Allocation et utilisation de budgets municipaux en faveur de la nutrition au Népal
Par Shraddha Manandhar, Pramila Shrestha, Bishow Raman Neupane, Satya Narayan Acharya, Harendra Bahadur Chand et Pooja Pandey Rana.
Shraddha Manandhar est responsable de l’analyse des données dans le cadre du programme Suaahara II (SII) au sein de l’organisation Helen Keller International au Népal. Titulaire d’un master en santé publique internationale et d’un diplôme universitaire d’études féminines, elle a six années d’expérience dans le domaine de la recherche multiméthode.
Pramila Shrestha a été assistante à la documentation dans le cadre du programme SII. Elle est titulaire d’un master en santé publique et dispose de plus de quatre ans d’expérience dans la gestion de projets et la recherche dans plusieurs domaines, principalement dans le secteur de la nutrition.
Bishow Raman Neupane est directeur de la gouvernance multisectorielle pour le programme SII. Il possède plus de 32 ans d’expérience en tant qu’enseignant, gestionnaire de projets, animateur de formations et facilitateur du développement, militant, conférencier engagé et écrivain.
Satya Narayan Acharya est responsable principal du suivi, de l’évaluation et de la recherche pour le programme SII. Ce spécialiste du suivi, de l’évaluation et de l’apprentissage en lien avec des programmes possède plus de 17 ans d’expérience dans le secteur de la santé publique.
Harendra Bahadur Chand est responsable de la gouvernance dans le cadre de SII. Il dispose de plus de 20 ans d’expérience sur le terrain, notamment en tant que superviseur et responsable de la gouvernance.
Pooja Pandey Rana est adjointe au chef de mission pour le programme SII. Elle dispose d’un master en santé publique et de plus de 20 ans d’expérience dans l’élaboration de programmes de nutrition et de santé publique.
Les auteurs tiennent à remercier le peuple américain pour son généreux soutien à Suaahara II par le biais de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), qui a rendu possible la publication de cet article. Le contenu du présent article relève de la seule responsabilité des auteurs et ne reflète pas nécessairement les opinions de l’USAID ni du gouvernement des États-Unis. Les auteurs souhaitent en outre remercier tous les participants à l’étude pour le temps consacré et les informations fournies aux fins de celle-ci, ainsi que le Dr Kenda Cunningham, conseillère technique principale du programme Suaahara II, pour l’aide qu’elle a apportée à l’auteure principale durant le processus de rédaction.
Lieu : Népal
Ce que nous savons : La nouvelle Constitution de 2015 du Népal facilite le transfert du pouvoir décisionnel et du contrôle budgétaire aux administrations locales du pays.
Ce que cet article nous apprend : Une étude qualitative a été menée dans le cadre du programme Suaahara II (SII) afin d’examiner les facteurs qui influencent l’allocation et l’utilisation des budgets locaux, en particulier ceux en lien avec la nutrition. Cette étude a été menée dans quatre districts de sept municipalités du Népal, par le biais de discussions de groupe et d’entretiens approfondis avec les parties prenantes, ainsi que d’observations non participantes et d’analyses de documents. Des directives claires concernant les processus sont en place en ce qui concerne l’allocation et l’utilisation budgétaires à l’échelle locale. Les résultats, quant à eux, montrent que les partenaires externes pour le développement, comme le programme Suaahara, permettent de sensibiliser les administrations locales à l’importance d’investir dans la nutrition. Toutefois, certains obstacles entravent encore l’allocation et l’utilisation des budgets. On peut notamment citer l’idée selon laquelle les programmes nutritionnels existants financés par les autorités fédérales et provinciales seraient suffisants. La tendance des responsables politiques à n’investir que dans des initiatives permettant de produire immédiatement des effets, ainsi que le nombre limité de propositions de projets à un niveau plus local, qui s’explique en partie par le manque de connaissances sur la conception de programmes liés à la nutrition, posent également problème. L’étude révèle la nécessité, d’une part, de sensibiliser et d’orienter les acteurs du secteur de la santé et les intervenants au niveau des municipalités, des quartiers et des communautés pour encourager la formulation de demandes en faveur de plans de nutrition et, d’autre part, de renforcer le soutien apporté auxdits acteurs afin de les aider à comprendre les processus budgétaires locaux, à analyser les besoins nutritionnels des communautés et à planifier des interventions. Il est en outre crucial d’assurer la coordination avec d’autres secteurs pour renforcer la planification d’interventions sensibles aux questions de nutrition. Des améliorations doivent également être apportées en ce qui concerne le respect des délais d’octroi des autorisations pour l’allocation des budgets, ainsi que le suivi et la supervision de l’utilisation des budgets. Les partenaires externes pour le développement doivent appuyer les processus budgétaires à l’échelle locale afin de garantir l’appropriation et la pérennité des programmes nutritionnels locaux.
