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Améliorer la prise en charge de la malnutrition aiguë dans les zones arides d’Afrique

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Par Helen Young, Abdalmonim Osman, Anne Radday, Anastasia Marshak, Emmanuella Olesambu, Nola Jenkins, Darana Souza et Dr Patrizia Fracassi.

Helen Young est professeure à la Friedman School of Nutrition Science and Policy de l’université Tufts, où elle dirige, au sein du Centre international Feinstein, un programme de recherche sur la nutrition, les moyens d’existence et les conflits. Depuis plus de 35 ans, ses recherches contribuent à l’élaboration de directives concrètes, à l’évolution des politiques, à l’apprentissage institutionnel et au renforcement des capacités.

Abdal Monium Osman est titulaire d’un doctorat et travaille actuellement au sein de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) en tant que chargé des activités d’urgence et de réhabilitation senior. De 2014 à 2017, il a occupé le poste de Directeur de programme de la FAO au Soudan du Sud.

Anne Radday exerce les fonctions de point focal dans les domaines de la diffusion de la recherche et de la gestion des connaissances pour le Centre international Feinstein de l’université Tufts. Elle possède plus de 15 ans d’expérience dans le marketing et la communication, la gestion des connaissances, l’élaboration de supports de connaissances, la stratégie organisationnelle et les relations externes.

La Dr Marshak est chargée de recherche senior au Centre international Feinstein de l’université Tufts. Elle possède plus de dix ans d’expérience dans les contextes humanitaires, en particulier dans la conception de protocoles et méthodologies d’étude, ainsi que dans l’évaluation des répercussions de divers facteurs sur la nutrition et les résultats en matière de sécurité alimentaire.

Emmanuella Olesambu est responsable de programmes axés sur la gestion des risques de catastrophes en Éthiopie auprès de la FAO. Elle était auparavant responsable des activités d’urgence et de réhabilitation au siège de la FAO à Rome. Emmanuella Olesambu travaille dans les domaines de la résilience, de la gestion des ressources naturelles, de l’élevage ainsi que du développement pastoral et des zones arides depuis plus de 20 ans, principalement en Afrique.

Darana Souza est spécialiste en nutrition et systèmes alimentaires à la FAO, dans les contextes d'urgence et de renforcement de la résilience. Elle a travaillé dans différentes organisations, telles que le PNUD, le PAM et Action contre la Faim en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. Elle s'intéresse au lien entre l'humanitaire et le développement pour la nutrition et les systèmes alimentaires.

Patrizia Fracassi est chargée de la nutrition et des systèmes alimentaires à la FAO, où elle est en charge du soutien aux pays sur les questions de gouvernance, de politiques publiques, de programmes et d'investissements. Elle a 20 ans d'expérience avec des ONG internationales, l'UNICEF, la Banque mondiale et le Secrétariat du Mouvement SUN. Elle s'intéresse à l'économie politique de l'alimentation et de la nutrition.

Cet article s’appuie sur les conclusions de projets financés par la FAO, la Fondation Dignitas et le Centre de résilience de l’Agence des États-Unis pour le développement international.

Lieu: Zones arides d’Afrique

Ce que nous savons: Les niveaux élevés de malnutrition aiguë globale (MAG) persistante sont problématiques au Sahel et dans la Corne de l’Afrique, deux régions qui correspondent typiquement aux zones arides .

