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Examen de l’intervention humanitaire en matière de nutrition dans le nord-est du Nigéria

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Par Alison Donnelly, Joanne Chui et Arja Huestis

Alison Donnelly a plus de dix ans d’expérience dans le domaine de la nutrition humanitaire et a travaillé à travers l’Asie et l’Afrique subsaharienne. Consultante indépendante, elle est titulaire d’un master en santé publique et nutrition et d’une licence en économie.

Joanne Chui possède un master en nutrition pour la santé mondiale. En tant que consultante indépendante, elle a de l’expérience dans les programmes de nutrition en Afrique subsaharienne.

Arja Karin Huestis est adjointe au suivi et à l’évaluation auprès du projet de « Maximising the Quality of Scaling Up Nutrition Plus » (MQSUN+) dirigé par le PATH. Elle a de l’expérience dans la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë et détient un master en épidémiologie.

Les auteures sont extrêmement reconnaissantes envers Simeon Nanama (Chef de section nutrition, UNICEF Nigéria), le secteur Nutrition du nord-est du Nigéria et Emma Massey (conseillère pour les questions humanitaires, bureau britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement) pour leur collaboration avisée pendant la révision. Un grand merci à Debjeet Sen, du PATH, pour son soutien dans la finalisation de cet article.

Cet article a été produit par l’initiative MQSUN+ avec le soutien de UK Aid et du gouvernement britannique. Les opinions qui y sont exprimées ne reflètent pas forcément les politiques officielles du gouvernement britannique. Cet article ne représente pas non plus les positions officielles de l’UNICEF. MQSUN+ ne peut être tenu responsable des erreurs ou des conséquences découlant de l’utilisation des informations contenues dans cet article.

MQSUN+ fournit au bureau britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement et au mouvement SUN, des services techniques destinés à améliorer la qualité de leurs programmes sensibles ou spécifiques aux questions de nutrition. Le projet est financé par un consortium de cinq grandes organisations non étatiques travaillant sur les questions de nutrition. PATH est l’organisation cheffe de file de ce consortium.

Lieu : Nord-est du Nigéria

Ce que nous savons : En situation de crise nutritionnelle, une intervention prompte doit trouver un équilibre entre les exigences de déploiement rapide nécessaires pour répondre aux besoins urgents et le soutien aux systèmes et capacités existants. La coordination est essentielle pour y parvenir.

Ce que cet article nous apprend : Le programme MQSUN+ a entrepris un examen de l’intervention nutritionnelle d’urgence dans le nord-est du Nigeria (de décembre 2018 à mars 2019) afin d’en déterminer les forces et les défis et ainsi éclairer les orientations futures. Le passage à l’échelle du secteur Nutrition est fortement axé sur le traitement de l’émaciation. Parmi les réussites, on a relevé un leadership gouvernemental fort, le déploiement de programmes de formation, des capacités de renfort pour le traitement de l’émaciation et le passage à l’échelle rapide de l’approvisionnement en aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE). Les défis rencontrés incluaient la duplication des opérations et des flux de financement bilatéraux, une programmation inadaptée pour soutenir l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants (ANJE) et les mères et nourrissons de moins de six mois à risque nutritionnel, la dépendance à l’aide extérieure et à l’assistance technique, différents défis dans la gestion des données et du rapportage concernant la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) et des défis dans l’anticipation des besoins en ATPE et de leur suivi. Les recommandations qui en sont ressorties ont permis d’éclairer la stratégie du secteur Nutrition prévue sur trois ans, élaborée en 2020.