Introduction
Structure administrative du Népal
La Constitution de 2015 du Népal répartit les pouvoirs entre trois niveaux de gouvernement (fédéral, provincial et local – municipalités et quartiers) (figure 1) et promeut la démocratie sociale au niveau des municipalités et des quartiers. Les autorités municipales sont habilitées à préparer et à mettre en œuvre des programmes périodiques à court ou long terme, notamment des plans sectoriels stratégiques annuels aux fins du développement local, en respectant l’orientation donnée par le gouvernement fédéral en faveur de la réalisation des objectifs de développement durable.
Le Népal compte 753 administrations locales qui régissent les municipalités dans les zones rurales isolées (< 25 000 personnes), ainsi que dans les zones métropolitaines urbanisées (> 300 000 personnes), lesquelles regroupent 6 743 quartiers. Avec l’appui des quartiers, les municipalités allouent les budgets aux différents secteurs, tels que les infrastructures, la santé et l’agriculture, en puisant dans les fonds disponibles issus de recettes internes (impôts et frais d’utilisation des services) et externes (financements des administrations provinciales et fédérales et de donateurs). Les municipalités sont dirigées par des élus locaux, à savoir des présidents et vice-présidents, qui sont à la tête d’une équipe de fonctionnaires non élus. Les principaux secteurs relevant de la compétence des administrations municipales sont présentés dans la figure 1.
Figure 1 : Structure administrative du Népal
Situation nutritionnelle au Népal
Dans le domaine de la nutrition, le Népal porte un triple fardeau : sous-nutrition, surnutrition et carences en micronutriments. Selon l’enquête démographique et de santé menée dans le pays en 2016, 36 % des enfants de moins de cinq ans présentent un retard de croissance, 10 % souffrent d’émaciation et 27 % sont en situation d’insuffisance pondérale. Parmi les femmes âgées de 15 à 49 ans, 11 % sont petites (taille inférieure à 1 mètre 45) et 17 % sont maigres (indice de masse corporelle (IMC) inférieur à 18,5) et 22 % d’entre elles sont en surpoids ou obèses (IMC égal ou supérieur à 25). S’agissant des hommes, 17 % sont maigres et 17 % sont en surpoids ou obèses. Le gouvernement du Népal reconnaît le problème que pose la malnutrition, en particulier la sous-nutrition, et la nécessité de mener des actions multisectorielles pour améliorer l’état nutritionnel de ses citoyens.
Couvrant la période 2018-2022, le deuxième plan multisectoriel de nutrition du Népal vise à lutter contre la malnutrition grâce à une approche transversale. Il fixe en outre des orientations concernant l’intégration d’interventions spécifiques ou sensibles aux questions de nutrition. Le ministère de la Santé assure la mise en œuvre de plusieurs programmes de nutrition nationaux à l’échelle du pays qui sont financés par des budgets conditionnels1 alloués par les administrations fédérales et provinciales. Il s’agit notamment de programmes relatifs à l’alimentation des mères, des nourrissons et des jeunes enfants ; à la prise en charge intégrée de la malnutrition aiguë ; ou encore à la supplémentation des adolescents en fer et acide folique. En outre, le gouvernement a créé le Partenariat pour l’amélioration de la nutrition (« Poshan Ko Laagi Haatemalo »), qui est financé par l’UNICEF et l’Union européenne (UE) et qui suit les orientations du plan multisectoriel de nutrition. Dans le cadre de ce projet, des programmes spécifiques aux questions de nutrition sont déployés par le biais du ministère de la Santé népalais, tandis que des programmes sensibles aux questions de nutrition sont mis en œuvre via le ministère des Affaires fédérales et de l’Administration générale, en liaison avec les ministères concernés. Ce partenariat est actuellement en place dans 28 districts du Népal et il est prévu qu’il soit progressivement étendu à l’ensemble du pays.
