Protéger les nourrissons non allaités : les défis de la réponse pour les Rohingya au Bangladesh
Par Alice Burrell
Alice Burrell est nutritionniste pour la santé publique. Elle a plus de cinq ans d’expérience dans le domaine de la nutrition dans de nombreux pays, principalement dans le domaine de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant dans les situations d’urgence (ANJE-U). Alice a précédemment travaillé comme conseillère nutrition pour l’équipe de réponse humanitaire de Save the Children, ce qui l’a amenée à travailler sur la mission pour les Rohingya. Elle travaille maintenant pour GOAL en tant que conseillère en « prise en charge des mères à risque et des nourrissons de moins de six mois » (MAMI).
L’auteure tient à remercier l’équipe nutrition de Save the Children Bangladesh pour leur contribution, tout particulièrement les personnes ayant travaillé pour l’intervention pour les Rohingya et ayant fait preuve de dévouement et de travail acharné dans le but d’apporter l’aide mentionnée dans cet article. Elle tient aussi à remercier le groupe de travail technique ANJE de Cox’s Bazaar pour avoir fait le plaidoyer pour une aide plus importante pour les nourrissons et pour avoir lancé des discussions et des initiatives majeures en la matière. L’auteure souhaite également remercier Caroline Wilkinson, du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), pour la revue de cet article et Alessandro Iellamo, conseiller ANJE pour Save the Children au Royaume-Uni, pour son soutien et ses conseils techniques.
Lieu : Bangladesh
Ce que nous savons : Dans les situations d’urgence, les nourrissons non allaités doivent être identifiés et recevoir rapidement protection et assistance.
Ce que cet article nous apprend : Une enquête SMART de 2017, menée sur les réfugiés dans les camps de Cox’s Bazaar, a révélé que les niveaux d’allaitement maternel exclusif étaient bas chez les nourrissons de moins de six mois, avec 1,4 à 2,3 % des nourrissons n'ayant jamais été allaités. Les efforts de Save the Children International (SCI) pour aider les nourrissons non allaités par le recours aux nourrices et la reprise de la lactation (y compris par l'expérimentation d’un soutien à domicile à deux nourrissons pour pratiquer la technique d'allaitement supplémentaire) dans le cadre d’un ensemble de mesures pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant en situation d'urgence ont été mis au défi par un manque de directives opérationnelles pertinentes, de capacités et de contraintes pratiques. Pour les personnes ayant fait le choix d’adopter l'allaitement artificiel, ou ceux y ayant été contraints, un approvisionnement sûr et pérenne en substituts de lait maternel (SLM) comme préconisé par les recommandations internationales n'était pas disponible. Les propositions faites par SCI et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) pour résoudre ces problèmes n'ont pas été validées par le secteur nutrition. SCI a fait en sorte de réduire les risques pour les nourrissons affectés grâce à la mise à disposition de kits de SLM plus sûrs, à des conseils et à un suivi régulier. Des directives provisoires opérationnelles de prise en charge des nourrissons non allaités ont été développées pas SCI, le HCR et l’UNICEF dans le cadre de l’intervention pour les Rohingya, mais elles n’ont pas encore été approuvées par le gouvernement ; il n’y a actuellement aucune planification en matière de SLM pour la population. Des directives, des outils, des compétences, des ressources et des mécanismes pour mettre à disposition des SLM et pour soutenir le recours à une nourrice et à la relactation sont nécessaires de toute urgence pour mettre en pratique les recommandations internationales et ainsi aider les populations vulnérables.
