"Je suis courageux !": programme d’entrepreneuriat social en faveur d’un régime alimentaire sain pour les jeunes Indonésiens
Par Cut Novianti Rachmi, Dhian Probhoyekti Dipo, Eny Kurnia Sari, Lauren Blum, Aang Sutrisna, Gusta Pratama et Wendy Gonzalez
Cut Novianti Rachmi possède une vaste expérience dans la conduite d'évaluations d'impact et l'utilisation d'une approche à méthodes mixtes pour divers sujets de recherche. Elle est actuellement chercheur senior à Reconstra Utama Integra, à Jakarta, en Indonésie.
Dhian Probhoyekti Dipo est directrice de la nutrition en santé publique au ministère de la Santé de la République d'Indonésie. Elle est titulaire d'un master en planification et politique de la santé de l'université de Leeds, au Royaume-Uni, et d'un doctorat en santé publique de l'université d'Indonésie.
Eny Kurnia Sari est responsable de programme pour la nutrition des adolescents à l'Alliance mondiale pour l'amélioration de la nutrition (GAIN). Elle a plus de 12 ans d'expérience dans la gestion de programmes de développement rural et urbain pour des organisations non gouvernementales locales et internationales.
Lauren Blum est une anthropologue de la nutrition qui travaille pour GAIN afin de réaliser des évaluations qualitatives des programmes. Elle a une grande expérience dans la conduite de recherches qualitatives sur la santé et la nutrition des mères et des enfants et sur les maladies infectieuses en Afrique et en Asie.
Aang Sutrisna est le chef de programme de GAIN Indonésie. Au cours des 15 dernières années, il a travaillé en tant que consultant en recherche, suivi et évaluation de programmes pour diverses institutions internationales.
Gusta Trisna Pratama est médecin et titulaire d'un master en infectiologie et immunologie. En tant qu'associé de recherche à Reconstra Utama Integra, il participe à divers projets de recherche.
Wendy Gonzalez est spécialiste technique senior à GAIN. Elle a conduit des recherches opérationnelles sur des programmes de nutrition en Amérique latine, en Afrique de l'Est et en Asie du Sud-Est.
Nous souhaitons remercier Zineb Félix, Yayasan Ashoka Pembaharu Bagi Masyarakat et Dentsu Indonesia pour leur contribution à la conception et à la mise en œuvre du programme Saya Pemberani. Merci également à l’agence Ananda Partners pour ses conseils, ainsi qu’à Hafizah Jusril et Adila Saptari pour leur aide lors des recherches. Ce programme est financé par le ministère des Affaires étrangères des Pays-Bas.
Lieu : Indonésie
Ce que cet article nous apprend : Cet article revient sur les avantages et les défis de l’utilisation de l’entrepreneuriat social pour mobiliser les jeunes autour de la promotion de régimes alimentaires sains.
Principaux messages :
- Au moyen de l’entrepreneuriat social, le programme Saya Pemberani visait à inciter les jeunes vivant en milieu urbain à formuler des solutions contextuelles aux problèmes empêchant l'adoption d'un régime alimentaire sain. Il reposait sur des campagnes sur les médias sociaux ainsi que sur des activités de mentorat.
- Bien que les médias sociaux se soient révélés efficaces pour atteindre les jeunes dans les zones desservies par le programme, les participants leur ont préféré les séances de mentorat en face à face pour partager leurs idées et recevoir des conseils personnalisés.
- Ils ont ainsi rapporté que le programme de mentorat les avait aidés à acquérir des compétences touchant au leadership, au travail d’équipe, à la résolution de problèmes, à la pensée critique et créative, mais aussi à la communication. Les participants ont également fait état de connaissances enrichies et d’une sensibilité accrue concernant, d'une part, l’importance d’une alimentation saine, et, d'autre part, les obstacles à l'adoption d'un tel régime.
