Rationaliser les processus d’enquête SMART en faveur d’un système public d’information nutritionnelle de qualité au Kenya
Par Lydia Ndung’u, Lucy Maina-Gathigi, Lucy Kinyua, Hassan Ali Ahmed, Kibet Chirchir et Samuel Mahinda Murage
Lydia Ndung’u est nutritionniste en santé publique. Elle travaille actuellement en tant que conseillère SMART pour l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe et le Yémen. Lydia dispose de plus de dix ans d’expérience dans la gestion, la mise en œuvre et l’évaluation des programmes en Afrique dans des contextes humanitaires et de développement, tant pour les autorités publiques que pour des organisations non gouvernementales.
Lucy Maina-Gathigi, responsable de la nutrition pour l’UNICEF Kenya, est spécialisée dans les systèmes d’information sur la nutrition. Elle est coprésidente du Groupe de travail technique sur l’information nutritionnelle du Kenya et possède un master en épidémiologie appliquée ainsi qu’une licence en nutrition et en diététique.
Lucy Kinyua est nutritionniste et travaille pour le ministère kényan de la Santé en qualité de responsable du suivi et de l’évaluation. Elle est également secrétaire du Groupe de travail technique sur l’information nutritionnelle. Elle possède un master en nutrition humaine appliquée.
Hassan Ali Ahmed est directeur associé de la division Nutrition chez Action contre la Faim Canada et joue un rôle de premier plan dans l’initiative SMART mondiale. Il travaillait dans des contextes d’urgence aux côtés d’Action contre la Faim depuis 2014 avant d’intégrer le projet mondial SMART en Jordanie. Hassan détient un master en administration des affaires dans le domaine de la gestion stratégique de l’université de Nairobi.
Kibet Chirchir est un professionnel de la santé publique, ainsi que du suivi et de l’évaluation. Il travaille actuellement pour le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) en tant que responsable de l’appui à la nutrition. Il renforce les systèmes d’information nutritionnelle au niveau national et infranational au Kenya.
Samuel Mahinda Murage est responsable des dossiers et des informations de santé auprès du ministère kényan de la Santé. Il possède plus de 20 ans d’expérience à différents niveaux du système de santé et a occupé des postes couvrant tout le processus, de la prestation de services à l’élaboration des politiques.
Les auteurs reconnaissent le leadership et l’engagement du gouvernement du Kenya au niveau national et au niveau des comtés en faveur de l’amélioration de la qualité du système d’information nutritionnelle. Les auteurs souhaitent tout particulièrement remercier Veronica Kirogo, responsable de la Division de la nutrition et de la diététique, au ministère de la Santé, pour son rôle de premier plan et ses conseils. Ils tiennent également à remercier les membres du Groupe de travail technique sur les informations nutritionnelles (NITWG) et leurs organismes respectifs, notamment Action contre la Faim au Kenya et World Vision pour leurs mandats à la présidence du NITWG. Les auteurs remercient en outre l’UNICEF et leurs autres partenaires pour leur appui financier en faveur de l’intégration des enquêtes SMART et Action contre la Faim Canada pour son rôle d’organisateur du projet SMART depuis 2009.
Les opinions exprimées par Lucy Maina-Gathigi et Kibet Chirchir dans cet article leur sont propres et ne reflètent pas nécessairement celles de l’UNICEF, de ses dirigeants ni des pays qu’ils représentent et ne doivent donc pas être considérées comme telles.
Lieu: Kenya
Ce que nous savons: La méthodologie Suivi et évaluation standardisés des urgences et transitions (SMART) est largement utilisée au Kenya par les gouvernements et les partenaires, dans le cadre de la surveillance nutritionnelle et des systèmes d’alerte précoce, aussi bien dans les zones arides que semi-arides.