Ce que cet article nous apprend: Un nouveau cadre conceptuel d’analyse et de prise en charge de la malnutrition aiguë dans les zones arides d’Afrique a été mis au point par l’université Tufts à partir de ses recherches et de celles de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Il a ensuite fait l’objet de discussions entre de nombreuses parties prenantes lors de plusieurs webinaires techniques et d’une table ronde en 2020. Ce cadre reconnaît que les causes immédiates et sous-jacentes de la malnutrition aiguë décrites dans le cadre conceptuel de l’UNICEF sont toujours pertinentes, mais propose d’y ajouter trois nouveaux facteurs fondamentaux interdépendants : l’environnement et la saisonnalité (au regard des recherches récentes qui révèlent des pics saisonniers de malnutrition aiguë), les systèmes et les institutions formelles et informelles, ainsi que les systèmes de subsistance. La vulnérabilité et la résilience des communautés et de leurs moyens d’existence face au climat, aux conflits et aux autres chocs y sont également exposées clairement. Les auteurs affirment qu’il convient de procéder à trois changements majeurs pour lutter contre la MAG persistante dans les zones arides africaines, à savoir : un changement de raisonnement conceptuel qui insiste sur les causes fondamentales de la malnutrition dans les zones arides d’Afrique, un changement de politique à l’échelle nationale inspiré du Plan d’action mondial des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation chez les enfants, ainsi qu’un changement d’approche en vue de mettre en œuvre le cadre adapté. Ces évolutions doivent s’appuyer sur la recherche et la formation relatives aux causes fondamentales de la malnutrition aiguë en utilisant plusieurs méthodes innovantes et des approches interdisciplinaires. Les chercheurs doivent en outre dialoguer activement avec les parties prenantes pour partager les données probantes, tirer des enseignements et trouver des consensus en ce qui concerne les solutions à appliquer. 

Introduction

La malnutrition aiguë infantile est un problème de santé publique de plus en plus préoccupant à l’échelle mondiale. Depuis quelques années, les professionnels de la nutrition constatent que le seuil d’urgence de la malnutrition aiguë globale (MAG), utilisé pour mesurer l’émaciation infantile, est régulièrement atteint, même en l’absence de situations d’urgence manifestes et en dépit d’interventions continues (Young and Marshak 2018). La MAG persistante est particulièrement importante au Sahel et dans la Corne de l’Afrique, des régions dont la majeure partie est typiquement aride (figure 1). Plus généralement, le Plan d’action mondial 2020 des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation chez les enfants (WHO, FAO et al. 2020) reconnaît ce problème ainsi que la nécessité de redoubler d’efforts pour combattre l’émaciation infantile dans le cadre des objectifs de développement durable (ODD).

Depuis 2017, la FAO et l’université Tufts étudient le problème de la malnutrition aiguë et les enjeux liés aux moyens d’existence dans les situations de crise prolongée au Soudan, au Tchad et au Soudan du Sud (Young and Marshak, 2019). Sur la base de ces recherches passées, l’université Tufts a, en 2020, proposé l’adoption d’un nouveau cadre visant à analyser et à prendre en charge la malnutrition aiguë dans les zones arides africaines. Ce cadre a été présenté et amélioré lors d’une série de webinaires techniques en 2020 et d’une table ronde avec des organismes du Plan d’action mondial des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation et leurs partenaires ressources1.

Cet article revient sur les discussions tenues lors des webinaires techniques et de la table ronde portant sur le contexte propre aux zones arides africaines, sur les trois causes fondamentales et interdépendantes de la malnutrition aiguë dans ce contexte, sur le cadre conceptuel adapté ainsi que sur les recommandations relatives aux changements qu’il convient d’apporter à la prise en charge de la malnutrition aiguë par la communauté internationale afin de lutter plus efficacement contre la MAG persistante dans cette région.

Figure 1 : Comparaison entre les zones arides d’Afrique et les pays d’Afrique de l’Est et du Sahel touchés par la MAG persistante

a.Zones arides d’Afrique. Source : Sorensen, 2007        

b.Pays d’Afrique de l’Est et du Sahel touchés par la MAG persistante. Source : Young et Marshak, 2018

Comprendre les zones arides africaines

Les zones arides africaines se caractérisent par des zones arides et semi-arides de faible altitude, essentiellement peuplées de communautés pastorales et agropastorales dont les systèmes de production ont évolué pour s’adapter à ces environnements difficiles. Les variations climatiques sont extrêmes, les pluies imprévisibles et les températures saisonnières peuvent atteindre 40 voire 50 oC.

