire d'établir un système pour traiter la malnutrition aiguë au cas où le service habituel serait compromis. Cette approche simplifiée utilisant des critères d’admission élargis fut ainsi mise à disposition pour les situations où le traitement de la MAS ou de la MAM faisait défaut de manière exceptionnelle (voir encadré 1). L'approche relative aux critères élargis utilisée au Soudan du Sud repose sur les éléments suivants : localisation unique, produit unique, partenaire unique, distribution rapide, sauver des vies, capacité d'inclusion des femmes enceintes et allaitantes (FEA), et utilisation du PB/faible poids-pour-taille comme critères de sélection indépendants. (Encadré 1)
Encadré 1 : Approche relative aux « critères d’admission élargis » pour traiter la malnutrition aiguë au Soudan du Sud
L'approche relative aux critères d’admission élargis était une mesure temporaire exceptionnelle pour pallier un manque d’intrant approprié à une pathologie spécifique. Par exemple, cela pouvait être le cas si les couvertures géographiques des programmes de traitement des enfants souffrant de MAS avec des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE) et de MAM avec des aliments supplémentaires prêts à l’emploi (ASPE) n'étaient pas concomitantes, ou en cas de rupture de l'une des chaine d'approvisionnement. Cette mesure temporaire peut être mise en œuvre jusqu'au rétablissement des services et intrants appropriés pour traiter les enfants souffrant de MAS et de MAM.
Les scénarios possibles pour utiliser l'approche relative aux critères d’admission élargis comprenaient : des ruptures de stock sur le terrain, une rupture dans la chaîne d'approvisionnement et d'autres interruptions des services ou de la logistique. L'approche relative aux critères d’admission élargis pouvait être mise en œuvre sur une seule journée ou sur plus d'une semaine selon la gravité de la situation, le nombre de bénéficiaires et la rapidité de reconstitution des stocks sur le lieu de distribution. Dans ces cas de figure, l'agence présente utilisait les produits disponibles (ATPE/ASPE) pour traiter la MAS ou la MAM (sans complication). Il était ainsi possible d'effectuer les traitements et de réduire les risques de mortalité associés. Le Cluster Nutrition avait le pouvoir d'autoriser la mise en œuvre de l'approche des critères d’admission élargis après concertation avec l'UNICEF, le PAM et les autres partenaires opérationnels actifs dans la zone affectée. Grâce à cette approche, les enfants souffrant de MAS recevaient 14 sachets d'ASPE par semaine (2 par jour) et les enfants souffrant de MAM recevaient sept sachets d'ATPE par semaine (1 par jour).
L'UNICEF et le PAM avaient autorisé le déploiement de cette approche à condition que l'utilisation des ATPE/ASPE dans ces circonstances ne nuise pas à la disponibilité du produit indiqué pour traiter les enfants souffrant de malnutrition aiguë.
Depuis son instauration en 2015, l'approche relative aux critères d’admission élargis a été mise en œuvre à deux occasions. La première a eu lieu lors d’un programme de routine alors qu'un seul produit était disponible (suite à une rupture de la chaine d'approvisionnement, au pillage/à l'épuisement des denrées ou à l'impossibilité d'accéder au site). La seconde mise en œuvre s'est déroulée à l'occasion des missions du mécanisme d'intervention rapide (MIR), quand une seule agence était présente et un seul produit disponible. En 2018, par exemple, 3 031 enfants ont été traités de cette manière grâce aux critères élargis, soit 180 enfants souffrant de MAS/MAM traités avec des ASPE et 2 851 enfants traités avec des ATPE. Avant 2018, le programme de routine ne capturait pas systématiquement les données sur l'utilisation de l'approche des critères d’admission élargis.
Coordination
Le nombre de ressources humaines a été accru à tous les niveaux pour assurer le passage à l’échelle et la supervision de la réponse. Le recrutement d'un(e) nutritionniste dédié(e) a permis l'organisation, la coordination et le suivi du plan d'action et de la réponse globale des deux agences. Au niveau des bureaux pays, les équipes nutrition des deux agences se réunissaient initialement une fois par semaine, ensuite tous les 15 jours et enfin mensuellement pour analyser les données d'admission et les mesures adoptées afin d'éclairer leurs décisions, discuter des enjeux et s'accorder sur la marche à suivre. L’UNICEF et le PAM ont inclus leur programme d'intervention conjoint pour la nutrition dans les ordres du jour de leurs réunions bilatérales, et ont harmonisé leurs ressources et leurs actions de plaidoyer afin de sécuriser leur financement respectif. Le ton fut ainsi donné pour un partenariat unifié depuis les bureaux pays jusqu’aux bureaux de terrain.