Pour lutter contre le fléau de la sous-nutrition au Népal, il est essentiel que les administrations locales se saisissent de cette question et qu’elles utilisent une partie des budgets existants pour soutenir des initiatives nutritionnelles menées à l’échelle nationale ou provinciale ainsi que les actions de partenaires externes pour le développement. Le deuxième plan multisectoriel de nutrition impose que la nutrition intégrée2 soit incluse dans les politiques et plans locaux, provinciaux et fédéraux, conformément aux orientations des Comités directeurs sur la nutrition et la sécurité alimentaire qui se réunissent régulièrement au niveau national, provincial et local (municipalité ou quartier). Organisés à l’échelle municipale, ces comités regroupent des acteurs du secteur de la nutrition qui mènent des actions de plaidoyer et exercent des pressions sur les autorités locales et les communautés pour la mise en œuvre d’activités nutritionnelles axées sur les besoins, afin de promouvoir une allocation et une utilisation adéquates des budgets locaux en faveur de la nutrition.
Suaahara II – travailler aux côtés des autorités municipales pour favoriser la nutrition intégrée
Suaahara II (SII) (2016-2021) est un programme de nutrition multisectoriel financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) conçu pour améliorer l’état nutritionnel des femmes et des enfants grâce à une approche transversale dans l’ensemble des municipalités (389) et quartiers (3 353) de 42 des 77 districts que compte le Népal, dans la droite ligne du deuxième plan multisectoriel de nutrition. Sous le leadership d’Helen Keller International (HKI), la mise en œuvre de SII est assurée par une alliance composée de sept organisations : HKI ; Cooperative for Assistance and Relief Everywhere, Inc. (CARE) ; Family Health International 360 (FHI 360) ; Environmental and Public Health Organization (ENPHO) ; Digital Broadcast Initiative Equal Access (DBI EA) ; Nepali Technical Assistance Group (NTAG) ; et Vijaya Development Resource Center (VDRC). À l’échelle des districts, SII a conclu des partenariats avec 40 organisations non gouvernementales (ONG) locales qui bénéficient de l’appui technique des sous-bureaux de district de SII. Au niveau communautaire, les activités de SII sont mises en œuvre par des professionnels de première ligne du programme, en étroite collaboration avec des agents de santé communautaires féminines bénévoles. Mis sur pied par le gouvernement népalais, ce dispositif d’agents de santé communautaire est très actif dans le domaine de la santé maternelle et infantile.
Le programme SII poursuit quatre objectifs intermédiaires : 1) l’amélioration des comportements de santé et de nutrition au sein des ménages ; 2) le recours accru à des services de nutrition et de santé de qualité par les femmes et les enfants ; 3) l’amélioration de l’accès à une alimentation diversifiée et nutritive pour les femmes et les enfants ; et 4) l’accélération du déploiement du plan de nutrition multisectoriel grâce au renforcement de la gouvernance locale. Le programme SII s’articule autour de plusieurs thématiques transversales, dont l’égalité entre les genres et l’inclusion sociale ; la communication pour le changement social et le changement de comportement ; les partenariats public-privé ; le suivi, l’évaluation et la recherche ; la préparation aux catastrophes ainsi que les plans de préparation et d’intervention en situation d’urgence. Dans le cadre de l’objectif intermédiaire no 4, l’équipe de SII se coordonne avec des acteurs nationaux et infranationaux pour créer un environnement politique favorable, encourager les investissements dans la nutrition et favoriser la mise en place et le travail des Comités directeurs sur la nutrition et la sécurité alimentaire à tous les niveaux.
