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Améliorer les résultats nutritionnels des ménages ruraux grâce à une approche communautaire en Éthiopie

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Par Lioul Berhanu, Haimanot Abebe, Wossen Assefa Negash et Daniel Abbott

Lioul Berhanu est adjoint au chef de mission pour les programmes dans le cadre du projet Growth through Nutrition (Favoriser la croissance grâce aux activités de nutrition) de Save the Children. Il supervise la mise en œuvre des activités multisectorielles relatives à la nutrition du projet. Lioul a auparavant occupé les fonctions de conseiller en nutrition dans le cadre du même projet et de spécialiste principal en santé et nutrition chez Save the Children en Éthiopie.

Haimanot Abebe est une spécialiste de la communication et de l’établissement de rapports. Elle contribue à la mise en œuvre du projet Growth through Nutrition au sein de Save the Children en Éthiopie. Haimanot a auparavant travaillé dans le cadre du programme Development Food Assistance (Aide alimentaire pour le développement) de Save the Children et a occupé le poste d’assistante de recherche pour le Nia Center for Children and Family Development.

Wossen Assefa Negash est responsable principal de la communication pour le changement social et le changement de comportement dans le cadre du projet Growth through Nutrition chez Save the Children en Éthiopie. Spécialiste en santé publique, il possède également de l’expérience dans les domaines de la recherche en communication, de l’élaboration de stratégies, de l’organisation de campagnes ainsi que de la conception de formations et de supports.

Daniel Abbott est responsable du projet Growth through Nutrition chez Save the Children en Éthiopie. Il dispose de 15 années d’expérience dans l’élaboration de programmes en matière de nutrition ; de santé ; et d’eau, d’assainissement et d’hygiène (EAH). Il a en outre piloté de vastes programmes multisectoriels axés sur la nutrition en Éthiopie.

Le projet Growth through Nutrition de Save the Children est financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) dans le cadre de l’initiative Feed the Future (initiative alimentaire pour l’avenir). Deux des partenaires internationaux de Growth through Nutrition, à savoir le Groupe Manoff et l’université Tufts, ont apporté une contribution importante à cet article par le biais de leurs travaux de recherche. Cinq organisations non gouvernementales (ONG) locales ont également joué un rôle majeur dans la mise en œuvre des conversations communautaires améliorées dans les quatre régions couvertes par le projet. 

Lieu : Éthiopie

Ce que nous savons : En dépit du recul de la sous-nutrition, la prévalence du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans reste élevée en Éthiopie.

Ce que cet article nous apprend : Growth through Nutrition est un programme multisectoriel axé sur la nutrition, ainsi que sur l’eau, l’assainissement et l’hygiène (EAH) qui s’étend sur cinq ans (de 2016 à 2021). Il couvre 110 districts de quatre régions d’Éthiopie et vise à prévenir le retard de croissance durant les 1000 premiers jours de vie. En plus des interventions liées à l’EAH et aux moyens d’existence, des activités de communication pour le changement social et le changement de comportement sont menées auprès des ménages très pauvres dont les enfants sont dans leurs 1000 premiers jours de vie. Les activités de communication comprennent notamment des « conversations communautaires améliorées », c’est-à-dire dix séances de discussion de groupe avec des pairs (15-20 membres) animées par des bénévoles formés et portant sur des sujets prédéfinis en lien avec l’alimentation saine et les pratiques dans le domaine de l’EAH. Ces discussions sont suivies par des visites à domicile. Certains groupes ont en outre accès à des contenus pédagogiques virtuels sous la forme d’enregistrements audio traitant des mêmes thématiques. Les évaluations quantitatives et qualitatives ont révélé des améliorations entre la situation de départ et la situation à mi-parcours en ce qui concerne l’apport alimentaire minimum acceptable pour les enfants âgés de 6 à 23 mois, la supplémentation en fer et en acide folique des femmes enceintes, le nombre de consultations de soins prénatals et postnatals, et les pratiques des ménages en matière d’EAH. Les résultats relatifs aux répercussions sur les comportements liés à l’allaitement sont pour leur part plus contrastés (les évaluations qualitatives semblent indiquer une amélioration, qui ne se reflète toutefois pas dans les résultats quantitatifs). L’ajout de contenus pédagogiques virtuels a permis d’améliorer significativement les résultats, comme le montrent les statistiques. Cependant, ces bénéfices sont à mettre en perspective avec les coûts engagés. Les résultats obtenus révèlent l’importance d’intégrer la communication pour le changement social et le changement de comportement aux interventions sensibles à la nutrition, en ciblant les hommes en tant que moteurs du changement dans les ménages. Ils indiquent également qu’il est possible d’institutionnaliser cette approche dans les systèmes publics courants. Les effets sur la nutrition maternelle et infantile (y compris sur le retard de croissance) seront mesurés à la fin du programme.