Ce que cet article nous apprend: Depuis 2013, les processus de réalisation des enquêtes SMART au Kenya ont été rationalisés, harmonisés et institutionnalisés sous la supervision et la direction du Groupe de travail technique sur les informations nutritionnelles (NITWG). Parmi les principales mesures prises pour rationaliser les processus, on compte notamment l’élaboration de directives et de processus standards, le renforcement des capacités, la formation de groupes de travail, la mise en place de systèmes de validation de toutes les procédures avant de commencer les enquêtes et des résultats préliminaires obtenus à l’issue des enquêtes, ainsi que la gestion d’un fichier de données commun. Ces mesures ont permis de renforcer les capacités des fonctionnaires au niveau de l’État et des comtés, mais aussi d’améliorer les capacités de coordination liées à la mobilisation des ressources, à la planification commune et à la formation sur les enquêtes. Elles ont eu pour effet de renforcer l’appropriation de la gestion des enquêtes et de leurs résultats à l’échelle nationale (notamment par le biais de financements gouvernementaux accrus) et de favoriser la mise en œuvre d’enquêtes dirigées par le gouvernement. Ces mesures ont en outre permis d’obtenir des données comparables au fil du temps et entre les différentes zones géographiques, qui ont pu être utilisées afin d’orienter l’adoption de mesures dans le domaine de la nutrition et dans d’autres secteurs, ainsi que d’analyser la situation globale dans le pays. Les principaux moteurs de ce succès comprennent un engagement ferme à améliorer les capacités du personnel national à tous les niveaux, la planification de la relève, la communication constante entre les parties prenantes, de même que la disponibilité de données complémentaires dans les situations où la conduite d’enquêtes SMART s’est révélée impossible (par exemple, dans le cadre de la pandémie de COVID-19).
Contexte
Le Kenya affiche l’ambition de devenir, d’ici à 2030, une nation prospère et compétitive sur le plan international avec une qualité de vie élevée. L’état de santé et de nutrition précaire constitue un frein majeur à la réalisation de cette ambition, avec des disparités considérables en matière de malnutrition à travers le pays (figure 1). La situation nutritionnelle se détériore rapidement en période de sécheresse dans de nombreuses parties du Kenya. Les comtés arides (Turkana, Mandera, Wajir et certaines zones du comté de Marsabit) enregistrent régulièrement des niveaux de sous-nutrition critiques voire extrêmement critiques. La mise en place d’un système national d’information nutritionnelle est essentielle pour fournir des informations à jour concernant la surveillance et le suivi nutritionnels, en vue d’élaborer, en temps utile, des interventions nutritionnelles de grande qualité.
Figure 1: Prévalence de l’émaciation chez les enfants âgés de 6 à 59 mois dans les 47 comtés du Kenya
Source : Enquête démographique et de santé du Kenya, 2014
Le système d’information nutritionnelle du Kenya a été affiné ces dernières années, comme le montre la figure 2. Des directives claires, des outils ainsi que des méthodologies et processus standardisés ont été conçus en appui aux activités de suivi et d’évaluation de la nutrition à l’échelle nationale. Les sources de données sur lesquelles s’appuient les indicateurs clés ont également été mieux définies et les enquêtes suivi et évaluation standardisés des urgences et transitions (SMART) de nutrition ont été reconnues comme la source de données principale sur la prévalence de la malnutrition aiguë au niveau de la population (encadré 1).
Figure 2 : Système d’information nutritionnelle du Kenya
Encadré 1 : méthode d’enquête SMART
Lancée en 2002 par un réseau d’organisations et de professionnels du secteur humanitaire, la méthodologie d’enquête SMART1 est largement acceptée par les acteurs de la nutrition en tant qu’outil d’évaluation de la prévalence des différentes formes de malnutrition et/ou de l’impact sur la nutrition d’un projet dans tous les contextes (développement, urgence et populations déplacées).