Les zones arides d’Afrique sont confrontées à de nombreux défis. Le manque d’accès aux terres cultivables, aux pâturages, à l’eau et aux ressources forestières menace les moyens d’existence qui dépendent principalement de ces ressources naturelles. La concurrence croissante et l’appropriation des ressources naturelles donnent lieu à une multiplication des conflits entre les utilisateurs des ressources, qui viennent souvent s’ajouter ou sont liés à d’autres conflits plus vastes (insurrections rebelles, conflits intertribaux ou transfrontaliers, etc.). La croissance démographique, les migrations et les déplacements concourent aux changements démographiques et sociaux rapides observés, qui s’accompagnent d’une transformation et d’une diversification accrue des moyens d’existence, renforçant généralement la dépendance des femmes et des jeunes en particulier à des activités très peu rentables. Le changement climatique contribue à l’augmentation de la fréquence des sécheresses et des inondations, de même qu’à la hausse des températures au Sahel. Les institutions censées atténuer ces difficultés et soutenir les moyens d’existence ainsi qu’une nutrition de qualité manquent généralement de ressources et d’influence. Ces facteurs expliquent en partie l’ampleur croissante des crises humanitaires dans les zones arides et les montants inédits des financements accordés par les donateurs.

Un cadre conceptuel adapté pour mieux appréhender les facteurs de la malnutrition aiguë dans les zones arides africaines

Depuis les années 1990, la nécessité d’adopter un cadre conceptuel décrivant les causes de la malnutrition obtient un large consensus (figure 2 – partie gauche). Ce cadre s’articule autour de trois niveaux : les causes immédiates, les causes sous-jacentes et les causes fondamentales. Les interventions techniques largement adoptées et préconisées depuis 20 ans (Bhutta, Das et al., 2013) s’appuient sur le cadre de causalité, et plus particulièrement sur les causes immédiates et sous-jacentes.

Figure 2 : Cadre original de l’UNICEF (partie gauche) comparé au nouveau cadre proposé (partie droite) dans lequel seules les causes fondamentales ont été modifiées.

Les maladies et un régime alimentaire inadapté favorisent directement la malnutrition aiguë chez les enfants et sont eux-mêmes causés par des facteurs en lien avec l’alimentation, la santé et les soins au niveau des ménages et des communautés. Ce constat sur les causes immédiates et sous-jacentes de la malnutrition suppose implicitement qu’une partie de la solution au problème de la malnutrition aiguë infantile est entre les mains des communautés et des ménages eux-mêmes. Cela étant, il convient également de s’intéresser aux facteurs fondamentaux qui interviennent en amont du processus afin de mieux comprendre les institutions et les systèmes sociaux et économiques qui influent fortement sur la malnutrition aiguë et ses causes immédiates. Si nous ne prêtons pas suffisamment attention à ces facteurs fondamentaux plus structurels de la malnutrition aiguë, nous risquons de favoriser la persistance de ce problème (Gillespie, Haddad et al., 2013; Brown, Backer et al., 2020). Afin de concevoir des méthodes de lutte contre la malnutrition aiguë plus efficaces, il est essentiel que nous améliorions ensemble notre compréhension de ces facteurs fondamentaux et de leurs mécanismes.

Le cadre conceptuel adapté (figure 2 – partie droite) reconnaît l’importance des causes immédiates et sous-jacentes, mais propose une nouvelle approche afin d’appréhender les facteurs fondamentaux de la malnutrition aiguë. Celle-ci s’appuie sur un corpus en évolution de connaissances et d’expériences concernant l’exposition aux catastrophes, les milieux arides, les systèmes de subsistance et la résilience. La version actualisée s’appuie sur le cadre original, mais conceptualise également les trois facteurs fondamentaux interdépendants suivants : l’environnement et la saisonnalité, les systèmes et les institutions officielles et non officielles, ainsi que les systèmes de subsistance. La vulnérabilité et la résilience des communautés et de leurs moyens d’existence face au climat, aux conflits et aux autres chocs y sont également exposées clairement.