Contexte
Les pratiques recommandées en ce qui concerne l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (ANJE) apportent un bénéfice considérable pour l’enfant et la mère. On estime que l’allaitement pourrait épargner les vies de 823 000 enfants de moins de cinq ans et de 20 000 mères (Victoria et al, 2016). Dans les situations d'urgence, un mauvais accès aux soins de santé, à la nourriture, à des installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène ainsi qu’un manque d’intimité lors de l’allaitement peut compromettre les pratiques d’ANJE. En outre, des niveaux de stress élevés, des expériences traumatiques, un mauvais réseau de soutien et une augmentation du temps nécessaire pour les tâches ménagères peuvent avoir un effet négatif pour la santé de la mère, pour son bien-être et pour les pratiques d’allaitement. Des pratiques sous-optimales d’ANJE placent les jeunes enfants dans des situations de malnutrition aiguë, de retard de croissance et de carences en micronutriments. Les enfants les plus jeunes sont les plus vulnérables. La protection, la promotion et le soutien la mise en pratique des recommandations d’ANJE ainsi que la réduction des risques en ce qui concerne l’alimentation et les soins est par conséquent crucial pour assurer la survie, la nutrition et le développement de l’enfant dans des contextes d’urgence.
Les interventions d’ANJE dans des contextes d’urgence et de développement doivent être en accord avec les orientations stratégiques telles que la Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (OMS et UNICEF, 2003), le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel et les Résolutions subséquentes de l’Assemblée Mondiale de la Santé (« le Code », OMS, 1981), et les directives opérationnelles sur l’ANJE en situation d’urgence approuvées par l’Assemblée Mondiale de la Santé (IFE Core Group, 2017). Ces documents fournissent des directives clés et des recommandations à propos du soutien, de la promotion et de la protection de l’ANJE pour tous les enfants et leur mère.
Les situations d’urgence récentes telles que la crise syrienne (Mboya, 2014) et la crise migratoire européenne (Modigell, Fernandes et Gayford, 2016) ont mis en lumière les besoins des enfants non allaités dans ces situations. La stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant de l'OMS et de l’UNICEF met l’accent sur le fait que ne pas être allaité au sein lors des six premiers mois de sa vie est un facteur de risque de malnutrition, de maladies et de mortalité. Dans les situations d’urgence, les nourrissons non allaités au sein nécessitent une identification rapide et une aide spécialisée. Les directives opérationnelles sur l’ANJE en situation d’urgence rappellent ce principe et soulignent les mandats des agences des Nations Unies (UNICEF et HCR) pour garantir la protection et l’aide aux nourrissons non allaités, en assurant notamment la mise à disposition adéquate de SLM et des services d'aide associés. Au niveau des organisations, ceci est inscrit dans le document de l'UNICEF : Principaux engagements pour les enfants dans l’action humanitaire (2010)1, mais aussi dans les procédures opérationnelles standards concernant la gestion des substituts de lait maternel, développé par le HCR (2015) et l'UNICEF (2018, mise à jour en cours en 2019).
L’intervention pour les Rohingya a soulevé de nombreux problèmes et failles dans la protection et l’aide aux nourrissons non allaités, qu’il est important d’examiner et de résoudre. Ceux-ci sont exposés dans cet article.
La crise des Rohingya
En août 2017, des actes de violence extrême dans l’État de Rakhine en Birmanie ont obligés les Rohingya à fuir dans le pays voisin, le Bangladesh. En date du 12 décembre 2018, 908 000 Rohingyas logeaient dans des camps et des installations de fortune dans la ville de Cox’s Bazar au Bangladesh. Plus de 700 000 d'entre eux étaient présents depuis le 25 août 2017 (OIM, 2018). La population était et demeure très dépendante de l’aide humanitaire et, en raison de leur exposition à des événements traumatiques, beaucoup de personnes restent dans le besoin d’aide médicale et de soutien en santé mentale/psychologique. L'apparition potentielle de maladies contagieuses étant donné le faible état de santé de la population, les conditions de surpeuplement dans les campements ainsi que le manque d’eau potable et d’assainissement sont de sévères préoccupations. Selon les estimations, la proportion d’enfants de moins de cinq ans et de femmes enceintes et allaitantes est de respectivement 29% et 10%. Le 30 octobre 2017, on estimait à 8 129 le nombre de nourrissons de moins de six mois parmi les populations déplacées (HCR, 2017).
