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Postface – Progrès accomplis en matière de suivi et d’application du Code au Cambodge : des avancées vers l’interdiction du marketing digital

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Grana Pu Selvi Gnanaraj est responsable technique pour la nutrition intégrée chez World Vision International au Cambodge

Hou Kroeun est directeur pays chez Helen Keller International au Cambodge

Sedtha Chin est responsable programme chez Alive & Thrive/FHI 360 au Cambodge

Selemawit Negash est spécialiste en nutrition à l’UNICEF au Cambodge

En 2005, le gouvernement du Cambodge a adopté de nombreuses dispositions du Code international de commercialisation des substituts du lait maternel (ci-après, le « Code »). Par l’intermédiaire d’un sous-décret qui traite de la commercialisation de produits pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant (le sous-décret 133), la politique nationale soutient désormais l’allaitement au sein en limitant la promotion des substituts du lait maternel (également désignés par l’expression « lait artificiel »). En 2007, les quatre ministères d’exécution (Santé, Information, Commerce et Industrie) ont adopté une prakas1 conjointe pour orienter la mise en œuvre de ce décret. Un Conseil de contrôle à deux branches (composé d’un Comité de contrôle et d’un Groupe de travail exécutif) a été instauré sept ans plus tard, en 2014, afin de veiller au suivi, à la conformité et à l’application des dispositions législatives relatives au Code au Cambodge.

Malgré les réglementations, le marketing du lait artificiel reste répandu au Cambodge ; elle connaît même un plein essor en ligne et sur les plateformes de réseaux sociaux. C’est ce que souligne le rapport examiné dans le présent article2, dans lequel World Vision International Cambodge met en évidence la promotion croissante des substituts du lait maternel sur les plateformes numériques. Les progrès des techniques de marketing digital adoptées par les sociétés qui vendent des aliments pour nourrissons et jeunes enfants dénigrent l’importance de l’allaitement au sein et exploitent les jeunes mères et les parents au Cambodge. Comme le fait observer la série d’études de la revue The Lancet sur l’allaitement maternel3, les sociétés qui commercialisent du lait artificiel font des bénéfices : elles affichent un chiffre d’affaires annuel mondial de 55 milliards de dollars US, et elles externalisent les coûts pour les femmes et les enfants dans le monde, à hauteur d’une perte de 350 milliards de dollars US par an. Le gouvernement du Cambodge ainsi que les membres de l’Alliance de la société civile du mouvement Scaling Up Nutrition (SUN), qui regroupe Helen Keller International, l’UNICEF, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), Alive & Thrive et World Vision International Cambodge, œuvrent ensemble au renforcement des réglementations relatives au Code et à leur application au Cambodge, pour veiller à la protection des droits des femmes et des jeunes enfants. Les auteurs soutiennent donc les propositions de mises à jour de la prakas conjointe visant à interdire explicitement le marketing digital du lait artificiel sur les réseaux sociaux et sur Internet, et à demander des investissements accrus pour une formation, un suivi et une application des réglementations adaptés face à de telles violations.

L’une des préoccupations majeures réside dans le fait que les techniques de marketing des sociétés qui vendent du lait artificiel ne se limitent pas seulement à favoriser la croissance des ventes de ces produits, elles sapent aussi les normes, les croyances et les pratiques en faveur de l’allaitement maternel. Sans un contrôle du marketing du lait artificiel sur les plateformes numériques, les femmes cambodgiennes pourraient être poussées à croire que le lait artificiel a des vertus supérieures à celles du lait maternel. Il est alarmant de constater à quel rythme augmente le nombre d’influenceurs qui se lancent dans la représentation de marques sur les réseaux sociaux et de professionnels de la santé qui approuvent et promeuvent les substituts du lait maternel au Cambodge. Dans les zones urbaines, l’alimentation par lait artificiel est perçue comme un signe de modernisation et une manière « plus actuelle » de nourrir l’enfant. En outre, certaines personnes ont l’impression que les femmes ayant accouché par césarienne ne peuvent pas allaiter. Dans les zones urbaines, un nombre croissant de maternités s’interdisent de promouvoir l’allaitement maternel en raison de leur engagement auprès de sociétés qui commercialisent du lait artificiel. Le déclin des pratiques d’allaitement maternel exclusif, en particulier au sein des groupes vulnérables, comme celui des ouvrières d’usines de confection textile, est rapporté dans une étude non publiée et menée par Helen Keller International, ainsi que dans une expérience publiée qui décrit les travaux de World Vision International auprès de grands-mères4 (Bauler et al., 2022). Il est donc urgent d’agir pour intensifier les efforts visant à veiller à l’efficacité de la mise en œuvre, du suivi et de l’application du sous-décret 133, ainsi que des autres politiques en faveur de la famille et liées au congé parental.

