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Par Harriet Torlesse et Minh Tram Le
Contexte
Publiées chaque année par l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la Banque mondiale, les estimations conjointes sur la malnutrition dépeignent invariablement la même situation : le problème mondial de l’émaciation frappe l’Asie du Sud de plein fouet. Le nombre d’enfants souffrant d’émaciation (25,1 millions) et d’émaciation sévère (7,7 millions) en Asie du Sud est plus de deux fois supérieur à celui enregistré en Afrique subsaharienne, la deuxième région la plus touchée par ce fléau (UNICEF, OMS et Banque mondiale, 2020). Cet écart ne s’explique pas uniquement par la taille de la population, puisque la prévalence de l’émaciation (14,8 %) et de l’émaciation sévère (4,5 %) chez les enfants est également deux fois plus importante en Asie du Sud qu’en Afrique subsaharienne (figure 1).
Pourtant, en dépit de ces chiffres sans équivoque, la réponse des gouvernements nationaux ainsi que de la communauté des acteurs humanitaires et du développement n’est pas à la hauteur de l’enjeu, tant en matière d’ampleur que de qualité. Très peu de progrès ont été accomplis concernant la réduction de la prévalence de l’émaciation infantile en Asie du Sud au cours des dix dernières années, et moins de 5 % des enfants souffrant d’émaciation sévère dans la région ont actuellement accès à une prise en charge. Il s’agit de l’un des taux de couverture des interventions de santé et de nutrition infantiles les plus faibles d’Asie du Sud.
Associée au manque d’accès aux services de prise en charge, la forte prévalence de l’émaciation chez les enfants a des répercussions considérables sur la survie, la croissance et le développement des enfants dans la région. Les enfants atteints d’émaciation sévère présentent jusqu’à 11 fois plus de risques de décès que les enfants correctement nourris. De plus, ceux qui survivent sont davantage exposés à certains problèmes (croissance perturbée, retard de croissance et retards de développement associés). Cette situation n’est donc pas sans conséquence sur le capital humain et la croissance économique (UNICEF, 2019). À vrai dire, il est probable que la forte prévalence de l’émaciation explique en partie la prévalence élevée du retard de croissance (33,2 %) en Asie du Sud par rapport aux autres régions.
Alors que la pandémie de COVID-19 aggrave encore l’état nutritionnel des enfants en Asie du Sud (Roberton et al., 2020 ; Headey et al., 2020), il est plus qu’urgent de repenser et de renforcer les interventions de lutte contre l’émaciation dans la région. Cela implique d’acquérir une compréhension plus nuancée des facteurs de l’émaciation en fonction du contexte, des obstacles et des goulots d’étranglement qui retardent les progrès, ainsi que des solutions permettant d’optimiser l’utilisation des ressources disponibles et pouvant être mobilisées. Cet article se penche sur le contexte de l’émaciation des enfants en Asie du Sud, sur l’état actuel des politiques et des programmes déployés dans les pays de la région pour y faire face, sur les immenses défis que pose la pandémie de COVID-19, ainsi que sur les mesures à adopter pour faire de réels progrès.
L’émaciation infantile en Asie du Sud
Avant que la pandémie de COVID-19 ne survienne, la prévalence de l’émaciation restait élevée en dépit d’une croissance économique relativement forte dans les pays d’Asie du Sud, qui s’accompagnait toutefois d’un creusement des disparités et des inégalités. La Banque mondiale considère l’Afghanistan comme un pays à faible revenu, les Maldives comme un pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et tous les autres pays de la région comme des pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Certains pays d’Asie du Sud sont confrontés à des conflits et à des catastrophes naturelles récurrentes. Cela étant, on retrouve l’écrasante majorité des enfants souffrant d’émaciation (et accusant un retard de croissance) dans des contextes de développement plutôt que dans des contextes humanitaires.
Cinq pays regroupent la quasi-totalité des enfants émaciés d’Asie du Sud : l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, l’Afghanistan et le Népal. La prévalence de l’émaciation à l’échelle nationale se maintient juste en deçà de 10 % en Afghanistan, au Bangladesh et aux Maldives, tandis qu’elle dépasse 10 % au Népal et 15 % au Pakistan, au Sri Lanka et en Inde (figure 2). Aucun pays n’est sur la bonne voie pour atteindre l’objectif de l’Assemblée mondiale de la Santé visant à faire passer le taux d’émaciation en dessous de 5 % d’ici à 2025 ou en dessous de 3 % d’ici à 2030 (Development Initiatives, 2020). De fait, le Rapport mondial sur la nutrition 2020 a révélé que la situation en Afghanistan, en Inde, au Sri Lanka, aux Maldives et au Pakistan ne s’améliorait pas, voire qu’elle se dégradait.
Le contexte entourant l’émaciation infantile en Asie du Sud est spécifique à plusieurs égards, lorsqu’on le compare aux autres régions où la prévalence de cet état est également élevée, par exemple l’Afrique subsaharienne. Les caractéristiques observées dans la région comprennent notamment une prévalence et une incidence très importantes de l’émaciation à la naissance et au début de la vie, des périodes plus longues d’émaciation chez les enfants jusqu’à leur deuxième anniversaire, une prévalence plus élevée d’enfants souffrant à la fois d’émaciation et de retard de croissance, ainsi qu’un taux de mortalité post-néonatale relativement faible. Il est crucial de comprendre ces différents aspects, car ils influent sur les politiques en matière de prévention et de prise en charge de l’émaciation dans la région.
La prévalence de l’émaciation en Asie du Sud est plus importante à la naissance qu’à toute autre période de la petite enfance, ce qui semble indiquer qu’une mauvaise alimentation et/ou santé maternelles constituent des facteurs clés de l’émaciation dans la région (Ashorn et al., 2018). L’Asie du Sud affiche en outre une prévalence de l’insuffisance pondérale à la naissance s’élevant à 27 %, soit la plus forte au monde et près du double de celle de l’Afrique subsaharienne (14 %), la deuxième région la plus touchée (UNICEF et OMS, 2019). Dans la région, 20 % des femmes sont maigres (indice de masse corporelle inférieur à 18,5 kg/m2) et 10 % sont petites (taille inférieure à 145 cm) (Goudet et al., 2018), ces caractéristiques constituant des facteurs de risque pour l’émaciation infantile dans les pays d’Asie du Sud (Harding et al., 2018b). Ces proportions sont aussi nettement plus élevées qu’en Afrique subsaharienne. Ainsi, en Afrique de l’Est et Afrique australe, on estime que 12,5 % des femmes sont maigres et que seules 2,5 % d’entre elles sont de petite taille, tandis qu’en Afrique de l’Ouest et Afrique centrale, la proportion de femmes maigres s’établit à 11 %1. Les grossesses précoces sont courantes en Asie du Sud (11 %), en particulier en Afghanistan (20 %) et au Bangladesh (24 %), même si elles restent moins répandues qu’en Afrique subsaharienne (26 %)2.