Cette méthodologie a initialement été mise au point pour améliorer le suivi, le rapportage et l’évaluation des interventions humanitaires. Elle vise tout particulièrement à assurer la qualité des données grâce à un processus de contrôle de la qualité de la collecte, de la saisie et de l’analyse des informations. La méthodologie SMART a été élaborée pour traiter les questions communes à de nombreuses organisations qui œuvrent dans le domaine de l’aide humanitaire, telles que la nécessité i) de standardiser les méthodes employées par les différentes organisations en charge d’enquêtes nutritionnelles, ii) de renforcer les capacités techniques de l’ensemble des partenaires grâce à des outils faciles d’utilisation et iii) de concevoir des systèmes collaboratifs complets afin de garantir la qualité et la fiabilité des données utilisées pour le rapportage et la prise de décisions.
Au Kenya, la méthodologie SMART a pour la première fois été mise en œuvre en 2008. De nombreuses enquêtes ont depuis été réalisées, en particulier dans des situations d’urgence, en appui aux activités de surveillance et d’élaboration des interventions. Depuis quelques années, elles sont également utilisées dans des environnements non confrontés à des situations d’urgence. Avant 2013, les enquêtes étaient en grande partie financées et effectuées par des partenaires internationaux qui apportaient également un soutien technique en la matière, généralement avec l’appui de consultants internationaux de l’UNICEF ou d’autres partenaires de mise en œuvre. Le gouvernement était donc très peu impliqué dans ce processus. Cette approche s’est traduite par un manque d’harmonisation entre les processus, les méthodologies, les outils et les indicateurs, chaque consultant et organisme suivant ses propres règles. Ainsi, l’absence de directives sur le nombre d’indicateurs à ajouter aux enquêtes SMART2 a compromis la qualité des données anthropométriques et/ou donné lieu à la collecte d’indicateurs à partir d’échantillons de tailles insuffisantes pour permettre d’orienter l’élaboration des programmes. Cet article décrit les mesures adoptées au Kenya en vue de rationaliser les processus relatifs aux enquêtes SMART afin de favoriser l’instauration d’un système d’information nutritionnelle de qualité pris en charge et dirigé à l’échelle nationale.
Mise en place de mécanismes de coordination et d’assurance qualité
La situation d’urgence qu’a connue le Kenya en 2007/2008 en raison de violences postélectorales a mis en évidence la nécessité accrue de mieux coordonner les systèmes d’information afin de répondre plus efficacement à ce type d’événements. Après avoir examiné les leçons apprises de l’évaluation de l’intervention menée dans le cadre des violences postélectorales, le secteur de la nutrition a créé le Forum technique sur la nutrition au Kenya dirigé par le ministère de la Santé. Ce forum a donné lieu à la formation de plusieurs groupes de travail technique, dont le Groupe de travail technique sur les informations nutritionnelles (NITWG) en 2008. Il a été convenu que le rôle du NITWG consistait à examiner et valider les méthodes de collecte de données afin de garantir l’accès, en temps opportun, à des informations nutritionnelles de qualité pour orienter les interventions menées dans le cadre des programmes. La mission du NITWG s’est depuis élargie puisqu’il est désormais chargé de garantir l’établissement et la pérennité d’un système d’information nutritionnelle fonctionnel en mettant à jour les objectifs stratégiques no 9 et 10 du Plan d’action national pour la nutrition 2012-2017, afin de renforcer les systèmes de surveillance, de suivi et d’évaluation nutritionnels et d’améliorer la prise de décisions fondées sur des données probantes3.
Compte tenu de la diversité des capacités et compétences des membres du NITWG, plusieurs groupes de travail dédiés ont été créés pour répondre aux besoins du NITWG, conformément à ses termes de référence. Parmi ces groupes, citons par exemple les groupes de travail sur les enquêtes SMART, sur la couverture, sur les évaluations en matière d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, ou encore sur les informations de routine. Les groupes de travail ont pour principaux objectifs d’accélérer les processus d’approbation des protocoles, de valider les résultats et de renforcer les capacités des membres du NITWG et des organismes affiliés dans chaque domaine concerné.