Dans un rapport publié en 2021, l’UNICEF souligne les lacunes existantes dans le Code du Cambodge en matière de réflexion sur les normes minimales et les résolutions adoptées à l’issue de l’Assemblée mondiale de la Santé. Outre l’absence d’interdiction du marketing digital du lait artificiel, il existe de sérieuses failles dans le sous-décret 133, notamment l’absence d’une interdiction stricte de promouvoir des produits d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant ; l’absence de disposition visant à empêcher la distribution d’échantillons de produits, d’équipement ou de supports aux établissements de santé, ainsi que le parrainage d’événements ou les bourses d’études pour les professionnels de la santé de la part des fabricants et des distributeurs de substituts de lait maternel ; l’absence d’une interdiction des allégations sanitaires ou nutritionnelles revendiquées par les sociétés qui vendent des substituts du lait maternel ; et l’absence de messages d’avertissement en ce qui concerne l’introduction précoce du lait artificiel et les risques qui y sont liés en raison de la présence potentielle d’agents pathogènes, sur les étiquettes.

En juin 2022, le ministère de la Santé a lancé une mise à jour de la prakas conjointe, qui doit encore être adoptée par les ministères concernés. Depuis lors, nous avons anticipé les progrès positifs qui seraient susceptibles de restreindre le marketing du lait artificiel sur les plateformes numériques ou de réseaux sociaux. L’UNICEF, Helen Keller International, Alive & Thrive, l’OMS et World Vision International soutiennent ce processus de révision aussi bien techniquement que financièrement. Entre autres modifications majeures de la législation figurent la restriction de la promotion du lait artificiel et de son approvisionnement aux établissements de santé ; le relèvement de la limite de la fourchette d’âges du groupe cible dans le cadre de cette législation, qui était de 0 à 24 mois et qui passe de 0 à 36 mois, y compris pour l’ensemble des produits commercialisés ou présentés comme des aliments pour nourrisson ou jeune enfant, et les produits industriels destinés à l’alimentation complémentaire, afin d’éviter toute allégation mensongère ou trompeuse de la part des sociétés qui vendent du lait artificiel ; l’interdiction de publicités et de promotions par l’intermédiaire des plateformes de réseaux sociaux ; et l’imposition de sanctions strictes aux fabricants et aux distributeurs qui dénigrent l’allaitement maternel dans le cadre de la promotion de leurs produits.

Une part essentielle de nos efforts combinés a été investie dans le suivi et la mise en application de la législation relative au Code, qui se fonde sur la promotion de l’allaitement maternel et son soutien, ainsi que dans la formation d’observateurs et de professionnels de la santé sur le contenu du sous-décret 133. L’équipe d’Alive & Thrive Cambodge apporte son soutien au ministère de la Santé et aux prestataires de soins qualifiés, pour ce qui est du conseil en matière d’allaitement maternel et de lactation, notamment aux sage-femmes travaillant dans les maternités. L’équipe a également incorporé les dispositions législatives dans sa directive de 2022 sur l’amélioration des soins essentiels aux nouveau-nés, et dans sa carte de notation en matière de santé et de nutrition maternelles et infantiles, utilisée dans le cadre du programme national de nutrition au Cambodge, et qui sert à évaluer la qualité de la formation sanitaire. Helen Keller International forme le personnel de santé sur le sous-décret 133, y compris le personnel infirmier et les sage-femmes, et l’association est pionnière dans les premiers travaux visant à améliorer les mécanismes de suivi et d’application dans le pays (Hou et al., 2019). Helen Keller International, en collaboration avec l’OMS, Alive & Thrive et l’UNICEF, vient en aide au ministère du Commerce à des fins de recensement et de signalement des violations du Code ayant été soumises au système judiciaire du Cambodge.