Les fonds collectés ont permis à l'UNICEF et au PAM d'élargir leurs équipes d'experts techniques au niveau des bureaux de terrain. La collaboration entre les deux organisations a ainsi été renforcée, et les nutritionnistes ont pu commencer à organiser des discussions de concertation de manière régulière, en vue d'assurer une harmonisation de leurs activités, un bon déroulement de leurs missions de supervision conjointes et une estimation commune du nombre de cas attendus. Le Cluster Nutrition au Soudan du Sud était structuré de manière à ce que l'UNICEF assurait le rôle de leader du Cluster Nutrition, et prenait en charge un Coordinateur du Cluster, et un Spécialiste en Gestion de l’Information Nutritionnelle, Action contre la Faim remplissait, quant à elle, le rôle de co-lead du Cluster. Un coordinateur adjoint du Cluster Nutrition, pris en charge par le PAM, fut également désigné, en vue de garantir une aide complémentaire. Cette nomination complémentaire a permis au Cluster Nutrition de répondre de manière efficace à l'ampleur des besoins urgents.
Rapportage
Grâce aux rapports trimestriels et annuels élaborés et publiés conjointement sur l'état d'avancement du programme, l'UNICEF et le PAM ont pu évaluer efficacement les progrès réalisés et communiquer en externe la portée de leur partenariat stratégique ainsi que les résultats de cette collaboration. Lors des réunions de suivi annuelles, l'UNICEF, le PAM et le Cluster Nutrition ont examiné les progrès réalisés par rapport aux indicateurs, l'impact des résultats accomplis et les enjeux présents et futurs. Des plans d'action annuels ont ensuite été développés pour pérenniser la collaboration. Les principes opérationnels et les engagements établis au début du programme continuent d'être honorés par chaque nouveau représentant et par chaque nouvelle équipe Nutrition, et tout est désormais en place pour assurer la continuité du projet, un financement conjoint et des actions de plaidoyer communes.
En 2015, comme stipulé dans leur plan d'action conjoint pour de passage à l’échelle de la nutrition, l'UNICEF et le PAM ont mené une étude et tenu des réunions de consultation auprès de leurs intervenants clés sur la réalisation de leurs objectifs, la mise en place de leurs activités et la valeur ajoutée de leur partenariat. Les retours obtenus en matière d'enjeux et d'actions futures, à la suite de réunions de concertation et d'analyses menées sur les précédentes interventions d’urgence, ont permis de façonner le programme pour les 12 mois suivants. Celui-ci a alors été renommé Plan de Réponse Conjoint pour la Nutrition. Ce nouveau plan soulignait la volonté de maintenir les résultats positifs obtenus à travers les interventions humanitaires, tout en améliorant la qualité et l’efficacité des services rendus en matière de nutrition.
Le Plan de Réponse Conjoint pour la Nutrition continue d'être mis à jour chaque année. Depuis 2014, il est établi en fonction des résultats de l'année précédente, de façon à répondre aux enjeux existants et aux écarts constatés. Chaque plan inclut des actions spécifiques et des indicateurs pour permettre d'évaluer les progrès accomplis et pour s’assurer que chaque organisation est responsable de ses actions. Le tableau 2 présente des exemples d'actions menées conjointement par l'UNICEF et le PAM ainsi que les indicateurs correspondants.
Tableau 2 : Exemples d'actions menées conjointement par l'UNICEF et le PAM, et indicateurs correspondants
UNICEF and WFP Collaboration Framework, South Sudan, July 2017 to December 20184
Résultats
Les investissements, la collaboration et les engagements accrus de la part des deux organisations sur ces cinq dernières années ont donné le jour à des résultats significatifs. Les chiffres révèlent qu'entre 2014 et 2017 le nombre d'enfants bénéficiaires du programme a augmenté chaque année, et ceci malgré une recrudescence des cas de malnutrition aiguë (figures 1 et 2).5 Cette recrudescence doit être examinée dans un contexte de conflits sévères, de déplacements internes de la population, d'accès à certaines régions limités, d'un système de santé naissant et d'un département Nutrition au Ministère de la Santé opérationnel, mais aux ressources extrêmement limitées. L'unité de coordination du projet, dirigée par le Cluster Nutrition, exécutée par l'UNICEF et le PAM, et appuyée par différents partenaires internationaux et nationaux, a soutenu la portée et l’étendue des interventions. L'UNICEF et le PAM ont élargi leur champ de couverture : présents sur moins de 100 sites opérationnels en 2013, ils opèrent sur 900 sites en 2019, et couvrent ainsi 76 des 79 régions (figure 3). Ces chiffres reflètent à la fois des vides préexistants et des besoins croissants.