Depuis 2013, le NITWG met en place des consultations annuelles sur les données relatives à la nutrition dans le cadre de ses activités d’assurance qualité. Ces consultations visent essentiellement à examiner de manière critique tous les indicateurs nutritionnels pour chaque source d’information nutritionnelle (enquêtes SMART, système d’information sanitaire de routine, postes sentinelles), à standardiser les outils et méthodes ainsi qu’à fournir des directives à tous les principaux partenaires et parties prenantes. Leur objectif secondaire consiste à renforcer les relations avec d’autres groupes de travail afin d’améliorer la collecte, l’analyse et la diffusion de données, notamment avec d’autres secteurs (EAH, sécurité alimentaire et santé).
Mesures visant à améliorer les enquêtes SMART
L’une des fonctions clés du NITWG est d’améliorer la qualité des données recueillies par l’intermédiaire des enquêtes SMART au Kenya. Plusieurs mesures importantes ont été prises dans cette optique depuis 2013, comme suit :
Cartographie des partenaires et des besoins
Le NITWG a aidé les comtés à réaliser un inventaire des activités de renforcement des capacités relatives au système d’information nutritionnelle, ainsi que des actions de soutien et de mobilisation des ressources menées par les partenaires en vue de faciliter une coordination et une planification communes. Il a également aidé les comtés à cartographier les besoins en matière de surveillance, notamment où et quand il convient de conduire les enquêtes SMART, d’après la cartographie de l’analyse des tendances et de la saisonnalité. Cette démarche a donné lieu à la création d’un calendrier des enquêtes visant à améliorer la coordination et à réduire la duplication des activités des partenaires. Le processus a pris en compte l’importance d’établir des liens avec d’autres secteurs et de s’aligner sur d’autres évaluations clés pour garantir une utilisation optimale des données, par exemple afin d’enrichir les évaluations saisonnières grâce aux résultats des enquêtes SMART.
Élaboration de directives et standardisation des processus
Afin de garantir la standardisation de toutes les enquêtes au niveau du pays et des comtés, les directives et les normes mondiales ont été adaptées à la situation kényane. Dans ce contexte, des versions standardisées des questionnaires (disponibles dans différents formats pour permettre la collecte de données papier ou mobiles), des protocoles d’enquête, des conclusions préliminaires et des rapports ont été mises au point. Les enquêtes ont été conduites par plusieurs organisations, avec l’appui de différents consultants, d’où l’importance de fournir des indications claires, par exemple, sur le nombre maximal d’indicateurs à ajouter au questionnaire de l’enquête SMART. Il était en outre essentiel de définir clairement chacun des indicateurs et de préciser la manière de les collecter afin d’éviter toute interprétation personnelle des méthodes à utiliser. Ces directives claires visaient à éviter de reproduire les mauvaises pratiques observées par le passé, comme l’enquête multisectorielle menée en 2012 qui comportait 130 questions, entraînant une lassitude de l’équipe d’enquêteurs et des répondants, au détriment de la qualité des données relatives aux indicateurs nutritionnels de base. L’équipe du NITWG a également conçu des modèles de déclaration des résultats préliminaires afin de guider les parties prenantes et de veiller à ce que les résultats soient présentés pour validation dans des formats standards.
Activités de renforcement des capacités
La formation sur les enquêtes SMART a été dispensée en 2014 et 2015 avec le soutien du bureau régional de l’UNICEF. Une approche en cascade a été adoptée pour atteindre les fonctionnaires chargés de réaliser les enquêtes sur le terrain en ciblant les régions arides et semi-arides. Cela a permis d’assurer la standardisation des méthodes employées. Ainsi, dans le comté de Turkana, les autorités ont mis en place une formation au niveau du comté à l’intention des fonctionnaires et du personnel des partenaires qui étaient directement impliqués dans la réalisation d’une enquête déjà planifiée. Cette formation a ainsi permis aux participants d’acquérir une expérience pratique, en plus d’approfondir leurs connaissances théoriques.