Contexte
Les régimes alimentaires sains sont une condition préalable à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD). Ils aident à se protéger contre toutes les formes de malnutrition, mais aussi contre les maladies non transmissibles (Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, 2016). De bonnes habitudes alimentaires sont indispensables si l’on souhaite que les 62 millions de jeunes Indonésiens âgés de 15 à 29 ans (soit 20 % de la population totale du pays) jouissent d’un apport nutritionnel adéquat leur permettant de réaliser leur plein potentiel et d’ainsi devenir des adultes productifs. Pourtant, une enquête de 2018 montre que 25 % des filles de 15 à 24 ans souffrent d’anémie, et que 34 % des filles et des garçons de 13 à 24 ans sont en surpoids ou obèses (Institut national de recherche et de développement en santé du ministère de la Santé indonésien, 2019).
Si l’on souhaite atteindre les ODD d’ici à 2030, nous devons tous agir pour transformer les systèmes alimentaires et faire en sorte qu’ils fournissent de la nourriture saine, nutritive et abordable. Dans cet effort, le rôle des jeunes est d’autant plus important (Glover et Sumberg, 2020), car ils peuvent constituer une force puissante en matière de changement social (Agence des États-Unis pour le développement international [USAID], 2014). Grâce aux nouvelles technologies, les échanges d’information et d’idées sont de plus en plus rapides ; les jeunes sont ainsi en mesure de se mobiliser pour des enjeux qui leur tiennent à cœur et de s’organiser pour promouvoir le changement qu’ils souhaitent voir advenir dans leur société. Malgré ces possibilités, les jeunes affrontent un certain nombre d’obstacles à la mise en œuvre de ces changements structurels pour la généralisation de régimes alimentaires sains. Par exemple, ils ne sont que très peu impliqués dans les principaux processus décisionnels politiques et normatifs les concernant (USAID, 2014). C’est pourquoi ils exigent de plus en plus leur intégration à ces processus, et demandent à y apporter une participation significative. En parallèle, les jeunes passent à l’action pour faire face aux défis sociétaux qu’ils rencontrent, notamment à travers l’entrepreneuriat social, une activité qui consiste à trouver des solutions afin de créer de la valeur ou d’engendrer un changement positif dans la société (Organisation des Nations Unies, 2020).
Le programme Saya Pemberani (« Je suis courageux ! » en indonésien) s’est appuyé sur l’entrepreneuriat social pour inciter les jeunes vivant en milieu urbain, et confrontés à des problèmes empêchant l'adoption d'un régime alimentaire sain, à formuler des solutions adaptées à leurs contextes respectifs. Conçu par l’Alliance mondiale pour l’amélioration de la nutrition (GAIN), le programme a été mis en œuvre entre avril 2019 et juin 2020 dans la ville de Surabaya et le district de Jember, dans le Java oriental. Il est le fruit d’un partenariat avec le ministère de la Santé et Ashoka, une organisation à but non lucratif s’employant à promouvoir l’entrepreneuriat social. Le présent article décrit la conception, la mise en œuvre, ainsi que les principaux résultats et enseignements du programme Saya Pemberani. Il examine les possibilités et les difficultés liées à l’entrepreneuriat social en tant qu’outil de mobilisation des jeunes en faveur de régimes alimentaires sains.
Conception et mise en œuvre du programme Saya Pemberani
Théorie du changement : promouvoir des régimes alimentaires sains grâce à l’entrepreneuriat social
Nous sommes partis de l’hypothèse que si nous sensibilisions les adolescents aux obstacles à une alimentation saine et les motivions à les surmonter, ils se sentiraient encouragés à agir et à formuler des idées en faveur d’un changement social en la matière. En participant au programme de mentorat Saya Pemberani, ils ont pu renforcer les compétences requises pour traduire ces idées en propositions réalistes et solides. D’autre part, l’implication des parents et des enseignants à ce processus a permis de créer un environnement favorable au soutien mutuel et au changement social. Sur le long terme, la mise en œuvre de ces propositions contribuera à améliorer les régimes alimentaires des adolescents (voir figure 1).