Objectifs de l’étude
En 2018, les données de suivi internes ont révélé que dans 30 districts couverts par SII3, bien que 173 municipalités sur 277 (62 %) aient déclaré avoir alloué 8,46 millions de dollars US à la mise en œuvre d’activités nutritionnelles intégrées ciblant les femmes et les enfants, le budget n’avait été utilisé qu’à hauteur de 3,5 millions de dollars US, soit moins de la moitié (41 %) de la totalité des fonds alloués (SII, 2018). Les coordinateurs de SII visent à s’assurer que les autorités locales pérennisent les activités initiées dans le cadre du programme au sein des communautés afin de garantir des progrès continus en matière de nutrition, même après l’arrêt du programme. C’est pourquoi SII prévoit une étude qualitative conçue pour analyser les facteurs qui influent sur les décisions d’allocation et d’utilisation des budgets locaux, notamment ceux en lien avec la nutrition, afin d’obtenir des informations permettant d’améliorer la qualité des projets à l’avenir.
Méthodologie de l’étude
L’étude a été conduite dans quatre districts du Népal présentant une diversité géographique : Achham (montagne), Dang (plaine), Nuwakot (colline) et Sindhupalchok (montagne). Sept municipalités (une dans le district de Nuwakot et deux dans chacun des trois autres districts) ainsi que sept quartiers (un par municipalité) ont été choisis de manière intentionnelle. Sept discussions de groupe et 46 entretiens approfondis ont été menés avec des acteurs publics municipaux et de quartier, des informateurs communautaires et des représentants des partenaires externes pour le développement travaillant sur des programmes nutritionnels à l’échelle locale. Par ailleurs, la méthode d’observation non participante4 a été utilisée lors de 12 réunions portant sur l’allocation et l’utilisation des budgets ont été réalisées durant la période de collecte de données. Des documents majeurs liés à l’allocation et à l’utilisation budgétaires ont en outre été recueillis au niveau des municipalités et des quartiers, avant d’être analysés. Les enregistrements audio des discussions de groupe et des entretiens approfondis ont été transcrits textuellement et les observations non participantes ont fait l’objet de notes détaillées. Ces contenus ont par la suite été traduits en anglais, codés dans NVivo 12 et analysés en suivant une approche thématique.
Conclusions
Processus d’allocation budgétaire
Des plans de nutrition peuvent être proposés aux municipalités par des membres des communautés lors de réunions communautaires publiques, par le Comité d’exploitation et de gestion des établissements de santé5 (qui peut proposer des programmes en lien avec la santé (et la nutrition) fondés sur les besoins directement au comité de santé du quartier ou de la municipalité), ou enfin par des comités sectoriels municipaux ou de quartier (qui peuvent également soumettre des plans de santé ou de nutrition qu’ils estiment importants, voire nécessaires). Les directives du gouvernement népalais spécifient clairement que toutes les municipalités doivent suivre un processus de planification en sept étapes pour déterminer l’allocation budgétaire (figure 2) qui, si tout se passe bien, doit se conclure par l’approbation de l’assemblée municipale6.
Figure 2 : Processus d’allocation budgétaire en sept étapes dans les domaines de la santé et de la nutrition
Processus d’utilisation des budgets
Conformément aux directives du gouvernement népalais, les municipalités conçoivent un plan de mise en œuvre intégré après avoir obtenu l’approbation de l’assemblée municipale. S’agissant des plans de santé et de nutrition, les sections municipales dédiées à la santé élaborent et mettent en œuvre les programmes par le biais des Comités d’exploitation et de gestion des établissements de santé. Les documents requis, notamment le plan de travail, les factures des dépenses et les rapports de fin de programme, sont transmis à la municipalité à des fins de paiement. La section de la santé est chargée de la mise en œuvre des activités spécifiques aux questions de nutrition, tandis que les activités sensibles à cet aspect sont déployées par les sections concernées (par exemple, la section responsable de l’agriculture assurera la distribution des semences de légumes). Les municipalités et les quartiers effectuent un suivi périodique des plans sanitaires. Ce processus est décrit dans la figure 3.
