Expériences du programme de prise en charge intégrée de la malnutrition aiguë (PCMA) au Népal : du projet pilote au déploiement
Par Karan Courtney-Haag, Anirudra Sharma, Kedar Raj Parajuli et Anju Adhikari
Karan Courtney-Haag est responsable de la nutrition au sein du bureau de l’UNICEF au Népal.
Anirudra Sharma est spécialiste en nutrition au sein du bureau de l’UNICEF au Népal.
Kedar Raj Parajuli est responsable de la section Nutrition au sein de la division Protection de la famille, Département des Services de santé, du ministère de la Santé et de la Population du Népal.
Anju Adhikari est consultante en nutrition pour l’UNICEF au sein de la section Nutrition, division Protection de la famille, Département des Services de santé, du ministère de la Santé et de la Population du Népal.
Lieu : Népal
Ce que nous savons : Malgré une baisse de la prévalence du retard de croissance chez les enfants, l’émaciation est un problème chronique au Népal, un pays sujet aux situations d’urgence.
Ce que cet article nous apprend :
La persistance de taux d’émaciation élevés, conjuguée aux actions de plaidoyer menées par les organismes des Nations Unies et les partenaires de développement ainsi qu’à la nécessité de faire face à des crises humanitaires graves et récurrentes, a stimulé la mise en œuvre en 2009 d’un premier programme pilote de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) au Népal, visant à expérimenter différentes modalités de prestation au sein des services de santé existants. Dix ans plus tard, le pays est parvenu au déploiement pérenne de la PCMA, par l’intermédiaire d’une stratégie assimilée et pilotée par le gouvernement, favorisée par un solide cadre politique (incorporé dans le plan multisectoriel de nutrition), une structure de gouvernance nationale et décentralisée, un engagement financier, ainsi que des services spécifiques intégrés dans un système de santé communautaire bien établi. Le ministère de la Santé et de la Population finance désormais 90 % du programme de PCMA. L’assistance technique et financière fournie par les organismes des Nations Unies, les bailleurs de fonds bilatéraux et les organisations non gouvernementales (ONG) a permis au programme d’évoluer. En raison de son succès, il a été déployé afin de couvrir 38 des 77 districts du pays, dans lesquels des agents publics de santé formés et compétents dispensent des soins. Des capacités de renfort sont prévues dans le cadre de la préparation aux situations d’urgence. Les difficultés actuelles résident dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement en aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE), le recensement des cas, la faible couverture du traitement (15 %) et la prise en charge de l’émaciation modérée.
Contexte
L’amélioration de l’état nutritionnel des enfants de moins de cinq ans constitue un défi majeur au Népal. Au cours des 16 dernières années, la prévalence du retard de croissance chez les enfants a diminué régulièrement, passant de 57 % en 2001 (Enquête démographique et de santé au Népal – EDSN – 2001) à 32 % en 2019 (Enquêtes en grappes à indicateurs multiples – MICS – 2019). En revanche, celle de l’émaciation n’a quasiment pas varié et avoisine actuellement les 12 % à l’échelle nationale (figure 1). On estime que 3 % des enfants âgés de moins de cinq ans, soit 54 000 individus, souffrent d’émaciation sévère (MICS, 2019). La forte prévalence nationale de l’émaciation recouvre des disparités géographiques, ethniques, socioéconomiques et relatives à l’âge entre les sept provinces du Népal, lesquelles se reflètent dans la diversité des niveaux d’émaciation, allant de 17,6 % dans la province de Karnali située à l’extrémité occidentale du pays à 4,7 % dans la province centrale de Bagmati.
Figure 1 : Tendances de la prévalence de l’émaciation et du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans au Népal
EDSN = enquête démographique et de santé au Népal
MICS = enquêtes en grappes à indicateurs multiples
La crise de la malnutrition au Népal résulte de multiples causes et facteurs, parmi lesquels le statut socioéconomique, des pratiques d’allaitement non optimales, des maladies infantiles récurrentes, des pratiques d’alimentation complémentaire inappropriées et, en toile de fond, des conditions sanitaires et environnementales défavorables. Ces difficultés sont exacerbées par les conséquences de crises humanitaires graves et récurrentes, telles que celles causées par les inondations annuelles dans les provinces et les districts du sud du pays, et par les contraintes topographiques présentes dans d’autres parties du pays, qui se traduisent notamment par un manque d’accès aux services essentiels dans les zones de moyenne et de haute montagne.