Figure 1 : Théorie du changement du programme Saya Pemberani
Campagnes de communication : inviter les jeunes à participer
Le lancement du programme Saya Pemberani a été marqué par l’organisation d’ateliers en milieu scolaire et de campagnes sur les médias sociaux. La campagne de communication avait pour but de sensibiliser aux difficultés pour les jeunes Indonésiens à accéder à des régimes alimentaires sains. Elle visait en outre à faire évoluer leur rôle concernant l’accès à des aliments nutritifs. Dans le cadre du programme, les jeunes ont été invités à discuter de ces nombreux défis lors d’événements en face à face et virtuels (par exemple via Facebook et Instagram), qui leur ont permis de formuler des idées pour changer la donne. Plusieurs événements physiques conviant les parents et les enseignants avaient en outre pour but d’encourager les adultes à faciliter ces échanges d’idées et de créer un environnement favorable au soutien mutuel.
Séances de mentorat : comment traduire les idées en action
Les séances de mentorat étaient destinées à renforcer la capacité des jeunes à formuler clairement leurs idées et à les concrétiser.
Les 12-20 ans ont été invités à présenter leurs propositions sur la plateforme en ligne prévue à cet effet. Au total, 362 propositions collectives et individuelles ont été reçues, parmi lesquelles 78 étaient rédigées de manière exhaustive (brève problématique, solution proposée et potentiel en matière d’effets et de durabilité). Le programme a recruté huit jeunes (cinq filles et trois garçons) membres de l’organisation Ashoka pour diriger les séances de mentorat. La première a consisté à aider les participants sélectionnés à affiner leurs problématiques et à définir les étapes nécessaires à la concrétisation de leurs suggestions. Les personnes qui ont pris part aux ateliers en milieu scolaire ont reçu un mentorat en face à face, tandis qu’un accompagnement en ligne a été proposé au public visé par la campagne sur les médias sociaux.
Les 45 idées les mieux notées (selon l’implication des participants aux ateliers et l’exhaustivité de leurs propositions) ont été sélectionnées pour être approfondies lors d’une deuxième séance. À l’issue de celle-ci, les participants ont dû créer une vidéo d’une minute présentant une version affinée de leur proposition. Ces vidéos ont été évaluées par l’équipe du programme selon les critères suivants : créativité, effets potentiels et durabilité. Seules 25 propositions ont pu passer à l’étape suivante : une présentation lors du sommet « Do it, Grow it » qui s’est tenu à Jakarta le 24 février 2020. Cet événement a été l’occasion de renforcer les capacités des participants en matière de leadership, de travail d’équipe et de collaboration ainsi que leurs compétences en communication. Un panel de juges triés sur le volet composé de jeunes innovateurs, d’experts en communication, de représentants de divers organismes (GAIN, Ashoka, organismes publics disposant de programmes axés sur les jeunes, notamment les ministères de la Santé et de l’Éducation) a ensuite sélectionné les trois meilleures idées présentées. Par la suite, les jeunes lauréats ont pu bénéficier d’un mentorat approfondi pour transformer ces idées en propositions bien étayées et finançables (voir encadré 1).
De nombreuses propositions étaient réellement innovantes. La plupart étaient axées sur la production de boissons et d’aliments nutritifs, comme des glaces au tempeh (aliment javanais traditionnel fabriqué à partir de graines de soja fermentées), des burgers sains, des encas de légumes et des boissons fruitées. D’autres tournaient autour de la création de jardins communautaires, de campagnes de communication ou encore d’applications sur mobile portant sur l’éducation à la nutrition, la sensibilisation sociale à la consommation de produits locaux et le plaidoyer en faveur de d’un accès gratuit à l’eau potable à l’école.