Contexte

Depuis 2009, l’insurrection de Boko Haram a entraîné des déplacements massifs de population dans tout le nord-est du Nigéria. En 2016, l’accès humanitaire a été autorisé pour la première fois depuis des années dans des lieux jusque-là inaccessibles. On a ensuite constaté que les communautés étaient confrontées à un niveau critique d’insécurité alimentaire, ce qui a conduit le ministère de la Santé à déclarer « l’état d’urgence nutritionnelle » en juin de la même année (Organisation internationale pour les migrations, 2018). Cela a déclenché une intervention internationale rapide, extrêmement complexe à déployer, pour éviter une famine. Il existait peu d’organisations non gouvernementales (ONG) pour appuyer les services de nutrition en 2016, et beaucoup de celles qui étaient présentes n’étaient pas en mesure d’opérer dans des zones instables. Pour aider à remédier à cette situation, l’UNICEF a fait appel à une société de conseil pour recruter du personnel et superviser les services de nutrition. Ceci afin de combler les lacunes identifiées dans les effectifs du gouvernement et de déployer des services prioritaires tels que le traitement de l’émaciation sévère.

Depuis, le secteur Nutrition a continué à renforcer la prestation de ces services. En 2019, plus de 250 000 enfants ont été admis dans les services du programme de traitement ambulatoire (PTA), ce qui a probablement permis d’éviter une catastrophe nutritionnelle à grande échelle (UNICEF, 2019a). Cependant, la prévalence de la malnutrition aiguë globale (MAG) et de la malnutrition aiguë sévère (MAS) s’est maintenue aux alentours de 7 à 12 % et 0,6 à 1,5 % respectivement (figure 1a). Ces chiffres indiquent que l’intervention a été efficace dans le passage à l’échelle du traitement, mais qu’elle a moins bien réussi à déployer des services efficaces de prévention de la malnutrition et à réduire le nombre total de cas (UNICEF, 2019b).

Par le biais du programme MQSUN+, les bureaux nigérians de l’UNICEF et du bureau britannique des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement ont commandé un examen de l’intervention nutritionnelle d’urgence, financé par le bureau et mené par l’UNICEF. L’examen avait pour but de déterminer les forces et les défis inhérents à l’intervention dans le nord-est du Nigéria et ainsi en éclairer les futures orientations. Cet article revient sur les conclusions de cette étude, et plus particulièrement sur celles qui peuvent s’appliquer à d’autres interventions pour lesquelles un passage à l’échelle rapide est justifié dans des contextes fragiles.

Figure 1 : Tendances de la prévalence de la MAG et de la MAS chez les enfants âgés de 0 à 59 mois dans les États de Borno, Yobe et Adamawa

a)   Sur la base du poids-pour-taille et selon la présence d’un œdème

b)   Sur la base du périmètre brachial et de la présence d’un œdème bilatéral des membres inférieurs

Méthodologie

Le projet MQSUN+ a réalisé un examen entre décembre 2018 et mars 2019 en se basant sur une revue des documents clés (stratégies, outils et politiques), une analyse des ensembles de données disponibles, des visites d’observation sur site et des entretiens avec les informateurs clés des partenaires du secteur Nutrition. À partir de ces informations, l’examen a permis d’analyser les réussites et les leçons tirées de l’intervention, en se concentrant sur la coordination de l’intervention nutritionnelle et la performance des partenaires. Des recommandations ont été formulées afin d’améliorer la coordination et la réponse du secteur Nutrition dans cette situation et dans d’autres contextes fragiles.

Conclusions

Coordination du Secteur nutrition

Le secteur Nutrition bénéficie d’un leadership fort de la part du gouvernement, du soutien de l’UNICEF et de la participation des principales parties prenantes. Il est coordonné par le groupe de travail du secteur Nutrition qui tient des réunions régulières et très suivies, présidées par le ministère de la Santé avec le soutien de l’UNICEF. En outre, bien qu’il y ait encore des déficits de financements, le financement externe alloué à la nutrition indique que le ministère de la Santé comprend bien les besoins du secteur et les fait connaître aux donateurs.