Avant l’introduction de la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) au Népal, le traitement de la malnutrition aiguë était principalement assuré par les centres de récupération nutritionnelle (CRN) mis en place dès 1998 par la fondation Nepal Youth Opportunity Foundation (NYOF)[1], une organisation non gouvernementale internationale (ONGI) gérée par le ministère de la Santé et de la Population et dotée d’un personnel composé d’agents publics de santé. L’aide apportée aux familles des enfants atteints d’émaciation consistait essentiellement à dispenser aux pourvoyeurs de soins des conseils en matière d’hygiène, de pratiques et d’équilibre alimentaires, ainsi qu’un traitement à base de lait thérapeutique (préparé selon les prescriptions de l’Organisation mondiale de la Santé) et d’aliments à haute valeur nutritionnelle. Les enfants souffrant d’émaciation sévère étaient hospitalisés dans les CRN, où ils devaient demeurer, en compagnie de leurs accompagnants, pendant au moins quatre semaines. Ce fonctionnement, qui posait des problèmes lorsque ces personnes avaient d’autres enfants à charge ou des responsabilités professionnelles, a entraîné un taux élevé d’abandon. En outre, en raison de leur nombre limité (14) et de la faible capacité de chaque centre (10 à 20 lits), les CRN n’étaient pas en mesure de faire face à l’émaciation sévère à grande échelle.
En mars 2007, l’OMS, le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le Comité permanent de la nutrition et l’UNICEF ont publié une déclaration commune en faveur de la PCMA, affirmant qu’un grand nombre d’enfants atteints d’émaciation sévère n’avaient pas besoin d’être admis dans un établissement de santé ou un centre d’alimentation thérapeutique, mais pouvaient être pris en charge dans leur communauté. Cette déclaration a suscité la mise en œuvre, par le Gouvernement du Népal, du programme de PCMA, dont l’évolution fait l’objet du présent article.
Production de données probantes en faveur de la PCMA au Népal : étude pilote et évaluation 2009-2012
En 2008, l’UNICEF et le ministère de la Santé et de la Population du Népal ont mené une étude visant à évaluer la faisabilité de la mise en œuvre de la PCMA (connue alors sous le nom de Soins thérapeutiques communautaires). Cette étude a confirmé que le Népal avait des capacités suffisantes pour piloter un programme de PCMA dans le cadre du système de santé existant, par l’intermédiaire des hôpitaux publics, du personnel des postes sanitaires et des femmes agents de santé communautaires bénévoles, en collaboration avec les autorités sanitaires nationales et œuvrant au niveau des districts. Le programme pilote a ensuite été approuvé pour exécution par le Gouvernement du Népal la même année et incorporé dans la politique nationale de nutrition dans les situations d’urgence.
Il avait pour objectif d’évaluer, dans les trois différentes zones agroécologiques du pays (le Teraï au sud, la moyenne et la haute montagne), l’intégration des programmes de PCMA dans le système public de santé. Cinq districts pilotes ont été choisis dans ces trois zones, en raison de la prévalence élevée de l’émaciation (supérieure à 10 %), de la pauvreté généralisée, des infrastructures hospitalières et des capacités existantes pour une prise en charge communautaire intégrée des maladies de l’enfance (PCIME). Action contre la Faim (ACF) et Concern Worldwide[2] ont mené une enquête nutritionnelle de référence dans ces cinq districts, où trois modèles opérationnels différents de traitement de l’émaciation sévère ont ensuite été expérimentés. Dans le premier modèle, Concern Worldwide, une ONGI, a fourni une assistance technique et financière aux agents publics de santé pour la mise en œuvre du programme de PCMA dans l’un des districts. Dans le deuxième modèle, le gouvernement central a directement reçu de l’UNICEF un soutien financier et une assistance technique, et a alors affecté des fonds à deux districts pour la réalisation des activités de PCMA. Dans le troisième modèle, une ONG locale a appuyé le renforcement des capacités des agents de santé au niveau des districts et des provinces, tandis que l’UNICEF et le ministère de la Santé et de la Population ont apporté un soutien technique à distance. Le programme pilote a été financé par le Gouvernement népalais, le Département du développement international britannique (DfID), l’UNICEF, l’Union européenne (UE) et le Fonds central pour les interventions d’urgence.