Figure 1 : Nombre d'enfants âgés de 6 à 59 mois, souffrant de malnutrition aiguë sévère, ciblés et bénéficiaires du programme au Soudan du Sud entre 2014 et 2018
Figure 2 : Nombre d'enfants âgés de 6 à 59 mois, souffrant de malnutrition aiguë modérée, ciblés et bénéficiaires du programme au Soudan du Sud entre 2014 et 2018
Figure 3 : Nombre de sites opérationnels bénéficiant du programme de nutrition au Soudan du Sud entre 2014 et 2019
L'encadré 2 indique la manière dont les agences des Nations Unies et le Cluster Nutrition déterminent leurs objectifs en terme du nombre de bénéficiaires. Il s'agit d'un exercice annuel qui encourage la discussion, l'analyse et permet de faire une projection du nombre de cas attendus et des besoins. Il utilise les données du programme de l'année précédente ainsi qu'une méthode de calcul pour déterminer l'ampleur le nombre de cas attendus, une estimation des ressources disponibles ainsi que les capacités des partenaires à mettre en place le projet, afin d'obtenir un objectif pour l'année en cours. Cette méthode doit être approuvée par l'UNICEF, le PAM et le Cluster Nutrition pour être ensuite utilisée pour la mise en place du programme.
Encadré 2 : Déterminer les objectifs annuels de l'UNICEF et du PAM en matière de MAS et de MAM
Le nombre total de personnes en situation de MAS ou de MAM, ou de personnes dans le besoin (Burden ou PIN en anglais), peut être obtenu d'après les besoins humanitaires (HNO en anglais)/le plan de réponse humanitaire (HRP en anglais), et est calculé en utilisant le nombre total d'individus souffrant de malnutrition aiguë, obtenu lui-même grâce à la méthode de calcul suivante :
Nombre total de personnes dans le besoin = population 6-59m x [prévalence + (prévalence x 1,6)]
Ou
Simplifié ainsi : Nombre total de personnes dans le besoin = population 6-59m x prévalence x 2,6
C'est sur une prévision des ressources disponibles et sur les résultats de l'année précédente que l'UNICEF et le PAM s'appuient pour apporter leur soutien à un pourcentage de personnes dans le besoin. Ce chiffre représente l'objectif commun à l'UNICEF, au PAM et au Cluster Nutrition, et varie d'une année à l'autre.
L'esprit d'une coopération et d'un partenariat efficaces s'est répandu avec succès depuis la les équipes de direction des bureaux de pays de l'UNICEF et du PAM jusqu'au personnel sur le terrain. Les retours d’information des équipes démontrent un niveau élevé de collaboration à tous les niveaux, en particulier en termes d'alignement des partenaires, pour assurer un continuum de soins, une supervision et un suivi conjoints, des réunions bilatérales et conjointes avec les partenaires, et des systèmes de coordination en sous-groupes améliorés. Les missions du mécanisme d'intervention rapide (MIR) demeurent le meilleur moyen d’atteindre les femmes et les enfants dans les secteurs rendus inaccessibles à cause de l'insécurité et d'un accès limité. L'UNICEF, le PAM et les partenaires des groupes sectoriels ont intensifié l'utilisation des missions du MIR, passant de 37 à 66 missions annuelles au cours des cinq dernières années. Les interventions dans le cadre des MIR ont également été harmonisées, avec un personnel dédié au sein des deux agences supervisant l'ensemble des interventions préventives et de traitement en matière de nutrition en situation d'urgence.
La localisation unique de la prestation de services, permettant un continuum de soins, est l'une des réussites du traitement en matière de nutrition au Soudan du Sud. Au début du conflit en 2014, les services du PTA et du PACC étaient regroupés dans environ 45 % des sites. Cela s'explique principalement par la présence historiquement hétérogène des partenaires, par la prédisposition des partenaires à s'aligner de préférence aux activités de leur propre agence plutôt qu’aux activités sectorielles, et par la capacité limitée des partenaires à mettre en œuvre le protocole de la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë dans son intégralité. Au cours des cinq dernières années, grâce à un dialogue continu avec les partenaires, grâce au leadership et aux encouragements du Ministère de la Santé, du Cluster Nutrition et des bailleurs de fonds, l'UNICEF et le PAM mettent actuellement en œuvre des services conjoints dans plus de 91 % des sites de nutrition.