Validation des méthodes d’enquête et des résultats obtenus
Afin de garantir la qualité et la standardisation des enquêtes axées sur la nutrition, le NITWG a également élaboré un système d’examen et d’approbation des méthodes d’enquête en amont de leur réalisation. Cette étape s’applique à l’ensemble des enquêtes et doit être finalisée avant de commencer tout travail sur le terrain. Elle consiste notamment à passer en revue les objectifs, l’utilité, la méthodologie, les plans de formation (jours, lieu, sujets, animateurs), les outils de collecte de données ou encore les plans d’analyse. Une fois l’enquête terminée, le coordinateur de l’enquête doit remettre un rapport contenant les résultats préliminaires, accompagné d’un rapport de plausibilité, au NITWG. Après un examen minutieux des données et du rapport d’enquête final, le NITWG procède à la validation définitive des résultats. Pour que les résultats soient considérés comme de bonne qualité, le rapport de plausibilité de l’enquête doit démontrer que les données utilisées sont de bonne qualité. Tous les critères du rapport en question doivent de ce fait respecter des valeurs acceptables4, la taille de l’échantillon doit correspondre à plus de 80 % des enfants ciblés et le nombre de clusters pris en compte à plus de 90 % des clusters ciblés en vue de garantir la qualité des résultats avant de les partager. Ce processus de contrôle de la qualité était auparavant mené par les consultants et le personnel des partenaires. Afin de renforcer les capacités nationales et de favoriser la pérennité de ce système, ce sont désormais des agents du ministère de la Santé qui sont en charge de ce processus.
Gestion d’un système d’archivage partagé
Compte tenu de l’absence de moyen de partager les données, il était auparavant difficile d’accéder aux données brutes des consultants et de chaque organisme et donc d’effectuer un suivi de la qualité des données. Le NITWG a accepté de mettre en place un système d’archivage partagé des données brutes comprenant les fichiers du logiciel ENA, les questionnaires, les méthodologies ainsi que des rapports aux formats Word et PDF. Après approbation par le NITWG, tous les rapports d’enquête sont téléchargés sur un site Internet consacré à la nutrition et géré par le gouvernement5. Grâce à la publication des conclusions par l’intermédiaire de ce site Internet et au tableau de bord des enquêtes, toutes les parties concernées peuvent accéder aux informations relatives à toutes les enquêtes de nutrition validées dans le pays, et donc élaborer des programmes et prendre des décisions en temps réel.
Réalisations
Augmentation des financements gouvernementaux alloués à la réalisation d’enquêtes SMART
L’adoption des mesures décrites ci-dessus a permis de clarifier les processus relatifs aux enquêtes SMART, de mieux coordonner les efforts en matière de mobilisation des ressources et d’éviter les doublons. Dans la lignée des efforts globaux déployés pour accroître ses capacités et s’approprier davantage ces processus, le gouvernement du Kenya a également fortement accru son budget consacré aux enquêtes au fil des ans. Les gouvernements des comtés intègrent désormais les investissements directs dans les enquêtes et la mobilisation des fonds pour la réalisation des enquêtes à leurs plans annuels. Le tableau 1 présente les investissements effectués par le gouvernement du Kenya en faveur des enquêtes en 2018 et 2019. Si, dans certains comtés, la part des contributions gouvernementales reste faible, l’engagement financier réel du gouvernement a néanmoins augmenté par rapport aux années précédentes.