Au terme de celui-ci, 75 centres thérapeutiques ambulatoires (CTA) avaient été mis en place dans les cinq districts pilotes. La plupart d’entre eux occupaient une salle ou un local dans un centre de santé primaire, un hôpital ou un poste sanitaire et, plus rarement, dans un poste sanitaire secondaire. Leur personnel était composé d’agents publics de santé existants, qui ont été formés au protocole de PCMA. Il s’agissait généralement d’infirmières et d’infirmiers détachés de leur poste de travail et service habituels, qui se mettaient gratuitement à disposition du programme. Les enfants atteints d’émaciation sévère sans complications ont été soignés au moyen d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE), fournis par les partenaires de développement et gérés par le ministère de la Santé et de la Population en dehors de la chaîne d’approvisionnement du système de santé.
En 2011, l’UNICEF a appuyé ce ministère dans l’évaluation de l’efficacité du programme de PCMA dans les districts pilotes (UNICEF, 2012). Les résultats obtenus ont été positifs dans les cinq districts, au regard des indicateurs Sphère. En juin 2011, sur 5609 enfants sortis du programme, 86 % étaient guéris, 0,2 % étaient décédés et 9 % avaient abandonné le traitement (tableau 1). Leur séjour durait en moyenne 49 jours et la prise de poids moyenne était de 4,8 g/kg/jour. Le taux de couverture du traitement n’a pas été calculé. L’évaluation a révélé que le deuxième modèle, dans lequel le gouvernement a directement reçu le soutien de l’UNICEF, est apparu comme la solution la plus rentable et celle ayant suscité la plus importante appropriation du programme par les pouvoirs publics. Les parties prenantes dans le pays, les organismes des Nations Unies, les bailleurs de fonds et les ONG ont mis à profit les enseignements et les recommandations tirés de l’évaluation du programme pilote pour plaider en faveur de l’affectation de ressources au déploiement de la PCMA dans les régions du Népal les plus touchées par l’émaciation.
Tableau 1 : Vue d’ensemble du traitement de la malnutrition aiguë sévère (MAS) au Népal (2009-2018)
Établissements de santé |
Admissions |
Sorties |
Guérisons* |
Décès* |
Abandons* |
Autres sorties* |
Patients ambulatoires (CTA) |
82 923 |
66 439 (80,1 %) |
55 274 (83,2 %) |
176 (2,6 %) |
7214 (10,9 %) |
3755 (5,7 %) |
Patients hospitalisés (CRN) |
17 076 |
17 076 (100 %) |
16 588 (97,1 %) |
7 (0,04 %) |
0 |
481 (2,8 %) |
Total |
99 999 |
83 515 |
71 862 |
183 |
7214 |
4236 |
% |
83,5 |
86 |
0,2 |
8,6 |
5,1 |
* % de sorties
Intégration de la PCMA dans les services de soins de santé primaires
Cadre politique
La réussite du programme pilote a constitué l’élément déclencheur de la mise en place du programme népalais de PCMA dans six des sept provinces du pays, sélectionnées en fonction de leur vulnérabilité nutritionnelle. C’est à cette époque que le programme a été rebaptisé « prise en charge intégrée de la malnutrition aiguë » (PCMA), une formulation qui inclut la volonté d’intégrer davantage les approches communautaires et en milieu hospitalier, ainsi que les services de prévention et de traitement. En 2013, le ministère de la Santé et de la Population a élaboré des directives nationales relatives à la PCMA, et le programme de PCMA a été incorporé dans le premier Plan nutritionnel multisectoriel du pays (MSNP-I, 2013-2017). Ces actions ont constitué une avancée significative, reflétant l’engagement croissant du gouvernement à l’égard du programme et de la stratégie nutritionnelle, et sa prise de conscience de la nécessité d’inscrire les programmes relatifs à la PCMA dans le cadre plus large des services de traitement et de prévention. En 2018, la deuxième édition du Plan nutritionnel multisectoriel (MSNP-II, 2018-2022) a été finalisée et approuvée, classant la PCMA parmi les priorités du secteur de la santé. Le ministère de la Santé et de la Population est le ministère chef de file pour les interventions spécifiques de nutrition menées dans le cadre du MSNP, notamment les programmes de PCMA. Il rend compte au Comité de pilotage de haut niveau de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, qui siège au sein de la Commission nationale de planification. La politique nationale de santé, la stratégie nationale pour le secteur de la santé et les directives relatives à la PCMA constituent d’autres documents politiques et techniques importants qui orientent le programme de PCMA au Népal.