Deux études parues récemment analysent des ensembles de données longitudinales sur l’émaciation et le retard de croissance chez les enfants d’Asie du Sud, d’Afrique et d’Amérique latine (Mertens et al., 2020a et 2020b). Elles révèlent que l’Asie du Sud enregistre la plus forte prévalence de l’émaciation à la naissance (19 % contre 8 % en Afrique), et les plus importantes prévalence et incidence de l’émaciation à tous les âges, jusqu’à 24 mois. La saisonnalité joue également un rôle important sur l’émaciation à la naissance en Asie du Sud et en Afrique. En effet, le score z du poids-pour-taille (couché) à la naissance peut varier de près d’un écart-type en fonction du mois de naissance de l’enfant. Ces résultats semblent indiquer que le caractère saisonnier influe sur la sécurité alimentaire en Asie du Sud et donc sur les retards de croissance intra-utérins et la prématurité. L’analyse longitudinale a révélé que, tant en Asie du Sud qu’en Afrique subsaharienne, l’incidence de l’émaciation était plus importante durant les trois premiers mois de vie, même en excluant les épisodes d’émaciation à la naissance. Il en ressort en outre que les enfants émaciés durant leurs six premiers mois de vie sont plus susceptibles de souffrir d’émaciation et d’un retard de croissance par la suite. L’émaciation précoce accroît en outre le risque de décès dans les 24 premiers mois des enfants, l’émaciation persistante avant six mois (les auteurs définissent les enfants souffrant d’émaciation persistante comme ceux dont au moins 50 % des mesures anthropométriques prises entre la naissance et 24 mois les classaient comme émaciés), et l’émaciation associée à un retard de croissance étant les facteurs de risque de décès les plus importants.
Au vu de ces conclusions, il est crucial de redoubler d’efforts pour prévenir l’émaciation à la naissance et au cours des six premiers mois de la vie afin de réduire la prévalence et le nombre de cas d’émaciation, ainsi que les risques de mortalité et les problèmes de développement associés. L’Asie du Sud surpasse toutes les autres régions en matière d’allaitement maternel exclusif, mais les enjeux n’en restent pas moins considérables pour les 43 % de nourrissons de moins de six mois qui ne sont pas exclusivement nourris au sein, en particulier ceux qui sont nés petits ou avant terme. Qui plus est, seuls 40 % des nouveau-nés d’Asie du Sud bénéficient d’une mise au sein précoce (contre 52 % en Afrique subsaharienne)3 alors que c’est à cette période de la vie qu’ils sont les plus exposés à l’émaciation. L’étude longitudinale indique également qu’à deux ans, la moitié (50 %) des enfants d’Asie du Sud ont subi au moins un épisode d’émaciation, quand ce taux s’élève à 28 % en Afrique. Ces résultats s’expliqueraient probablement en partie par la mauvaise qualité de l’alimentation des enfants en Asie du Sud. En effet, seuls 12 % des enfants âgés de 6 à 23 mois ont une alimentation conforme aux normes minimales acceptables4.
Cette analyse fait également état d’une proportion plus importante d’enfants souffrant d’émaciation « persistante » durant leurs deux premières années de vie (7 % en Asie du Sud contre 2 % en Afrique), ainsi que d’une proportion plus élevée d’enfants souffrant simultanément d’émaciation et d’un retard de croissance dans cette région (jusqu’à 7-8 % chez les enfants âgés de 18 à 24 mois contre 2 % en Afrique). L’association de l’émaciation et du retard de croissance place les enfants dans un état de grande vulnérabilité et présente un risque de mortalité similaire à celui que pose l’émaciation sévère (McDonald et al., 2013 ; Myatt et al., 2018). On a pu observer que, par le passé, l’émaciation et le retard de croissance étaient généralement pris en charge séparément, le premier cas étant souvent considéré comme un problème d’ordre humanitaire, et le second, comme un problème lié au développement. Or, il est aujourd’hui évident qu’émaciation et retard de croissance sont étroitement liés, car les périodes répétées ou prolongées d’émaciation favorisent la croissance non linéaire et le retard de croissance.
L’émaciation et le retard de croissance partagent plusieurs facteurs de risque dans les pays d’Asie du Sud (sous-nutrition et mauvaise santé des mères, insuffisance pondérale à la naissance et régime alimentaire inadapté durant la petite enfance) et touchent souvent les mêmes enfants (Harding et al., 2018b ; Torlesse et Aguayo, 2018). Les enfants ayant une insuffisance pondérale à la naissance sont ainsi plus exposés au risque d’être atteints simultanément d’émaciation et d’un retard de croissance en Asie du Sud. En Inde, les pratiques d’alimentation de complément inadéquates favorisent également l’association de l’émaciation et du retard de croissance (Harding et al., 2018b). Ces conclusions révèlent la nécessité d’élaborer des programmes intégrés qui s’attaquent simultanément aux questions liées à l’émaciation et au retard de croissance afin de lutter contre ces deux formes de sous-nutrition tout au long de la vie.
D’après certains chercheurs, les risques de mortalité liés à l’émaciation sévère seraient plus faibles en Asie du Sud que dans les autres régions, au regard des taux de mortalité post-néonatale relativement bas dans la région, en dépit de la forte prévalence de l’émaciation et de l’émaciation sévère (UNICEF, 2018). Cependant, l’analyse de données longitudinales par Andrew Mertens et son équipe (2020b) a démontré que le retard de croissance précoce, l’émaciation persistante et l’association de l’émaciation et du retard de croissance étaient tous liés à une mortalité accrue. Or, ces affections sont toutes répandues en Asie du Sud.
Il est nécessaire de mener des recherches supplémentaires pour comprendre le lien entre mortalité et émaciation en Asie du Sud, le rôle que joue le contexte sur cette relation, ainsi que ses implications concernant l’élaboration de politiques et de programmes. Une chose est sûre, les risques de mortalité ne sont pas suffisamment faibles pour être ignorés. De plus, même si les enfants meurent moins de l’émaciation et de l’émaciation sévère en Asie du Sud, les conséquences à long terme peuvent néanmoins s’avérer désastreuses sur la croissance, ainsi que sur les capacités cognitives et d’apprentissage.