Le secteur Nutrition a augmenté de manière significative le nombre et la qualité des infrastructures dédiées à la prise en charge hospitalière dans l’État de Borno, qui est le plus affecté. L’association de la formation en salle à celle sur le terrain et au mentorat grâce à la création, en 2017, d’un centre d’excellence au sein de l’hôpital universitaire de Maiduguri est probablement ce qui a permis de faire passer le nombre de cliniques de stabilisation fonctionnelles de 19 en 2018 à 26 début 2019 (Nigeria Nutrition Sector Partners 2018; Nutrition in Emergencies Sector Working Group 2019).

L’embauche du personnel par le biais d’une société de gestion afin de fournir des services en l’absence des ONG partenaires et des agents du gouvernement a permis de déployer rapidement des services de nutrition ambulatoires dans des contextes difficiles. Grâce à cet arrangement, du personnel de santé consultant a été recruté pour combler rapidement les manques là où les services gouvernementaux étaient disponibles mais où les ONG n’étaient pas en mesure de se mobiliser rapidement. Cela a probablement permis d’éviter une crise majeure, car le personnel a pu être déployé et fournir des services rapidement.

Les partenaires ont souvent dupliqué leurs opérations dans certaines zones et ne se sont pas toujours coordonnés entre eux. L’État de Borno a par exemple enregistré 214 % d’admissions au programme de traitement ambulatoire (PTA) de plus que ce qui avait été prévu en 2018 (UNICEF, 2019a). Et ce, alors même que les enquêtes n’indiquaient aucune hausse de la malnutrition et que les mouvements de population étaient insuffisants pour expliquer cette augmentation (UNICEF, 2019a). Au contraire, dans certains cas, des bénéficiaires se sont rendus à plusieurs sites et ont reçu des doubles rations, faute d’une coordination suffisante entre les partenaires. Les visites sur site ont révélé que les cliniques « de proximité » du PTA gérées par les partenaires étaient souvent installées à proximité d’établissements de santé disposant déjà de programmes de traitement.

Des problèmes de coordination et de rationalisation ont été rencontrés, en partie du fait de l’incapacité du secteur Nutrition à superviser les accords de financement bilatéraux. Le mécanisme de financement commun, le Fonds humanitaire du Nigéria, était alors nouveau et peu utilisé. Par conséquent, de nombreux partenaires ont conclu des accords bilatéraux avec les donateurs et ont informé le secteur Nutrition de l’ensemble des activités et des lieux des opérations une fois la confirmation du financement reçue. Les donateurs ne participent souvent pas aux discussions puisqu’ils sont basés à Abuja alors que les réunions de coordination ont lieu dans l’État de Borno. Cela a limité la capacité du secteur Nutrition à orienter l’allocation des fonds, aussi bien en ce qui concerne les lieux que l’ensemble des services, et a entraîné un processus de rationalisation chronophage, peu susceptible d’être achevé avant 2021.

Ensemble des services compris dans la réponse

L'importance de soutenir l'alimentation du nourrisson et du jeune enfant dans les situations d'urgence (ANJE-U) a été reconnue très tôt comme une composante essentielle de la réponse. Les déploiements de renfort de l’équipe technique d’intervention rapide financée par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) et de l’équipe d’intervention rapide de l’UNICEF sont venus appuyer le secteur Nutrition dans la mise en place d’un programme d’ANJE-U au début de l’intervention, en 2016. Les responsables techniques mondiaux de Save the Children ont également organisé un programme de formation de cinq jours sur l’ANJE-U à l’intention des partenaires du secteur Nutrition, avec notamment une large représentation du ministère de la Santé. À l’issue des déploiements de renfort, le gouvernement, les partenaires et le secteur Nutrition avaient élaboré un plan d’intervention provisoire pour l’ANJE-U qui comprenait un ensemble d’activités minimales, des indicateurs et une note de plaidoyer sur la prévention à l’égard de l’usage non ciblé de substituts du lait maternel.