Redevabilité et financement
Au niveau des provinces, le ministère du Développement social est responsable de la mise en œuvre des interventions spécifiques de nutrition élaborées par le ministère de la Santé et de la Population. Au niveau municipal, c’est aux établissements de santé que revient cette responsabilité. Cependant, depuis la fédéralisation du Népal, les trois échelons administratifs (fédéral, provincial et local) sont indépendants. De ce fait, le ministère du Développement social n’est pas responsable devant le ministère de la Santé et de la Population et ne lui rend aucun compte.
Dans un premier temps, le programme de PCMA a été financé par les partenaires de développement, notamment l’UNICEF. Mais le ministère de la Santé et de la Population le finance désormais à 90 %, les 10 % restants étant couverts par le DfID et la Banque mondiale. Le financement gouvernemental comprend l’achat et la gestion d’aliments et de laits thérapeutiques dans le cadre de la chaîne d’approvisionnement du système de santé, la dotation en personnel, la formation des agents publics de santé et la gestion de l’information. L’UNICEF, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et ACF fournissent un appui ponctuel pour les activités de renforcement des capacités, à la demande du ministère de la Santé et de la Population. Ainsi, l’UNICEF finance l’acquisition d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi en cas de retard ou de problème affectant les processus d’achat publics. Le ministère de la Santé et de la Population élabore actuellement un plan d’action nutritionnelle chiffré d’une durée de cinq ans, et communiquera le coût exact du programme de PCMA.
Modalité de mise en œuvre de la PCMA
La PCMA est mise en œuvre par l’intermédiaire du système de santé public, dans le cadre d’un éventail complet d’interventions nutritionnelles, intégré dans les prestations de base en matière de services de santé. Au niveau municipal, la PCMA est assurée par les établissements de santé publics, dans une salle ou un bureau spécifiques, parallèlement à d’autres programmes de santé et de nutrition infantiles, qui servent comme elle de plateformes permettant de recenser les enfants atteints d’émaciation modérée ou sévère. Les enfants fréquentant un établissement de santé pour le suivi de leur croissance et l’obtention de conseils en matière de nutrition du nourrisson et du jeune enfant, ou dans le cadre de la prise en charge intégrée des maladies de l’enfance (PCIME) sont dépistés en mesurant le poids-pour -taille. En cas de diagnostic d’émaciation sévère, ils sont référencés pour bénéficier d’un traitement dans un CTA ou un CRN, en fonction de la présence ou non de complications. Lorsqu’une émaciation modérée est détectée chez un enfant, la personne qui en prend soin reçoit des conseils nutritionnels.
Les femmes agents de santé communautaires bénévoles dépistent également les enfants en mesurant le périmètre brachial durant les campagnes de supplémentation en vitamine A, la distribution de poudres de micronutriments, les activités d’éducation nutritionnelle et celles menées par des groupes de femmes dans les villages. Lorsque les enfants sont orientés vers un établissement de santé pour une évaluation nutritionnelle et un traitement en conséquence, ceux qui ne bénéficient pas encore de la subvention publique universelle en espèces pour les enfants sont recensés et référencés en vue de leur inscription.
Indicateurs de performance
Depuis 2012, le programme de PCMA a été étendu et est désormais mis en œuvre dans 38 des 77[3] districts du pays, par l’intermédiaire de 500 CTA installés dans des postes sanitaires et 21 CRN implantés dans les hôpitaux. La figure 2 montre la hausse des admissions d’enfants souffrant d’émaciation sévère dans les CTA entre 2009 et 2018, à mesure de l’extension du programme dans de nouveaux districts et de l’augmentation du nombre de CTA. Cette hausse s’explique également, dans une certaine mesure, par la multiplication des actions de mobilisation sociale et des campagnes médiatiques promouvant les services de PCMA, ainsi que par la capacité accrue des agents de santé à recenser et à soigner les enfants atteints d’émaciation sévère. La baisse des admissions en 2015, également visible sur la figure 2, est vraisemblablement due à l’interruption immédiate des services causée par le séisme survenu cette même année, qui a entraîné la destruction des infrastructures de santé et la réduction des capacités de prestation de services. Entre 2009 et 2018, les indicateurs relatifs aux CTA révèlent d’excellents résultats, notamment un taux moyen de guérison de 83 %, un faible taux de mortalité de 0,26 % et un taux d’abandon de 10,9 %, en parfaite conformité avec les normes Sphère.