Comprendre les trois facteurs fondamentaux de la malnutrition aiguë

Environnement et saisonnalité

Nos connaissances sur les caractéristiques particulières de ces écosystèmes que sont les systèmes arides mettent en lumière l’importance du rôle de l’environnement et de la saisonnalité. Les régions arides se caractérisent par des variations extrêmes en matière de précipitations et de végétation dans le temps et l’espace. Par conséquent, malgré une certaine prévisibilité des saisons, on observe une grande variabilité d’une année sur l’autre et entre territoires voisins. Le début des pluies, les endroits où elles vont tomber, de même que leur durée et leur intensité sont par exemple très variables, d’où de grandes difficultés à prédire la disponibilité de l’eau et des pâturages, mais aussi le cycle de croissance des cultures.

Les recherches de la FAO et de l’université Tufts mettent en évidence l’influence significative de la saisonnalité sur les moyens d’existence des populations en milieu aride. Une nouvelle analyse de 350 enquêtes menées au Tchad, au Soudan et au Soudan du Sud a révélé deux pics saisonniers de malnutrition aiguë : le premier, qui est aussi le plus prononcé, intervient à la fin de la saison chaude et sèche, avec l’arrivée des pluies, tandis que le second coïncide avec la fin des pluies et le début de la saison de la récolte (figure 3).

Figure 3 : Prévalence de la malnutrition aiguë (émaciation) au fil des mois (Tchad, Soudan et Soudan du Sud)

Source : (Young and Marshak, 2019)

Les travaux supplémentaires de l’université Tufts confirment la relation entre ces variables climatiques, ainsi que les pics saisonniers annuels, et la malnutrition aiguë. Ces travaux s’appuient sur des données primaires collectées au Tchad et sur 15 ans de données secondaires portant sur tous les milieux arides au régime pluviométrique unimodal d’Afrique (Marshak, Venkat et al., 2021).

En 2014, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’UNICEF et le Programme alimentaire mondial (PAM) ont préconisé d’améliorer la compréhension des principales causes de l’émaciation, y compris des schémas saisonniers (WHO/UNICEF/WFP, 2014). Ils ont souligné l’importance des stratégies de prévention en prévision des périodes de soudure/où la nourriture est rare et du passage à l’échelle des services de traitement en réponse aux flambées saisonnières de malnutrition aiguë. Cependant, comme l’indiquent les recherches de la FAO et de l’université Tufts sur la saisonnalité, les pics saisonniers peuvent survenir à des périodes très différentes de ce qui est communément admis, soulignant ainsi le besoin impérieux de disposer de données probantes permettant d’appuyer des solutions de lutte contre la malnutrition aiguë qui soient à la fois durables et bien ciblées dans le temps.

Systèmes et institutions

Les systèmes et institutions conditionnent la manière dont les choses fonctionnent et influent sur l’accès de la population aux ressources. Par « systèmes », on entend les systèmes économiques, politiques et de gouvernance, les systèmes alimentaires, les systèmes de santé publique ainsi que les systèmes de subsistance. Les institutions officielles et non officielles sont quant à elles intégrées aux systèmes et véhiculent des méthodes communément acceptées de travail et de vie en collectivité. Les institutions officielles élaborent des politiques et des règles officielles, telles que les réglementations sur la qualité de l’offre de produits alimentaires.

Les institutions non officielles véhiculent quant à elles des schémas répandus et persistants de comportements et de pratiques qui sont structurés par les normes et les valeurs de la société. Ainsi, les normes sociales fondées sur le genre et profondément ancrées définissent les rôles et les responsabilités des femmes, des hommes, des filles et des garçons au sein du foyer et de la communauté. Elles régissent notamment l’accès aux ressources et le contrôle de ces dernières, ainsi que la participation à la prise de décisions liées aux affaires communautaires et politiques. En règle générale, les instances de décision locales n’intègrent pas les opinions ni les préoccupations des femmes, des jeunes et des autres groupes de population marginalisés. Ces déterminants sociaux du pouvoir et du contrôle exercent une influence très forte sur la nutrition des enfants et des femmes.