Coordination de la nutrition
La réponse humanitaire est dirigée et coordonnée par le Gouvernement du Bangladesh. À la suite de l’afflux, le Commissaire à l’aide aux réfugiés et au rapatriement, sous la direction du Ministère de la gestion des catastrophes et des secours, a été mandaté pour fournir une coordination opérationnelle pour tous les réfugiés et aux ressortissants de Birmanie déplacés de force.2 Pour les agences humanitaires, les orientations stratégiques et les engagements du gouvernement au niveau national sont fournis par le Groupe stratégique de direction à Dhaka, co-présidé par le Coordinateur résident, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le HCR. Au niveau régional, le Coordinateur senior dirige le Groupe intersectoriel de coordination, composé de coordinateurs de secteurs thématiques et de groupe de travail représentant la communauté humanitaire.
La réponse nutritionnelle à Cox’s Bazar est menée par le Secteur nutrition, sous la direction du Ministère de la santé et de la protection des familles en collaboration avec l’UNICEF. Le plan d’action était centré sur le traitement et la prévention de la malnutrition aiguë avec des interventions spécifiques telles que la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) pour les enfants âgés de 6 à 59 mois et les FEA, de l’ANJE en situation de crise (ANJE-U)3 y compris le conseil individuel et de groupe et la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë pour les mères à risque et les nourrissons de moins de six mois (MAMI-C).4
Évaluation des besoins
Les résultats de l’enquête SMART d’octobre et novembre 2017 dans les camps de Kutupalong, Makeshift et Nayapara ont soulevé de sérieuses préoccupations. La prévalence de la malnutrition aiguë globale (MAG) atteignait des niveaux de crise respectivement à 24,3%, 19,3% et 14,3%, avec une prévalence de malnutrition aiguë sévère (MAS) de respectivement 7,5%, 3,0% et 1,3% (ACF, 2017). Les résultats ont aussi révélé des pratiques inquiétantes pour l’ANJE avec 17,9%, 43,9% et 27,8% des nourrissons de moins de six mois, dans les camps respectifs, qui n'étaient pas allaités exclusivement et entre 1,4% et 2,3% des enfants de 0 à 23 mois sur tous les camps qui n’avaient jamais été allaités (soit un total estimé à 167 nourrissons). De plus, une très petite proportion d’enfants âgés de 6 à 23 mois recevaient un régime alimentaire minimal acceptable (8,8%, 6,4% et 15,7% respectivement).
Les enquêtes SMART de suivi réalisées en avril et mai 2018 ont indiqué une amélioration marquée de la MAG dans le camp de Makeshift, passant de 19,3% à 12%. Une moindre amélioration a été constatée pour le camp de Nayapara, passant de 14,3% à 13,6% (ACF, 2018). Cette enquête n’a pas été renouvelée pour le camp de Kutupalong. Cependant, les pratiques d'ANJE n’ont pas montré d’amélioration ; dans le camp de Makeshift, la proportion de nourrissons non allaités est passée de 1,4% à 3,4% et l’allaitement maternel exclusif a diminué, passant de 56,1 à 50%. Lorsque l’on applique ces résultats à l’ensemble de la population, cela indique un nombre important d’enfants ayant besoin d’identification, de prise en charge et de soutien. En plus des nourrissons qui n'ont jamais été allaités au sein, il y avait probablement d'autres nourrissons de moins de six mois dont les soignants avaient cessé d'allaiter avant six mois ; ces nourrissons non allaités au sein ne sont pas pris en compte dans les résultats de l'enquête.
Réponse nutritionnelle de Save the Children
La réponse nutritionnelle de Save the Children (SCI) a consisté à mettre en place des Centres de nutrition avec un Programme thérapeutique ambulatoire (PTA) pour les enfants souffrant de malnutrition aiguë âgés de 6 à 59 mois et des « zones mère et bébé » (ZMB) pour une aide à l'ANJE-U ; à établir des espaces dédiés à l’ANJE-U dans les Programmes d’alimentation complémentaire ciblés (PACC) ainsi que dans les Programmes d’alimentation supplémentaire générale (PASG) ; à expérimenter les outils5 de MAMI-C pour répondre aux besoins des nourrissons de moins de six mois à risque nutritionnel dans des zones délimitées. La réponse de SCI a aussi consisté en des interventions en matière de santé, d’éducation, de protection de l’enfance, de WASH, d’abris, de sécurité alimentaire et d’interventions sur les moyens de subsistance.