Encadré : Les trois meilleures idées du programme Saya Pemberani
Idée no 1 – Améliorer la sécurité alimentaire grâce à l’initiative « Enquêteurs alimentaires » Dina est collégienne dans le village de Desa Selodakon (district de Jember, Java occidental). Elle s’est rendu compte que de nombreux marchés et cantines scolaires de son village vendaient de la nourriture dont la date d’expiration était dépassée. Elle a donc mis sur pied avec son équipe l’initiative « Enquêteurs alimentaires » pour sensibiliser les élèves et les fournisseurs à l’importance de la sécurité alimentaire, et leur enseigner les bonnes pratiques en la matière. Ainsi, les « enquêteurs alimentaires » inspectent les commerces de détail et les cantines pour vérifier si des aliments périmés y sont présents. Avec l’aide des écoles et des représentants du village, l’initiative a pu être déployée dans le quartier où vivent Dina et son équipe. Ils comptent élargir la zone desservie en collaborant avec les conseils d’élèves, les directions d’établissements ainsi que les responsables religieux et locaux. L’initiative devrait également être proposée en tant qu’activité extrascolaire et promue sur les médias sociaux. L’objectif à long terme est d’influer sur les politiques locales en matière de produits alimentaires et de nutrition, et d’ainsi renforcer l’environnement permettant d’assurer la disponibilité de denrées sûres. Idée no 2 – Un « jardin écologique » pour accroître la disponibilité de fruits et légumes frais Andrew vit dans la cosmopolite ville de Surabaya. Il a remarqué que certains enfants étaient petits et menus pour leur âge. Faisant le lien avec la malnutrition, Andrew a décidé d’accroître la disponibilité d’aliments nutritifs pour aider les enfants à grandir et s’épanouir. À ces fins, lui et son groupe d’amis ont imaginé le projet BUJO (ou « jardin écologique »), l’occasion pour les voisins d’un même quartier de cultiver un potager dans un jardin public (ou toute autre zone désignée) en suivant le cycle consistant à « planter, faire pousser, récolter, utiliser, vendre et recycler ». L’objectif à long terme du projet BUJO est d’institutionnaliser cette pratique afin que les communautés dans tout le pays puissent bénéficier d’une disponibilité accrue de fruits et de légumes. Idée no 3 – « Sister Health », l’application pour cartographier les commerçants Lors de sa première année à l’université, Rizal et ses amis ont souffert d’une intoxication alimentaire après avoir acheté de la nourriture à un vendeur sur leur campus. Rizal a découvert que la plupart de ces commerçants ne respectaient pas les normes d’assainissement, notamment à cause d’un accès limité à de l’eau salubre et d’une mauvaise gestion des déchets. Avec l’aide de son équipe, il a donc développé Sister Health (« Sœur santé »), une application Android cartographiant les vendeurs sur le campus qui respectent les bonnes pratiques en matière d’hygiène et vendent des aliments nutritifs. L’application contient diverses fonctionnalités, notamment une rubrique fournissant des conseils et astuces en matière d’alimentation saine et un système de notation permettant aux étudiants d’évaluer les conditions d’hygiène dans les points de restauration. Sur le long terme, l’équipe espère créer un véritable mouvement étudiant en faveur de l’hygiène alimentaire et de l’assainissement sur le campus. |
Évaluation du programme
Reconstra (une organisation spécialisée dans la recherche) a mené une évaluation indépendante entre mars et décembre 2020 sous l’égide des partenaires de l’organisation d’entrepreneuriat social Ananda. Cette enquête visait à évaluer la mesure dans laquelle le programme Saya Pemberani avait atteint son public cible, ainsi que la conformité de la mise en œuvre des composantes du programme par rapport à ce qui était prévu. L’évaluation portait également sur la satisfaction des participants, à savoir comment ces derniers définissaient leur implication vis-à-vis du programme.
Des entretiens approfondis semi-structurés ont été menés à distance auprès d’un échantillon choisi de 58 personnes ayant pris part au programme. Cet échantillon était composé de sept représentants d’organisations ayant dirigé la conception et la mise en œuvre du programme (deux issus de GAIN, trois d’Ashoka et deux de Dentsu), huit mentors, quatre membres du jury, quatre enseignants, neuf parents (dont quatre parents de jeunes ayant présenté les 25 meilleures idées et cinq dont les enfants ont été classés dans le top 10) et 26 participants.
Résultats
Portée
Le programme a réuni des jeunes issus de différents groupes d’âge, établissements scolaires et localités (voir le tableau 1). Les ateliers en présentiel ont permis d’atteindre 1 166 élèves et enseignants à travers 23 établissements scolaires publics et privés. La campagne sur les médias sociaux a généré 10 535 clics sur le site Internet du programme.
