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Interventions non-nutritionnelles pour prévenir l’anémie chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents

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Par Natalie Roschnik, Andrew Hall, Moussa Sacko et Sian Clarke

Natalie Roschnik est conseillère nutrition senior auprès de Save the Children UK. Elle a plus de 20 ans d'expérience en soutien aux programmes et à la recherche dans les domaines de la nutrition, de la santé scolaire et préscolaire en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

Andrew Hall a travaillé pendant plus de 40 ans dans 30 pays en tant que parasitologue et nutritionniste en santé publique.

Moussa Sacko est directeur de recherche en parasitologie médicale et chef du département de parasitologie de l'Institut national de recherche en santé publique (Mali). Moussa a plus de 25 ans d'expérience dans la recherche et le contrôle des maladies parasitaires et des maladies liées à l'environnement.

Sian Clarke est professeur d'épidémiologie et de santé mondiale et possède plus de 20 ans d'expérience dans la recherche opérationnelle en santé publique, avec un accent sur le paludisme chez les enfants d'âge scolaire.

Contexte

Dans le monde, près d’un enfant d’âge scolaire sur quatre souffre d’anémie (Organisation mondiale de la Santé [OMS], 2008). Ce trouble a une incidence sur la croissance, les capacités d’apprentissage et la santé physique. Une récente analyse de données issues d’enquêtes démographiques et de santé menées dans 65 pays à revenu faible et 22 pays à revenu intermédiaire entre 2000 et 2017 a révélé que l’anémie est un grave problème de santé publique dans près de la moitié de ces pays, touchant plus de 40 % des adolescentes n’étant pas enceintes (Rukundo et al., 2018). On estime généralement que des carences en fer sont à l’origine de l’anémie dans la moitié des cas (OMS, 2002a), mais ce trouble peut également être associé à des infections (paludisme, helminthiases), à des inflammations chroniques et à d’autres carences en micronutriments. Toutefois, une récente revue systématique a révélé que la proportion de cas d’anémie liés à des carences en fer pourrait être bien plus faible, tout particulièrement dans les pays où les maladies infectieuses sont fréquentes et où la prévalence de l’anémie s’élève à plus de 40 % (Petry et al., 2016). Ce court article s’intéresse à l’impact potentiel des interventions nutritionnelles et non nutritionnelles mises en œuvre pour prévenir l’anémie chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents.

Interventions nutritionnelles

Pour prévenir l’anémie et les carences en fer, l’OMS recommande l’administration d’une supplémentation en fer par intermittence (c’est-à-dire une, deux ou trois fois par semaine sur des jours non consécutifs) aux enfants d’âge scolaire lorsque la prévalence de l’anémie est supérieure ou égale à 20 % (OMS, 2011), ainsi qu’une administration quotidienne aux adolescentes dans les zones où la prévalence de l’anémie est supérieure ou égale à 40 % (OMS, 2016). Dans les régions où le paludisme est endémique, la supplémentation en fer ne doit être administrée qu’en complément de mesures visant à prévenir, diagnostiquer et traiter le paludisme (OMS, 2011). Des revues systématiques portant sur une supplémentation en fer intermittente et quotidienne chez les enfants d’âge scolaire ont clairement démontré que la prise de fer constituait une méthode de prévention efficace contre l’anémie (De-Regil, LM. et al., 2011), et ce même dans les zones impaludées (Neuberger et al., 2016).

D’autres interventions nutritionnelles susceptibles d’augmenter les apports en micronutriments (supplémentation en vitamine A ou en micronutriments multiples, supplémentation alimentaire ou enrichissement alimentaire) ou d’améliorer la diversité et la qualité des régimes alimentaires, notamment dans le cadre de l’alimentation scolaire, sont autant de stratégies efficaces pour prévenir l’anémie chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents (da Silva Lopes et al., 2021). Néanmoins, l’administration de fer et de micronutriments à elle seule n’est pas suffisante.