Les chocs liés au climat et aux conflits qui sont à l’origine de la malnutrition aiguë, de même que les inégalités sociales et économiques qui favorisent les causes sous-jacentes de la malnutrition aiguë, peuvent être atténués (ou au contraire exacerbés) par des processus structurels et institutionnels plus profonds. C’est pourquoi, afin d’avoir une incidence durable sur la malnutrition aiguë, il est indispensable de procéder à des changements systémiques et institutionnels permettant de réduire les inégalités et de favoriser l’accès à un large éventail de ressources nécessaires à la pérennité des moyens d’existence (y compris les ressources humaines, sociales, naturelles, économiques et physiques).

Systèmes de subsistance

Les moyens d’existence les plus répandus dans les zones arides sont le pastoralisme, l’agropastoralisme et l’agriculture, qui se sont depuis longtemps adaptés à la variabilité des conditions environnementales dont dépend la répartition de l’eau, des pâturages, des forêts et des cultures. Les producteurs des zones arides sont devenus experts dans la gestion de ces variations. Ils savent identifier les endroits où les meilleures conditions sont réunies pour faire pâturer leurs troupeaux ou cultiver la terre aux différentes périodes de l’année (Krätli, 2015). Cette excellente capacité d’adaptation des moyens d’existence explique la résilience inhérente au pastoralisme. Cependant, les méthodes de gestion des risques employées par les producteurs de ces zones arides ne sont pas toujours bien comprises et l’adoption de politiques ou de programmes inadaptés peut avoir des effets néfastes malencontreux sur ces méthodes.

Des conditions plus difficiles à cause des chocs, associées à une mauvaise gouvernance, ont érodé la résilience des moyens d’existence. Les stratégies d’adaptation adoptées en conséquence ont entraîné une transformation de ces moyens d’existence, le plus souvent au détriment des femmes qui assument la plus grande part de responsabilité en ce qui concerne la nutrition des enfants.

L’attention portée aux moyens d’existence permet de mieux cibler les priorités des ménages et les capacités d’action à l’échelle locale – deux facteurs qui sont souvent négligés par les programmes conçus à distance ou omis par les approches descendantes de fourniture d’aide. L’intégration des systèmes de subsistance et des institutions au cadre de causalité de la malnutrition est une manière de reconnaître les inégalités d’accès à tous les types de ressources (pas uniquement financières), ainsi que l’importance des formes plus larges de pouvoir et d’influence des institutions qui perpétuent les inégalités ou marginalisent certains groupes (par exemple, en cas de racisme structurel).

Mettre au point une nouvelle approche pour lutter contre la malnutrition aiguë dans les zones arides

Le cadre du Plan d’action mondial 2020 des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation chez les enfants plaide en faveur d’une nette amélioration des solutions et d’un changement de politique essentiel, au profit de la prévention et d’une approche plus durable axée sur tous les systèmes. Le cadre vise à aider les pays les plus touchés par la malnutrition aiguë à élaborer leurs propres feuilles de route opérationnelles en intégrant des engagements, des objectifs et des mesures adaptés au contexte en vue d’accélérer les progrès et de contribuer à la réalisation des cibles des ODD (OMS et al., 2020). Il ressort des séries de webinaires techniques de l’université Tufts et de la FAO que trois changements cruciaux doivent impérativement être apportés pour lutter efficacement contre la MAG persistante : 

1. Un changement de raisonnement conceptuel mettant l’accent sur les facteurs fondamentaux de la malnutrition propres aux zones arides africaines

La MAG persistante dans les territoires arides d’Afrique constitue un problème très spécifique et urgent qui ne doit plus être perçu comme une anomalie liée aux situations d’urgence humanitaire. Il a été clairement démontré que de nombreux pays continuent d’afficher des niveaux de malnutrition aiguë inacceptables depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies. Compte tenu de l’ampleur et de la gravité de ce problème, il est préférable de mener une analyse plus approfondie de ses tendances et facteurs à long terme, en particulier des facteurs fondamentaux. Pour ce faire, il convient de commencer par évaluer la variabilité environnementale et la saisonnalité ainsi que la manière dont ces paramètres sont gérés, d’une part par les principales institutions officielles et non officielles et, d’autre part, par les producteurs des zones arides dont les moyens d’existence sont fondamentalement adaptés à ces rudes conditions. En outre, la résilience des systèmes de subsistance dans les zones arides a été mise à mal par plusieurs processus et institutions, tels que la prise de décisions centralisée qui ne tient pas compte des priorités locales, par les réglementations qui restreignent la mobilité des troupeaux ou encore par les processus de privatisation des terres qui limitent l’accès des femmes aux terres cultivables et à l’eau. Un nouveau cadre conceptuel, comme indiqué dans la figure 2 (partie droite) viendra appuyer la production de nouvelles données probantes en vue de mettre en œuvre des stratégies plus efficaces.