Tableau 1 : Financements du gouvernement en faveur des enquêtes SMART en 2018/2019, en shillings kényans (KSh)
Délais |
Comté |
Coût total (KSh) |
Contribution du gouvernement (KSh) |
Contribution du gouvernement (%) |
Juillet 2018 |
Marsabit |
6 192 280 |
974 000 |
15,7 % |
Juillet 2018 |
Wajir |
4 200 660 |
1 796 800 |
42,8 % |
Juillet 2019 |
Garissa |
4 697 300 |
854 700 |
18 % |
Juin 2019 |
Wajir |
2 729 433 |
1 513 100 |
55 % |
Juin 2019 |
West Pokot |
2 585 550 |
190 550 |
7 % |
Juin 2019 |
Turkana |
7 894 500 |
488 500 |
6 % |
Réalisation d’enquêtes pilotées par le gouvernement
La rationalisation des processus a permis de renforcer les capacités des fonctionnaires au niveau de l’État et des comtés, et notamment d’améliorer les capacités de coordination en ce qui concerne la mobilisation des ressources, la planification commune, la formation sur les enquêtes et leur réalisation. Cette approche s’est traduite par une meilleure appropriation par le gouvernement de la gestion et des résultats des enquêtes. Au niveau des comtés, les fonctionnaires gèrent désormais les enquêtes avec un appui extérieur minimal. Leurs activités comprennent la gestion globale des enquêtes, la coordination, l’élaboration de protocoles, la présentation des informations pour validation, la formation, ainsi que la collecte, l’analyse, la déclaration et la diffusion de données.
Préparation et intervention en temps opportun
Grâce à la disponibilité des données des enquêtes SMART, il a été possible de détecter de manière précoce la dégradation de la situation dans le pays et donc d’intervenir rapidement. Ainsi, l’analyse nutritionnelle menée en août 2016 a permis de lancer l’intervention nutritionnelle en 2017, avant même que la sécheresse n’ait été officiellement déclarée. Le gouvernement kényan a par conséquent été en mesure d’anticiper les besoins et a affecté 7 540 000 dollars US au plan d’intervention nutritionnelle.
Des données comparables dans le temps et l’espace
Compte tenu de la standardisation des processus et procédures sur le terrain, les données générées au fil du temps sont aujourd’hui comparables. Les enquêtes SMART concernant une zone donnée sont systématiquement conduites la même saison, ce qui permet d’en déduire si la situation s’améliore ou, au contraire, se dégrade. Ainsi, la figure 3 indique l’évolution de la malnutrition aiguë au fil du temps par zone étudiée dans le comté de Turkana où les enquêtes nutritionnelles sont réalisées tous les ans à la fin de la saison des longues pluies au mois de juin. Les résultats de ces enquêtes alimentent en outre les évaluations sur la saison des longues pluies réalisées deux fois par an (en juin et en février, à la fin de la saison des courtes pluies). Le niveau de malnutrition aiguë globale est resté élevé (supérieur au seuil d’urgence de 15 % fixé par l’Organisation mondiale de la Santé) au cours des dix dernières années, ce qui met en évidence les difficultés de ces zones à se remettre des chocs persistants provoqués par les sécheresses, les inondations et les conflits auxquels la population du comté est confrontée. La figure 3 met en évidence les similitudes entre les deux épisodes de sécheresse qu’a connus le Kenya en 2011 et 2017.
Figure 3 : Tendances de la malnutrition aiguë globale dans le comté de Turkana (enquêtes SMART 2010-2019)
Disponibilité et utilisation de données de qualité
Avant que les enquêtes soient coordonnées et réglementées, les rapports d’enquête étaient communiqués sans que la qualité des données soit précisée. L’estimation de la qualité des données étant désormais une condition essentielle à la validation de chaque enquête, la grande majorité des enquêtes réalisées au Kenya font dorénavant preuve d’une rigueur, d’une fiabilité et d’une qualité optimales, si bien que le Kenya est devenu un centre d’excellence en matière de système d’information nutritionnelle. Cette évolution s’est traduite par des collaborations plus étroites dans des domaines dépassant le champ de la planification d’enquêtes sur la nutrition. Le NITWG a par exemple pris part à l’enquête démographique et de santé du Kenya pour la première fois en 2014 et apporté son soutien à la réalisation du test de standardisation, une technique issue de la méthodologie SMART consistant à vérifier la qualité des données utilisées dans le cadre des mesures anthropométriques.
