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Mettre un terme au marketing des substituts du lait maternel : une formidable avancée pour augmenter le taux d’allaitement au sein

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Cet article décrit les récentes initiatives entreprises en vue de mieux réglementer la commercialisation des substituts du lait maternel afin que les mères puissent choisir comment nourrir leur enfant lorsqu’elles disposent des meilleures informations et preuves disponibles, et sont guidées uniquement par l’intérêt de l’enfant et des parents et non par des intérêts commerciaux.

Gwénola Desplats est conseillère en nutrition chez ENN.

L’auteure tient à remercier Grainne Mairead Moloney et Anuradha Narayan (UNICEF) ainsi que Linda Shaker Berbari (IFE-Core Group) et Natalie Sessions (ENN) pour leurs contributions et retours sur les premières versions de cet article. Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteure ; elles ne reflètent pas nécessairement les positions officielles des organisations citées.

Contexte

Toutes les études montrent clairement que l’allaitement maternel au sein représente la meilleure source de nutrition des nourrissons. Or, alors que la recherche ne cesse de démontrer les multiples avantages du lait maternel tant pour la croissance, la prévention des infections, la création de liens affectifs et le développement cérébral des enfants que pour la santé des mères, les taux d’allaitement maternel demeurent sous-optimaux depuis plusieurs dizaines d’années.

En 2012, la résolution 65.6 de l’Assemblée mondiale de la Santé (AMS) fixait notamment la cible de porter à au moins 50% le taux d’allaitement maternel exclusif durant les six premiers mois de la vie, d’ici à 2025. Pourtant, à l’échelle mondiale, seuls 41% des nourrissons de moins de six mois sont actuellement nourris exclusivement au sein (OMS, 2022a).

Les décisions et les pratiques relatives à l’alimentation du nourrisson sont soumises à l’influence de plusieurs facteurs, qui relèvent en partie des informations et du soutien que reçoivent les mères. Parmi ces facteurs figure la commercialisation des laits maternisés, dont l’impact sur les décisions et les pratiques relatives à l’alimentation des nourrissons est bien connu. En ce sens, l’AMS a adopté en 1981 le Code international sur la commercialisation des substituts du lait maternel (ci-après « le Code »), un accord de santé publique historique destiné à réglementer la commercialisation des substituts du lait maternel. Pourtant, 40 ans plus tard, la promotion des laits maternisés continue de représenter un risque largement sous-estimé pour la santé des nourrissons et des enfants. Bien qu’elles soient connues de longue date, ses conséquences sur la santé et sur les droits fondamentaux des femmes et des enfants sont rarement évoquées.

Le marketing des laits artificiels influe sur nos décisions en matière d’alimentation du nourrisson

Le marketing fait aujourd’hui partie de notre vie quotidienne à tous. Dans un rapport publié début 2022 (OMS, 2022b), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) soulignait que l’industrie alimentaire concentre l’essentiel de ses efforts de marketing sur des aliments qui contribuent à un régime alimentaire mauvais pour la santé (produits « fast food », boissons sucrées, chocolat et confiseries) et a recours à de multiples stratégies innovantes (partenariats avec des célébrités ou des sportifs, création de mascottes et de jeux promotionnels) afin d’attiser l’envie des plus jeunes. Ce rapport confirme que la promotion de produits alimentaires mauvais pour la santé demeure aujourd’hui très répandue et persuasive, et fournit des éléments de preuve qui étayent la nécessité de prendre des mesures pour protéger les enfants de l’exposition à des pratiques de marketing alimentaire néfastes.

La promotion de substituts du lait maternel, tels que les laits maternisés, est une pratique d’autant plus grave que l’alimentation des enfants durant leurs trois premières années a une influence prépondérante sur leur survie, leur santé et leur développement tout au long de leur vie. Les décisions relatives à l’alimentation de nos nourrissons et de nos enfants devraient donc être fondées sur des informations et des preuves solides, guidées exclusivement par l’intérêt de l’enfant et de ses parents, et non par des intérêts commerciaux. Le manque de réglementation entourant la commercialisation des laits maternisés représente donc un sujet de préoccupation majeur pour la santé et le bien-être des enfants à travers le monde.