Intervention ANJE-U
SCI a été un acteur clé dans l’intervention pour l’ANJE-U, en étant leader de la mise en œuvre du Cadre de l’ANJE en collaboration avec le HCR6 dans le but d’aider de nombreux secteurs à créer un environnement de bien-être pour les jeunes enfants et nourrissons et de faciliter la mise en œuvre de pratiques optimales d’ANJE en situation d'urgence.
SCI a aussi pris le leadership du développement du plan d’intervention initial d’ANJE-U et a soutenu toutes les initiatives d’ANJE-U prises dans le cadre du Secteur nutrition, notamment la coordination et le leadership technique et a présidé le groupe de travail technique (GTT) de l'ANJE pour une période donnée. SCI a mené une action de contrôle qualité, en affectant des superviseurs ANJE-U pour faciliter la supervision formative, de formation et d’autres actions de renforcement des compétences. SCI a en outre appuyé le Secteur nutrition pour s’assurer que toutes les parties prenantes étaient impliquées dans l’ANJE-U et qu’elles faisaient du besoin des nourrissons et des jeunes enfants une priorité.
Les zones mère et bébé (ZMB) mises en place par SCI, avec des conseillers ANJE-U formés, avaient pour but d’évaluer, de conseiller et d’organiser des sessions de groupe ainsi que de mettre en place des espaces privés pour l’allaitement. L’aide apportée aux nourrissons non allaités s’est faite de manière individuelle, généralement dans les familles, étant donné le petit nombre de cas et le fait que la démonstration de la préparation saine des laits maternisés était une question sensible. Les ZMB ont été établies dans les centres de nutrition qui hébergeaient aussi les PTA et dans certains cas, le programme MAMI-C (Kueter et al, 2018). Les centres de nutrition étaient situés près des cliniques de SCI si possible, dans le but de référer plus facilement les patients et de simplifier la collaboration entre les différents services.
Les superviseurs et conseillers ANJE-U ont été recrutés localement et ont été formés sur deux jours. La formation portait sur les modalités d’un recours à une nourrice pour l’allaitement, la relactation, l’alimentation au gobelet et les risques liés à l’utilisation de laits maternisés pour nourrissons (un jour de formation supplémentaire a été donné aux superviseurs pour les ZMB et la supervision). La formation et les conseils en matière de substituts du lait maternel a été fournie lorsque le cas se présentait sur le terrain, plutôt qu’en formation formelle, étant donné la sensibilité du sujet. Les conseillers ANJE-U ont rapidement évalué tous les responsables identifiés des enfants de moins de deux ans en matière d'ANJE-U. Si un problème d’alimentation se présentait, une évaluation complète de l'ANJE-U était réalisée et le conseiller mettait en place un programme de conseils de soins. Les responsables d’enfants de moins de deux ans étaient majoritairement recensés grâce à des activités de sensibilisation communautaire menées par les conseillers SCI et par les agents de mobilisateurs communautaires. Les équipes santé et nutrition des formations sanitaires ont aussi effectué le référencement des cas d'enfants de moins de deux ans qui avaient des difficultés d’alimentation vers les ZMB.
Défis dans la prise en charge des nourrissons non allaités
Des défis importants ont été rencontrés dans la prise en charge des nourrissons non allaités à cause du manque de directives en ce qui concerne le soutien au recours à des nourrices pour l’allaitement, à la relactation dans un contexte d’urgence, et au manque de consensus et de cohérence dans les politiques et les plans de mise en œuvre du soutien pour les nourrissons non allaités de moins de six mois nourris par alimentation artificielle lorsque le recours à des nourrices ou la relactation n’étaient pas faisables.