Interventions non nutritionnelles

Lutte antiparasitaire

Si les nutriments sont essentiels pour fabriquer de l’hémoglobine et soigner l’anémie, s’attaquer aux infections sous-jacentes pouvant provoquer des pertes de sang est une première étape importante. Par exemple, dans les zones où les infections dues aux ankylostomes et aux schistosomes sont fréquentes, les traitements périodiques de masse au moyen de doses uniques d’anthelminthiques efficaces (albendazole ou praziquantel, par exemple) s’avèrent très rentables (OMS, 2002b) et permettent de réduire le risque d’anémie, surtout s’ils sont suivis d’une supplémentation en micronutriments (Hall et al., 2008). De bonnes conditions d’assainissement et une hygiène personnelle soignée sont ensuite essentielles pour éviter les réinfections et réduire le risque de transmission.

Lutte contre le paludisme

Le paludisme est l’une des principales causes de l’anémie, plus particulièrement en Afrique subsaharienne où la prévalence de l’infection à Plasmodium, toutes espèces confondues, dépasse souvent les 50 % chez les enfants d’âge scolaire (Brooker et al., 2017). Une fois que les enfants d’âge scolaire et les adolescents ont développé une immunité partielle, la plupart des infections deviennent asymptomatiques. Elles ne sont donc pas détectées ni traitées, et les parasites finissent par détruire les globules rouges et, partant, exacerbent l’anémie (White et al., 2018). Ces infections asymptomatiques sont également associées à un mauvais état de santé, à une mauvaise fonction cognitive et à de mauvais résultats scolaires.

Une méta-analyse menée en Afrique subsaharienne sur l’effet d’un traitement présomptif contre le paludisme chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents (de 5 à 15 ans) et asymptomatiques a révélé que l’administration d’antipaludiques était associée à une réduction de 23 % de la prévalence de l’anémie, à une réduction de 72 % de la prévalence des infections causées par Plasmodium falciparum2et, dans certains cas, à de meilleures fonctions cognitives (Cohee et al., 2020). L’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide pour dormir est également primordiale pour prévenir le paludisme, surtout chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents, qui sont les moins susceptibles d’avoir accès à une moustiquaire par rapport aux autres groupes de population.

Une analyse de deux essais randomisés en grappes réalisés au Mali à dix ans d’intervalle (voir l’encadré 1) donne des informations utiles sur l’impact relatif des interventions en matière de nutrition et de lutte contre le paludisme sur la prévalence de l’anémie chez les enfants d’âge scolaire. Ces deux traitements, administrés une fois par an et associés à un traitement antiparasitaire, pourraient contribuer à réduire la prévalence de l’anémie chez les écoliers de manière considérable, y compris les adolescents scolarisés. Ils sont relativement peu coûteux puisqu’ils peuvent être administrés par les enseignants dans le cadre du système éducatif.

 

Encadré 1 : Étude de cas au Mali : comparaison des effets de la supplémentation en fer et des traitements antipaludiques

Deux essais randomisés en grappes ont été menés dans des écoles primaires de la région de Sikasso dans le sud du Mali : une étude sur la supplémentation en fer (Hall et al., 2002) et une intervention antipaludique réalisée dix ans plus tard (Clarke et al., 2017). Il s’agit d’une étude de cas intéressante qui a comparé les effets de la supplémentation en fer et de l’élimination intermittente des parasites à l’origine du paludisme sur l’anémie chez les écoliers. La région de Sikasso est marquée par une forte prévalence de la malnutrition, entraînant notamment des carences en fer, et par la présence du paludisme (endémique, bien que saisonnier). Il était donc attendu que les effets des deux interventions sur l’anémie soient significatifs. L’étude sur la supplémentation en fer, menée en 2000 et 2001, a fait état d’une prévalence initiale de l’anémie de 56 % (62 % chez les garçons et 50 % chez les filles) ; dans le cadre de l’essai impliquant une intervention antipaludique, mis en place en 2011 et 2012, une prévalence initiale de 63 % a été observée. Peu de progrès ont donc  été réalisés au cours de cette période pour prévenir l’anémie dans cette tranche d’âge. L’étude s’intéressant au paludisme a également révélé que 80 % des enfants avaient contracté la maladie par l’intermédiaire de Plasmodium falciparum2 et que la plupart étaient asymptomatiques.