Figure 3 : Processus d’utilisation des budgets
Facteurs facilitant l’allocation et l’utilisation des budgets en faveur de la nutrition
Il a été démontré qu’une coordination efficace au sein des municipalités, entre les municipalités et les quartiers, de même qu’entre les municipalités et les ONG nationales ou internationales facilitait grandement l’allocation budgétaire et permettait d’élaborer une planification intégrée. Le sens des responsabilités des élus locaux à l’égard de leur communauté ; l’accès à des lois et directives nationales/municipales précisant le processus d’allocation et d’utilisation budgétaires ; mais aussi la prise de conscience et la participation de la communauté au processus de planification jouent également un rôle important dans ce domaine. Il a été observé que les formations en matière de renforcement des capacités, ainsi qu’un suivi et un contrôle appropriés de la mise en œuvre des plans constituaient également des facteurs favorables à une utilisation/application efficace des budgets. Enfin, on a constaté que le processus d’allocation et d’utilisation budgétaires en faveur de la nutrition était en outre facilité par la prise de conscience des responsables des municipalités et des quartiers sur l’importance de la santé et de la nutrition. Qui plus est, les activités de plaidoyer et de lobbying menées dans le cadre de SII afin que des budgets soient affectés à la nutrition, le soutien technique apporté par le programme et les activités de suivi assurées conjointement avec les municipalités se sont également révélés bénéfiques. Le processus d’allocation et d’utilisation des budgets mis en place dans le district d’Achham fait figure d’exemple. Les conclusions des discussions de groupe, des entretiens approfondis, des observations non participantes et de l’examen de documents ont révélé que le facteur le plus favorable au processus budgétaire dans le district d’Achham a été le plan multisectoriel de nutrition mis en place par le gouvernement, à savoir le programme Poshan Ko Laagi Haatemalo (voir l’encadré 2).
Encadré 1 : Témoignages de participants à l’étude à propos des facteurs favorables à l’allocation et à l’utilisation des budgets
Le gouvernement a mis en place des formulaires de propositions et encouragé les demandes de matériel agricole, de parcelles destinées à la culture de légumes, etc. Lorsque nous en avons été informés par la municipalité, nous [le programme SII] avons immédiatement averti les groupes communautaires et leur avons communiqué les instructions correspondantes. À cette époque, seuls deux groupes étaient enregistrés. J’ai facilité ce processus. J’ai enregistré les groupes moi-même et rempli la demande de subvention de l’un des groupes le jour même. Nous avons reçu une aide de 19 lakhs (19 000 dollars US). C’est formidable !
Superviseur de terrain du programme SII, Nuwakot
Nous avons lancé un programme baptisé « Flag in the house and eggs in the hands of pregnant women » (Un drapeau dans la maison et des œufs pour les femmes enceintes). Nous avons mis en œuvre le programme, […] nous avons fourni des orientations au niveau de la municipalité en présence de l’ensemble des élus locaux, d’autres parties prenantes et de différentes ONG qui, comme dans le cadre du programme Suaahara, œuvrent dans le domaine de la nutrition. »
Agent de santé municipal, Nuwakot
Encadré 2 : Étude de cas : Achham
Dans le district d’Achham, le plan multisectoriel de nutrition piloté par le gouvernement a été mis en œuvre par la municipalité et l’UNICEF/UE. Cette coordination s’est traduite par un processus d’allocation et d’utilisation des budgets en faveur de la nutrition nettement plus efficace dans les deux municipalités du district étudiées. Ainsi, dans une des municipalités d’Achham, 3,1 millions de dollars US ont été affectés à des activités du plan multisectoriel de nutrition, le budget se répartissant comme suit : 51 % de fonds provenant de la municipalité ; 40 % de l’UE/UNICEF et 9 % des administrations fédérales/provinciales. Le plan multisectoriel de nutrition mis en place par le gouvernement décrit les activités auxquelles ce budget doit être consacré. Celles-ci incluent notamment : la diffusion d’informations nutritionnelles par le biais des médias ; l’organisation de réunions des Comités directeurs sur la nutrition et la sécurité alimentaire au niveau des municipalités et des quartiers ; la distribution de kits de production de légumes (citrouilles, carottes, haricots, fenugrec, coriandre, légumes à feuilles vertes, etc.) aux familles pauvres dont des enfants sont dans leurs 1000 premiers jours de vie ; des démonstrations de production de légumes sous serre afin de pouvoir cultiver des légumes en dehors de leur saison naturelle ; la communication d’informations sur la purification de l’eau et la distribution de filtres aux femmes enceintes ainsi qu’aux familles venant d’accueillir un bébé qui se trouvent en situation de grande pauvreté ; les programmes d’interaction hommes-femmes axés sur des thèmes comme les soins à apporter aux femmes enceintes, la réduction de la violence basée sur le genre, ou encore la réduction de la charge de travail et la nutrition des femmes ; ainsi que les programmes permettant aux femmes enceintes/nouvelles mères de se réunir pour échanger et célébrer cette étape majeure de leur vie. Le programme SII mène par ailleurs, en coordination avec le plan multisectoriel de nutrition du gouvernement, des activités qu’il finance lui-même dans le district d’Achham.