Recours à une nourrice
Il y a un manque d’expériences documentées pour soutenir le recours aux nourrices dans les situations d’urgence (Teshome, 2019). Les expériences recensées par le HCR en 2008 ont montré que le recours aux nourrices était acceptable dans la population Rohingyas (Sfeir, 2008). Les défis rencontrés par SCI lors de la réponse Rohingyas comprenaient l'identification des nourrices lorsqu'elles ne sont pas disponibles parmi les proches parents, le déplacement des nourrices, l'acceptation par la famille de la nourrice et l’espoir d’un dédommagement, le manque d'accès aux aliments nutritifs et adéquats pour les mères allaitantes, la difficulté pratique de mettre en place les arrangements entre les responsables de l’enfant et les nourrices pour soutenir l’allaitement exclusif, et l’utilisation privilégiée de substituts du lait maternel quand celui-ci était accessible pour les familles.
Relactation
SCI n’a pas pu trouver de directives pertinentes en ce qui concerne la mise en pratique du rétablissement de lactation pour les camps de réfugiés et les campements de Cox’s Bazar. Les lignes directrices disponibles étaient axées sur le rétablissement de lactation pendant les soins aux patients hospitalisés (ACF International, 2012), mais elles étaient souvent impossibles pour les responsables de l’enfant à mettre en œuvre dans ce contexte, en raison des coûts d’opportunité élevés et du fait d’avoir plusieurs autres enfants à charge. Par ailleurs, SCI ne soutenait pas les formations sanitaires pour les patients hospitalisés et les ZMB n’étaient pas adéquates pour utiliser la technique d’allaitement supplémentaire (SST) en raison des sensibilités autour de l’utilisation des laits maternisés pour nourrissons et du risque de décourager les autres mères d’allaiter. Enfin, considérant le champ géographique limité du programme de SCI et la dispersion des cas identifiés de nourrissons non allaités (<1 % des nourrissons de moins de six mois, selon les estimations de SCI, sur 10 zones opérationnelles, n’étaient pas allaités au sein), il n’était pas viable sur un plan opérationnel de créer un lieu séparé dédié à cet usage dans chaque campement.
Compte tenu de ces considérations, SCI a piloté le soutien à la SST à domicile pour deux nourrissons dont les mères étaient prêtes à tenter un rétablissement de lactation et pour lesquelles cette option était considérée comme la plus responsable et la plus sûre. Les défis spécifiques qui se sont posé lors du soutien à ces deux cas ont été les suivants : conseils limités sur la réduction du supplément une fois que la production de lait maternel commençait, la nécessité de maintenir la motivation des responsables de l’enfant pour la relactation, le maintien d’une bonne hygiène des équipements dans un environnement et une hygiène domestique pauvres, le manque de capacité de l’équipe à effectuer des visites à domicile régulières, et le manque de capacité des ménages pour soutenir la SST. Il a également été difficile d’apporter un soutien à domicile aux nourrissons recensés résidant dans les camps où SCI n’était pas opérationnel.
Programmation SLM
Des difficultés majeures ont été rencontrées lorsque les nourrissons non allaités au sein ont commencé à être recensés et que l’allaitement par des nourrices et/ou la relactation étaient inefficaces, inappropriés ou non acceptés. La plupart des nourrissons non allaités au sein ont été identifiés par les équipes de protection de l’enfance, les équipes de protection du HCR et les équipes médicales des établissements de santé. Une autre partie des nourrissons faisaient partie des enfants référrés par les agents de mobilisation communautaires de SCI vers le site du MAMI-C ou vers les ZMB pour évaluation. Dès le début de l'intervention, SCI a demandé au Secteur de la nutrition et ses partenaires de solliciter de l'aide pour lancer un programme de fourniture de SLM sûrs, conformes aux lois, règles et recommandations nationales. Le secteur de la nutrition n’a jamais validé la proposition initiale faite conjointement par SCI et le HCR de fournir le support nécessaire aux familles et d’approvisionner les SLM et le matériel associé pour le petit nombre de nourrissons non-allaités identifiés.