Afin de garantir que les résultats des enquêtes SMART contribuent pleinement à l’analyse de la situation dans le pays (notamment au cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire — IPC), plusieurs secteurs (sécurité alimentaire, santé et EAH) ont été consultés afin d’intégrer systématiquement les indicateurs clés aux enquêtes standards sur la nutrition. Les enquêtes SMART sont désormais considérées comme une source fiable/valable de données par d’autres secteurs et la nutrition est aujourd’hui perçue comme le secteur le plus coordonné et les informations qui en sont issues comme systématiquement à jour. Cela a permis d’améliorer l’image du secteur de la nutrition et de favoriser l’engagement multisectoriel. Les comtés ont également recours aux données des enquêtes SMART pour évaluer la situation de départ et assurer la planification dans le cadre de l’élaboration des plans de développement intégrés des comtés6 et des plans de travail sur la nutrition des comtés.
Leçons apprises
La qualité désormais élevée des infrastructures du système d’information nutritionnelle du Kenya, qui contribue au résultat clé no 16 du Plan d’action du Kenya pour la nutrition, est en grande partie attribuable aux investissements réalisés dans un cadre de suivi et d’évaluation dans le domaine de la nutrition assimilé et géré par le gouvernement. Les outils et méthodologies standards du système d’information nutritionnelle permettent de rationaliser les efforts visant à renforcer les capacités et de comparer les résultats au fil du temps, ce qui était par le passé impossible.
En dépit des difficultés liées à la rotation élevée du personnel, les formations dispensées aux fonctionnaires ont permis de constituer un noyau de collaborateurs techniques qui transmettent leurs connaissances aux nouvelles recrues. La formation de groupes de travail a permis d’améliorer les délais d’exécution, d’approfondir la réflexion sur les méthodes, les processus et les procédures et d’apporter un soutien ciblé si besoin. Les équipes spéciales comprennent également des membres qui faisaient auparavant partie du NITWG et ont été depuis recrutés en tant qu’experts internationaux sur les enquêtes SMART. Beaucoup d’entre eux continuent de se montrer disponibles pour fournir un appui technique à l’équipe lorsque celle-ci les sollicite par l’intermédiaire de groupes WhatsApp, en examinant des documents en ligne, voire en proposant leur aide entre deux contrats.
Le NITWG a notamment pour mission d’assurer la planification de la relève et les activités de mentorat. Le soutien, le mentorat et l’accompagnement des nouveaux membres/nouvelles équipes du NITWG ont, à travers la documentation disponible et le partage des leçons apprises, permis aux nouvelles recrues de s’appuyer sur les réalisations précédentes. Au fil des années, le forum est resté très dynamique, ce qui explique que le pays ait conservé un haut niveau d’expertise et des capacités élevées.
La régularité est primordiale. Depuis 2013, les réunions du NITWG se tiennent le dernier jeudi de chaque mois. Ce calendrier est resté inchangé malgré de nombreuses autres questions prioritaires, telles que l’analyse IPC semestrielle qui a généralement lieu en fin de mois. Le pays a continué à organiser régulièrement des réunions virtuelles durant la pandémie actuelle de COVID-19. Les participants peuvent ainsi plus facilement planifier et bloquer des dates et cela simplifie également la programmation des réunions pour les organisateurs. Les équipes qui prévoient de faire valider leurs enquêtes et leurs protocoles peuvent facilement s’adapter à ce calendrier.