La plupart des participants ont reconnu que les partenaires externes pour le développement et les municipalités travaillaient de concert pour déployer les plans de nutritions approuvés. Les partenaires externes pour le développement ont ainsi apporté un appui technique aux unités sectorielles (par exemple, santé et agriculture) afin d’élaborer et de mettre en œuvre les plans de travail et, dans certains cas, ces partenaires ont assuré le suivi de ces plans, aux côtés des municipalités. Les partenaires externes pour le développement étaient également chargés de vérifier si les municipalités respectaient la répartition budgétaire prévue afin de réduire les transferts de budget vers d’autres activités de même que les gels budgétaires.
Facteurs favorables : grâce à la mise en œuvre du plan multisectoriel de nutrition par le gouvernement, les Comités directeurs sur la nutrition et la sécurité alimentaire étaient bien établis et se sont montrés plus actifs que dans d’autres districts. Les participants, tant au niveau des municipalités que des quartiers, étaient plus au fait de l’importance d’investir dans la nutrition, mais aussi des processus d’allocation et d’utilisation des budgets. En sus d’établir le budget consacré à la nutrition, SII a également contribué au bon fonctionnement des Comités directeurs sur la nutrition et la sécurité alimentaire. Les activités de suivi et de supervision de la mise en œuvre/de l’utilisation des budgets étaient de manière générale plus régulières et souvent menées conjointement par les municipalités et les partenaires externes pour le développement, ce qui a permis de mettre efficacement en œuvre les plans approuvés.
Difficultés : les difficultés rencontrées à Achham ont été moindres que dans les autres districts. Parmi les difficultés signalées figurent notamment le manque d’élus locaux/de personnel (postes vacants) qui a donné lieu à une surcharge de travail pour les élus/agents en poste ; le manque d’expérience et/ou de connaissances des élus locaux/du personnel compte tenu du caractère relativement récent du système fédéral ; le manque de sensibilisation et de participation au niveau communautaire ; les influences politiques ; ou encore le manque de coordination entre les différentes parties prenantes. Bien que l’allocation budgétaire ait été établie au regard des activités du plan multisectoriel de nutrition piloté par le gouvernement, à Achham comme ailleurs, les demandes fondées sur les besoins formulées au niveau des municipalités et des quartiers se sont révélées insuffisantes. Certains participants du district d’Achham ont expliqué comment le report du budget conditionnel alloué par les partenaires externes pour le développement dans le cadre du plan multisectoriel de nutrition s’était répercuté sur la mise en œuvre des programmes de nutrition, tandis que d’autres ont indiqué que des transferts de budget avaient eu lieu pour des raisons politiques.
Difficultés liées à l’allocation et à l’utilisation des budgets en faveur de la nutrition
Les difficultés liées aux processus d’allocation et d’utilisation budgétaires sont les suivantes : manque d’expérience et de compétences des élus locaux dans le cadre du nouveau contexte de planification municipale ; manque de personnel dans les bureaux municipaux et de quartier ; implication moindre, voire nulle, des comités sectoriels ; manque de sensibilisation et de participation à l’échelle communautaire ; manque de coordination entre les différentes parties prenantes (au niveau du gouvernement, par exemple, élus locaux/fonctionnaires/comités thématiques ou au niveau des municipalités/quartiers, ainsi qu’avec les partenaires externes pour le développement) ; et influence indue (corruption et népotisme). L’insuffisance des fonds alloués aux programmes et le manque de suivi et de supervision ont posé problème lors de l’utilisation des budgets.
Encadré 3 : Témoignages de participants à l’étude à propos des difficultés liées à l’allocation et à l’utilisation des budgets
Les administrations locales sont confrontées à un manque criant de personnel. Actuellement, nous n’avons même pas un secrétaire pour les huit quartiers de la municipalité. C’est un agent de santé qui remplit cette fonction. Je vous laisse imaginer l’efficacité des processus à l’échelle locale, avec un agent du service vétérinaire qui se retrouve chargé de la gestion des tâches administratives. Cela ne peut pas fonctionner. Par conséquent, malgré les efforts déployés, il nous est impossible d’agir vite au niveau local.