La localisation unique permet un flux de bénéficiaires plus efficace entre les services. (Par exemple, les enfants transférés des services du PTA à ceux du PACC afin de continuer leur traitement une fois rétablis de la MAS). La localisation unique de services a été rendu possible grâce à la coopération entre l'UNICEF et le PAM (et le Cluster Nutrition), en particulier lors du choix des partenaires dans le cadre d'accords de coopération sur le terrain et des processus liés au programme d'ententes de coopération. Le fait de travailler ensemble sur cette question a permis de surmonter des enjeux tels que les différents délais de renouvellement des contrats ; les préférences des partenaires (un partenaire peut être préféré par une organisation mais pas par l'autre), et de tirer parti des différentes modalités de financement, comme le Fonds Humanitaire Commun (FHC) et les financements spécifiques à une organisation.
Pour mieux comprendre les besoins et les lacunes dans le pays et aider à développer une réponse ciblée, l'UNICEF et le PAM ont prôné en 2014 l'inclusion d'indicateurs de nutrition au sein du Système de surveillance de la sécurité alimentaire et nutritionnelle (SSSAN, mené tous les deux ans pour évaluer les enjeux de la sécurité alimentaire) et ont piloté le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire pour la malnutrition aiguë (IPC-MA). Le Soudan du Sud est ainsi devenu l'un des quelques pays à inclure la malnutrition aiguë au sein des diagnostics et des projections cartographiques de l'IPC. De plus, la participation active des parties prenantes de la nutrition a été rendue possible grâce au Cluster Nutrition afin qu'elles contribuent aux diagnostics de l'IPC. L'UNICEF et le PAM ont continué d'améliorer la qualité et d'élargir la portée des données nutritionnelles recueillies dans le cadre du SSSAN au-delà de l'anthropométrie des enfants âgés de 6 à 59 mois, en élargissant la portée de celle-ci aux enfants de 0 à 59 mois de sorte à y inclure des indicateurs sur le retard de croissance et l'émaciation, et des informations sur l'état nutritionnel des mères et des femmes ainsi que sur les indicateurs de l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant. La qualité des données a encore été améliorée grâce à l'harmonisation des formations des formateurs, grâce à l'utilisation des technologies de la téléphonie mobile pour inclure les contrôles dans les calculs, et grâce à la disponibilité quotidienne des données en temps réel pour le contrôle de la qualité et le retour d'information aux équipes de terrain.
En 2015, le Cluster Nutrition a lancé un nouveau système d'information nutritionnelle, directement basé sur les sites, afin de s'éloigner des rapports Excel provenant des départements/partenaires. Le taux moyen de rapportage des sites assurant le traitement des MAS/MAM s'est progressivement amélioré, passant d'un taux inférieur à 50 % avant la crise à 98 % entre 2013 et 2018. Le système d’informations nutritionnelles contient maintenant six ans de données nutritionnelles et d'indicateurs de performances. Des plans sont en cours pour l'intégrer dans le nouveau système national d'information sanitaire. Ces efforts ont permis d'obtenir une meilleure idée de la situation nutritionnelle – actuelle et projetée – dans le pays. En plus de leur utilisation dans la planification et la priorisation des interventions, les évaluations contribuent à informer l'IPC. Trois exercices annuels IPC ont été menés en janvier, mai et septembre 2018.
Un autre facteur de réussite a été le renforcement de l'environnement politique et des capacités du département de la Nutrition au sein du Ministère de la Santé. Le PAM et l'UNICEF y ont contribué en mettant à disposition du personnel technique, en élaborant des directives et un protocole de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë révisés, en élaborant une nouvelle stratégie et des directives pour la nutrition de la mère, du nourrisson et du jeune enfant, et en appuyant les formations « en cascade » visant à renforcer les capacités du Ministère de la Santé et des partenaires chargés de la nutrition. Le PAM et l'UNICEF ont également financé et appuyé conjointement le lancement du mouvement SUN (Scaling Up Nutrition) au Soudan du Sud.