« Comme le montre ce rapport, le marketing de laits maternisés, auquel sont alloués des budgets considérables et qui repose sur une utilisation détournée des vérités scientifiques, entraîne une surconsommation de laits maternisés [au détriment de l’allaitement maternel]. »

- extrait de l’avant-propos du rapport, co-signé par le directeur général de l’OMS et la directrice générale de l’UNICEF

Un nouveau rapport dévoile le caractère omniprésent et souvent trompeur des messages véhiculés par l’industrie des laits maternisés, qui joue sur les points sensibles auxquels sont confrontés les femmes.

Début 2022, l’OMS et l’UNICEF ont dévoilé les résultats d’une étude multi-pays sur la commercialisation de substituts du lait maternel (OMS et UNICEF, 2022). Cette étude se fondait directement sur les ressentis des mères et de leur cercle d’influence (professionnels de santé, partenaire, famille et amis) concernant leur exposition au marketing des laits maternisés et leur expérience à cet égard. Les huit pays couverts dans l’étude étaient l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Chine, le Maroc, le Mexique, le Nigéria, le Royaume-Uni et le Vietnam. Ces pays étaient représentatifs de leurs régions respectives, tout en différant largement entre eux en ce qui concerne le niveau de revenus, le taux d’allaitement maternel exclusif et l’application du Code. L’étude a été menée auprès de populations urbaines, au sein desquelles se créent les tendances et valeurs concernant les pratiques d’alimentation des nourrissons avant de se répandre à d’autres communautés.

Fondé sur l’expérience de plus de 8 500 femmes et 300 professionnels de santé, ce rapport met en évidence le caractère offensif des pratiques commerciales de l’industrie des laits maternisés et en dénonce les conséquences sur les décisions des familles relatives à l’alimentation de leurs bébés et jeunes enfants. 

Les résultats de cette étude (encadré 1) montrent que les fabricants de laits maternisés utilisent des techniques sophistiquées et des messages trompeurs pour commercialiser leurs produits : discours et illustrations à caractère scientifique, points sensibles, jeu sur les émotions et aspirations… Leur marketing se fonde également sur un positionnement amical et bienveillant auprès des femmes enceintes et des mères, dont ils exploitent les vulnérabilités afin d’augmenter leurs ventes.

La plupart des femmes interrogées (93 %) avaient été exposées à des promotions pour des laits maternisés en ligne ou en magasin et 68 % des répondants à l’enquête avaient reçu une promotion pour du lait maternisé. Les pratiques de marketing digital ont connu une forte croissance au cours des dernières années, en particulier durant la pandémie de COVID-19. En Chine, par exemple, 68 % des participants à l’étude se rappelaient avoir vu une publicité pour un substitut du lait maternel sur les réseaux sociaux. Le marketing digital est généralement cité comme étant plus efficace que les méthodes publicitaires traditionnelles, puisqu’il permet un ciblage plus précis tout en nécessitant moins d’investissements. En outre, le marketing digital permet aux fabricants de lait maternisé de récupérer un important volume de données personnelles qu’ils utilisent ensuite pour affiner et cibler leurs campagnes marketing.

Dans tous les pays couverts dans l’étude, les femmes exprimaient un profond désir de pratiquer l’allaitement maternel exclusif, dans des proportions allant de 49 % au Maroc à 98 % au Bangladesh. Néanmoins, cette tendance est freinée par un flux continu de messages commerciaux trompeurs qui, selon le rapport, ont renforcé les mythes sur l’allaitement et le lait maternel et ont diminué la confiance des femmes en leur capacité à allaiter.

Les preuves qui émergent de ce rapport sont formelles : les pratiques de commercialisation et de marketing des laits maternisés (et non ces produits en eux-mêmes) empêchent la prise de décisions éclairées et nuisent à l’allaitement et à la santé des enfants1.

Encadré 1 : Principales conclusions et opportunités d’action qui ressortent du rapport de l’OMS et de l’UNICEF

Principales conclusions :

  • Le marketing des laits maternisés est omniprésent, personnalisé, et puissant.
  • Les fabricants de laits maternisés utilisent des tactiques de marketing manipulatrices qui tirent parti des angoisses des parents et de leur aspiration à avoir un enfant intelligent et en bonne santé, par exemple.
  • Les fabricants de laits maternisés déforment les faits scientifiques et médicaux afin de légitimer leurs allégations et de promouvoir leurs produits.
  • L’industrie cible systématiquement les professionnels de santé, dont les recommandations auprès des parents sont très écoutées, en les encourageant à promouvoir les laits maternisés.
  • Le marketing des laits maternisés contribue à diminuer la confiance des parents à l’égard de l’allaitement maternel. 
  • Certaines mesures de riposte peuvent s’avérer efficaces pour contrer ce phénomène, à condition d’être mises en œuvre à grande échelle.