Des études réalisées en Inde ont également montré que les enfants souffrant d’émaciation sévère sans complications médicales réagissaient plus lentement aux traitements qu’en Afrique (Prost et al., 2019). Cela peut être dû à leur plus jeune âge, à leur exposition à davantage d’épisodes d’émaciation sévère, ou à leurs morphologies différentes qui expliqueraient que les seuils du poids-pour-taille puissent refléter des niveaux de gravité de l’émaciation variables d’une population à l’autre (Post et al., 2001). Ces découvertes semblent indiquer qu’il existe des différences régionales relatives aux causes de l’émaciation, mais cette hypothèse nécessite de mener des recherches plus approfondies à ce sujet.
Politiques et programmes de lutte contre l’émaciation en Asie du Sud
La question de la nutrition fait désormais partie des priorités politiques de l’Asie du Sud et la plupart des pays mettent actuellement en place des plans de nutrition multisectoriels à l’échelle nationale en vue d’atteindre les objectifs mondiaux de nutrition. Toutefois, tant dans la conception que dans la mise en œuvre, ces plans n’accordent pas suffisamment d’importance à la question de l’émaciation, comme l’indiquent la lenteur des progrès accomplis en matière de prévention de l’émaciation et la très faible couverture des services de prise en charge des enfants atteints d’émaciation sévère. Dans les pays membres du mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) (Afghanistan, Bangladesh, Népal, Pakistan, Sri Lanka et certains États indiens), cela pourrait s’expliquer par la priorité accordée par le mouvement à la réduction du retard de croissance. De fait, certains pays tendent à dissocier les efforts déployés pour lutter contre l’émaciation et le retard de croissance au lieu de les associer et de les aligner.
En outre, l’Asie du Sud n’a pas obtenu autant de dons que l’Afrique subsaharienne pour lutter contre l’émaciation et les organisations non gouvernementales (ONG) œuvrant dans ce domaine y sont également moins nombreuses. La transition des pays d’Asie du Sud vers le statut de pays à revenu intermédiaire et la concentration des dons pour faire face aux crises humanitaires en Afrique subsaharienne et au Moyen-Orient pourraient expliquer en partie pourquoi le problème majeur de l’émaciation reçoit si peu d’attention de la part des donateurs et de la communauté internationale des acteurs de la nutrition en Asie du Sud. Cette situation pourrait être l’occasion pour les gouvernements de se saisir de cette thématique et de mener une action affirmée contre l’émaciation en Asie du Sud. Toutefois, certaines questions non résolues sur la capacité des pays à mettre en place des interventions à grande échelle, en particulier pour la prise en charge de l’émaciation, freinent les progrès en ce sens.
Dans cet article, nous décrivons les réponses politiques et programmatiques actuellement mises en œuvre dans les six pays qui affichent les nombres de cas d’émaciation les plus hauts, à savoir l’Afghanistan, le Bangladesh, l’Inde, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka. Nous nous intéressons essentiellement à la prise en charge de l’émaciation (tableau 1 et encadré 1), car les actions préventives reçoivent plus d’attention de la part des gouvernements et des partenaires dans la plupart des pays (à l’exception peut-être de l’Afghanistan et du Pakistan). Cet accent sur la prévention s’inscrit dans le cadre des efforts fournis à l’échelle mondiale, régionale et nationale pour réduire le retard de croissance. Cela étant dit, il est vrai que la prévention de l’émaciation doit constituer la priorité absolue pour faire diminuer le nombre d’enfants nécessitant une prise en charge. De fait, même une fois guéris, les enfants qui ont souffert d’émaciation présentent plus de risques d’avoir des problèmes de croissance et de développement neurocognitif (Black et al., 2013). Il est notamment crucial de redoubler d’efforts dans les pays d’Asie du Sud pour améliorer l’état nutritionnel des femmes et de leurs nourrissons lors des 500 jours qui séparent la conception des six mois des enfants. Il est également nécessaire d’améliorer les pratiques en matière d’alimentation de complément, car celles-ci ne sont pas adaptées dans la région. Or, une meilleure alimentation pourrait réduire l’incidence de l’émaciation après l’âge de six mois. Cette édition de Field Exchange5 examine plus en détail la question de la nutrition maternelle, tout comme une édition récente de Nutrition Exchange publiée par l’ENN, qui se penche sur les mesures visant à améliorer le régime alimentaire des jeunes enfants en Asie du Sud6.
Seuls trois pays (l’Afghanistan, le Népal et le Pakistan) ont mis en place des politiques et des lignes directrices nationales pour la prise en charge de l’émaciation globalement conformes aux recommandations de l’OMS de 2013 (OMS, 2013), y compris pour l’utilisation d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE), afin de prendre en charge les cas d’émaciation sévère sans complications au niveau communautaire. Les programmes mis en place dans ces trois pays étaient au départ des interventions humanitaires et en sont aujourd’hui à divers stades de l’intégration de la prise en charge de l’émaciation aux services de santé courants. Cependant, le manque de financement, notamment pour l’approvisionnement en ATPE, limite fortement leur couverture. L’Afghanistan dépend largement des financements humanitaires à court terme (programme Food for Peace du gouvernement des États-Unis), ce qui a permis au pays d’atteindre un taux de couverture de traitement pour les enfants atteints d’émaciation sévère de 50 %. Si ce niveau est le plus haut de la région, il est nettement en deçà de la couverture universelle. Qui plus est, ce taux reste fragile, car les tentatives visant à mobiliser des financements pluriannuels et/ou de développement se sont révélées infructueuses. Dans l’idéal, le financement de l’approvisionnement en ATPE devrait être inclus dans l’enveloppe des services de santé essentiels du gouvernement afghan. Néanmoins, en raison des préoccupations entourant le montant du budget qui devrait y être consacré, aucun accord n’a été trouvé pour le moment. Au Pakistan, le programme Food for Peace du gouvernement américain (qui couvre uniquement les besoins humanitaires) et le gouvernement national cofinancent l’achat d’ATPE. Toutefois, les financements dont bénéficie le programme sont très insuffisants et la couverture reste donc très faible (inférieure à 5 %). Au Népal, le gouvernement a intégré une ligne budgétaire dédiée aux ATPE et s’apprête donc à prendre le relais de l’Union européenne et de l’UNICEF en ce qui concerne leur financement. Mais, une fois encore, les besoins dépassent les ressources financières et la couverture reste inférieure à 5 %. Aucun de ces trois pays n’a intégré les ATPE à sa liste de médicaments essentiels et les déficits de financement pour permettre un déploiement de ces services à grande échelle n’ont pas été quantifiés, bien qu’un travail soit en cours pour remédier à ce problème7.