Pour faire face à l’essor alarmant du marketing digital du lait artificiel, en février 2021, l’équipe technique de World Vision International Cambodge a mis à l’essai un outil de signalement en ligne destiné à enregistrer toute violation de la législation relative au Code (y compris dans les magasins de détail et les établissements de santé, ainsi que sur les réseaux sociaux). Cet outil dispose d’une solution de partage de captures d’écran et de liens vers les plateformes en ligne qui contreviennent à la loi. Il s’est avéré efficace pour réduire les tâches administratives, selon les membres du Groupe de travail technique qui fournit les recommandations au Groupe de travail exécutif. Des discussions sont en cours avec le ministère de la Santé quant à l’utilisation de cet outil comme mécanisme public officiel de signalement, et quant à l’octroi d’une autorisation au Groupe de travail exécutif afin qu’il puisse recueillir et analyser les données collectées et agir concernant les violations. En pratique, ce système est déjà approuvé par les représentants de l’administration publique du Centre national de santé maternelle et infantile, et l’équipe cherche à présent comment l’intégrer au site Internet du ministère. Cela devrait permettre aux partenaires de développement et au public de déposer leurs réclamations directement.

Nous sommes convaincus que les partenaires de la société civile doivent poursuivre leurs efforts en matière de plaidoyer, notamment pour veiller à un financement adapté. Il est nécessaire d’intensifier ces efforts et reprendre un nouvel élan politique dans les différents ministères d’exécution, notamment pour la mobilisation de financements et pour un engagement ferme en faveur de l’amélioration des taux d’allaitement maternel. De plus, une application efficace du Code exigera des améliorations constantes concernant l’attribution d’un budget spécifique par le ministère de la Santé à l’appui du suivi du Code ; une volonté politique renouvelée et une meilleure coordination en ce qui concerne l’application des réglementations relatives au Code ; et la résolution du goulot d’étranglement majeur que constitue l’insuffisance des ressources humaines et capacités institutionnelles dédiées au soutien du suivi du Code (UNICEF, 2021).

L’ensemble des auteurs de cette postface ont grand espoir que les nouvelles dispositions législatives, la mise à jour de la prakas conjointe et la collaboration entre les pouvoirs publics et la société civile dans le cadre du suivi et de l’application des législations relatives au Code permettront d’appuyer le progrès en faveur de l’allaitement maternel et de contrecarrer le marketing, contraire à l’éthique, du lait artificiel, y compris sur les plateformes numériques. Nous ne voulons pas perdre l’élan donné par les réussites accomplies à ce jour, et nous invitons un plus grand nombre d’organisations et de ministères publics à s’engager dans la protection de l’allaitement maternel et la promotion d’un marketing responsable du lait artificiel au Cambodge.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter Grana Pu Selvi Gnanaraj à l’adresse suivante : Grana_Selvi@wvi.org.

Références

Bauler S, Reinsma K, Gnanaraj GPS et al (2022) Addressing child wellbeing among ‘skip-generation’ households in Cambodia. Field Exchange, 67. www.ennonline.net/fex/67/cambodiagarmentsandiycf

Hou K, Green M, Chum S et al (2019) Pilot implementation of a monitoring and enforcement system for the International Code of Marketing of Breast-milk Substitutes in Cambodia. Maternal & Child Nutrition, 15, 4, e12795. https://doi.org/10.1111/mcn.12795

UNICEF (2021) Strengthening Implementation of the Breast-milk Substitutes Code in Southeast Asia: Putting Child Nutrition First. UNICEF East Asia and Pacific Region.

www.unicef.org/eap/reports/strengthening-breast-milk-substitutes-code-southeast-asia


1 Prakas est un terme cambodgien qui signifie « proclamation officielle ». Il s’agit d’une décision ministérielle ou interministérielle signée par le ou les ministres concernés. Une telle proclamation doit respecter la Constitution et la loi ou le sous-décret auxquels elle a trait.

2 https://www.ennonline.net/fex/69/fr/la-menace-des-medias-sociaux-envers-allaitement-maternel-exclusif 

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