 

Opportunités d’action :

  • Reconnaître l’ampleur et l’urgence du problème.  
  • Légiférer, réglementer, appliquer : les pays doivent de toute urgence adopter ou renforcer des mécanismes nationaux complets visant à empêcher le marketing des laits maternisés (y compris dans leur législation nationale en matière de santé, de commerce et de travail) en accord avec le Code et en comblant tous les vides juridiques potentiels, ainsi que de solides mécanismes d’application et de redevabilité (y compris pour tenir les fabricants de lait maternisé responsables de leurs pratiques et de leurs engagements) et des mesures réglementaires (emballage neutre des laits maternisés, normes plus strictes en matière d’élaboration des produits, initiatives programmatiques telles que le renforcement et l’élargissement de l’initiative « Hôpitaux amis des bébés », etc.).
  • Préserver l’intégrité scientifique et médicale, y compris en instaurant des mécanismes destinés à prévenir les conflits d’intérêts et à dénoncer les messages sur l’alimentation des nourrissons qui sont guidés par des intérêts commerciaux.
  • Protéger la santé des enfants sur les plateformes numériques.
  • Investir en faveur du bien-être des mères et des familles, et se détourner de l’industrie des laits maternisés.
  • Renforcer les coalitions existantes pour inciter à l’action.

De premières initiatives ont déjà été prises depuis la publication du rapport

Des représentants des gouvernements, de la société civile, du secteur de la santé, du secteur privé et des communautés, ainsi que des nutritionnistes et des professionnels de l’aide l’humanitaire internationale étaient présents à l’événement de lancement de ce rapport, le 23 février 2022. Deux sessions ont été organisées afin de tenir compte des différents fuseaux horaires, avec de prestigieux panels d’intervenants (représentants de gouvernements, de groupes de défense des droits de l’homme et d’organisations de la société civile, experts en marketing). Plusieurs milliers de personnes ont assisté à ces sessions et ont appris que, malgré le Code en vigueur et les résolutions de l’AMS sur le sujet, les fabricants de laits maternisés continuent de faire passer leurs ventes et les intérêts de leurs actionnaires avant la santé des nourrissons et des populations, et à user de tactiques constamment renouvelées pour défier et contourner les réglementations.

Ces deux événements, ainsi que la couverture médiatique qui en a découlé, ont déclenché plusieurs mesures : le Président de l’Irlande a publié une déclaration après la parution du rapport2, le trafic sur les réseaux sociaux autour du hashtag #EndExploitativeMarketing a augmenté, et une pétition a été lancée et a recueilli plus de 4 000 signatures en quelques jours seulement3.

Un rapport qui offre encore de nombreuses opportunités d’action à saisir

À la lumière des solides preuves qu’apportent les conclusions de l’étude, le rapport propose des opportunités d’action, résumées dans l’encadré 1, qui appellent à la mise en place de programmes destinés à aider les mères et leur cercle d’influence (famille proche, amis, professionnels de santé) à prendre des décisions appropriées concernant l’alimentation de leurs nourrissons et de leurs enfants. Les décisions relatives à l’alimentation de nos nourrissons et de nos enfants doivent être fondées sur des informations fiables et des preuves vérifiées, et doivent être guidées uniquement par l’intérêt de l’enfant et de ses parents, indépendamment de toute influence commerciale.

Ce rapport permet également aux professionnels de la santé et de la nutrition de tirer des enseignements du domaine du marketing. Répondons-nous de manière appropriée aux besoins des mères ? Nos messages tiennent-ils compte des préoccupations et des difficultés des mères ? Les jeunes mères ont-elles accès à une aide immédiate lorsqu’elles rencontrent une difficulté en lien avec l’allaitement ? Offrons-nous aux mères un soutien approprié pour les convaincre qu’elles sont capables d’allaiter leur enfant, à un moment où elles se sentent vulnérables ? Dans les situations de crise humanitaire et les zones de conflit, où le potentiel salvateur de l’allaitement maternel est encore plus crucial, comment faire en sorte que les femmes bénéficient de l’encouragement et du soutien nécessaires, alors même qu’elles sont encore plus vulnérables et incertaines de leur capacité à correctement nourrir leur enfant ?