Au total, 78 propositions exhaustives ont été envoyées par les équipes. Les jeunes ayant participé aux ateliers sont ceux qui ont présenté le plus d’idées, et qui ont le plus progressé aux différentes étapes du programme. Les élèves du collège-lycée Santa Maria (Surabaya) ont été particulièrement prolifiques : 16 de leurs idées ont fait partie du top 45, et trois ont été jusqu’au top 10.
Tableau 1 : Caractéristiques des idées issues du programme Saya Pemberani
|
Candidatures exhaustives (n = 78) |
45 meilleures idées (n = 45) |
10 meilleures idées (n = 10) |
|||
|
n |
% |
n |
% |
n |
% |
Portée (personnes ayant découvert le programme) |
||||||
Ateliers en milieu scolaire |
65 |
83 % |
40 |
89 % |
9 |
90 % |
Médias sociaux et WhatsApp |
13 |
17 % |
5 |
11 % |
1 |
10 % |
Type d’établissement scolaire |
||||||
Collège (13-15 ans) |
23 |
29 % |
14 |
31 % |
3 |
30 % |
Lycée (16-18 ans) |
35 |
45 % |
21 |
47 % |
3 |
30 % |
Enseignement supérieur (18 ans et plus) |
14 |
18 % |
6 |
13 % |
2 |
20 % |
Autre (13-18 ans) |
6 |
8 % |
4 |
9 % |
2 |
20 % |
Sexe |
||||||
Groupe dirigé par une fille |
52 |
67 % |
30 |
67 % |
7 |
70 % |
Groupe dirigé par un garçon |
26 |
33 % |
15 |
33 % |
3 |
30 % |
Zone |
||||||
Agglomération de Surabaya |
42 |
54 % |
25 |
56 % |
5 |
50 % |
Agglomération de Jember |
35 |
45 % |
19 |
42 % |
4 |
40 % |
Autres zones |
1 |
1 % |
1 |
2 % |
1 |
10 % |
Bonne exécution du programme
La plupart des activités du programme Saya Pemberani ont été mises en œuvre comme prévu, bien que quelques aménagements aient dû avoir lieu pour prendre en compte un nombre de propositions plus élevé qu’escompté. Par exemple, la campagne sur les médias sociaux devait durer 95 jours, mais a été raccourcie à 52. Les participants ont été encouragés à collaborer pour combiner les propositions similaires. Huit mentors ont été désignés pour diriger les séances : quatre à Surabaya et quatre à Jember. Comme convenu, chacune de ces personnes a mené trois séances en ligne et/ou en présentiel.
Ces dernières ont été organisées dans des lieux faciles d’accès pour les participants, comme des écoles, des bibliothèques et des cafés. Il s’agissait de discussions de groupe visant à faciliter les interactions constructives au sein des équipes. Le nombre de participants à chaque séance a été plus élevé que prévu, surtout pour la première. À la troisième séance, chaque mentor avait géré entre cinq et sept groupes. Chaque séance a duré entre 90 et 120 minutes, et des activités complémentaires en ligne (webinaires sur les médias et la communication, les compétences en leadership et la nutrition) ont été dispensées par des experts. Des débats sur WhatsApp (groupes de discussion, appels) ont en outre fréquemment eu lieu entre mentors et participants.
Satisfaction des participants
Les participants ont rapporté que le programme de mentorat les avait aidés à acquérir des compétences touchant au leadership, au travail d’équipe, à la résolution de problèmes, à la pensée critique et créative, mais aussi à la communication. Ils ont également fait état de connaissances enrichies et d’une sensibilité accrue concernant, d'une part, l’importance d’une alimentation saine, et, d'autre part, les obstacles à l'adoption d'un tel régime. Mentors et mentorés ont déclaré faire des choix alimentaires plus éclairés depuis leur participation au programme Saya Pemberani, et avoir amélioré leur apport en nutriments.