Chef de municipalité, Achham
L’élaboration des plans suscite la participation de membres actifs et intéressés, mais aussi de personnes moins instruites, voire analphabètes, et issues de communautés reculées. Ces personnes [des communautés reculées] ne manifestent aucun intérêt et ne participent généralement pas aux réunions communautaires. En outre, celles qui y prennent part ne saisissent pas l’importance de ces réunions. Elles y assistent sans dire un mot.
Présidente de quartier, Dang
Nous avons beaucoup de travail et de projets à gérer. En tout, nous traitons entre 52 et 54 projets. L’année dernière, nous en avions 94, ou 95. Certains programmes représentent 20 000 roupies (200 USD), quand d’autres s’élèvent à 2 lakhs (2 000 dollars US). Nous avons rencontré de nombreuses difficultés pour rembourser ces montants.
Secrétaire de quartier, Dang
En ce qui concerne les difficultés propres à la nutrition, bon nombre de participants ont mentionné le manque de sensibilisation à la nutrition au niveau communautaire, d’où l’absence de demandes dans ce domaine ; le manque de sensibilisation des élus locaux à la nutrition et la faible importance qu’ils y accordent ; ainsi que la tendance de ces derniers à privilégier des projets visibles permettant d’obtenir des résultats immédiats, comme la construction de routes ou de ponts. Certains participants ont en outre évoqué le manque de compétences des membres des communautés, quartiers et municipalités en matière d’élaboration de plans liés à la nutrition. Quelques participants considèrent également que l’idée partagée par plusieurs élus locaux selon laquelle le budget conditionnel consacré à la nutrition (dans le cadre de programmes de santé plus vastes) est suffisant entrave également les processus budgétaires dans ce domaine. S’agissant des obstacles à l’utilisation des budgets dans le domaine de la nutrition, certains participants ont cité le fait que les fonds soient alloués de manière globale à la santé sans distinguer les sous-secteurs. Ils ont en outre indiqué que les élus locaux et les fonctionnaires ne possédaient pas les compétences suffisantes pour mettre efficacement en œuvre les activités axées sur la nutrition. Ces difficultés ont donné lieu à des retards, voire des échecs dans le déploiement des programmes, à des gels budgétaires, ou à la réaffectation de budgets initialement alloués à la nutrition à d’autres usages.
Encadré 4 : Témoignages d’un participant à l’étude à propos des difficultés liées à l’allocation et à l’utilisation des budgets en faveur de la nutrition
Les demandes des communautés portent essentiellement sur les routes, les ponts, l’accès à l’eau et à l’électricité, les bâtiments communautaires, la construction de chemins de graviers et de routes pavées, les puits et systèmes de pompage, les subventions et les semences. Parmi les questions soulevées lors des réunions communautaires, celles relatives à la santé sont encore marginales. Les gens n’en ressentent pas le besoin. […] Lorsqu’on investit dans la santé, il faut parfois attendre longtemps pour obtenir des résultats, tandis que quand vous construisez une route, tout le monde le voit aussitôt.
Agent municipal, Dang
Discussion
Le Népal dispose d’un champ d’action considérable pour réduire la sous-nutrition en complétant les programmes nationaux avec des programmes municipaux visant à répondre aux besoins spécifiques de la population locale. Compte tenu du rôle majeur que les administrations locales ont à jouer, cette étude se penche sur la manière dont elles allouent et utilisent les budgets de manière générale et dans le domaine de la nutrition en particulier, dans le cadre de leur nouvelle organisation.