Le renforcement des capacités systémiques est crucial. L’accent mis sur le renforcement des capacités des fonctionnaires a facilité l’appropriation des processus, tandis que la standardisation des outils et des méthodologies a contribué à l’uniformité des données, ainsi qu’à leur disponibilité et à leur qualité. La prise en main et l’appropriation des processus par le gouvernement, de même que leur institutionnalisation, ont eu pour effet d’améliorer les résultats, l’appropriation des outils et de favoriser la mise en place de stratégies durables. Il est par conséquent crucial de poursuivre ces efforts afin de garantir la qualité élevée des données. Cela passe notamment par la programmation de sessions de vérification des données et la réalisation coordonnée d’enquêtes. Il est par ailleurs essentiel de continuer à soutenir les capacités des fonctionnaires, en particulier dans les comtés qui ne sont pas considérés comme arides ou semi-arides. Le fait de les impliquer dans le cadre des formations SMART, de la réalisation des enquêtes, des consultations sur les données, des analyses IPC, des réunions du NITWG et de toute autre activité de formation sur le système d’information nutritionnelle favorise leur engagement et leur accès à des informations actualisées.
Le Kenya dispose de plusieurs sources d’informations qui se complètent mutuellement. En sus des enquêtes SMART, l’Autorité nationale de gestion de la sécheresse gère un système d’alerte précoce et le ministère de la Santé produit des informations de routine. Ces ressources génèrent des données qui viennent compléter les résultats des enquêtes SMART, permettant ainsi d’analyser les tendances au fil du temps et d’éviter des lacunes. Même durant la pandémie de COVID-19 et la suspension des enquêtes SMART, le Kenya a été en mesure d’effectuer des analyses IPC de la malnutrition aiguë à partir des informations issues de ces autres sources de données, qui étaient toujours disponibles.
Conclusions
L’amélioration du système d’information nutritionnelle du Kenya repose notamment sur l’adoption d’un cadre de suivi et d’évaluation clair ainsi que sur la mise en place d’instances de coordination et de contrôle de la qualité bien définies. Les principales mesures prises pour améliorer la qualité des données relatives aux enquêtes SMART comprennent la rationalisation des méthodes de collecte de données, le renforcement des capacités des fonctionnaires et du personnel des partenaires, la création d’équipes spéciales, la validation de l’ensemble des méthodes et résultats d’enquête ainsi que la gestion du fichier de données commun. Notre expérience nous a montré que les principaux éléments que les autres pays doivent prendre en compte afin de concevoir un système d’information nutritionnelle durable sont les suivants : le renforcement des capacités des fonctionnaires, la planification de la relève, les activités de mentorat, la coordination des efforts et des ressources, ainsi que la préservation de normes élevées et de cadres de contrôle de la qualité. La pandémie de COVID-19 a affecté le système d’information nutritionnelle, au même titre que tous les secteurs, du fait de l’arrêt de toutes les enquêtes menées auprès des ménages, dont font partie les enquêtes SMART, en 2020. L’accès à des sources de données complémentaires a permis d’assurer la continuité des informations malgré l’indisponibilité des données d’enquête. Cette expérience apporte des indications utiles aux autres pays qui cherchent à améliorer l’utilisation des méthodologies d’enquête SMART, et met en avant d’autres formes de surveillance nutritionnelle, afin de favoriser l’instauration d’un système d’information nutritionnelle national de qualité.
Pour en savoir plus, veuillez contacter Lydia Ndungu à l’adresse lydianyambu123@gmail.com
1 https://smartmethodology.org
2 Des indicateurs supplémentaires provenant d’autres secteurs, comme la sécurité alimentaire, la santé ou encore l’eau, l’assainissement et l’hygiène (EAH) ont été ajoutés aux principaux indicateurs anthropométriques et de mortalité
3 Au titre du résultat clé no 16 du Plan d’action national pour la nutrition 2018-2022 du Kenya
4 Ces critères sont les suivants : pourcentage de données « flagées » (valeurs extrêmes identifiées par le logiciel), répartition par sexe, répartition par âge, préférence pour les chiffres ronds dans le cadre des mesures anthropométriques, écart-type du score z de l’indice poids-pour-taille, forme de la courbe de répartition (asymétrie/aplatissement/indice de dispersion)
5 http://www.nutritionhealth.or.ke/
6 Les plans de développement intégrés des comtés sont préparés par l’ensemble des comtés afin d’orienter les stratégies de développement sur cinq ans.