Malgré un soutien précoce, la mise en œuvre de l’ANJE-U n’a pas été menée à terme et l’intervention a continué à se concentrer principalement sur le traitement de l’émaciation grave. Le plan provisoire pour l’ANJE-U ne semble pas avoir été appuyé ou diffusé et la plupart des mesures recommandées n’ont pas été concrétisées. Quelques partenaires du secteur Nutrition ont mis en place des groupes d’entraide entre mères qui proposaient des activités en matière d’éducation nutritionnelle. Cependant, les consultations individuelles n’ont pas été proposées de manière régulière et le soutien à l’allaitement assuré par du personnel qualifié n’a pas été systématiquement intégré aux soins hospitaliers. En outre, les questions relatives à l’ANJE-U n’étaient pas comprises dans les outils d’évaluation rapide, et aucun système de suivi des substituts du lait maternel n’était en place. Après le départ du déploiement de renfort, le secteur Nutrition n’a pas désigné de coordonnateur sur place possédant une expérience technique pertinente pour poursuivre les recommandations tirées de ces déploiements. Bien que l’UNICEF et le bureau des Affaires étrangères, du Commonwealth et du Développement, ainsi que d’autres partenaires se sont employés à mettre un terme à la circulation des substituts de lait maternel, ils ont continué à proliférer.

Une attention insuffisante a été accordée aux nourrissons de moins de six mois. L’intervention du secteur Nutrition et ses évaluations se sont largement consacrées aux enfants âgés de 6 à 59 mois et peu de services ont été mis en place pour dépister ou traiter l’émaciation chez les nourrissons de moins de six mois. Les enquêtes anthropométriques n’ont pas tenu compte de cette tranche d’âge et les directives nationales sur la PCMA n’incluaient pas, jusqu’à il y a peu, de conseils sur la prise en charge hospitalière de la MAS chez cette population. L’intervention ne comportait aucun service pour traiter les cas simples d’émaciation chez les nourrissons de moins de six mois dans la communauté. Par ailleurs, bien que les critères pour le référencement vers des soins hospitaliers soient inclus, aucune consigne sur la manière de les gérer n’a été fournie. Les enquêtes menées auprès de la population n’incluent en outre pas les enfants de moins de six mois. En l’absence de ces données, il est difficile de quantifier l’ampleur du problème. On peut souligner que cette situation n’est en aucun cas propre au nord-est du Nigéria, et qu’elle a d’ailleurs aussi été signalée en Somalie (Desie, 2016).

Renforcement du système de santé

Renforcement des capacités et durabilité

L’aide extérieure, tout en garantissant la prestation des services à court terme, risquait d’affaiblir davantage le système de santé. Bien que la réponse rapide ait répondu aux besoins urgents, elle n’a pas été conçue pour favoriser la durabilité et l’appropriation par le gouvernement à long terme. Par exemple, en partie pour garantir la rémunération ponctuelle des agents de santé du gouvernement, des primes ont été versées pour maintenir la motivation à assurer les services nutritionnels. En outre, lorsque les agences ont embauché pour combler les manques de ressources, le personnel a été recruté au sein du gouvernement (et payé beaucoup plus cher), ce qui a encore réduit ses effectifs.

Un soutien technique au système de santé, autre que celui des travailleurs de première ligne, a souvent été apporté en parallèle aux structures gouvernementales et n’a pas facilité l’appropriation par le gouvernement. Le soutien apporté par les partenaires en matière de formation et de supervision était largement destiné au personnel de santé de première ligne : la plupart des partenaires ont affecté des superviseurs au niveau des districts et ont mis en place leurs propres structures de supervision pour ce personnel. Le soutien technique et le renforcement des capacités, autres que ceux destinés au personnel des centres de santé, étaient limités. Même si les activités de supervision étaient souvent menées en collaboration avec le gouvernement pour renforcer les capacités, les tâches étaient aussi souvent divisées par souci d’efficacité. La majeure partie de la charge de travail était gérée directement par une personne recrutée par l’UNICEF, la société de gestion ou les ONG partenaires. Bien que nécessaires à un démarrage rapide, ces procédures parallèles risquaient de nuire à l’appropriation par le gouvernement au cours de ce qui s’est finalement avéré être une intervention prolongée.