L’essai impliquant une supplémentation en fer a été mené dans 60 écoles primaires. Dans toutes les écoles (celles bénéficiant des interventions et celles constituant le groupe de contrôle), les enfants ont reçu un traitement anthelminthique et de la vitamine A en début d’année scolaire. Les enseignants ont également administré une supplémentation en fer hebdomadaire aux enfants de 30 écoles sélectionnées de manière aléatoire pendant dix semaines. L’enquête finale a été réalisée entre 14 et 16 semaines après l’enquête initiale et environ deux semaines après l’arrêt de la supplémentation en fer. La prévalence de l’anémie a chuté de 8,2 % (passant de 58 % à 50 %) dans le groupe bénéficiaire de l’intervention et a augmenté de 9,4 % (passant de 54 % à 63 %) dans le groupe de contrôle. La différence globale entre les deux groupes était donc de 18 % (p < 0,001).

L’essai sur le traitement préventif intermittent contre le paludisme a été mené dix ans plus tard dans 80 écoles primaires sélectionnées de manière aléatoire : 40 écoles bénéficiant des interventions et 40 écoles constituant le groupe de contrôle. Cette étude avait pour but d’évaluer l’efficacité d’un traitement antipaludique présomptif unique3 que les enseignants ont administré à tous les enfants des 40 écoles bénéficiaires de l’intervention, à la fin de la saison du paludisme en décembre 2011. Deux mois plus tard, la prévalence de l’anémie avait baissé dans les deux groupes, mais une plus grande réduction a pu être constatée dans le groupe bénéficiaire du traitement (passant de 54 % à 35 % contre 54 % à 45 % dans le groupe de contrôle). La différence globale entre les deux groupes était donc de 10 % (p = 0,001). Six mois plus tard, la prévalence des infections causées par Plasmodium spp dans le groupe bénéficiaire de l’intervention n’était toujours que de 9 % contre 75 % dans les écoles constituant le groupe de contrôle ; 36 % des enfants étaient anémiques dans le groupe bénéficiaire contre 49 % dans le groupe de contrôle.

Dans le cadre des deux études, les traitements ont été administrés par les enseignants, qui ont bénéficié d’une formation et d’un encadrement à cette fin. Cet essai démontre ainsi que les enseignants en Afrique rurale sont en mesure d’administrer des traitements contre le paludisme aussi bien que des supplémentations en micronutriments.

Conclusion

On constate une tendance, naturelle, chez les nutritionnistes, à accorder la priorité à des interventions nutritionnelles pour traiter les problèmes nutritionnels. Mais dans les régions où les vers parasitaires sont à l’origine de pertes de sang chroniques et où le paludisme asymptomatique provoque des hémolyses, il sera primordial de traiter ces infections et d’empêcher leur réapparition pour prévenir l’anémie, un trouble qui n’est pas sans conséquence pour les enfants d’âge scolaire et les adolescents– une étape importante pour leur croissance, leur développement et leur apprentissage. 

Pour de plus amples informations, veuillez contacter Natalie Roschnik à l’adresse suivante: n.roschnik@savethechildren.org.uk.


1 Le paludisme est causé par les parasites Plasmodium. Les infections dues à l’espèce Plasmodium falciparum sont les plus susceptibles de progresser vers des formes graves et potentiellement mortelles du paludisme, pouvant notamment se traduire par une anémie sévère.

2 Plasmodium falciparum est l’espèce dominante au Mali. Une étude réalisée dans la région de Sikasso a démontré qu’il représentait 92,6 % des quatre espèces de Plasmodium (Ouologuem et al., 2017).

3 Les enfants ont reçu un traitement à l’artésunate et à la sulfadoxine-pyriméthamine.


Références

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