2. Un changement de politique à l’échelle nationale dans la lignée du Plan d’action mondial 2020 des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation

Le Plan d’action mondial des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation chez les enfants reconnaît les limites des interventions et solutions techniques et plaide en faveur de changements institutionnels et systémiques, tels que le renforcement des dispositifs qui contribuent à l’amélioration des systèmes alimentaires, sociaux et de santé. Cette reconnaissance des limites des approches actuelles constitue un tournant dans la politique publique et implique de transformer les systèmes à chaque échelon de l’administration publique pour produire de réels changements. Les politiques doivent faire l’objet de changements simultanés dans plusieurs secteurs à tous les niveaux concernés afin d’instaurer un cadre politique favorable au changement.

3. Un changement d’approche en vue de la mise en œuvre du cadre adapté

S’il est indéniable que des progrès considérables ont été réalisés en ce qui concerne le changement de raisonnement conceptuel et l’évolution des politiques internationales, la plus grande difficulté consiste à concevoir et à mettre en œuvre une nouvelle approche dans un contexte spécifique. Le Plan d’action mondial des Nations Unies pour la lutte contre l’émaciation chez les enfants encourage le leadership gouvernemental afin que les autorités parviennent elles-mêmes à un consensus avec les différentes parties prenantes dans la perspective de mener à bien les changements systémiques nécessaires et de produire un impact à l’échelle locale. Les engagements des gouvernements et leur appropriation des stratégies de prévention doivent être clairement énoncés dans leurs feuilles de route opérationnelles.

L’élaboration de ces feuilles de route nécessite de mener des travaux de recherche appliquée fondés sur la demande dans le but de comprendre les causes de la malnutrition aiguë, y compris ses facteurs fondamentaux. Elle nécessite également de mettre en place des systèmes de suivi en vue d’identifier les tendances à long terme de la malnutrition aiguë et de confirmer les schémas saisonniers de la malnutrition et de ses causes. En l’absence de données probantes solides, les pays se heurteront à des difficultés pour parvenir à un consensus entre les différentes parties prenantes sur les facteurs saisonniers spécifiques et les approches les plus durables et offrant le meilleur rapport coût/efficacité pour y faire face.

La modification des approches systémiques et institutionnelles nécessite d’obtenir l’engagement et l’adhésion d’un large éventail d’acteurs. Ces engagements, comme l’identité des acteurs et parties prenantes clés, ne doivent pas faire l’objet de suppositions. Les études doivent désigner les parties prenantes clés à tous les niveaux opérationnels, en partant de l’échelon local afin de prendre en compte les perspectives, les connaissances et la compréhension au niveau local, ainsi que les capacités et engagements actuels de ces acteurs. Les parties prenantes clés comprennent diverses institutions de gouvernance et non étatiques. Parmi elles, les institutions locales qui exercent une influence sur la vie et les moyens d’existence de la population jouent un rôle particulièrement important.

Il est crucial que la recherche et la formation soutiennent ces nouvelles approches. Les études d’impact auront toujours un rôle à jouer, mais la recherche des facteurs fondamentaux de la malnutrition aiguë implique également d’utiliser des méthodes mixtes innovantes et des approches interdisciplinaires.

La réalisation d’une analyse appropriée des parties prenantes, associée à une analyse des tendances de la MAG persistante, des zones les plus touchées, des facteurs, ainsi que des schémas saisonniers de ces facteurs et des effets sur la nutrition, est un excellent point de départ à l’élaboration d’une feuille de route opérationnelle et à la conception de stratégies de lutte contre la malnutrition fondées sur des données probantes. Compte tenu de la complexité de cette tâche, il est recommandé de l’aborder comme un exercice de renforcement des capacités en impliquant les parties prenantes clés aux processus d’analyse et d’élaboration des feuilles de route. Par chance, la recherche et la formation offrent une excellente base à la collaboration, au renforcement des capacités et à la consolidation du leadership et de l’appropriation des données probantes à l’échelle locale.