« [Ces pratiques] sapent également la confiance des femmes [en leur capacité à allaiter] et profitent honteusement de l’instinct des parents qui les pousse à souhaiter le meilleur pour leur enfant. »

- extrait de l’avant-propos du rapport, co-signé par le directeur général de l’OMS et la directrice générale de l’UNICEF

Conclusion

Le présent rapport fournit de solides preuves du caractère omniprésent et abusif du marketing des laits maternisés, et appelle chacun de nous à davantage nous engager pour la protection des enfants. Il se fonde sur la source bien souvent négligée qu’est la voix des jeunes mères, celles-là mêmes qui, alors qu’elles se trouvent dans une période particulièrement vulnérable et intime de leur vie, sont les principales cibles du marketing des substituts du lait maternel.

Certaines femmes choisissent, pour des raisons diverses, de ne pas allaiter leur enfant, et elles doivent être soutenues dans ce choix. Néanmoins, le présent rapport montre que le marketing des laits maternisés influe de manière substantielle sur les décisions des mères concernant le mode d’alimentation de leur enfant. Alors que dans tous les pays couverts dans l’étude, les femmes se déclarent fortement disposées à pratiquer l’allaitement exclusif, les données du rapport montrent que l’exposition continue à des messages de marketing trompeurs renforce les mythes sur l’allaitement et le lait maternel et sape la confiance des femmes en leur capacité à allaiter.

En constatant que les industries du lait maternisé investissent chaque année 55 milliards de dollars dans le marketing, soit un budget supérieur à celui dont dispose l’OMS pour assurer l’ensemble de ses opérations pendant deux ans, on comprend que le secteur de la santé publique n’est pas équipé pour inverser les tendances à l’œuvre en recourant aux mêmes tactiques. Ce secteur doit donc s’appuyer sur ses propres forces pour contrer le marketing industriel du lait maternisé, (1) en garantissant des mécanismes stricts d’application et de redevabilité, notamment en responsabilisant les entreprises de lait maternisé vis-à-vis de leurs pratiques et de leurs engagements, (2) en veillant à ce que les professionnels de santé soient suffisamment formés pour apporter le soutien nécessaire aux jeunes mères et (3) en investissant dans des systèmes qui empêchent ces professionnels d’entrer dans des conflits d’intérêts.

Espérons que ceci ne soit que le début d’une nouvelle ère, une ère où les mères auront la possibilité d’effectuer des choix éclairés concernant le mode d’alimentation de leur bébé, sans être soumises à une quelconque influence commerciale. Espérons également, comme le souhaitent l’OMS et l’UNICEF, que ceci ne soit que le début d’un débat au sein duquel s’impliqueront les professionnels de la santé et de la nutrition.

Si vous souhaitez agir dès maintenant, nous vous invitons à lire et à signer la pétition #EndExploitativeMarketing.

Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter Gwénola Desplats à l’adresse suivante : gwenola@ennonline.net

Références

WHO (2022a) Health topics: Breastfeeding overview. https://www.who.int/health-topics/breastfeeding#tab=tab_1

WHO (2022b) Food marketing exposure and power and their associations with food-related attitudes, beliefs and behaviours: a narrative review. Geneva: World Health Organization. Licence: CC BY-NC-SA 3.0 IGO. https://www.who.int/publications/i/item/9789240041783

WHO and UNICEF (2022) - https://www.who.int/publications/i/item/9789240044609


1 L’OMS et l’UNICEF recommandent d’interdire la promotion et le marketing néfastes des laits maternisés. L’OMS, l’UNICEF et le Code ne cherchent pas à entraver l’accès aux laits maternisés. Restreindre la commercialisation de ces produits ne revient pas à en interdire la vente ou à suspendre la diffusion d’informations factuelles et scientifiques à leur sujet auprès des professionnels de santé ou des familles, ni à restreindre la liberté de choix des parents. Les restrictions proposées visent simplement à s’assurer que les parents ont la possibilité d’effectuer des choix fondés sur des informations exactes, tout en les protégeant des allégations commerciales trompeuses ou tendancieuses.

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