Contexte

L’Éthiopie a fait des progrès considérables dans la réduction de la malnutrition infantile au cours des 15 dernières années. Toutefois, en dépit du recul de la sous-nutrition, le retard de croissance n’en reste pas moins un problème majeur (figure 1). En 2019, près de deux enfants sur cinq de moins de cinq ans (37 %) souffraient d’un retard de croissance et plus d’un enfant sur dix (12 %) présentaient un retard de croissance sévère en Éthiopie. Le retard de croissance affiche une prévalence quasiment deux fois supérieure dans les zones rurales (46 %) par rapport aux zones urbaines (26 %) (Mini enquête démographique et de santé de l’Éthiopie – EMDHS, 2019). Les conséquences de la malnutrition sont multiples pour les personnes, les communautés et le pays dans son ensemble. Elles vont en effet des répercussions immédiates de la malnutrition aiguë, ou de l’émaciation, aux effets néfastes à long terme de la malnutrition chronique, qui se manifestent par des retards de développement physique, mental et psychosocial.

Figure 1 : Tendances de l’état nutritionnel des enfants en Éthiopie (EMDHS, 2019)

De nombreux facteurs, dont l’alimentation des mères, des nourrissons et des jeunes enfants ; l’eau, l’assainissement et l’hygiène (EAH) ; mais aussi les dynamiques de genre au sein des ménages, contribuent au bien-être nutritionnel des mères et des enfants durant les 1000 premiers jours de vie – une période cruciale pour la croissance et le développement des enfants. Seuls 7 % des enfants âgés de 6 à 23 mois reçoivent un apport alimentaire minimum acceptable en Éthiopie1 (Enquête démographique et de santé de l’Éthiopie – EDHS, 2016), et, d’après des données récentes, on estime que 59 % des nourrissons âgés de 0 à 6 mois sont exclusivement allaités. Les 41 % restants consomment de l’eau, d’autres liquides, d’autres types de lait, ou des aliments d’appoint en plus du lait maternel, ou ne sont pas allaités au sein du tout (EMDHS, 2019). Parmi les autres facteurs déterminants figure la sous-nutrition maternelle : ces cinq dernières années, 60 % des femmes qui ont accouché en Éthiopie ont pris des suppléments de fer et d’acide folique pendant la grossesse et seules 11 % d’entre elles les ont pris pendant la durée recommandée de plus de 90 jours (EMDHS, 2019). Le manque d’installations d’EAH de qualité est également en cause. En effet, près de deux ménages ruraux sur cinq (43 %) n’ont pas accès à des sources d’approvisionnement en eau potable améliorées en Éthiopie. De plus, 94 % des ménages utilisent encore des installations sanitaires non améliorées (EMDHS, 2019). L’une des causes sous-jacentes de la sous-nutrition en Éthiopie est le manque d’autonomie des femmes et leur exclusion des processus décisionnels au sein du ménage. Il a été démontré que ces déséquilibres avaient des effets néfastes sur la diversité du régime alimentaire des ménages (Masters et al., 2017) ainsi que sur les résultats anthropométriques des enfants (Abate et Belachew, 2017). L’instruction insuffisante des mères joue également un rôle important dans la prévalence de la malnutrition : des estimations récentes indiquent que 42 % des enfants dont la mère n’a reçu aucune instruction présentaient un retard de croissance contre 17 % des enfants de mères ayant poursuivi leurs études après le secondaire (EMDHS, 2019).