Conclusion

Les webinaires techniques et la table ronde ont été très instructifs, grâce à la forte participation dont ils ont fait l’objet, mais aussi aux contributions des intervenants et des animateurs, ainsi que des représentants des Nations Unies et des partenaires ressources. Parmi les faits marquants, citons notamment la reconnaissance au plus haut niveau de l’inefficacité des méthodes traditionnelles. Comme l’a fait remarquer un participant expérimenté : « les interventions humanitaires et en situation d’urgence constituent la porte d’accès historique à l’émaciation, d’où l’importance excessive accordée aux services et aux programmes, au détriment des systèmes, des réseaux nationaux et des institutions ». Parallèlement, les intervenants ont évoqué, avec conviction, les facteurs fondamentaux systémiques, leur rôle et la manière de les traiter de manière plus durable. À travers ces discussions, il est apparu clairement qu’il n’existe pas de modèle préétabli en ce qui concerne les stratégies et les interventions plurisystémiques. Les chercheurs ne peuvent donc pas se contenter d’écrire des articles de recherche et d’interagir essentiellement avec leurs confrères. Nous devons poursuivre nos efforts en faveur d’un « savoir engagé » dans le cadre duquel les spécialistes et les chercheurs sollicitent activement les parties prenantes, partagent les données probantes, se montrent à l’écoute et tirent des enseignements, afin de promouvoir, ensemble, l’apprentissage collaboratif et de parvenir à un consensus concernant les solutions systémiques à apporter à la malnutrition aiguë. Bien qu’il reste beaucoup à faire, cette évolution marque un changement d’approche significatif que nous comptons consolider en vue de la mise en œuvre du cadre adapté.

Pour en savoir plus, veuillez contacter Helen Young à l’adresse helen.young@tufts.edu


https://sites.tufts.edu/malnutritionframework/


Références

Bhutta, Z A, Das, J K, Rizvi, A, Gaffey, M F, Walker, N, Horton, S, Webb, P, Lartey, A and Black, R E (2013) "Evidence-based interventions for improvement of maternal and child nutrition: what can be done and at what cost?" The Lancet 382: 452-477.

Brown, M E, Backer, D, Billing, T, White, P, Grace, K, Doocy, S and Huth, P (2020) "Empirical studies of factors associated with child malnutrition: highlighting the evidence about climate and conflict shocks." Food Security 12: 1241–1252.

Gillespie, S, Haddad, L, Mannar, V, Menon, P and Nisbet, N (2013) "The policies of reducing malnutrition: building commitment and accelerating progress." The Lancet 382(9891): 552-569.

Krätli, S (2015) Valuing variability. New perspectives on climate resilient drylands development, IIED. Edited by de Jode, H.

Marshak, A, Venkat, A, Young, H and Naumova, E N (2021) "How seasonality of malnutrition is measured and analyzed." International Journal of Environmental Research and Public Health.

WHO, FAO, UNHCR, UNICEF and WFP (2020) Global Action Plan on Child Wasting. A framework for action to accelerate progress in preventing and managing child wasting and the achievement of the Sustainable Development Goals.

WHO/UNICEF/WFP (2014) Global nutrition targets 2025: wasting policy brief (WHO/NMH/NHD/14.8). Geneva, World Health Organization.

Young, H and Marshak, A (2018) Persistent Global Acute Malnutrition. A discussion paper on the scope of the problem, its drivers and recommendations for policy, practice and research. A Feinstein International Center Publication. USA, Feinstein International Center, Tufts University.

Young, H and Marshak, A (2019) Twin peaks: The seasonality of acute malnutrition, conflict and environmental factors in Chad, the Sudan and South Sudan. Rome, Food and Agriculture Organization of the United Nations.

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