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Rapport coût-efficacité d’un protocole simplifié de traitement de l’émaciation au Mali

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Derek Lee est conseiller sur l’optimisation des ressources pour la nutrition à International Rescue Committee (IRC).

Cesaire Ouedraogo est coordinateur pour la recherche en nutrition à IRC.

Contexte

Ce que nous savons : Il a été démontré que les « protocoles simplifiés » de traitement de l’émaciation ne sont pas moins efficaces que les protocoles classiques, bien qu’ils nécessitent moins de ressources. Entre autres simplifications, la réduction du dosage des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE) doit logiquement entraîner une réduction des coûts des programmes.

Ce que cet article nous apprend : Ce document évalue le rapport coût-efficacité de différents protocoles de traitement au Mali, en comparant le protocole de traitement traditionnel à un protocole de traitement simplifié. Pour le traitement d’enfants atteints d’émaciation sévère, le protocole traditionnel engendre des coûts plus élevés que le protocole simplifié, et ce dans toutes les catégories de dépenses.

Le traitement de l’émaciation est actuellement divisé en programmes distincts en fonction de la gravité des cas. L’émaciation sévère sans complications est traitée par des programmes d’alimentation thérapeutique ambulatoires, tandis que l’émaciation modérée est souvent traitée par des programmes d’alimentation supplémentaire. Bien que l’émaciation constitue par essence un éventail allant des formes légères et modérées aux formes sévères, avec la détermination nécessaire de seuils de référence pour orienter vers le traitement approprié, ces programmes de traitement fonctionnent souvent indépendamment les uns des autres, à des endroits et à des jours différents, et utilisent des produits différents fournis par des chaînes d’approvisionnement différentes.

Au Kenya et au Soudan du Sud, le protocole combiné pour l’étude de la malnutrition aiguë (ComPAS) a prouvé qu’un protocole combiné et simplifié n’était pas moins efficace que le traitement conventionnel des enfants pris en charge après mesure du périmètre brachial (PB) ou détection d’œdème (Bailey et al., 2018). Dans cette étude, les enfants souffrant d’émaciation sévère ont été traités avec deux sachets quotidiens d’ATPE et les enfants souffrant d’émaciation modérée avec un sachet quotidien, alors que dans le traitement conventionnel, la posologie était calculée en kcal/kg/jour.

Cependant, des interrogations subsistent quant à l’efficacité et aux implications financières du changement de protocole pour le traitement de routine. Afin de générer des données probantes supplémentaires, l’International Rescue Committee (IRC) a mené un projet pilote de traitement combiné et simplifié de l’émaciation dans des zones rurales du Mali. En décembre 2018, l’IRC et le ministère de la santé de la région de Nara sont passés à un protocole simplifié pour le traitement de l’émaciation. Pendant trois ans, jusqu’en décembre 2021, 27 800 enfants âgés de 6 à 59 mois ont été traités selon ce protocole dans 35 établissements de santé et 38 centres de santé communautaire. Le projet pilote visait à maximiser la couverture du traitement en combinant le traitement des émaciations sévère et modérée, en fournissant un traitement au niveau communautaire par l’intermédiaire d’agents de santé communautaire (ASC) et en formant les pourvoyeurs de soins à la surveillance de l’état nutritionnel de leurs enfants à l’aide de bracelets de mesure du périmètre brachial (approche connue sous le nom d’approche PB-famille).

Méthodologie

Le projet pilote de traitement simplifié mené au Mali était conforme au protocole d’essai ComPAS. Les enfants sortaient du programme après deux mesures consécutives de PB â‰¥ 125 mm et l’absence d’œdème pendant deux semaines. Les patients étaient suivis toutes les semaines sur les sites de traitement, où l’on mesurait régulièrement leur périmètre brachial, leur poids et leur taille.

Le traitement a été assuré par des agents de santé employés par le gouvernement et par des agents de santé communautaire de l’IRC bénéficiant de mesures d’incitation pour travailler dans les établissements de santé (sites primaires), et uniquement par des agents de santé communautaire sur les sites de santé communautaire (sites secondaires).

L’analyse des coûts compare les données avant et après le passage au protocole simplifié. Nous avons suivi les dépenses et les données des patients au fil du temps pour déterminer les répercussions financières du changement de protocole et tout progrès éventuel du rapport coût-efficacité.

L’efficacité du projet pilote de protocole simplifié a été évaluée au moyen d’une étude de cohorte observationnelle (Kangas et al., 2022). Le rapport coût-efficacité de l’IRC a été déterminé selon la méthodologie de coûts standard de l’IRC à l’aide du logiciel Dioptra, un outil de calcul des coûts multisectoriel géré par un consortium d’organisations non gouvernementales. Dioptra permet de calculer rapidement le rapport coût-efficacité de projets humanitaires au moyen de méthodes standardisées d’évaluation des coûts humanitaires1.