Description du programme

Mis en place dans le cadre de l’initiative Feed the Future en Éthiopie, le projet Growth through Nutrition est un programme multisectoriel axé sur la nutrition et l’EAH et financé par l’USAID. Il est déployé dans 110 districts de quatre grandes régions d’Éthiopie (Amhara ; Oromia ; Région des nations, nationalités et peuples du Sud (SNNPR) ; et Tigré). Ce programme quinquennal (de 2016 à 2021) a pour objectif principal de prévenir la sous-nutrition durant les 1000 premiers jours de vie. Il englobe des activités sensibles à la nutrition et des activités spécifiques à la nutrition relatives à l’agriculture et aux moyens d’existence ; des actions de communication pour le changement social et le changement de comportement axées sur la nutrition, l’EAH, et l’agriculture ; l’amélioration de la prestation des services nutritionnels ; l’accès aux produits et services d’EAH ; ainsi que la coordination multisectorielle et le renforcement des capacités transversales aux fins de la mise en œuvre du Programme national de nutrition2 et du Programme national One WASH3. Le projet inclut par ailleurs des activités transversales visant à soutenir l’autonomisation des femmes, la prise en compte des questions de genre, la formulation de conclusions concernant le programme (par exemple, à travers des enquêtes et des évaluations sur la situation de départ et la situation finale), la convergence et la synergie des activités multisectorielles, ainsi que la planification et la préparation des interventions d’urgence.

Approche en matière de communication pour le changement social et le changement de comportement

Les activités de communication pour le changement social et le changement de comportement menées dans le cadre du programme couvrent plusieurs secteurs et reposent sur une approche de la nutrition qui englobe tous les membres du ménage. Elles visent à améliorer les pratiques alimentaires des femmes enceintes et allaitantes, des nourrissons et des jeunes enfants, ainsi que des adolescentes âgées de 10 à 19 ans ; à stimuler la demande de services de nutrition et de santé ; à améliorer les pratiques en matière d’EAH ; et à corriger les déséquilibres dans les relations entre les genres au sein des ménages. Cette stratégie implique d’identifier les membres des ménages exposés à la malnutrition (les enfants qui sont dans leurs 1000 premiers jours de vie et présentent un déficit alimentaire de trois mois) qui sont alors ciblés par des interventions visant à faire évoluer les pratiques conformément aux objectifs du projet. Les interventions ont aussi pour but de créer un environnement plus favorable aux ménages bénéficiaires en ciblant également les écoles (enseignants, adolescents et adolescentes), les communautés, les chefs religieux, les associations d’agriculteurs, les groupes d’épargne et de crédit destinés aux femmes, ainsi que les travailleurs de première ligne dans les secteurs de l’agriculture et de la santé. Plusieurs supports multimédias de communication pour le changement social et le changement de comportement peuvent être utilisés dans diverses situations, comme les conversations communautaires améliorées, les SMS et la radio.

Conversations communautaires améliorées

Les conversations communautaires améliorées sur les 1000 premiers jours ont initialement été mises en place dans le cadre du projet Empowering New Generations to Improve Nutrition and Economic Opportunities (Autonomiser les nouvelles générations pour améliorer les perspectives en matière d’économie et de nutrition – ENGINE) financé par l’USAID, qui a précédé le programme Growth through Nutrition. Ces conversations prennent la forme de groupes de soutien composés de 15 à 20 mères, pères, et grands-mères d’enfants de moins de deux ans qui se réunissent dix fois à un rythme régulier (généralement une fois par mois). Chaque séance porte sur des informations, des compétences et des sujets précis concernant les comportements spécifiques et sensibles aux questions de nutrition durant les 1000 premiers jours de vie. Ces séances sont suivies de visites à domicile visant à aider les ménages à mettre en pratique les connaissances acquises.

Les conversations communautaires améliorées sont animées par des agents du changement communautaire. Ces bénévoles communautaires sont formés aux questions concernant la nutrition abordées lors des conversations communautaires améliorées et disposent de supports multimédias de communication pour le changement social et le changement de comportement permettant de faciliter les discussions et l’apprentissage par le biais d’activités en groupe de pairs. Les activités en question peuvent consister à écouter et à discuter des informations et des expériences en lien avec la nutrition, à chanter des chansons sur la nutrition, à faire des démonstrations, ou encore à jouer à des jeux d’apprentissage et à des jeux de rôles. Des méthodes créatives sont employées afin de permettre aux mères, aux pères et aux grands-mères de s’appuyer sur les connaissances, compétences et expériences dont ils disposent déjà pour s’entraîner à adopter de nouveaux comportements et à modifier les rôles de genre grâce à « l’apprentissage empirique ». Certains groupes prenant part aux conversations communautaires améliorées ont en outre bénéficié de contenus pédagogiques virtuels. Ces groupes ont tous participé aux mêmes séances en présentiel, mais ont aussi eu accès à des séances audio préenregistrées mettant en scène deux acteurs professionnels dans le cadre de jeux de rôles sur les problématiques soulevées dans les supports de communication pour le changement social et le changement de comportement.