Figure 2 : Admissions dans les CTA et les CRN entre 2009 et 2018
Obstacles et goulots d’étranglement
La persistance d’une prévalence élevée de l’émaciation montre la nécessité d’accorder une priorité accrue aux actions de prévention de l’émaciation chez les enfants. Actuellement, les efforts sont davantage axés sur le traitement de l’émaciation et les mesures de prévention sont très peu comprises dans le contexte népalais.
Malgré la réussite du déploiement du programme de PCMA dans le pays, la couverture et la qualité des services se heurtent à des obstacles qui doivent encore être levés. Le dépistage actif par l’intermédiaire du système de santé est insuffisant, car il est associé à deux campagnes annuelles massives de supplémentation en vitamine A, dont la portée est limitée et freinée par la topographie et les difficultés d’accès. En dehors de ces campagnes, les femmes agents de santé communautaires bénévoles ne dépistent pas systématiquement ou régulièrement l’émaciation chez les enfants, par exemple au moment de leur admission pour d’autres problèmes infantiles. Ce sont autant d’occasions manquées pour le recensement et le référencement des enfants ayant besoin d’un traitement. Concernant la demande, la détection de l’émaciation par les pourvoyeurs de soins est très limitée. À l’instar des parents, ils identifient rarement les signes de la maladie chez l’enfant, et ignorent le risque accru de morbidité ou de mortalité qui en résulte. Les lacunes en matière de dépistage et la faible demande émanant des pourvoyeurs de soins se traduisent par un diagnostic, un référencement et une recherche de soins trop tardifs.
Certaines défaillances dans le système public de gestion de la chaîne d’approvisionnement constituent un obstacle supplémentaire à l’amélioration des traitements. Les ruptures de stock d’ATPE ou de laits thérapeutiques sont trop fréquentes dans les établissements de santé, et la perte de marchandises due à l’expiration des produits est liée aux faibles taux de dépistage et à l’abandon des traitements. Le ministère de la Santé et de la Population s’apprête à remédier à ces goulots d’étranglement en révisant, dans un premier temps, les directives nationales, afin d’y introduire la mesure du périmètre brachial par les familles ou par les mères, dans le but de permettre aux pourvoyeurs de soins de dépister l’émaciation chez leurs enfants et de favoriser ainsi le diagnostic et la recherche précoce de soins. Les problèmes relatifs à la chaîne d’approvisionnement sont systémiques et ne pourront se résoudre que si le ministère de la Santé et de la Population augmente les ressources financières et humaines. Le manque de traitement pour les enfants atteints d’émaciation modérée représente un autre obstacle. Actuellement, les personnes s’occupant d’enfants chez lesquels une émaciation modérée a été diagnostiquée reçoivent des conseils en matière d’alimentation, de lavage des mains, de pratiques d’hygiène et d’assainissement. Le ministère de la Santé et de la Population envisage de modifier les directives nationales relatives à la PCMA afin d’y introduire une solution de traitement qui concernerait également les enfants modérément émaciés, sous la forme de fourniture d’aliments supplémentaires et/ou d’une évolution vers un protocole simplifié de prise en charge de l’émaciation. Ces mesures permettraient d’empêcher que les enfants modérément émaciés ne basculent vers l’émaciation sévère.
Plus récemment, avec l’appui des partenaires de développement, le ministère de la Santé et de la Population a adapté le protocole national de PCMA à la lumière des restrictions imposées en raison de la pandémie de COVID-19. Parmi les ajustements réalisés figure la prolongation des visites de suivi d’une à deux semaines. Le ministère envisage en outre d’intégrer la mesure du périmètre brachial par les familles dans la version révisée des directives.
Leçons tirées de la mise en œuvre de la PCMA au Népal
Certains facteurs et leçons apprises ayant contribué à la réussite du programme de PCMA au Népal, ainsi que les domaines auxquels il convient d’accorder une plus grande attention sont présentés ci-après.