Afin de visualiser le rapport coût-efficacité global du protocole simplifié, nous avons présenté nos résultats d’abord par coût global par année et nombre d’enfants traités (par les différents protocoles), puis par coût par enfant traité. Nous décomposons ensuite les coûts annuels totaux en différentes catégories de coûts pour mettre en évidence les principaux inducteurs de coûts d’une année donnée. Nous calculons le nombre d’enfants qu’il est possible de traiter avec 100 cartons d’ATPE selon le protocole simplifié et selon le protocole traditionnel. Cette comparaison constitue un élément pragmatique de grande importance pour les responsables de programme.

Outre le suivi de la méthode standardisée d’estimation du rapport coût-efficacité de l’IRC, nous avons collecté des données en vue d’analyser les coûts à la charge des pourvoyeurs de soins, du ministère de la Santé et de l’UNICEF. Nous cherchions ainsi à nous assurer que les économies réalisées par l’organisme de mise en œuvre ne résultaient pas d’un transfert de coûts.

Tableau 1 : Catégories de coûts et définitions
Catégories de coûts et définitions

Pour évaluer les coûts à la charge du ministère de la santé et des pourvoyeurs de soins, nous avons réalisé des enquêtes et des entretiens supplémentaires auprès du personnel du ministère de la santé responsable du traitement. Nous avons interrogé le personnel des centres de santé pour déterminer son salaire, que nous avons ensuite alloué au traitement en fonction du nombre de jours par semaine pendant lesquels chaque établissement de santé traitait l’émaciation. Nous avons ainsi déterminé un coût par établissement afin de pouvoir ensuite calculer le coût par enfant dans chaque établissement.

Si les soins et traitements étaient gratuits, les pourvoyeurs de soins devaient néanmoins assumer trois catégories de coûts : coût d’opportunité (temps consacré aux soins), perte de revenus et frais de transport. Pour estimer les coûts à la charge des pourvoyeurs de soins, nous avons interrogé un échantillon aléatoire de 150 pourvoyeurs de soins stratifié par distance en vue d’identifier les activités quotidiennes auxquelles il leur fallait renoncer pour accéder au traitement. Ces enquêtes ont par ailleurs permis de recueillir des données socioéconomiques et démographiques.

Nous avons généré des estimations du coût des ATPE sur la base de la consommation moyenne d’ATPE par type d’hospitalisation (émaciation sévère ou modérée) et en supposant un coût constant de 0,75 dollar US par sachet.

Le tableau 1 présente l’intégralité des composants de l’analyse des coûts.

Résultats

Le tableau 2 présente l’intégralité des résultats de l’analyse.

Tableau 2 : Résultats des données sur les coûts et le rapport coût-efficacité à Nara, au Mali

Résultats des données sur les coûts et le rapport coût-efficacité à Nara, au Mali

Coût à la charge des partenaires de mise en œuvre

Un programme plus efficace dans l’ensemble

L’IRC a dépensé un peu plus de 2,1 millions de dollars US pour le traitement de la malnutrition aiguë à Nara entre décembre 2017 et décembre 2021 (tableau 2). Les dépenses annuelles s’élevaient à environ 300 000 dollars US lorsque le protocole traditionnel était mis en œuvre, et à environ 600 000 dollars US par an lors de la phase pilote du protocole simplifié. Néanmoins, le protocole simplifié nous ayant permis de traiter plus de cas, le coût par enfant traité s’est avéré inférieur (65,6 dollars US par enfant) à celui du protocole traditionnel (80,0 dollars US par enfant), soit une amélioration du rapport coût-efficacité de 18 %.

Les coûts plus élevés par enfant traité en 2019 et 2020 sont dus aux coûts de lancement supplémentaires et aux coûts liés à la COVID-19. Ces estimations reflètent uniquement les dépenses de l’IRC. Elles n’incluent ni le temps du personnel du gouvernement ni le coût des ATPE.

C’est en 2021 que le coût par enfant traité était le plus bas (tableau 2 et figure 1). Cette réduction s’explique en grande partie par la diminution des besoins en matériel d’installation, de formation et de prévention contre la COVID-19 (installations de lavage des mains, campagnes de sensibilisation à la COVID-19, achat en gros d’équipements de protection individuelle, etc.) qui se poursuivaient bien après le début de l’année 2020. D’après notre analyse, la pandémie a entraîné cette année-là des coûts (données non présentées) 17 % plus élevés que ceux de l’année 2021 (60,9 dollars US par enfant), durant laquelle les conditions étaient plus « normales » malgré le maintien de mesures liées à la COVID-19.