Les réunions des groupes de travail techniques sur la nutrition étaient réactives plutôt que proactives. Bien que les réunions des groupes de travail techniques aient été régulières et aient bénéficié de la participation active des principales parties prenantes, les retours des partenaires ont indiqué qu’elles avaient tendance à traiter les problèmes immédiats plutôt que les priorités à long terme, comme les aspects stratégiques permettant de combler les lacunes techniques ou d’élaborer des directives.

Gestion des données et des rapports concernant la PCMA

Même si des progrès significatifs ont été réalisés en vue de garantir que les dossiers des patients au niveau des établissements étaient correctement remplis, des incohérences ont été constatées. Une évaluation du système d’information sur la PCMA du Nigéria a révélé des degrés variables d’exactitude et de fiabilité tout au long de la chaîne de rapports, depuis la collecte des données dans les établissements de santé jusqu’aux données nationales agrégées (Mezger et al., 2018). De même, au Kenya, on constate une sous-déclaration des enfants perdus de vue lorsqu’on utilise un système papier (5 %) plutôt qu’une application mobile (42 %) (Keane et al. 2018). Au nord-est du Nigéria, les fiches de PTA sont rangées dans un seul dossier, que l’enfant ait été vu ou non dans la semaine. Par conséquent, les enfants censés être marqués absents se retrouvent « cachés ». Certes les superviseurs des établissements vérifient les décomptes mensuels par rapport aux admissions quotidiennes, mais ces contrôles qualité sont peu fréquents et souvent incohérents. Les données sont enregistrées au cours des différentes étapes, ce qui laisse également de nombreuses possibilités de commettre des erreurs qui peuvent fausser ultérieurement leur interprétation et leur analyse (Mezger et al., 2018).

De grandes incohérences ont aussi été constatées entre les données relevées par les partenaires et les informations sur site. Par exemple, cet examen a observé que 25 % de tous les sites déclaraient des taux de guérison de 99 % et plus, y compris dans les lieux où la population est de passage. En recoupant les dossiers d’un échantillon de ces sites, on a constaté que de nombreux enfants avaient été admis mais leur sortie de l’établissement n’a jamais été consignée. Ces enfants « fantômes » étaient donc toujours comptabilisés comme étant sous traitement.

La sous-déclaration des enfants perdus de vue (ou peut-être décédés) s’est révélée être un problème chez la majorité des partenaires du secteur Nutrition. Lorsque les partenaires déclaraient des taux de guérison inférieurs, cela était signalé comme une indication de mauvaise performance. En réalité, c’est peut-être l’inverse qui est vrai. Des taux de guérisons plus bas seraient le reflet d’une déclaration précise et d’une gestion efficace du programme. Dans certains cas, les partenaires avaient le sentiment que des déclarations honnêtes menaçaient le financement, surtout lorsque d’autres ne les faisaient pas correctement. Ils étaient de ce fait peu enclins à rechercher de manière proactive les abandons parmi les dossiers des patients. Puisque le taux de guérison est un indicateur de performance clé qui fait l’objet d’un suivi régulier, il semble peu intéressant de rechercher les abandons dans les registres et les fiches de PTA. Ce sont autant d’occasions perdues de localiser ces enfants, ce qui compromet leur guérison. En outre, omettre de déclarer les abandons accroît faussement les taux de guérison. Qui plus est, les données sur les enfants effectivement inscrits au programme peuvent être erronées, ce qui peut affecter la planification du personnel et des achats. L’encadré 1 fournit de plus amples informations sur les sources de sous-déclaration.

Encadré 1 : Sous-déclaration des enfants perdus de vue – principales sources identifiées

Organisation des dossiers : Le système utilisé dans la plupart des sites prévoit un dossier pour les enfants actuellement dans le programme, un pour ceux qui sont sortis et un pour les transferts. À la fin de la journée dans un PTA, les fiches des enfants qui sont revenus pour un suivi sont placées dans le même dossier que celles des enfants qui ne sont pas revenus. Le personnel doit alors vérifier chaque fiche en fin de journée pour identifier les enfants absents.