L’Inde et le Bangladesh disposent tous les deux de services de prise en charge de l’émaciation sévère en hospitalisation. Cependant, aucun de ces deux pays n’a pleinement adopté les recommandations de l’OMS sur la prise en charge de l’émaciation sévère, notamment en ce qui concerne le traitement des cas sans complications au niveau communautaire au moyen de préparations d’ATPE répondant aux normes de l’OMS. Au Bangladesh, le recours massif à l’hospitalisation limite fortement l’accès à la prise en charge en raison du coût d’opportunité élevé des soins en hospitalisation, en particulier pour les familles vulnérables. Les interventions menées pour faire face à la crise des Rohingya à Cox’s Bazar font exception à la règle, car l’émaciation sévère y fait l’objet d’une prise en charge communautaire à base d’ATPE. En Inde, certains États mettent en œuvre des mesures de prise en charge communautaire de l’émaciation sévère au moyen de différents produits nutritionnels financés par le gouvernement et, dans quelques États, par des fondations philanthropiques8. Par ailleurs, les Services intégrés pour le développement de l’enfant financés par le gouvernement indien fournissent des rations alimentaires à emporter (pour les enfants âgés de 6 à 35 mois) ou des déjeuners préparés (pour les enfants âgés de 3 à 6 ans). Les rations sont doublées lorsque les enfants présentent une insuffisance pondérale sévère (de Wagt et al., 2019). Le Sri Lanka propose des services de prise en charge de l’émaciation sévère en hospitalisation et en ambulatoire, qui sont en grande partie financés par le gouvernement. Néanmoins, la prestation des services n’est assurée que jusqu’au niveau du district, ce qui restreint l’accès aux soins.
Des fonctionnaires et des universitaires au Bangladesh et en Inde soulèvent un certain nombre de questions sur les recommandations mondiales relatives à la prise en charge de l’émaciation infantile. Les ATPE suscitent ainsi plusieurs interrogations, notamment concernant le coût lié à la prise en charge à grande échelle d’enfants souffrant d’émaciation sévère basée sur l’administration d’ATPE ; le rapport coût-efficacité, compte tenu du taux de mortalité post-néonatale relativement faible ; la convenance des produits pour les enfants vivant en Asie du Sud, en particulier sur le plan nutritionnel et culturel ; l’existence d’autres produits alimentaires, par exemple des rations alimentaires distribuées par les Services intégrés pour le développement de l’enfant en Inde aux enfants en insuffisance pondérale sévère ; la présence d’infrastructures de santé relativement plus solides qu’en Afrique subsaharienne dans les pays qui permettent de dépister les enfants et assurent leur référencement vers des soins en hospitalisation si besoin ; ou encore l’épidémiologie de l’émaciation (qui, selon les fonctionnaires et les universitaires en question, plaide en faveur d’un rééquilibrage des efforts fournis pour prévenir la malnutrition maternelle et l’émaciation des nourrissons durant les six premiers mois de la vie). Nous n’analyserons pas ces arguments en détail dans le présent article, mais estimons qu’il est urgent que la communauté universitaire réunisse davantage de données probantes pouvant permettre d’orienter de manière objective les politiques et les programmes de prise en charge de l’émaciation sévère en Asie du Sud, ainsi que les directives normatives mondiales qui, comme l’a indiqué l’OMS (2013), reposent essentiellement sur des données concernant l’Afrique subsaharienne.
Il est en outre important d’ajuster le discours politique sur l’émaciation dans la région afin qu’il aborde des aspects beaucoup plus larges, c’est-à-dire ne se limitant pas aux produits utilisés dans la prise en charge de l’émaciation sévère. Dans le cadre de l’Asie du Sud, il convient aussi d’examiner le continuum de soins du début de la grossesse à la naissance de l’enfant afin de réduire le nombre d’enfants souffrant d’émaciation devant être pris en charge, mais aussi le parcours du dépistage précoce de l’émaciation à sa prise en charge et à la prévention de la rechute. L’émaciation chez les enfants n’est aujourd’hui pas toujours diagnostiquée comme elle le devrait. En effet, certains pays de la région n’ont pas recours à la mesure du périmètre brachial dans le cadre du dépistage, lui préférant la mesure du poids-pour-taille, une méthode difficile à mettre en place à l’échelle communautaire. Des données publiées récemment indiquent toutefois que la mesure du poids-pour-taille permettrait de détecter les enfants présentant un risque élevé de mortalité (Mertens et al., 2020b), ce qui est encourageant alors que tous les pays mettent en place des activités de suivi de la croissance. Les systèmes et services communautaires visant à traiter l’émaciation sont encore souvent dispensés de manière verticale et séparément des interventions de prévention de l’émaciation et du retard de croissance. Il est donc crucial d’adopter des approches plus intégrées. Dans certains pays, comme l’Afghanistan, les services de gestion de l’émaciation modérée ne sont pas systématiquement liés aux services de prise en charge de l’émaciation sévère. Dans les autres pays, on observe souvent un manque de services visant à favoriser la guérison des enfants atteints d’émaciation modérée, tels que des prestations de conseil aux pourvoyeurs de soin, mais aussi à éviter la dégradation de l’état de santé vers une émaciation sévère. Il est donc nécessaire de réduire ces disparités et de mettre au point une approche globale de services centrés sur l’enfant couvrant tout le continuum de soins, de la prévention à la prise en charge.
S’agissant des bébés de moins de six mois, les pays de la région ont intégré la prestation de soins aux nourrissons ayant une insuffisance pondérale à la naissance aux services néonatals dans les établissements de santé. La continuité des soins dispensés à ces nourrissons lorsqu’ils sont ramenés dans la communauté (ou aux enfants nés à domicile) ainsi que le dépistage et les soins précoces destinés aux enfants exposés à la malnutrition dès la naissance ou durant la petite enfance constituent des sujets de préoccupation plus importants encore. Les six pays sont dotés de lignes directrices nationales sur les soins en hospitalisation dispensés aux enfants de moins de six mois atteints d’émaciation, mais aucun d’entre eux ne possède pour le moment de programmes nationaux de prise en charge des nourrissons exposés à la malnutrition et de leur mère à l’échelle communautaire. Néanmoins, l’Inde assure la prestation de soins à domicile aux enfants nés avec une insuffisance pondérale9, tandis que l’Afghanistan, le Bangladesh et l’Inde étudient actuellement la possibilité de mettre en œuvre des programmes de prise en charge des nourrissons exposés à la malnutrition ainsi que de leur mère au niveau des communautés. Parmi les questions encore en suspens figure notamment la manière d’identifier ces nourrissons exposés à la malnutrition et de s’assurer que leur mère reçoit un soutien, étant donné que le point d’entrée des services est souvent axé sur les soins pédiatriques.