Nous avons relevé en 2019 des coûts supplémentaires liés au changement de protocole, mais la plupart des nouveaux coûts du programme ont été engagés en 2020, après que le personnel de santé s’est familiarisé avec le nouveau protocole. Parmi les activités de lancement, on peut citer les formations à l’approche PB-famille et la création de nouveaux sites secondaires.

Coûts directs du programme

Les principaux inducteurs de coûts relatifs au protocole simplifié à Nara étaient liés au personnel de l’IRC : 27,0 % pour le personnel national, 7,8 % pour le personnel international et 8,6 % pour les déplacements et le transport (pourcentages dérivés de la figure 1). On retrouve cette répartition dans d’autres projets de traitement de l’émaciation mis en œuvre par l’IRC. Le personnel de l’IRC était responsable de la gestion et de la coordination du traitement de la malnutrition. La rémunération des agents de santé communautaire a également représenté une part importante de cette catégorie de coûts, étant donné le grand nombre d’ASC nécessaires pour administrer le traitement sur les sites secondaires et assurer le dépistage et les services de sensibilisation.

Après les frais de personnel, les dépenses les plus importantes concernaient le matériel et les activités (12,8 %). Ces coûts concernent principalement l’achat de fournitures médicales et de médicaments destinés aux enfants souffrant de malnutrition. Une grande partie de ce matériel était utilisé dans les centres de stabilisation, où les enfants les plus vulnérables bénéficient d’interventions médicales complexes.

Au total, 39,1 % des dépenses totales de l’IRC pour le projet concernaient des « coûts de projet partagés » indirects, qui comprenaient les frais de location du bureau de l’IRC et les frais liés au personnel de soutien (logistique, sécurité, ressources humaines, etc.).

Figure 1 : Coût par enfant traité, par catégorie de dépenses et par année – protocole traditionnel et protocole simplifié
Coût par enfant traité, par catégorie de dépenses et par année – protocole traditionnel et protocole simplifié

Coût des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi

Le coût des ATPE est passé de 223 à 91 dollars US par enfant traité après le passage au protocole simplifié (tableau 2). Cette diminution peut être attribuée à deux facteurs.

Premièrement, le protocole simplifié a adapté la quantité globale d’intrants nécessaires pour chaque enfant traité : les enfants souffrant d’émaciation sévère ont été traités avec deux sachets quotidiens d’ATPE, tandis que dans le cadre du protocole traditionnel, la quantité était calculée en kcal/kg/jour. Le protocole simplifié exigeait 38 % d’ATPE en moins par patient souffrant d’émaciation sévère traité que le protocole traditionnel, soit une réduction du coût des ATPE de 223 à 139 dollars US. Pour la même quantité d’ATPE achetée, le protocole simplifié permet de traiter 77 % d’enfants souffrant d’émaciation sévère supplémentaires, ou 155 % d’enfants souffrant d’émaciation modérée supplémentaires (par rapport au nombre d’enfants souffrant d’émaciation sévère) (figure 3).

Deuxièmement, l’inclusion d’enfants souffrant d’émaciation modérée a fait baisser la consommation moyenne d’ATPE par enfant traité, dans la mesure où les patients souffrant d’émaciation modérée ont besoin de moins d’ATPE pour se rétablir complètement. Il convient de mentionner ce changement, car il influence le coût moyen par enfant traité. L’inclusion des enfants souffrant d’émaciation modérée n’entraîne pas nécessairement de réduction globale de l’utilisation des ATPE et des coûts associés, mais elle améliore le rapport coût-efficacité et permet de traiter davantage d’enfants, une distinction importante pour les responsables de programme et les donateurs.

Figure 2 : Nombre d’enfants pouvant être traités avec 100 cartons (150 sachets) d’ATPE
Nombre d’enfants pouvant être traités avec 100 cartons (150 sachets) d’ATPE

Coût à la charge des bénéficiaires

À partir des résultats de l’enquête, le coût total à la charge des pourvoyeurs de soins pour les visites (coût d’opportunité, c’est-à-dire temps perdu, perte de revenus et dépenses personnelles) a été estimé à un peu plus de 1 dollar US par semaine2. Le coût à la charge des pourvoyeurs de soins était plus élevé dans le cas des enfants souffrant d’émaciation sévère (8,0 dollars US pour une durée de séjour moyenne de 7,7 semaines) que dans celui des enfants souffrant d’émaciation modérée (4,6 semaines), les cas plus graves nécessitant davantage de visites. Le coût moyen global à la charge des pourvoyeurs de soins était de 5,9 dollars US pour une durée de séjour moyenne de 5,7 semaines (tableau 2).