Le projet Growth through Nutrition organise, en partenariat avec le Groupe Manoff, des conversations communautaires améliorées par l’intermédiaire de cinq ONG locales et groupes d’épargne pour les villages. Ces conversations s’inscrivent dans le volet du projet portant sur l’agriculture et les moyens d’existence. Lors des trois premières années qui ont suivi son lancement, le projet Growth through Nutrition a soutenu près de 30 500 participants aux conversations communautaires améliorées dans quatre régions d’Éthiopie et vise à toucher 10 600 autres membres de communautés d’ici à septembre 2021. Environ la moitié des ménages ciblés par les interventions en lien avec l’agriculture et les moyens d’existence (fourniture de petits animaux d’élevage ou de semences de légumes et de fruits) ont aussi pris part aux conversations communautaires améliorées. Les travailleurs agricoles de première ligne facilitent le développement des jardins des exploitations agricoles et prodiguent des conseils sur l’élevage des animaux et, ce faisant, contribuent à véhiculer un message positif sur la nutrition.

Évaluation des répercussions du programme – méthodologie

Cet article s’appuie sur les résultats de trois études pour évaluer les changements que le programme a permis d’apporter en ce qui concerne les pratiques relatives à l’alimentation des mères, des nourrissons et des jeunes enfants :

L’étude de la documentation sur les résultats et les conclusions du programme Growth through Nutrition financé par l’USAID et axé sur l’alimentation des mères et des enfants pendant les 1000 premiers jours de vie, ci-après désignée l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées, met en lumière les résultats et les enseignements tirés de la mise en œuvre de ce programme. Dirigées par le Groupe Manoff, ces recherches qualitatives ont été menées dans quatre régions (Amhara, Oromia, Tigré et Région des nations, nationalités et peuples du Sud) en s’appuyant sur 32 discussions de groupe et 32 entretiens semi-structurés et approfondis avec des informateurs clés. En tout, 234 mères, pères et grands-mères ayant pris part aux conversations communautaires améliorées, agents du changement communautaire (hommes et femmes confondus), professionnels de première ligne des secteurs de la santé et de l’agriculture, chefs religieux et responsables municipaux ont participé à l’étude. Les participants à cette étude ont été intentionnellement répartis dans deux « kebeles » (quartiers) dans chacune des quatre régions.

L’étude de l’efficacité de l’utilisation d’un contenu pédagogique virtuel dans le cadre de la communication pour le changement social et le changement de comportement en vue d’améliorer l’état nutritionnel des femmes et des enfants est ci-après désignée l’étude comparative de l’efficacité du contenu virtuel. Elle vise à évaluer la valeur ajoutée offerte par le contenu virtuel (contenu audio préenregistré mettant en scène des personnages fictifs proposé en complément des conversations communautaires améliorées encadrées par des animateurs) dans l’objectif d’améliorer les pratiques en matière d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant ainsi que l’état nutritionnel des mères et des enfants dans les zones où le projet est mis en œuvre. Compte tenu des coûts supplémentaires associés à cette approche, il était particulièrement important de déterminer si elle produisait des effets bénéfiques supplémentaires et, par conséquent, si elle pouvait être déployée à grande échelle. Une enquête quantitative et quasi expérimentale a été menée auprès de ménages des districts sélectionnés dans les régions d’Amhara et d’Oromia. Au total, 410 femmes enceintes et allaitantes ont pris part à cette enquête. Ces femmes étaient réparties en deux groupes : un groupe expérimental (ayant participé aux conversations communautaires améliorées avec le contenu virtuel) et un groupe de contrôle (ayant participé aux conversations communautaires améliorées sans le contenu virtuel). L’étude a duré environ une année, de décembre 2018 à novembre 2019. L’université Tufts était chargée de concevoir l’étude, de recruter et de former les personnes devant recueillir les données, ainsi que de superviser la collecte de données sur le terrain.

Une évaluation à mi-parcours du projet Growth through Nutrition a en outre été réalisée afin de mesurer les réalisations et les difficultés liées à la mise en œuvre du projet entre la situation de départ et la situation à mi-parcours. L’étude comprend sept questions d’évaluation, dont une sur l’obtention ou non de résultats concrets en matière de changement de comportement grâce aux conversations communautaires améliorées. Cette évaluation repose sur plusieurs méthodes, dont un examen sur dossier de la documentation liée au projet (notamment les enquêtes en début de projet (2017) et de suivi (2018) menées auprès des ménages et l’étude comparative de l’efficacité du contenu virtuel), des entretiens semi-structurés d’informateurs clés conduits par des membres du personnel du projet, ainsi que des réunions d’examen du programme organisées dans dix districts sélectionnés des quatre régions. La sélection des « woredas » (districts) s’est principalement portée sur les woredas affichant des performances faibles et élevées dans chaque région, en se basant sur les notes attribuées par le personnel du projet au regard de toutes les dimensions multisectorielles du projet. Les réunions d’examen du programme ont rassemblé des représentants publics des secteurs de la santé, de l’agriculture et de l’EAH au niveau des régions, des zones, des districts et des municipalités. Elles ont été animées par le personnel du projet formé aux outils de collecte des données et supervisées par un consultant externe.