Enregistrement des absences : Tous les sites ne suivent pas un processus standard de vérification des dossiers en fin de journée pour repérer les enfants absents. Les absences ne sont donc souvent pas notées sur les fiches de PTA. Il est alors difficile de déterminer quand les enfants ne sont pas revenus pendant trois visites consécutives, c’est-à-dire quand ils sont considérés comme des abandons et doivent être enregistrés comme une sortie.

Absence de processus de vérification/validation des données : Les processus d’organisation et de vérification des dossiers au niveau du site ne sont pas spécifiés dans les directives sur la PCMA et ils ne semblent pas être standardisés au niveau du secteur Nutrition. Il n’existe également aucun processus standard pour la validation des rapports quotidiens et hebdomadaires. Le personnel de supervision effectue parfois des contrôles ponctuels des dossiers, mais les méthodes utilisées ne sont, elles non plus, pas standardisées.

Chaîne d’approvisionnement en ATPE

Au Nigéria, l’UNICEF aide le gouvernement à acquérir et transporter les ATPE. Le gouvernement et l’UNICEF assurent chacun une partie de l’approvisionnement. L’UNICEF est chargé de la gestion des prévisions, des achats, de l’importation et de la livraison au niveau national. Une fois les aliments importés, l’UNICEF les transporte vers trois entrepôts infranationaux. En fonction des demandes, il les achemine ensuite vers les entrepôts gérés par le gouvernement. Dans la plupart des cas, il s’agit du « point de transfert » où soit les agences, soit le gouvernement deviennent responsables de la gestion de l’approvisionnement1.

Le déploiement rapide de la distribution d’ATPE à l’ensemble du secteur Nutrition s’est avéré fructueux. La Division des approvisionnements de l’UNICEF basée à Copenhague a récemment affiné ses procédures d’achat et diversifié ses fournisseurs. En conséquence, l’UNICEF est en mesure de négocier des prix réduits et d’assurer un approvisionnement à plus grande échelle de sorte que les ATPE sont achetés et distribués efficacement pour répondre aux demandes et aux besoins croissants.

Il est probable que les prévisions et les commandes ne reposent pas sur les données les plus appropriées, ce qui peut entraîner une surestimation ou une sous-estimation des besoins en approvisionnement à différents moments. L’objectif de la gestion de la chaîne d’approvisionnement est de concilier efficacement l’offre et la demande. Puisque les demandes sont fondées sur le nombre d’enfants dans le programme et les prévisions sur les résultats des enquêtes réalisées auprès de la population, les besoins en approvisionnement risquent d’être sous-estimés. Cette sous-estimation pourrait également être due à l’augmentation du critère de sortie relatif au périmètre brachial utilisé par le PTA, lequel est passé de 11,5 à 12,5 cm, et qui explique que les enfants restent plus longtemps dans le programme. En revanche, en abandonnant le programme prématurément, les enfants perdus de vue ont contribué à réduire la quantité moyenne prévue pour chaque enfant. Par ailleurs, comme il a déjà été dit précédemment, de nombreux sites comptent des « enfants fantômes », ce qui peut également avoir entraîné une surestimation de l’approvisionnement.

La chaîne d’approvisionnement en ATPE comporte de nombreux risques et goulots d’étranglement Les nombreuses étapes de prévision, d’achat, de commande, de livraison et de distribution des produits aux bénéficiaires ne sont souvent pas bien reliées entre elles. Cet examen a révélé que les manques d’approvisionnement en ATPE au niveau des sites ne sont pas suivis de manière systématique par les partenaires. Il est donc difficile de comprendre où les ruptures se sont produites, quelle en est la raison et quelle partie de la chaîne d’approvisionnement en est responsable. En outre, des incohérences considérables entre les quantités estimées et celles effectivement utilisées peuvent être le signe d’une situation nutritionnelle plus grave que prévu ou de difficultés dans la gestion des approvisionnements au niveau de l’établissement. En l’absence d’un mécanisme permettant de suivre en continu les quantités tout au long de la chaîne d’approvisionnement, notamment au niveau des établissements de santé, il est difficile de distinguer les deux hypothèses, d’identifier les fuites et d’expliquer les incohérences entre les prévisions et les quantités livrées.