À la fin du programme, la plupart des équipes ayant participé aux trois séances de mentorat étaient capables de formuler des propositions pour le changement social bien étayées, avec une problématique claire, un raisonnement poussé, une théorie du changement et des cibles précises. Néanmoins, les participants et leurs mentors ont souhaité que le programme soit plus long et plus intense pour pouvoir remplir les objectifs fixés dans ce cadre. Les équipes qui n’ont pas atteint les dernières séances mais qui ont fait preuve d’engagement et de motivation à concrétiser leurs idées après la fin du programme ont par ailleurs fait part de leur volonté de se voir offrir des activités de suivi et d’approfondissement. Pour donner suite aux propositions formulées, Saya Pemberani a mis en relation les participants avec le réseau plus large d’Ashoka réunissant des personnes œuvrant dans l’entrepreneuriat social, Kampung Pembaharu (« village d’acteurs du changement »).
Plusieurs difficultés concernant la participation aux séances de mentorat ont tout de même été constatées : emplois du temps denses, priorités concurrentes telles que les obligations scolaires, etc. Bien conscients de la situation, les mentors ont fait preuve de souplesse concernant l’organisation des séances en face à face et à distance.
Enseignements tirés et recommandations
Le mélange d’activités en ligne et hors ligne a permis d’attirer l’attention et la participation d’un éventail varié de personnes, comme les préadolescents, les jeunes de zones périurbaines, mais aussi un nombre plus important de filles. Bien que les médias sociaux se soient révélés efficaces pour atteindre les jeunes dans les zones desservies par le programme, les participants leur ont préféré les séances de mentorat en face à face pour partager leurs idées et recevoir des conseils personnalisés. Les échanges avec leurs pairs et leurs mentors ont été appréciés, ce qui souligne l’importance de créer des connexions sociales et de promouvoir les interactions en personne à ce stade de vie si formateur.
Saya Pemberani a délibérément visé les personnes disposant d’un accès aux technologies, sans préalablement tenir compte de la fracture numérique qui sévit au sein de la population cible. Les participants venant de Surabaya et les familles les plus aisées jouissaient d’une meilleure connectivité et d’un meilleur accès à un matériel électronique. Cela les a aidés à collaborer étroitement avec les mentors, mais également à accéder à des ressources et des outils qui leur ont permis d’affiner leurs idées. Par la suite, le programme a été adapté et les inégalités d’accès aux ressources prises en compte, notamment par les mentors et le jury lors de l’évaluation des avancées et des propositions des équipes. S’il venait à être réitéré, le programme devrait évaluer les éventuelles disparités en matière d’accès au numérique au sein de sa population cible, et donc prévoir une stratégie d’atténuation favorisant la diversité et la participation.
En plus de la fracture numérique, les différences d’âge entre participants ont dû être prises en compte. Les adolescents les plus jeunes avaient tendance à ne pas prendre part aux discussions de groupe, souvent dominées par leurs pairs plus âgés. Cela dit, bien que segmenter le public cible pour inclure des personnes du même âge soit tout indiqué, il y a une certaine valeur ajoutée à réunir des personnes d’âge divers afin de multiplier les perspectives et de favoriser l’apprentissage entre pairs (à travers des séances de mentorat réunissant les différents groupes d’âge, notamment). Ce type de programme peut encourager une participation plus inclusive et plus équitable en tenant compte des besoins et capacités spécifiques de chaque groupe d’âge, mais aussi en respectant les bonnes pratiques, à savoir employer un langage simple (ne pas utiliser de jargon), prêter attention aux dynamiques de pouvoir au sein des groupes et protéger le droit des enfants les plus jeunes à s’exprimer librement à tout moment (USAID, 2014).
Les participants au programme Saya Pemberani ont déterminé et formulé des problématiques spécifiques à leur contexte, qui mettent en évidence les obstacles auxquels ils font face en matière d’alimentation saine et sûre. Cette tâche s’est révélée difficile, car elle a fait appel à leurs capacités de compréhension de concepts complexes et de pensée abstraite. Les participants ont été guidés dans leur travail, et ont ainsi pu mieux appréhender la situation en matière de nutrition dans leur contexte culturel. Ils ont suivi un processus précis pour formuler leur problématique, grâce à une analyse détaillée des causes profondes. En abordant le problème de leur point de vue, les participants étaient mieux équipés pour mettre au point des solutions pertinentes et adaptées à leur environnement local, qui puissent trouver un écho auprès de leurs camarades.