Bon nombre de ces questions ont été soulevées lors de la conférence régionale organisée en 2017 par l’Association sud-asiatique de coopération régionale (ASACR) et l’UNICEF intitulée « Stopper le retard de croissance – Pas de temps à perdre »10. Cet événement majeur a réuni des pays de toute l’Asie du Sud pour échanger et s’accorder sur les mesures à prendre afin de déployer les services de soins et de prise en charge des enfants atteints d’émaciation sévère à plus grande échelle. La conférence s’est conclue par un appel à l’action11 afin d’orienter l’élaboration des politiques et des programmes visant à réduire l’émaciation chez les enfants, lequel a été approuvé par les ministres de la Santé de l’ASACR au cours de la même année. Cet appel à l’action repose sur le principe central suivant : la prévention de l’émaciation et du retard de croissance doit être prioritaire dans tous les contextes, aussi bien de développement qu’humanitaires, et ce, en raison des très fortes prévalences et du nombre de cas élevés dans la région et des coûts très élevés induits pour les enfants, les familles et les pays. Toutefois, lorsque des enfants souffrent malgré tout d’émaciation, il est crucial de le savoir et de les prendre en charge le plus tôt possible. Pour y parvenir, l’idéal est d’opter pour une prise en charge communautaire si les patients ne présentent pas de complications médicales et une prise en charge en établissement de santé en cas de complications.
Cet appel à l’action garde encore aujourd’hui tout son sens et devrait se traduire en actes alors que la région et les pays affichant un nombre de cas élevé poursuivent leurs efforts conformément au cadre du Plan d’action mondial des Nations Unies contre l’émaciation. Ils devraient ainsi mettre au point des feuilles de route nationales afin de contribuer à la réalisation de la cible des objectifs de développement durable relative à l’émaciation12. Ces feuilles de route nationales relatives aux actions à mener seront élaborées sous la direction des gouvernements nationaux. Elles répertorieront les mesures prioritaires à prendre pour accélérer les progrès en matière de prévention et de prise en charge de l’émaciation. Ces actions devront être intégrées aux politiques, stratégies et plans multisectoriels nationaux plus vastes axés sur la nutrition le plus tôt possible afin d’établir les liens appropriés avec les mesures visant à prévenir toute forme de malnutrition.
L’émaciation chez les enfants et la COVID-19
Depuis le début de l’année 2020, la pandémie de COVID-19 bouleverse la vie de millions d’habitants de la région (Ingram, 2020). Les pertes massives d’emploi et de revenus, combinées à la perturbation des chaînes de production, de transport et de vente de produits alimentaires abordables, ont gravement nui à la capacité des ménages vulnérables à se nourrir. Par exemple, une étude menée en avril 2020 auprès de ménages urbains pauvres du Bangladesh a révélé que 75 % d’entre eux avaient vu leurs revenus diminuer, que 28 % avaient enregistré une baisse de leurs dépenses alimentaires et que 24 % n’étaient plus en mesure de consommer trois repas par jour (PPRC-BIGD, 2020). Les régimes de protection sociale ne suffisent pas à subvenir aux besoins croissants des familles appauvries, qui perdureront probablement pendant de nombreux mois une fois les mesures de confinement levées.
Les conséquences de cette situation sur l’émaciation des enfants sont très préoccupantes. Des estimations datant de juillet 2020 suggèrent que si rien n’est fait en temps opportun, l’émaciation touchera 6,7 millions d’enfants supplémentaires dans le monde, soit une augmentation de 14,3 % qui pourrait entraîner le décès de plus de 10 000 enfants par mois (Headey et al., 2020)12. D’après les inquiétantes prévisions formulées par les auteures de cet article, l’Asie du Sud sera la région la plus touchée avec 3,9 millions (58 %) des 6,7 millions nouveaux cas d’émaciation infantile prévus. Obtenir des données concrètes sur l’état nutritionnel des enfants est actuellement difficile, les mesures à réaliser requérant un contact physique. Ayant cependant poursuivi l’examen des enfants dans les établissements de santé, l’Afghanistan a relevé une augmentation de 13 % du nombre d’enfants souffrant d’émaciation entre janvier (690 000 cas) et mai (780 000 cas) seulement13.
Les systèmes de santé surchargés peinent à continuer d’assurer les services essentiels de prévention et de traitement de l’émaciation ainsi qu’à encourager les familles à y recourir. Dans les pays d’Asie du Sud, les services de prévention de la malnutrition (soins nutritionnels prénatals dispensés aux femmes, soutien et conseils en matière d’allaitement et d’alimentation complémentaire, supplémentation en vitamine A, etc.) ont souvent été les premiers à avoir été relégués au second plan dans le cadre des mesures de confinement. Une étude réalisée dans neuf hôpitaux du Népal établit que la proportion de nouveau-nés allaités dans l’heure suivant la naissance a diminué de 3,5 % au cours des premières semaines de confinement (Ashish et al., 2020). En raison de craintes liées à la transmission du virus, certaines femmes reçues dans des maternités ou des centres d’isolement ont été séparées de leurs nourrissons en âge d’être nourris au sein, ce qui a sensiblement compromis le démarrage et la poursuite de l’allaitement. Des services de traitement de l’émaciation ont été fermés ou considérablement limités afin de libérer du personnel et de l’espace en vue d’assurer la prise en charge des patients atteints de COVID-19. Par exemple, en mai 2020, les systèmes d’information réguliers avaient enregistré une baisse des hospitalisations pour émaciation sévère de 40 % en Afghanistan et de 75 % au Bangladesh par rapport à mai 2019, en plus de constater la mise à l’arrêt des services de soins ambulatoires au Népal.
À compter de juin 2020, cependant, la plupart des pays ont commencé à inverser la tendance à la baisse du nombre d’admissions pour émaciation sévère. Les communautés nationales, régionales et mondiales du secteur de la nutrition ont noué une véritable collaboration en vue de rechercher des solutions pragmatiques de maintien des services de nutrition essentiels. Les ministères de la Santé des pays de la région ont redéfini comme prioritaires et relancé les services de nutrition essentiels dès la mise en place des mesures permettant leur prestation dans les meilleures conditions de sécurité possible. Nombre d’entre eux ont adapté à leur contexte national les directives mondiales portant sur les soins nutritionnels aux enfants dans le cadre de la pandémie de COVID-19, y compris celles sur le traitement de l’émaciation. Ils ont apporté différentes modifications aux programmes afin de pouvoir poursuivre la fourniture de services de prévention et de traitement de l’émaciation tout en réduisant au minimum les risques de transmission de la COVID-19 (encadré 2).