D’après une analyse supplémentaire du traitement assuré par les agents de santé communautaire sur les sites secondaires, le rapport coût-efficacité des visites des pourvoyeurs de soins sur les sites secondaires est supérieur de 57 % en moyenne à celui des visites sur les sites primaires. Cette différence de coût s’explique principalement par la baisse du coût d’opportunité (temps perdu), les temps de déplacement et les dépenses directes inhérentes aux visites sur les sites secondaires étant fortement réduits par rapport au temps et aux dépenses nécessaires pour des visites aux centres de santé primaires.

Coût lié au personnel du système de santé

L’analyse du coût lié au personnel (par type de site) montre que les sites secondaires ont le meilleur rapport coût-efficacité : 1 dollar US par enfant traité sur les sites secondaires contre 5,5 sur les sites primaires. Cet écart tient principalement à la rémunération du personnel des sites primaires, qui emploient des agents de santé communautaire indemnisés et des agents de santé ayant suivi une formation officielle et percevant un salaire plus coûteux. Bien qu’un seul agent de santé communautaire y assure le traitement, les sites secondaires peuvent traiter un bien plus grand nombre de cas que les établissements de santé. Les frais de personnel étaient cinq à six fois moins élevés dans les sites secondaires.

Au global, le coût lié au personnel par enfant traité était en moyenne de 3,7 dollars US. Des recherches plus approfondies sont en cours concernant les coûts de fonctionnement des sites secondaires et des établissements de santé primaires.

Bilan

Si l’on considère l’ensemble des organismes et des pourvoyeurs de soins, le coût par enfant traité dans le cadre du protocole simplifié était de 165,9 dollars US (coûts de soutien et ATPE en nature compris), contre 360,0 dans le cadre du protocole traditionnel, même si l’on exclut les coûts supplémentaires à la charge des pourvoyeurs de soins et du ministère de la santé.

Limites de l’étude

En ce qui concerne les coûts à la charge des pourvoyeurs de soins et les frais de personnel assumés par le ministère de la santé, nous n’avons pas été en mesure d’effectuer des analyses comparatives antérieures et postérieures du fait du manque de données sur les coûts avant le passage au protocole simplifié. L’IRC a par ailleurs ajouté des activités liées à la nutrition, telles que la création de sites secondaires et la formation à l’approche PB-famille, qui faussent les comparaisons directes.

Conclusions relatives au rapport coût-efficacité

L’analyse des coûts montre que le protocole simplifié à Nara, au Mali, était plus rentable par enfant que le protocole traditionnel mis en œuvre précédemment. Dans toutes les catégories de dépenses, le traitement des enfants souffrant d’émaciation sévère dans le cadre du protocole traditionnel coûte plus cher que dans le cadre du protocole simplifié. Quel que soit le protocole, les résultats suggèrent que l’échelle est un déterminant majeur du rapport coût-efficacité.

Les résultats de cette étude concordent avec notre précédente étude ComPAS au Kenya (Bailey et al., 2018) et le document sur l’efficacité qui l’accompagne, qui indiquent que le protocole simplifié a réduit la dose d’ATPE administrée aux enfants souffrant d’émaciation sévère sans réduire l’efficacité du traitement.

Bien qu’il reste encore beaucoup à faire pour améliorer le traitement de l’émaciation chez l’enfant, des approches simplifiées et combinées peuvent apporter une contribution substantielle en réduisant les coûts à la charge des organismes de mise en œuvre et en facilitant la mise en œuvre des programmes à grande échelle et à moindre coût pour les pourvoyeurs de soins et les prestataires de services.

Pour plus d’informations, veuillez contacter Derek Lee à l’adresse suivante : derek.lee@rescue.org

References

Bailey J, Lelijveld N, Marron B et al. (2018) Combined Protocol for Acute Malnutrition Study (ComPAS) in rural South Sudan and urban Kenya: Study protocol for a randomised controlled trial. Trials 19, 251.

Kangas S, Marron B, Tausanovitch Z et al. (2022) Effectiveness of acute malnutrition treatment at health center and community levels with a simplified, combined protocol in Mali: An observational cohort study. Nutrients, 14, 22, 4923.

1 Pour plus d’informations sur la méthodologie de calcul des coûts de l’IRC, veuillez consulter l’adresse suivante : https://www.rescue.org/resource/malnutrition-cost-analysis-methodology-irc.

2 Nous avons utilisé le salaire minimum malien (28 465 francs CFA par mois ou 50,34 dollars US) pour estimer le coût du temps passé à accéder au traitement, car l’enquête a montré que presque tous les pourvoyeurs de soins n’exerçaient aucune activité génératrice de revenus.

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