Résultats

Amélioration des pratiques de nutrition des mères, des nourrissons et des jeunes enfants

Les participants à l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées ont observé des progrès dans les pratiques liées à l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant grâce aux conversations communautaires améliorées axées sur les 1000 premiers jours de vie. Ils ont également déclaré que les mères donnaient du colostrum à leurs nouveau-nés et qu’elles allaitaient exclusivement leurs bébés au sein pendant les six premiers mois suivant la naissance. Les réunions d’examen relatives à l’évaluation à mi-parcours confirment ces conclusions. En revanche, les données quantitatives sur le démarrage précoce de l’allaitement maternel obtenues dans le cadre de l’étude comparative sur l’efficacité du contenu virtuel ne révèlent que des changements minimes, voire aucun changement du tout (figure 2). L’étude comparative indique en outre une légère augmentation de l’âge des enfants exclusivement nourris au lait maternel, à la fois dans les groupes de contrôle (de 4,95 à 5,14 mois) et dans les groupes expérimentaux (de 4,64 à 5,16 mois).

Les participants à l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées ont rapporté des améliorations en matière de diversification alimentaire minimum et de fréquence minimale des repas dans les groupes expérimentaux. Ils ont également précisé que les familles commençaient à donner de la bouillie épaisse aux enfants quand ils atteignaient l’âge de six mois et qu’elles faisaient pousser, achetaient et préparaient des aliments complémentaires nutritifs afin de veiller à ce que les enfants aient une alimentation diversifiée et nutritive. Les participants aux études qualitatives citent souvent la carotte, la betterave, la viande, l’œuf, le beurre, l’huile, la banane, l’orange, l’avocat et la papaye, entre autres denrées, dans les aliments pouvant être intégrés aux bouillies épaisses et lisses des enfants à partir de six mois. Cela démontre qu’ils possèdent de bonnes connaissances sur la diversification alimentaire minimum. La figure 2 présente des données issues de l’étude comparative sur l’efficacité du contenu virtuel qui révèlent une augmentation spectaculaire de l’apport alimentaire minimum acceptable des enfants âgés de 6 à 23 mois (de 6,12 % à 26,9 % dans les groupes ayant uniquement participé aux conversations communautaires améliorées et de 5,6 % à 26,9 % dans les groupes ayant participé aux conversations communautaires améliorées et ayant eu accès au contenu virtuel). L’écart de progression entre les deux groupes est significatif d’un point de vue statistique (p = 0,017), ce qui indique que les contenus virtuels ont eu des effets positifs supplémentaires sur l’apport alimentaire minimum par rapport aux activités de communication pour le changement social et le changement de comportement menées uniquement en présentiel. On observe aussi des améliorations en ce qui concerne la diversification alimentaire minimum (de 10,2 % à 31,3 % pour les groupes sans contenu virtuel et de 12,2 % à 37,5 % pour les groupes avec contenu virtuel) et la fréquence minimale des repas, quoique dans une mesure statistiquement peu significative.

Figure 2 : Principaux comportements dans le domaine de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant : indicateurs liés à l’allaitement maternel et à l’alimentation complémentaire