Bien qu’ils aient pu reprendre dans la plupart des cas, les services de nutrition essentiels n’ont pas encore recouvré leurs capacités d’avant la crise. En raison des effets indirects de la pandémie, des milliers d’enfants ont basculé dans un état d’émaciation et n’ont pas bénéficié d’une prise en charge au moment où ils en avaient le plus besoin. Alors que les pays poursuivent leur riposte contre la pandémie et se trouvent face à la menace d’un confinement plus étendu ainsi que de difficultés économiques persistantes, il est essentiel que les gouvernements et leurs partenaires agissent pour éviter que l’émaciation ne touche plus d’enfants et pour prendre en charge ceux qui en sont atteints.
En juillet 2020, les responsables de l’UNICEF, de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture, du Programme alimentaire mondial et de l’Organisation mondiale de la Santé ont lancé un appel à l’action international pour protéger le droit des enfants à un apport nutritionnel convenable dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Ils ont défini des mesures de protection de ce droit dont la mise en place et le suivi devraient être immédiats, y compris :
- Préserver et promouvoir l’accès à des régimes alimentaires nutritifs, sûrs et abordables ;
- Investir au profit de l’amélioration de la santé nutritionnelle maternelle et infantile au cours de la grossesse, des premiers mois de vie et de la petite enfance ;
- Réactiver et déployer à plus grande échelle les services de dépistage précoce et de traitement de l’émaciation chez les enfants ; et
- Étendre les mesures de protection sociale pour préserver l’accès à des régimes alimentaires nutritifs et aux services essentiels.
La difficulté consiste à présent à mettre ces recommandations en pratique. Pour y parvenir, les gouvernements, les bailleurs de fonds, le secteur privé et les Nations Unies devront réaliser d’importants investissements en cette période de ralentissement économique, où le manque d’adéquation entre les besoins et les ressources financières (à la fois des bailleurs et des gouvernements) est susceptible d’être considérable. Il existe donc un besoin urgent de transposer cet appel à l’action au contexte de chaque pays de la région afin que les ressources soient affectées en priorité aux actions les plus à même d’atténuer les effets de la pandémie sur l’état nutritionnel des enfants.
Repenser la prise en charge des enfants souffrant d’émaciation en Asie du Sud
Les interventions de lutte contre l’émaciation en Asie du Sud ne sont clairement pas à la hauteur de l’étendue du problème. L’Afghanistan, le Népal et le Pakistan ont adopté les directives normatives mondiales sur le traitement de l’émaciation sévère, mais le manque de ressources financières pour subvenir aux frais liés aux ATPE ainsi qu’aux besoins humanitaires et de développement représente l’un des principaux obstacles au déploiement à grande échelle. De leur côté, le Bangladesh, l’Inde et le Sri Lanka ne disposent d’aucun programme national de prise en charge communautaire de l’émaciation sévère. Différents acteurs internes considèrent en effet que certaines des dispositions des directives normatives mondiales sur la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë sont inadaptées au contexte de leur pays. Aucun modèle alternatif fondé sur des données probantes n’a cependant été élaboré. Malgré l’importance relativement croissante accordée aux interventions préventives, la prévalence et l’incidence de l’émaciation chez les nourrissons demeurent continuellement élevées parce que trop de mères sont minces, petites et jeunes. Les services de soins fournis aux nourrissons vulnérables du point de vue nutritionnel sont également insuffisants. Cette incapacité à prévenir l’émaciation et à prendre en charge ceux qu’elle touche privent les enfants de la génération actuelle de chances de survivre, de grandir, de se développer et de s’épanouir.
Parallèlement, l’Asie du Sud est riche de possibilités et de moyens de penser et de faire autrement, notamment de promouvoir des approches novatrices qui pourraient non seulement servir à orienter les politiques et les programmes de prévention et de prise en charge de l’émaciation infantile dans cette partie du continent, mais également bénéficier à d’autres régions du monde.
Tous les efforts doivent avoir pour objectif central de voir les gouvernements s’approprier et diriger les activités de prévention et de prise en charge de l’émaciation chez les enfants. Le leadership des gouvernements constitue un élément essentiel dans tous les contextes d’intervention, qu’il s’agisse d’aide humanitaire ou au développement, ainsi qu’à tous les niveaux. Nous devons en faire davantage pour attirer l’attention des responsables nationaux sur les conséquences néfastes de l’inaction en matière de lutte contre l’émaciation ainsi que sur les bénéfices que pourrait générer l’investissement de ressources publiques. Les pays ne doivent cependant pas traiter l’émaciation comme un problème isolé. Ils doivent plutôt assurer l’intégration des mesures de prévention et de prise en charge de l’émaciation (y compris celles définies dans les feuilles de route nationales établies dans le cadre de la mise en pratique du plan d’action mondial) à des stratégies et à des plans pour la nutrition multisectoriels.
Les défis qui se posent sont trop importants pour que les gouvernements puissent agir seuls. Cependant, il leur également impossible de dépendre des aides financières humanitaires pour assurer la prise en charge des enfants, celles-ci étant de courte durée et insuffisantes pour subvenir aux besoins de la majorité des enfants souffrant d’émaciation dans les régions en développement. La communauté des acteurs du développement doit également accorder à l’Asie du Sud l’attention requise concernant l’apport d’assistance technique et de financements pour dénouer les difficultés les plus pressantes. Cela implique de faire appel aux communautés des acteurs de la santé et de la nutrition à l’échelle mondiale. L’une des étapes essentielles d’une affectation efficace des ressources financières à la prévention et à la prise en charge de l’émaciation est la compréhension des coûts entraînés.
Les efforts nationaux visant à réduire la prévalence de l’émaciation chez les enfants doivent être centrés sur la prévention. Les pays d’Asie du Sud doivent faire des points suivants une plus grande priorité : l’amélioration des soins nutritionnels et sanitaires dispensés aux femmes avant et durant leur grossesse afin de prévenir l’insuffisance pondérale à la naissance chez les nourrissons et de préserver leur santé et leur bien-être ; le renforcement des soins nutritionnels dispensés aux nourrissons présentant une insuffisance pondérale à la naissance et à leur mère, au sein des établissements comme des communautés ; l’amélioration des pratiques d’allaitement et d’alimentation de complément au cours des deux premières années de vie ; ainsi que le dépistage de l’émaciation chez les enfants et leur référencement en cas de diagnostic. Le système de santé joue un rôle de premier plan dans la mise en œuvre de ces interventions nutritionnelles. Cependant, la coordination des activités des secteurs de l’alimentation, de la protection sociale ainsi que de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement est également nécessaire à l’amélioration de l’accès des ménages vulnérables à des régimes alimentaires nutritifs, sûrs et abordables ainsi qu’au renforcement de la capacité des pourvoyeurs de soin à s’occuper des enfants pendant les premières années de vie, qui sont décisives. Étant donné tout ce qu’il nous reste à apprendre sur la mise en œuvre de services de prévention de l’émaciation, les activités préventives doivent s’accompagner de travaux d’acquisition de connaissances afin de déterminer ce qui marche, et de quelle façon, à mesure que les programmes sont redéployés.