L’utilisation d’ATPE par les partenaires n’est pas suivie de manière optimale au regard des prévisions. Les partenaires ont basé leurs prévisions sur les anciennes admissions pour les sites existants et sur un calcul standard du nombre de cas ciblés (prévalence + incidence) pour les nouveaux sites. De surcroît, les commandes d’ATPE sont passées une fois le financement reçu, ce qui laisse penser que l’approvisionnement repose sur des estimations provisoires de 0,9 carton par cas. Lorsque les contrats de financement sont retardés, la marge officieuse actuelle de 0,1 carton par cas pourrait ne pas être suffisante pour éviter des ruptures de stock. En outre, alors que les prévisions d’approvisionnement en ATPE se fondent sur la prévalence poids-pour-taille et les données de surveillance nutritionnelle, l’admission aux programmes de traitement de l’émaciation au Nigéria repose, elle, sur les mesures du périmètre brachial. Cela crée des incohérences entre les prévisions et l’utilisation réelle des ATPE. Cette étude a également constaté des différences non négligeables entre les partenaires dans la quantité moyenne d’ATPE utilisée par enfant : certains en utilisent deux voire trois fois plus que d’autres partenaires. L’UNICEF a commencé à calculer les besoins en approvisionnement pour le compte de ses partenaires à partir du nombre mensuel d’enfants inscrits au programme, mais ces montants n’ont pas été mesurés par rapport aux prévisions initiales.

Discussion et conclusion

Cette étude de cas souligne l’importance d’établir un processus standard pour la mise en place de la coordination dès le début d’une intervention afin d’éviter la duplication des services, de garantir l’appropriation par le gouvernement, d’améliorer la qualité et la gestion des données et de favoriser le suivi et la prévision des approvisionnements. Il est essentiel que tous les acteurs, y compris les donateurs, consultent et soutiennent les gouvernements afin de coordonner l’intervention de manière adéquate. Si les partenaires ont obtenu des ressources pour une zone géographique particulière, les donateurs doivent permettre la réattribution des ressources à d’autres zones en cas de duplication. Lorsque le financement commun n’est pas envisageable, le gouvernement et l’agence chef de file du cluster (par exemple, un organisme de coordination central) doivent définir des zones géographiques prioritaires dès le début de l’intervention afin d’éviter les duplications et de veiller à ce que les services soient fournis là où on en a le plus besoin. Les donateurs, faisant partie de la coordination du secteur Nutrition, doivent consulter cette liste avant tout financement. Chaque partenaire assurant la prestation de services doit identifier et soutenir un ensemble minimal de services. La coordination du secteur Nutrition peut identifier les écarts de capacité et soutenir techniquement les partenaires afin de garantir qu’une réponse est mise en œuvre, avec notamment des activités pertinentes pour l’ANJE-U. Bien que cette étude porte sur le nord-est du Nigeria, des problèmes similaires ont été observés dans d’autres contextes d’urgence (MQSUN+ et ENN 2018, Emergency Nutrition Network 2019, Desie 2016, UNICEF 2019c). Compte tenu de la fréquence de ces défis, il est important de comprendre pourquoi ils ne sont pas pris en compte dans les nouvelles interventions et quels sont les efforts supplémentaires nécessaires au niveau mondial pour y répondre systématiquement