Comme l’ont déclaré les participants à l’échelle municipale et des quartiers, les partenaires externes pour le développement, comme dans le cadre du programme Suaahara, ont contribué à sensibiliser les administrations locales à l’importance d’investir dans la nutrition. Toutefois, en dépit de cette sensibilisation accrue, d’autres obstacles entravent encore l’allocation et l’utilisation des budgets. C’est notamment le cas de l’idée répandue selon laquelle les budgets conditionnels se suffisent à eux-mêmes, de la volonté politique de n’investir que dans des programmes permettant d’obtenir des effets immédiats, ainsi que du nombre limité de propositions de projets à un niveau plus local, qui s’explique en partie par le manque de connaissances sur la conception de plans liés à la nutrition. Au vu de ces constats, nous proposons de poursuivre les activités de sensibilisation, mais d’en adapter le contenu afin de remédier aux difficultés identifiées concernant le processus global d’allocation et d’utilisation budgétaires, l’analyse des besoins nutritionnels dans les communautés, ainsi que l’élaboration de plans pour y répondre.
Pour ce qui est de l’allocation budgétaire dans le domaine de la nutrition, il ressort de l’étude qu’il est indispensable de sensibiliser/d’orienter les acteurs du secteur de la santé à l’échelle municipale et à un niveau plus local (les coordinateurs sanitaires, les membres des Comités d’exploitation et de gestion des établissements de santé, les agents de santé, les agentes de santé communautaires bénévoles, les fonctionnaires et la communauté au sens large), car le nombre de demandes relatives à la nutrition reste insuffisant. Si les acteurs de la santé semblent être les mieux placés pour militer en faveur de l’allocation de budgets à la nutrition et pour soumettre des demandes en lien avec la nutrition, ils ne mettent pas cette position à profit pour le moment. Il est en outre crucial d’assurer la coordination avec d’autres secteurs, comme l’agriculture et l’élevage, pour renforcer la planification d’interventions sensibles aux questions de nutrition. Il convient également de respecter les délais d’octroi des autorisations et des budgets en vue de leur application, et d’améliorer le suivi et la supervision de l’utilisation des budgets.
Afin de soutenir les processus d’allocation et d’utilisation des budgets en faveur de la nutrition, les partenaires externes pour le développement peuvent apporter un appui technique aux administrations municipales et de quartier afin de les aider à élaborer des stratégies et des plans sensibles aux questions de nutrition et axés sur le long terme. Ils peuvent également fournir une assistance technique en vue d’améliorer l’utilisation des budgets et la transparence en la matière ; mettre au point des stratégies afin d’accroître la visibilité des questions touchant à la nutrition et de convaincre les élus locaux d’investir dans ce domaine ; ou encore concevoir, tester et recommander des plans de nutrition que le gouvernement pourrait ensuite reproduire. Enfin, il ressort de l’étude que les partenaires externes pour le développement, tels que les acteurs du programme Suaahara, doivent progressivement se mettre en retrait pour favoriser l’appropriation des projets par les municipalités et accroître leur redevabilité à cet égard.
Les conclusions de cette étude ont été communiquées à l’ensemble des districts qui y ont participé. Nos équipes de terrain concentrent désormais leurs efforts sur les acteurs de la santé à différents niveaux et sur l’organisation d’ateliers relatifs au développement durable dans chacune des 389 municipalités visées par le programme SII, où les recommandations de l’étude sont en cours d’application.
Pour en savoir plus, veuillez contacter Shraddha Manandhar à : SManandhar@hki.org
1 Le budget conditionnel correspond au budget consacré aux programmes nationaux ne pouvant être alloué à aucune autre fin.
2 D’après le deuxième plan multisectoriel de nutrition, la nutrition intégrée englobe six secteurs : la santé ; l’éducation ; les femmes, les enfants et la protection sociale ; l’approvisionnement en eau, l’assainissement et l’hygiène ; le développement agricole ; et le développement de l’élevage.
3 Données manquantes pour 12 districts – certaines municipalités ont refusé de fournir leurs données sur l’allocation et l’utilisation budgétaires, tandis que d’autres n’ont pas transmis les documents officiels sur le budget en temps voulu.
4 L'observation non participante caractérise les situations où le chercheur participe à une réunion et y recueille des informations, sans y participer.
5 Chaque établissement public de santé comprend un Comité d’exploitation et de gestion des établissements de santé composé de professionnels de santé, mais aussi de responsables communautaires et publics.
6 L’assemblée municipale est l’organe municipal le plus puissant et regroupe tous les élus locaux des municipalités et des quartiers. La décision de l’assemblée municipale portant sur l’allocation budgétaire est définitive.