Au Bangladesh, l’allaitement maternel est fortement soutenu par les pratiques culturelles ainsi que par la législation officielle telle que Le Bangladesh Act 2013 et la Stratégie nationale ANJE (ISP, DGHS, Ministère de la Santé et de la protection des familles et Gouvernement du Bangladesh, 2007). Les réglementations nationales en vigueur reconnaissent qu’une minorité de nourrissons peut avoir besoin d’un soutien en SLM, mais aucune orientation ni directive n’est fournie sur la mise en œuvre de ce soutien dans un contexte humanitaire. En parallèle, l’expérience et les compétences du secteur de la nutrition dans ces domaines nécessitaient d’être renforcés. Il y avait également un manque de données fiables sur le nombre de cas de nourrissons non-allaités.7 Il était donc difficile pour les bailleurs de décider s’ils allaient soutenir financièrement l'approvisionnement de SLM et de matériels permettant une préparation plus sûre dans le cadre de la réponse.
Compte tenu de ces facteurs, aucune chaîne d’approvisionnement de SLM appropriés à la réponse (tels que fournir du cash ou des coupons pour l’achat de SLM) n’a été fournie ou mise à disposition des familles de nourrissons non-allaités pour lesquelles les SLM étaient indiqués. Bien que SCI disposait de ressources, il n’y a pas eu d’approbation du gouvernement ou de l’ONU pour se procurer du lait maternisé et l’indispensable chaîne d’approvisionnement de l’ONU n’a pas été mise en place. Lorsque les familles choisissaient ou avaient besoin d’utiliser les SLM en dernier recours, SCI a réduit les risques en fournissant un kit SLM plus sûr (thermos, ustensiles de préparation, gobelet et matériel de lavage), des conseils sur le type et l’utilisation sûre et appropriée de SLM, un suivi rapproché avec des visites à domicile, et des informations aux familles sur les risques associés au non allaitement au sein et à l’utilisation des SLM, surtout dans un contexte d’urgence.
Tentatives de suppression des contraintes : politiques et directives
La situation révèle des lacunes et des contraintes politiques et réglementaires mais aussi programmatiques qui empêchent une réponse rapide et efficace et qui continue ainsi à compromettre la protection des nourrissons vulnérables. Le dialogue avec les partenaires et les autorités a déclenché l’élaboration et la proposition de directives opérationnelles provisoires pour le nourrisson non allaité dans le cadre de la réponse Rohingya. Ce processus a été lancé en décembre 2017, dirigé par SCI avec le support d’autres organismes partenaires, y compris l’UNICEF et le HCR, et a occasionné plusieurs cycles de révisions. Des chapitres sur l’identification, le référencement, la prise en charge (y compris le recours aux nourrices, la relactation, la fourniture de SLM et le soutien pour une utilisation sûre) et le renforcement des compétences techniques ont été inclus. Les directives ont été présentées au groupe de travail thématique (GTT) ANJE-U pour acceptation, à l’office Civil Surgeon de Cox’s Bazar pour approbation et au secteur de la nutrition. Les examinateurs ont demandé plus de détails, de données et une meilleure clarté des rôles et des responsabilités. En juin 2018, les directives provisoires finalisées ont été présentées au Cluster nutrition, présidé par l’Institut de santé publique du Ministère de la Santé. Les directives n’ont été ni rejetées ni approuvées et, au moment de la rédaction du présent document, aucun autre progrès n’avait été réalisé. Le gouvernement a simultanément élaboré et finalisé les directives nationales de l'ANJE-U pour le Bangladesh, qui sont également toujours à l’étude. Les directives opérationnelles provisoires et les directives nationales de l'ANJE-U sont essentielles pour les interventions actuelles et futures, mais elles ne sont pas disponibles à ce jour.
Conclusions
Les expériences documentées ici mettent en évidence l’échec de la mise en œuvre des directives internationales. Des directives concrètes et des règlements cohérents qui permettent des interventions opportunes et sûres pour protéger, promouvoir et appuyer les pratiques recommandées et sûres de l'ANJE pour tous les nourrissons et les jeunes enfants touchés par une urgence sont nécessaires. Cependant, l’absence actuelle de directives opérationnelles pour la gestion des nourrissons non allaités au sein dans les situations d’urgence par le recours aux nourrices ou à travers la relactation signifie que les organisations humanitaires ne disposent pas des outils qui sont nécessaires à la gestion des enfants les plus vulnérables.