Nous devons renforcer l’intégration au système sanitaire de la prise en charge des enfants atteints d’émaciation dans le cadre d’un continuum de soins comprenant la prévention et le traitement des formes modérée et sévère de ce trouble. Pour ce faire, certains pays doivent commencer par s’accorder sur les stratégies concernant les méthodes de prise en charge communautaire de l’émaciation fondées sur des données probantes. Quel que soit le contexte, les interventions de prévention et de prise en charge de l’émaciation doivent être considérées comme faisant partie de l’ensemble de soins essentiels et être correctement intégrées aux politiques, aux plans, aux budgets, aux formations préalables à l’entrée en service des agents de santé ainsi qu’à la gestion des chaînes d’approvisionnement et des systèmes d’information sanitaire.
Enfin, nous devons continuer d’élargir la base de données sur l’épidémiologie de l’émaciation chez les enfants en Asie du Sud ainsi que sur les méthodes efficaces de mise en œuvre du continuum de traitement et de prévention. Nous devons clairement définir et cibler les lacunes existantes en matière de données qui posent un frein à l’action politique et à la programmation. Plus particulièrement, il est nécessaire de conduire des recherches opérationnelles afin d’évaluer l’efficacité de solutions de remplacement et de méthodes novatrices pour la prise en charge des enfants souffrant d’émaciation qui s’appuient sur des systèmes et des infrastructures de prestation de services existants et dont le déploiement à grande échelle est véritablement envisageable. Les pays ont également besoin d’organiser des forums de discussion ouverte portant sur les données et leur interprétation dans le but de parvenir à des décisions stratégiques et de programmation formulées par consensus et fondées sur des données.
Nous sommes sincèrement convaincus que mener des recherches et continuer d’engager des débats sur les données est largement nécessaire et faisable en Asie du Sud. L’objectif est de contribuer aux efforts régionaux et mondiaux d’optimisation et d’innovation dans le but de concevoir des méthodes de prise en charge des enfants souffrant d’émaciation qui soient durables et qui puissent être déployées à grande échelle. À cette fin, le bureau régional de l’UNICEF pour l’Asie du Sud a établi un groupe consultatif technique constitué d’experts régionaux et internationaux dont la mission est d’analyser les données disponibles sur les pays de la région et d’aider à remédier aux manques de données qui font obstacle à la mise en œuvre de solutions auprès des enfants d’Asie du Sud14. Le groupe consultatif technique fournira également son avis sur ce qu’impliqueront les nouvelles données recueillies pour la conception de politiques et de programmes en Asie du Sud, en plus d’élaborer des directives internationales opérationnelles et normatives.
Alors que les pays poursuivent la lutte contre la pandémie de COVID-19 et ses effets sur les moyens d’existence, les revenus et les services, nous devons admettre le fait que la prise en charge des enfants souffrant d’émaciation en Asie du Sud doit évoluer. Il est possible que la crise actuelle soit en réalité l’élément catalyseur qui poussera enfin les gouvernements nationaux et leurs partenaires du secteur du développement à repenser l’attribution de ressources à la prévention et à la prise en charge de l’émaciation chez les enfants en Asie du Sud. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons définir ce qui permettra de répondre le mieux possible aux multiples besoins actuels, cerner les méthodes les plus efficaces pour atteindre les enfants les plus vulnérables de la région et décupler les efforts pour obtenir des ressources financières domestiques et extérieures. Il est temps d’accorder plus de visibilité à l’émaciation des enfants en Asie du Sud et d’encourager les acteurs nationaux et internationaux à s’engager à lutter avec plus de détermination contre les obstacles qui entravent les avancées.
1 Estimations non publiées préparées par le bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Est et australe (données non incluses pour l’Angola, la Somalie et le Soudan du Sud) et le bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Ouest et centrale.
2 Pourcentage de femmes âgées de 20 à 24 ans ayant eu un enfant avant 18 ans. Données disponibles à l’adresse suivante : https://data.unicef.org/topic/child-health/adolescent-health/
3 Base de données de l’UNICEF sur l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, disponible à l’adresse suivante : https://data.unicef.org/resources/dataset/infant-young-child-feeding/
4 Voir la note de bas de page précédente.
5 Voir l’article d’opinion paru dans la présente édition, intitulé « Améliorer la nutrition maternelle en Asie du Sud : répercussions sur la prévention de l’émaciation chez les enfants ».
6 Nutrition Exchange South Asia: Young Children’s Diets in South Asia. Juin 2020, no 2. Disponible à l’adresse suivante : www.ennonline.net/nex/southasia
7 Voir l’article d’informations paru dans la présente édition, intitulé « Lutte contre l’émaciation chez les enfants : examen des outils d’évaluation des coûts et perspectives d’avenir ».
8 Voir l’article de terrain paru dans la présente édition, intitulé « Prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë au Rajasthan, en Inde ».
9 Voir l’article de terrain paru dans la présente édition, intitulé « Prise en charge des nourrissons de moins de six mois, petits et à risque nutritionnel, et de leurs mères : pas de temps à perdre ».
11 Voir l’appel à l’action dans le résumé du rapport paru dans la présente édition, intitulé « Report of the South Asia ‘Stop stunting: No time to Waste’ conference ».
12 Voir l’article d’opinion paru dans la présente édition, intitulé « Le cadre du Plan d’action mondial des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation chez les enfants et la région Asie et Pacifique ».
14 Voir l’article d’information paru dans la présente édition, intitulé « Groupe consultatif technique sur l’émaciation en Asie du Sud ».
Références
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Figure 1 : prévalence de l’émaciation et de l’émaciation sévère par région (estimations de 2019)
Source : édition 2020 des estimations communes de l’UNICEF, de l’OMS et de la Banque mondiale sur la malnutrition.
Figure 2 : prévalence de l’émaciation et de l’émaciation sévère dans les pays d’Asie du Sud
Source : Enquête nationale sur la nutrition en Afghanistan (2013), enquête par grappes à indicateurs multiples au Bangladesh (2019), enquête nationale sur la nutrition au Bhoutan (2015), enquête nationale globale sur la nutrition en Inde (2016-2017), enquête démographique et de santé aux Maldives (2016), enquête par grappes à indicateurs multiples au Népal (2019), enquête nationale sur la nutrition au Pakistan (2017-2018), enquête démographique et de santé au Sri Lanka (2016), édition 2020 des estimations communes de l’UNICEF, de l’OMS et de la Banque mondiale sur la malnutrition.