Les participants à l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées ont souvent cité la prise de suppléments de fer et d’acide folique parmi les changements de comportement des femmes enceintes provoqués par leur participation aux conversations communautaires améliorées et les visites à domicile des agents du changement communautaire. L’étude comparative sur l’efficacité du contenu virtuel confirme ces conclusions, en particulier dans le groupe expérimental (figure 3), où la prise de fer et d’acide folique pendant au moins trois mois est passée de 21 % à 60 %. Ce taux a également progressé dans le groupe de contrôle, mais de manière beaucoup plus limitée (de 23 % à 29 % (p = 0,004)). L’étude comparative sur l’efficacité du contenu virtuel a en outre révélé une hausse du pourcentage de femmes ayant bénéficié d’au moins quatre consultations de soins prénatals dans le groupe de contrôle (de 30,7 % à 46,4 %) et dans le groupe expérimental (de 41 % à 60,5 %), avec une progression nettement plus importante dans le second groupe (p=0,04). On constate également une hausse significative de la proportion de femmes ayant reçu des soins postnatals dans les deux jours suivant l’accouchement aussi bien dans le groupe de contrôle (de 37,5 % à 68,2 %) que dans le groupe expérimental (de 59,4 % à 69,5 %). La différence beaucoup plus importante dans le groupe de contrôle (p = 0,004), montre bien que les conversations communautaires améliorées contribuent à favoriser la recherche de soins de santé dans les deux groupes. En revanche, seule une légère amélioration est à noter dans les deux groupes pour ce qui est des accouchements en milieu médicalisé (hôpital, centre de santé ou poste sanitaire) avant et après les interventions liées au programme.

Figure 3 : Recours aux services de santé et de nutrition maternelles et infantiles

Amélioration des pratiques en matière d’EAH

Dans toutes les régions, les ménages cibles qui ont pris part à l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées ont fait état de meilleures pratiques en matière d’EAH. Parmi ces pratiques figurent notamment le lavage des mains avec de l’eau et du savon, la construction et l’utilisation de latrines, le balayage des sols, le maintien des animaux de la ferme à l’extérieur du foyer, ou encore le nettoyage plus fréquent des vêtements. L’étude comparative sur l’efficacité du contenu virtuel indique que le pourcentage de personnes ne se lavant pas les mains a baissé dans les deux groupes où il est désormais nul, contre auparavant 29 % dans le groupe de contrôle et 24 % dans le groupe expérimental. Les participants ont également indiqué avoir eu des discussions sur la nutrition et la diversification du régime alimentaire avec leur conjoint(e) ou partenaire, même si ce sont souvent les femmes qui engagent ces conversations. Enfin, les participants à l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées et à l’évaluation à mi-parcours ont indiqué que les pères et les mères de famille gardaient désormais les aliments plus nutritifs pour la consommation familiale, plutôt que de vendre l’intégralité de leur production.

Leçons apprises

Les résultats révèlent que les conversations communautaires améliorées portant sur les 1000 premiers jours mises en place dans le cadre du projet Growth through Nutrition ont eu des répercussions positives sur l’amélioration des comportements spécifiques et sensibles aux questions de nutrition au sein des ménages cibles. Ces bons résultats sont à mettre au compte de plusieurs atouts majeurs du programme, en dépit de certaines lacunes.

Transmission des nouveaux comportements acquis

Le programme centré sur les 1000 premiers jours de vie va au-delà du changement de comportement individuel puisqu’il est à l’origine d’un changement social dans trois grands domaines : 1) la transmission de pratiques nutritionnelles aux voisins des foyers cibles ; 2) l’amélioration des relations interpersonnelles entre les membres d’une même famille et avec le voisinage ; et 3) la transformation des rôles de genre et des dynamiques de pouvoir au sein des ménages et des communautés.

Dans les quatre régions visées, de nombreux participants aux discussions de groupe ont déclaré que leurs voisins et leurs proches leur demandaient souvent ce qu’ils avaient appris lors des conversations communautaires améliorées, et qu’ils observaient leurs nouvelles pratiques pour les reproduire chez eux. Ces nouvelles pratiques englobent notamment le lavage des mains avec de l’eau et du savon, la construction de latrines, la culture de légumes dans des potagers familiaux ainsi que l’amélioration des comportements relatifs à l’alimentation des enfants. Les pratiques améliorées en matière d’EAH semblent s’être diffusées très rapidement dans les communautés. Il ressort des discussions de groupe menées dans le cadre de l’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées que ces bons résultats sont attribuables au travail des agents de santé de première ligne, associé aux informations fournies et aux compétences valorisées lors des conversations communautaires améliorées et des visites à domicile des agents du changement communautaire. Ainsi, dans certains districts, des participant(e)s aux conversations communautaires améliorées ont été désigné(e)s pour transmettre les connaissances qu’ils/elles ont acquises à pas moins de cinq de leurs voisines enceintes et allaitantes.