Les interventions d’urgence mettent souvent en place des structures parallèles qui ne sont pas viables à long terme. Au nord-est du Nigéria, il est peu probable que les services de traitement de l’émaciation fonctionnent sans l’aide technique, financière et logistique d’agences externes. Il est important de recevoir des directives sur la manière dont un engagement coordonné peut véritablement soutenir les services gouvernementaux sur une période spécifique. Évaluer la capacité des établissements de santé à gérer l’augmentation du nombre de cas pourrait s’avérer très utile, non seulement pour planifier les hausses à court terme, mais aussi pour déterminer le type de soutien requis à moyen et à long terme et aider à orienter le soutien technique apporté par les agences externes. On en trouve une illustration au Kenya, où les agents de soutien en nutrition de l’UNICEF au niveau des comtés ont aidé à renforcer le système gouvernemental en consolidant les capacités des agents chargés de la nutrition au niveau des comtés, plutôt que de travailler directement avec les agents de santé de première ligne. Par ailleurs, à mesure que les situations d’urgence se transforment en crises chroniques et prolongées accompagnées de chocs récurrents, il est important que les donateurs apportent un financement flexible à plus long terme pour soutenir une plus grande intégration des services (OCHA, 2017). Puisque le transfert de responsabilités au gouvernement peut prendre plusieurs années, il est nécessaire d’identifier les étapes de cette transition visant la prise en charge complète par le gouvernement, ainsi que les indicateurs permettant d’en suivre les progrès. Une étude des interventions humanitaires au Yémen et en Somalie révèle des enjeux similaires et préconise de suivre des indicateurs en faveur de la transition vers l’appropriation par le gouvernement (Cluster mondial Nutrition et UNICEF Moyen-Orient et Afrique du Nord, 2019).

En outre, il serait intéressant de réfléchir à une simplification de l’approche de la PCMA afin qu’elle nécessite moins de supervision et pour permettre un rapportage simplifié. L’UNICEF a entrepris des efforts pour générer des données probantes au sujet des protocoles simplifiés. Davantage de données sont cependant nécessaires pour évaluer l’efficacité et les normes acceptables de ces approches. La compilation des données probantes prendra du temps afin de transformer ces approches en politiques et directives mondiales et nationales (No Wasted Lives Coalition, 2020).

Alors que ces nouvelles approches reçoivent une grande attention, les discussions autour de la gestion des programmes standard de PCMA se font moins nombreuses. Renouveler les efforts visant à simplifier le rapportage et améliorer les outils, la supervision et les approches de renforcement des capacités du modèle existant de PCMA permettrait d’améliorer la prestation de services et de soutenir les efforts de mise à l’échelle de la couverture des services. En outre, les démarches visant à intégrer les services de nutrition dans les systèmes gouvernementaux devraient adopter une approche par étapes à l’échelle du système. Dans ce cadre, tous les niveaux de gouvernement seraient impliqués afin de décharger les acteurs externes de la responsabilité d’assurer la prestation des services. Des étapes mesurables seraient définies pour suivre ce processus et veiller à ce que des services efficaces soient fournis et mis à l’échelle.

Les recommandations tirées de cette étude ont été intégrées à la stratégie du secteur Nutrition prévue sur trois ans, élaborée en 2020. Les recommandations visant à améliorer les interventions dans le nord-est du Nigéria ont également été acceptées par le secteur Nutrition. Elles comprennent notamment : l’adoption d’un modèle selon lequel une agence chef de file gère une collectivité locale, la demande d’un soutien technique de renfort pour l’ANJE-U, la garantie que la stratégie nutritionnelle inclut un ensemble de services nutritionnels de base et l’encouragement des donateurs à consulter le secteur Nutrition avant de prendre des décisions de financement. Par ailleurs, dans le cadre des nouvelles directives de la PCMA formulées en 2020, les soins hospitaliers incluent la prise en charge des nourrissons de moins de six mois.

Pour en savoir plus, veuillez contacter Alison Donnelly à l’adresse alisonjdonnelly@gmail.com et Carrie Hemminger à l’adresse chemminger@path.org.


Là où l’UNICEF mettait en œuvre la PCMA par l’intermédiaire d’une tierce partie, c’est l’UNICEF qui gérait l’approvisionnement.


Références

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