Cadre politique national : Le programme de PCMA est hautement prioritaire dans les stratégies et les plans nationaux, notamment le premier Plan nutritionnel multisectoriel (MSNP-I, 2013-2017), et son successeur, MSNP-II, 2018-2022. De même, il apparaît dans la politique nationale de santé et la stratégie nationale pour le secteur de la santé, et des directives nationales appuient sa mise en œuvre. Dans leur version la plus récente, la stratégie nutritionnelle nationale et le plan d’action quinquennal chiffré du ministère de la Santé et de la Population prennent également en compte le programme de PCMA. Ces documents politiques constituent le fondement de la gestion et de la mise en œuvre du programme au Népal.
Une structure de gouvernance nutritionnelle et un engagement financier solidement établis : Après l’élaboration du MSNP-I en 2013, la structure de gouvernance nutritionnelle a été établie à tous les échelons administratifs. Aux niveaux fédéral, provincial et local, des comités de pilotage et des comités de coordination de la sécurité nutritionnelle et alimentaire sont chargés de la planification, de la budgétisation et de l’affectation de fonds aux programmes de nutrition. Sans eux, le programme de PCMA n’aurait pas reçu le financement nécessaire à son évolution.
Un système de santé communautaire bien implanté : Chaque circonscription des collectivités locales dispose au moins d’un établissement de santé doté de cinq à huit agents de santé. Chaque communauté compte un groupe de mères dirigé par une femme agent de santé communautaire bénévole. Tous ces protagonistes possèdent les connaissances et les compétences nécessaires pour soutenir les programmes nutritionnels communautaires tels que la PCMA. Les femmes agents de santé communautaires bénévoles dépistent l’émaciation chez les enfants en mesurant le périmètre brachial. Elles facilitent et renforcent les liens de référencement entre le village et l’établissement de santé.
Engagement et appropriation des différents échelons administratifs : Dans l’ensemble du pays, les autorités locales ont affirmé leur volonté d’éliminer toutes les formes de malnutrition chez les mères, les adolescents et les jeunes enfants, au moyen d’une approche multisectorielle. Les administrations provinciales et locales ont intégré dans leurs plans de travail et leurs budgets annuels des programmes nutritionnels dotés d’une enveloppe budgétaire, tels que le programme de PCMA, de manière à honorer leurs engagements respectifs en matière de couverture universelle des services nutritionnels essentiels. Si l’UNICEF continue de fournir une assistance technique, le Gouvernement du Népal a depuis affecté des ressources nationales à l’achat d’ATPE et au renforcement des capacités des prestataires de soins de santé, et s’est engagé à respecter son plan de déploiement en faveur de la continuité et de la pérennité du programme.
Achat et approvisionnement en ATPE : Au cours des cinq dernières années, le ministère de la Santé et de la Population a progressivement assumé la responsabilité de l’achat d’ATPE et de laits thérapeutiques au moyen de ressources nationales, les partenaires de développement interrompant leur appui dans ce domaine. Malgré cette avancée positive vers une pleine appropriation du programme par les pouvoirs publics, le budget affecté par le gouvernement demeure insuffisant pour satisfaire 100 % des besoins des enfants népalais souffrant d’émaciation sévère. La volonté du ministère de la Santé et de la Population d’intégrer les ATPE dans la liste des médicaments essentiels au Népal pourrait faciliter l’augmentation des fonds alloués afin de répondre à l’intégralité des besoins. En outre, le ministère demande parfois à l’UNICEF de combler les lacunes en matière d’approvisionnement, dues à des retards importants dans les processus d’achat publics. Cet aspect doit être examiné plus attentivement. La production locale étant inenvisageable au Népal d’un point de vue financier, les produits sont actuellement importés d’Inde.
Apport d’une assistance technique au ministère de la Santé et de la Population : L’assistance technique et financière apportée durant les dix dernières années au ministère de la Santé et de la Population par l’UNICEF, l’Union européenne, le DfID, Action contre la Faim et Concern Worldwide a permis de guider et de diriger l’évolution du programme de PCMA, et d’adopter une approche de renforcement du système de santé. Les partenaires du ministère continuent d’appuyer la formation continue des prestataires de soins de santé, le développement des capacités des femmes agents de santé communautaires bénévoles, la gestion de la chaîne d’approvisionnement par le biais d’orientations techniques, le suivi du programme et le rapportage, les examens périodiques du programme et, plus récemment, la révision des directives nationales relatives à la PCMA.