Renforcement des connaissances, attitudes et compétences

On constate que le changement social et le changement de comportement peuvent se produire rapidement lorsque les supports, les messages véhiculés et les interventions sont conçus de manière appropriée. Les supports et interventions complémentaires, notamment les contenus virtuels, les affiches à accrocher à la maison, les jeux d’apprentissage ainsi que les jeux de rôles ont tous été cités à de nombreuses reprises par les participants à l’étude. Les supports de communication pour le changement social et le changement de comportement ont été soigneusement élaborés de sorte à couvrir des activités centrées sur les comportements. Celles-ci comprennent des recherches formatives sur les comportements et leurs facteurs d’influence, ainsi que des essais rigoureux de concepts, messages et supports innovants dans le cadre de la phase de conception. Les affiches à accrocher à la maison semblent particulièrement propices à l’ouverture de discussions sur les pratiques nutritionnelles entre les membres du ménage et avec leurs voisins. Elles donneraient en outre de la crédibilité aux informations relayées par les participants aux conversations communautaires améliorées. Les conversations communautaires améliorées avec et sans contenu virtuel sont deux approches qui ont contribué à faire évoluer les principaux indicateurs de l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Les conversations communautaires améliorées complétées avec des contenus virtuels obtiennent des résultats nettement meilleurs en ce qui concerne l’apport alimentaire minimum acceptable, la recherche de soins postnatals, la participation à au moins quatre consultations de soins prénatals, la durée de la supplémentation en fer et en acide folique ainsi que le lavage des mains. Les contenus audio complémentaires semblent donc jouer un rôle précieux pour renforcer l’impact des messages et les diffuser efficacement auprès des publics cibles.

Cibler les pères et les maris pour améliorer les résultats nutritionnels                                                                                                             

L’étude de la documentation relative aux conversations communautaires améliorées révèle que les pères et les maris sont très réceptifs aux informations sur la nutrition maternelle et infantile et qu’ils apprécient que des supports et interventions leur soient directement destinés. Il semblerait en outre qu’ils soient les principaux moteurs de changement dans les familles. Les époux ayant participé aux discussions de groupe affirmaient qu’ils étaient désireux d’enseigner à leur femme ce qu’ils avaient appris et que celle-ci était réceptive à leurs propos. En revanche, les mères et les grands-mères se heurtaient souvent au scepticisme de leur famille quand elles essayaient de relayer les connaissances acquises lors des conversations communautaires améliorées. Ces observations démontrent que même si tous les participants aux conversations communautaires améliorées semblent avoir modifié leurs pratiques nutritionnelles et influencé d’autres personnes dans cette voie, il est plus aisé pour les hommes que pour les femmes d’amorcer ces changements à la maison et dans leur voisinage.

Difficultés du programme

Les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre des conversations communautaires améliorées sont principalement liées à des problèmes techniques et à la gestion du temps. Ainsi, les participants et les coordinateurs de groupes estiment que les conversations communautaires améliorées durent trop longtemps (1 heure et demie). En outre, la qualité du son est mauvaise sur les téléphones mobiles lors de la diffusion des contenus virtuels. Parmi les quelques problèmes rencontrés dans le cadre des visites à domicile, on peut citer les difficultés à assurer le suivi auprès des participants aux conversations communautaires améliorées une fois celles-ci terminées, la mauvaise utilisation de certains documents d’information par les agents du changement communautaire, ainsi que les difficultés à effectuer le nombre de visites mensuelles prévues, ou encore à s’entretenir avec les pères lors desdites visites.

Le projet Growth through Nutrition prévoit de remédier à certains de ces problèmes en mettant au point des directives de transfert de responsabilités destinées aux fonctionnaires de l’Etat. Celles-ci auront pour but d’assurer la pérennité de l’intervention, d’optimiser la gestion du temps en s’appuyant sur les agents du changement communautaire, de réduire le nombre de visites que ces agents sont censés effectuer, et de chercher des solutions pour faciliter le contact avec les pères lors des visites à domicile.

Prochaines étapes

Malgré les changements positifs dont font état les évaluations qualitatives aussi bien en matière d’allaitement maternel que d’alimentation complémentaire, les évaluations quantitatives révèlent quant à elles que les conversations communautaires améliorées ont peu de répercussions sur les indicateurs associés. Des recherches plus approfondies doivent donc être conduites afin de comprendre pourquoi ces résultats sont inconsistants. Il convient également de revoir le contenu des séances et/ou la méthode employée pour le transmettre.