La réussite de l’entrepreneuriat social dépend de la synergie entre facteurs et conditions favorables. Le collège-lycée Santa Maria, l’un des principaux soutiens du programme Saya Pemberani, a présenté un nombre élevé de propositions. Les élèves de cet établissement ont déclaré avoir largement pu compter sur le soutien de leurs parents et de leurs enseignants, qui les ont encouragés à participer. Ils ont par ailleurs précisé que les échanges avec le réseau Kampung Pembaharu les avaient grandement motivés à approfondir la réflexion sur leurs idées et à produire des propositions de qualité.
Conclusion et perspectives
Le programme Saya Pemberani a aidé les participants à acquérir et consolider leurs compétences transversales en matière de leadership, notamment en ce qui concerne la résolution des problèmes, l’analyse et la créativité, autant d’outils qui leur serviront à affronter les difficultés actuelles et futures. Le programme a contribué à renforcer les connaissances des participants et des mentors, de même que leur motivation à l’égard de l’adoption de régimes alimentaires sains. Les jeunes ont formulé de nombreuses idées innovantes et créatives, mais il est également important de noter que cet événement a mis en évidence leur besoin de recevoir conseils et soutien pour parfaire leurs propositions. Il peut être judicieux de mettre en place un mécanisme de transition permettant le soutien informel par les pairs et les mentors, pour garantir que les participants continuent de recevoir un appui même après la fin du programme.
À travers le prisme de l’entrepreneuriat social, le programme a tenté de mobiliser les jeunes en tant que leaders, et non seulement en tant que partenaires ou contributeurs. Ils ont été responsables de l’élaboration de leurs propositions, depuis le concept jusqu’à la planification de la mise en œuvre, en passant par la définition des cibles. Le programme a donc joué un rôle de facilitation, fournissant des conseils, établissant des liens, offrant des possibilités d’interaction et d’échange d’idées, et renforçant les compétences requises pour que les participants puissent progresser vers la réalisation de leurs objectifs. Le projet « Enquêteurs alimentaires » a par la suite constitué la base d’un projet de développement d’une application ludique promouvant l’amélioration des choix alimentaires chez les adolescents. Ce projet a obtenu des financements, une réussite incontestable en matière d’entrepreneuriat social.
L’entrepreneuriat social peut aider à mettre sur pied des programmes pertinents pour les jeunes. De futures initiatives pourront prévoir des stratégies à l’appui d’une participation plus diversifiée. Enfin, nouer des partenariats avec des organisations disposant de relations solides avec leurs communautés locales contribuera à impliquer des individus de milieux défavorisés, comme les jeunes déscolarisés ou ceux issus de foyers à revenu faible.
Pour de plus amples informations, veuillez contacter Wendy Gonzalez à l’adresse suivante: wgonzalez@gainhealth.org.
Références
Glover, D and Sumberg, J (2020) Youth and Food Systems Transformation. Frontiers in Sustainable Food Systems, 4. https://doi.org/10.3389/fsufs.2020.00101
International Food Policy Research Institute (IFPRI) (2016) The new challenge: End all forms of malnutrition by 2030. Global Nutrition Report, IFPRI, Washington D.C. https://doi.org/10.2499/9780896295841_01
National Institute of Health Research and Development Ministry of Health (2019) Indonesia Basic Health Research (RISKEDAS). Ghdx.healthdata.org. http://ghdx.healthdata.org/record/indonesia-basic-health-research-2018
United Nations (2020) World Youth Report: Social Entrepreneurship and the 2030 Agenda. Un.org. https://www.un.org/development/desa/youth/world-youth-report/wyr2020.html
USAID (2014) Youth engagement in development: Effective approaches and action-oriented recommendations for the field. Usaid.gov. https://pdf.usaid.gov/pdf_docs/PA00JP6S.pdf