Un bon exemple de l'efficacité du partenariat a été constaté en janvier 2017 lorsque la famine a été déclarée par l'IPC dans le département de Leer, dans l'État de Southern Unity. La même année, la région de Greater Equatoria, auparavant considérée comme une « ceinture verte », a connu une augmentation du taux de malnutrition aiguë. Grâce à l'étroite collaboration et au partenariat entre l'UNICEF et le PAM et au systèmes communs pour la collecte d'informations qui étaient en place, l'approvisionnement et l'engagement avec les partenaires, il a été possible de s'adapter rapidement aux besoins croissants et d'étendre les opérations à la fois dans l'état de Southern Unity et dans la région de Greater Equatoria.
Leçons apprises
Facteurs favorables
Compte tenu de l'augmentation spectaculaire du nombre estimé d'enfants souffrant de malnutrition aiguë à la suite de la guerre civile, il était clair que, pour atteindre leurs objectifs, les deux principales agences en matière de nutrition devaient collaborer plutôt que travailler en silos. En œuvrant ensemble, il a été possible de répondre aux niveaux critiques de malnutrition aiguë même dans l'environnement hautement complexe et instable du Soudan du Sud. De plus, la collaboration a créé un environnement favorable à la mobilisation des ressources. Cela a été rendu possible grâce à l'appui de bailleurs de fonds qui ont soutenu des activités planifiées harmonisées et des propositions distinctes visant à soutenir le traitement de la malnutrition aiguë dans le cadre des deux programmes. L'UNICEF, le PAM et le Cluster Nutrition ont tous reçu un financement adéquat afin de remplir les engagements individuels et communs du plan d'action.
L'approche a également été facilitée par les équipes des pays qui ont donné le ton de la collaboration avec l'appui très solide des équipes des bureaux régionaux et du siège des deux agences. Les bureaux régionaux ont continué d'appuyer conjointement chacun des plans communs successifs. Grâce à un engagement de haut niveau, le plan d'action et la stratégie communs ont fourni le concept et le cadre pratique d'une collaboration étroite. Tous les membres du personnel travaillent désormais de manière conjointe et s'accordent sur le fait que la collaboration doit être maintenue.
Défis
En dépit de ces succès, des difficultés persistent. Certains aspects non traités restent confus. Étant donné les mouvements continus de population ainsi que le système de santé national dont l'efficacité est limitée, de nombreux sites de nutrition existent encore en dehors de la structure de santé, ce qui réduit l'intégration de tous les partenaires et compromet l'ensemble du parcours de prise en charge. De plus, si les partenaires ont réussi à mieux collaborer, le processus a pris presque cinq ans, à cause d'un contexte fracturé avant le partenariat et d'une sélection de partenaires préexistante. En 2018, sur 90 % des sites de nutrition, les services PTA et PACC étaient fournis par un partenaire unique.
Les ressources continuent à être issues de financements d’urgence, destinés à sauver des vies, sur des durées d’une année. Sur la période, quatre plans de réponse humanitaire, comprenant chacun des sections et des fonds spécifiques au secteur de la nutrition, ont été développés. Ces perspectives de financement entrainent des défis pour obtenir des effets durables ; les partenaires ont besoin d'un engagement des bailleurs afin de pouvoir fournir un soutien à plus long terme qui permette un changement durable et un renforcement de la résilience des communautés.
Au Soudan du Sud, le transport des biens a également été compromis par la mauvaise qualité des infrastructures. Les intrants nutritionnels essentiels doivent par conséquent être pré-positionnés pendant la saison sèche pour garantir la fourniture de service. Souvent, l'approvisionnement est retardé à cause d'un manque de financements disponibles à temps pour pouvoir profiter de la saison sèche.
Discussion et conclusion
Le partenariat entre l'UNICEF et le PAM au Soudan du Sud a permis d'apporter une réponse plus complète et intégrée. Les deux organisations apportent chacune leurs avantages : le PAM apporte son expertise dans le domaine de la sécurité alimentaire, de l'accès, de la logistique sur le terrain et de son expérience des Clusters, tandis que l'UNICEF apporte son expertise sur les questions de santé, d'éducation, d'eau, d'assainissement et d'hygiène.