À l’avenir, on envisagera également d’institutionnaliser les conversations communautaires améliorées au sein de structures publiques existantes afin d’améliorer le rapport coût-efficacité, de déployer ces processus à plus grande échelle et d’en assurer la pérennité. Les participants à la réunion d’évaluation à mi-parcours du programme ont suggéré d’étendre la formation sur l’animation de conversations communautaires améliorées à tous les agents de vulgarisation municipaux ou aux « armées sanitaires au service du développement ». Par ailleurs, l’étude comparative sur l’efficacité du contenu virtuel a démontré que les deux approches (avec et sans contenu virtuel) étaient efficaces pour faire évoluer les principaux indicateurs liés à l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Dès lors, c’est l’approche présentant le meilleur rapport coût-efficacité qui pourrait être retenue afin d’être institutionnalisée.

Conclusion

Les évaluations du projet Growth through Nutrition menées à ce jour démontrent que les séances de communication pour le changement social et le changement de comportement communautaires peuvent avoir des effets positifs sur les pratiques clés relatives à l’alimentation des mères, des nourrissons et des jeunes enfants, lorsqu’elles sont structurées et interactives et qu’elles s’inscrivent dans une démarche multisectorielle (qui intègre par exemple des interventions sur l’EAH et les moyens d’existence). Dans ce contexte, l’efficacité des conversations communautaires améliorées est en grande partie liée au fait qu’elles ciblent les hommes du foyer et s’attaquent aux déséquilibres sous-jacents entre les genres dans les processus décisionnels au sein du ménage. Cet aspect du programme devra être inclus dans les futurs processus de communication pour le changement social et le changement de comportement mis en place dans des circonstances similaires. La fourniture de supports audio en complément des conversations communautaires améliorées a des effets bénéfiques sur certaines pratiques liées à la nutrition et à la santé. Cela étant dit, il convient d’analyser le rapport coût-efficacité de cette approche dans chaque contexte, notamment du point de vue de la pérennité et d’un déploiement à grande échelle. Le projet met également en lumière la possibilité d’intégrer des programmes similaires dans les systèmes publics, compte tenu du fait que, dans ce cas précis, les conversations communautaires améliorées ont été mises en œuvre par des agents publics de vulgarisation sanitaire formés. Lors de l’étude de la situation finale, on mesurera l’évolution des indicateurs de résultats, notamment le retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans et l’état nutritionnel des mères, pour tous les participants au projet. Ces résultats seront ensuite rendus publics.

Pour en savoir plus, veuillez contacter Lioul Berhanu à : lioul.berhanu@savethechildren.org.


1 Association de la diversification alimentaire minimum et de la fréquence minimale des repas pour les nourrissons.

2 Le Programme national de nutrition de l’Éthiopie (2016-2020) est un programme nutritionnel piloté par le gouvernement dans le but de réduire l’ampleur de la malnutrition en mettant en place et en déployant à grande échelle des interventions nutritionnelles multisectorielles, coordonnées, harmonisées et fondées sur des données factuelles.

3 Le Programme national One WASH (2013-2020) a été mis en place pour coordonner les efforts des secteurs de l’eau, de l’éducation, de la santé et de la finance afin de rendre l’accès à l’approvisionnement en eau et aux systèmes d’assainissement plus équitable et plus durable, ainsi que pour favoriser l’adoption de bonnes pratiques d’hygiène en vue d’améliorer la santé et le bien-être des communautés.


Références

Abate, K. H., Belachew, T. 2017. « Women’s autonomy and men’s involvement in child care and feeding as predictors of infant and young child anthropometric indices in coffee farming households of Jimma Zone, South West of Ethiopia ». Institut de santé publique d’Éthiopie (EPHI) [Éthiopie] du département de la Santé de la population et de la famille et ICF, 2019. Mini enquête démographique et de santé de l’Éthiopie (EMDHS) 2019.

Institut de santé publique d’Éthiopie (EPHI) [Éthiopie] et ICF. 2016. Enquête démographique et de santé de l’Éthiopie (EDHS) 2016.

Groupe Manoff. 2019. Recherche documentaire sur les résultats et les conclusions du programme de nutrition maternelle et infantile axé sur les 1 000 premiers jours de vie dans le cadre du projet Growth through Nutrition financé par l’USAID.

Masters, W. A., Spielman, K., Heneveld, K. M., Theys, N. C., Coates, J. 2017. « Level and variation of diet quality in rural Ethiopia: Does consumption smoothing maintain household dietary diversity during lean seasons? ». Université Tufts. Disponible à l’adresse suivante : https://dl.tufts.edu/concern/pdfs/gf06gf46x

Développement international. 2015. Improving nutrition outcomes with better water, sanitation, and hygiene: practical solutions for policies and programs. Disponible à l’adresse suivante : https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/193991/9789241565103_eng.pdf?sequence=1

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