Lacunes en matière de couverture : Si le déploiement du programme de PCMA a connu une progression satisfaisante, avec une augmentation de 38 à 77 districts népalais concernés et la mise en place de CTA et de CRN dans le cadre du système de santé, la couverture du traitement (environ 15 %) demeure faible. Il convient de mettre l’accent sur l’intensification du dépistage et du référencement des enfants souffrant d’émaciation sévère, afin que ceux ayant besoin d’un traitement soient plus nombreux à en bénéficier.
Capacités de renfort dans les situations d’urgence : Les crises humanitaires ont également joué un rôle crucial dans l’évolution des programmes de PCMA et de PCMA au Népal. Ces dix dernières années, le gouvernement a fait face à un grand nombre de situations d’urgence, qui ont toutes renforcé la volonté du ministère de la Santé et de la Population de déployer le programme de PCMA à grande échelle et de l’intégrer pleinement dans sa programmation nutritionnelle globale. Le développement des compétences des agents de santé, des femmes agents de santé communautaires bénévoles et des organisations de la société civile, qui a eu lieu durant la phase pilote, et les capacités de renfort disponibles pour surmonter chaque crise humanitaire (séisme, sécheresse et inondations), ont contribué à la constitution d’un vivier de prestataires qualifiés. En outre, la mise en œuvre du programme de PCMA lors de ces situations d’urgence a démontré au gouvernement l’efficacité de ce programme s’agissant de sauver des vies dans un contexte humanitaire.
Elle a également contribué à l’amélioration de la préparation des pouvoirs publics aux situations d’urgence et de leur capacité d’intervention. D’autre part, la composante de déploiement rapide de renforts du programme (approche « Surge »), rendue indispensable par les multiples crises, a également permis de déployer la PCMA, et de l’étendre des cinq districts pilotes initiaux à 59 districts entre 2006 et 2018. Appuyés durant la situation d’urgence provoquée par le séisme, ces districts sont ensuite sortis du programme en raison de la diminution des besoins. En 2020, le programme de PCMA était mis en œuvre dans 38 districts sur 77.
Conclusions
Le programme de PCMA au Népal a été déployé en vue d’améliorer la couverture du traitement de l’émaciation, au moyen d’une approche assimilée et pilotée par le gouvernement, favorisée par un solide cadre politique, une structure de gouvernance nationale et décentralisée, un engagement financier, ainsi que des services intégrés dans le système de santé national. En raison de son succès, la PCMA est désormais mise en œuvre à grande échelle dans 38 districts du pays, dans lesquels des agents publics de santé formés et compétents dispensent des soins. Tout en continuant à développer les services existants, la prochaine étape essentielle pour le ministère de la Santé et de la Population consiste à réfléchir aux modalités de prise en charge des enfants atteints d’émaciation modérée, en examinant de nouvelles solutions telles que les approches simplifiées en matière de traitement et, non moins important, à investir dans la sensibilisation et la mise en place d’actions de prévention de l’émaciation.
Pour en savoir plus, veuillez contacter Anirudra Sharma à l’adresse suivante : ansharma@unicef.org
2 ACF, Nutritional Anthropometric Survey, réalisée dans les districts de Mugu, Accham et Kanchanpur, 2008 ; Sustainable Development Initiative Network-Nepal, Nutrition Survey Report, Jajarkot District, Nepal, rapport soumis à Concern Worldwide, 2008.
3 En raison de la fédéralisation du pays, le nombre de districts népalais est passé de 75 à 77 en 2017.
Références
Ministère de la Santé du Népal, New ERA et ORC Macro, Enquête démographique et de santé du Népal 2001, division Santé familiale du ministère de la Santé, New ERA et ORC Macro, Calverton (MD), États-Unis, 2002.
Ministère de la Santé du Népal, New ERA et ICF, Enquête démographique et de santé du Népal 2016, Katmandou, Népal, ministère de la Santé du Népal, 2017.
Organisation mondiale de la Santé (OMS), Prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë sévère : Déclaration commune de l’Organisation mondiale de la Santé, du Programme Alimentaire Mondial, du Comité permanent de la nutrition du Système des Nations Unies et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance, Genève, Organisation mondiale de la Santé, 2007.
UNICEF, Evaluation of Community Management of Acute Malnutrition (CMAM): Nepal Country Case Study, 2012. Disponible à l’adresse suivante : https://www.unicef.org/evaldatabase/index_69858.html
UNICEF, Evaluation of Community Management of Acute Malnutrition (CMAM), Nepal country case study, Bureau des évaluations de l’UNICEF, juillet 2012, (11).