Les besoins gigantesques de cette population, auxquels aucune des deux agences n'aurait pu répondre seule, ont poussé à la création de ce partenariat fructueux. Cela nécessite de nombreux engagements sur le plan programmatique dont : des actions et interventions planifiées, la désignation d'un coordinateur chargé de gérer le partenariat et de s'assurer de la responsabilité des deux agences, l'acceptation du partenariat par la communauté de donateurs et de la nutrition, une approche harmonisée de la couverture géographique, une analyse conjointe des besoins et de la gestion des données partagées, le leadership continu du Cluster Nutrition ainsi que l'intégration des objectifs et des activités du partenariat au sein des plans et des stratégies respectives de l'UNICEF et du PAM dans le pays. De plus, l'engagement des équipes de direction dans cette initiative, ainsi que le soutien conjoint et concerté de la part des sièges et des bureaux régionaux des deux agences ont contribué au succès et à la continuation du partenariat sur ce projet.
Bien qu'à ses débuts le partenariat ait dû faire face à des difficultés croissantes, il a permis de tirer de nombreuses leçons qui se sont reflétées dans les plans de réponse humanitaire des années suivantes et qui ont permis aux deux agences d'opérer comme il se doit. Tandis que le Cluster Nutrition et le Ministère de la Santé ont tous deux soutenu le partenariat, la force et le succès de cette collaboration reposent sur différents facteurs, notamment l'établissement de relations, la volonté d'avancer vers des objectifs communs ainsi que la reconnaissance et l'utilisation des avantages apportés par l'autre agence. Au final, cette solide coordination a été essentielle : dans les endroits où le système des Clusters est présent, le Cluster Nutrition est le mieux placé pour assurer la supervision et le leadership de ce type d'effort. En l'absence d'un système de Clusters, le système de secteur doit être utilisé. C'est le gouvernement (à savoir le Ministère de la Santé, à travers le département de la Nutrition) qui doit, dans l'idéal, prendre les commandes.
Cette expérience soulève plusieurs questions concernant le modus operandi des agences des Nations Unies. Au Soudan du Sud, l'alignement des différentes opérations a été difficile en raison des approches et politiques institutionnelles existantes. Dans ce domaine, l'UNICEF et le PAM ont dû faire preuve de nombreux efforts pour se mettre d'accord sur le choix des partenaires, sur le calcul du nombre de cas attendus et ciblés, et sur l'ajout d'un PACC ou d'un PTA à leurs attributions programmatiques. L'alignement des différentes opérations a également nécessité que toutes les parties fassent preuve de bonne volonté et acceptent de modifier leurs habitudes programmatiques.
Cinq ans après le début de la situation d'urgence au Soudan du Sud et après trois changements de leadership, le PAM et l'UNICEF continuent de collaborer étroitement. Cette année marque le lancement de leur sixième programme de collaboration. L'institutionnalisation de cette initiative conjointe a permis de continuer à mener le projet indépendamment des changements de direction, aux niveaux technique et managérial. Tout cela découle des nombreux efforts fournis par le personnel des deux agences, qui ont à cœur de combattre la malnutrition au Soudan du Sud.
La présente étude de cas a été menée dans le but de fournir des données sur la manière dont les deux agences de l'ONU peuvent collaborer et viser un objectif commun dans un contexte très difficile marqué par un très grand nombre de cas de malnutrition aiguë. Dans des contextes différents, les leçons tirées de cette expérience pourront également s'appliquer, en particulier à un niveau stratégique, à d'autres situations, secteurs et agences qui font face aux mêmes difficultés quant à la gestion d'objectifs et de priorités convergentes.
Pour en savoir plus, veuillez contacter Dina Aburmishan.
Footnotes
1Conseillers régionaux pour la nutrition, conseillers principaux pour la nutrition dans des situations d'urgence (siège), responsables nutrition dans les bureaux régionaux.
2Conseillers principaux pour la nutrition (siège), directeurs régionaux, conseillers et représentants régionaux.
3Les expériences menées par le Cluster Nutrition par rapport aux partenariats et à la responsabilité au Soudan du Sud sont détaillées dans Isaack Biseko Manyama (2017). Partenariat et responsabilité dans le groupe pour la nutrition au Soudan du Sud (2015-2017). Field Exchange 56, décembre 2017. p. 29. https://www.ennonline.net/fex/56/legroupepourlanutsoudandusud
4Ce plan d'action a été développé sur un an et demi pour aligner le calendrier (juillet à juin) au programme régulier habituel (janvier à décembre).
5La baisse du nombre d'admissions constatée en 2018 reflète le début d'une tendance positive du taux de MAG, comme le confirme la 22e édition du FSNMS, qui montre un taux de MAG de 13,3 %.