Bien qu’il soit important de garantir que le droit d’allaiter leur enfant soit une réalité pour toutes les mères ou que les nourrissons puissent être nourris au lait maternel comme alternative sûre, il est parfois nécessaire de fournir des SLM, ce qui est reconnu par les directives internationales. Des protocoles, des directives et des outils au niveau des agences et des pays sont nécessaires pour s’assurer que les compétences, les capacités et les ressources soient mises en place au niveau national pour gérer l’alimentation de ces nourrissons en fonction des besoins.
Les systèmes actuels sont inappropriés pour soutenir la mise en œuvre des programmes de gestion des SLM. Il n’y a pas de mécanismes clairement définis pour accéder aux SLM sûrs et à l’équipement nécessaire dans le secteur humanitaire et il n’y a pas d’accès à ces produits. Les agences humanitaires n’ont pas, par conséquent, de méthodes normalisées et systématiques pour gérer les nourrissons non allaités au sein pour lesquels les SLM sont indiqués. Le leadership international des agences des Nations Unies n’est pas toujours aligné entre les sièges et les différents pays sur cette question. La promotion et la sensibilisation doivent donc continuer à garantir que les bureaux nationaux et régionaux aient une vision et une compréhension communes des responsabilités mandatées en matière de prise en charge des nourrissons non allaités au sein parmi les interventions humanitaires principales en matière de nutrition.
Les mécanismes pour soutenir l’utilisation de SLM ont encore besoin d’être développés au niveau national pour assurer une réceptivité rapide et opportune aux besoins dans un contexte d’urgence. Des modules de formation sur la programmation de SLM sûrs devraient être élaborés et adaptés à différents contextes et scénarios, en apprenant des pratiques exemplaires au niveau mondial. Des protocoles et des directives concernant l'approvisionnement, le transport, la logistique, le stockage, la distribution, le ciblage et l’utilisation peuvent être partiellement disponibles, cependant, ils doivent être mis à jour pour tenir compte des enseignements et des pratiques exemplaires et convertis en outils plus faciles à utiliser pour les professionnels du domaine. Les indicateurs principaux du ANJE-U sont disponibles pour évaluer la nécessité d’une programmation sûre des SLM, mais ils sont rarement utilisés. Il est nécessaire d’améliorer la promotion et la sensibilisation par rapport à la manière de collecter et d’utiliser ces données avec précision.
Au moment de la rédaction du présent document, il n’y a pas encore des programmes de SLM sûrs en place à Cox’s Bazar pour les nourrissons qui en ont besoin.
Pour en savoir plus, veuillez contactez Alice Burrel à burella@hotmail.co.uk
2 Le Gouvernement du Bangladesh désigne les Rohingyas par « Forcibly Displaced Myanmar Nationals » (ressortissants de Birmanie déplacés de force). Le système des Nations unies considère cette population comme « les réfugiés Rohingyas », conformément au cadre international applicable pour la protection et les solutions, ainsi qu'aux responsabilités qui en découlent pour les pays d'origine et d'asile, en outre la communauté internationale dans son ensemble. Ces termes se réfèrent à la même population.
3 L'ANJE se concentre sur l'amélioration des pratiques, tandis que le ANJE-U se concentre sur le fait de ne pas faire de mal, de minimiser les risques et de protéger les pratiques. Il est possible qu'un soutien à l'alimentation artificielle, qui n'est généralement pas une composante des programmes de routine de l'ANJE, soit nécessaire.
4 Le MAMI-C est une approche qui identifie et prend en charge les mères et les nourrissons à risque de moins de six mois dans la communauté qui sont vulnérables sur le plan nutritionnel. Les outils PCMAN sont disponibles sur https://www.ennonline.net/c-mami
5 La prise en charge communautaire des mères à risque et des nourrissons de moins de six mois (MAMI-C) a été élaboré pour informer la prise en charge de cas de ce groupe d'âge. www.ennonline.net/c-mami
7 Des effort ont été faits pour recueillir une estimation du nombre de nourrissons non allaités au sein par du GTT de l'ANJE, cependant les agences ont eu des difficultés à collecter ces données auprès des équipes sur le terrain et certaines données reçues étaient inexactes et ont nécessité un suivi.
Références
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