AFG = Afghanistan ; BGD = Bangladesh ; BHO = Bhoutan ; IND = Inde ; MDV = Maldives ; NPL = Népal ; PAK = Pakistan ; LKA = Sri Lanka
Tableau 1 : la prise en charge des enfants souffrant d’émaciation sévère dans les politiques et stratégies nationales
Encadré 1 : prise en charge de l’émaciation sévère dans les pays d’Asie du Sud
Afghanistan : l’émaciation infantile constitue l’une des priorités de la stratégie nationale en matière de nutrition publique et du programme de nutrition pour la sécurité alimentaire de l’Afghanistan. Le programme de prise en charge communautaire des enfants souffrant d’émaciation fait partie du programme de services de santé de base et de l’ensemble de services hospitaliers essentiels. En dehors du fait que le pays demeure dépendant des aides financières humanitaires pour l’achat d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE), la prise en charge de l’émaciation sévère est bien intégrée au système de santé. Cette inclusion a par ailleurs permis un important déploiement à plus grande échelle des services (ciblage de jusqu’à 50 % des enfants sévèrement émaciés). L’Afghanistan s’emploie actuellement à simplifier son protocole national. Afin de faire face au manque de financements pour l’achat d’ATPE, le gouvernement va également mener des projets pilotes de mesure du périmètre brachial par les membres des familles ainsi que de réduction des rations d’ATPE dans certaines provinces.
Bangladesh : le Bangladesh dispose de directives nationales concernant la prise en charge à la fois communautaire et dans les établissements des cas d’émaciation sévère. L’hospitalisation est toutefois uniquement possible dans les établissements, le recours à des ATPE du commerce n’étant pas autorisé (sauf dans le cadre des interventions face à la crise des Rohingya à Cox’s Bazar) et aucun traitement de substitution n’ayant été défini. Le taux de couverture des services de prise en charge demeure donc faible. Dans le pays, des chercheurs visent à évaluer l’efficacité d’ATPE préparés localement et conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé. Au vu du nombre élevé de nourrissons présentant un petit poids de naissance et d’enfants souffrant d’émaciation au cours de leurs premières années de vie, le Bangladesh a mené un projet pilote de mise en œuvre d’une méthode novatrice de prise en charge communautaire des nourrissons et des mères à risque.
Inde : en Inde, les centres de réhabilitation nutritionnelle fournissent des services d’hospitalisation des enfants atteints d’émaciation depuis la promulgation des directives de 2013 sur la prise en charge des cas de malnutrition aiguë sévère en établissement de santé. Plus récemment, le pays a mené des essais concernant l’inclusion des enfants émaciés hospitalisés dans les services d’hospitalisation pédiatriques, méthode qui pourrait être déployée à grande échelle. Des directives provisoires sur la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) ont été élaborées en 2017, mais ne sont à ce jour pas encore publiées. Les causes de l’émaciation en Inde ainsi que les meilleures méthodes de prise en charge de sa forme sévère font l’objet de débats encore ouverts dans les domaines scientifiques et des politiques, certains groupes s’opposant à l’emploi d’ATPE du commerce pour la prise en charge de ce trouble. Cette absence de consensus retarde la mise en place et le déploiement à grande échelle de services de prise en charge communautaire de l’émaciation sévère. Cependant, 13 des 29 États du pays ont entrepris ou planifient d’élargir la prise en charge des enfants souffrant d’émaciation aux communautés en plus des centres de réhabilitation nutritionnelle. Les stratégies et les méthodes de mise en œuvre varient d’un État à l’autre, certains prévoyant l’emploi de substituts d’ATPE locaux.
Népal : le Népal a instauré la PCMA pour la première fois en 2008 face aux inondations dans la région du Teraï. Le pays a depuis progressivement étendu la couverture des services de PCMA en les incluant dans ses premier (2013-2017) et deuxième (2018-2022) plans multisectoriels en matière de nutrition. Le déploiement à plus grande échelle des services de PCMA au Népal est un exemple encourageant de l’évolution de la prise en charge des enfants souffrant d’émaciation, laquelle passe d’activité humanitaire à intervention de développement, avec une intégration aux services de santé qui préserve les capacités d’expansion nécessaires en cas d’urgence. Le gouvernement dirige son propre programme de prise en charge, pour lequel il reçoit l’assistance technique d’un groupe national de coordination sur la nutrition composé de représentants d’organismes des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales. Le programme concerne actuellement 28 des 77 districts du pays, mais ne permet de prendre en charge que moins de 5 % des enfants sévèrement émaciés d’après les estimations.
Pakistan : les directives nationales de 2013 sur la PCMA sont actuellement en cours de révision. Le Pakistan a mis en œuvre son premier programme de PCMA en 2005 dans le cadre des interventions d’urgence face au séisme de la région d’Azad Cachemire. Le pays travaille depuis à élargir cette intervention centrée sur l’aide humanitaire pour y incorporer la programmation d’activités de développement en faveur de la prévention et de la prise en charge de l’émaciation infantile. Cette transformation implique l’intégration des services de PCMA au système de santé, qui est encore en cours, ainsi que la mise en place de mécanismes de coordination appropriés avec les initiatives nationales de lutte contre le retard de croissance.
Sri Lanka : le Sri Lanka a promulgué des directives nationales sur la prise en charge de l’émaciation sévère qui incluent le traitement à base communautaire au moyen d’un ATPE (BP100). La décentralisation du traitement ambulatoire des patients atteints d’émaciation sévère ne concerne toutefois que les hôpitaux de district. L’accès à des aliments thérapeutiques, en particulier des enfants souffrant d’émaciation et vivant loin des hôpitaux de districts, est limité par le fait que seuls les pédiatres sont autorisés à en prescrire.
Encadré 2 : modifications apportées à la programmation des services dans le contexte de la prévention et du traitement du COVID-19 dans les pays d’Asie du Sud
- Mesure du périmètre brachial par les membres des familles ou les mères afin de permettre aux ménages d’effectuer un dépistage de la malnutrition aiguë chez leurs enfants au moyen de rubans de mesure conçus à cette fin.
- Augmentation de l’espace séparant les lits des enfants hospitalisés.
- Réduction de la fréquence des séances de suivi des enfants souffrant d’émaciation sévère ayant reçu un traitement ambulatoire.
- Mise en place pour les femmes et les pourvoyeurs de soins de services de conseils à distance sur les apports nutritionnels dans le cadre de la grossesse, de l’allaitement et de l’alimentation complémentaire (WhatsApp, lignes d’assistance téléphoniques, etc.)
- Accompagnement et formation des agents de santé concernant les modifications apportées aux programmes au moyen de WhatsApp et d’autres moyens de communication à distance.
- Prépositionnement d’intrants nutritionnels afin d’atténuer les risques de ruptures de stock.