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Dosage des ATPE : Les nouvelles directives de l’OMS sur l’émaciation sont-elles controversées ?

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Natasha Lelijveld Nutritionniste principale à Emergency Nutrition Network (ENN)

Isabel Potani Responsable de la recherche en santé mondiale au Ripple Global Health Network

Blessings Likoswe Consultante indépendante 

Ce que nous savons : Les anciennes directives de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), qui datent de 1999 et 2013, indiquaient que la quantité d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE) à administrer pour le traitement de l’émaciation devait être déterminée en fonction du poids de l’enfant. Des recherches plus récentes se sont concentrées sur des protocoles simplifiés qui consistent à fournir des doses réduites fixes  dʼATPE. Les directives 2023 de l’OMS maintiennent toutefois que la dose dʼATPE doit être calculée sur la base du poids de l’enfant, avec seulement des réductions minimes du dosage.

Ce que cet article nous apprend : Cet article d’opinion résume les arguments avancés par différents chercheurs quant à la pertinence et à l’applicabilité des directives 2023 de l’OMS. Nous présentons des arguments concernant aussi bien le dosage excessif qu’insuffisant. Toute recommandation doit cependant être examinée à la lumière des réalités complexes et de la praticabilité au niveau des ménages.

Alors que le secteur de la nutrition bataille avec les ajouts et les modifications contenus dans les nouvelles directives de l’OMS sur le traitement et la prévention de l’émaciation (OMS, 2023), un sujet suscite de nombreux débats : les spécifications en matière de dosage des ATPE dans le cadre du traitement de l’émaciation sévère restent controversées. De nombreuses recherches concernant la réduction ou la simplification du dosage des ATPE ont été conduites avant la publication des directives, et plusieurs articles ont été publiés depuis lors sur ce sujet. Les nouvelles directives de l’OMS contiennent plusieurs mises à jour concernant le dosage des ATPE pour le traitement de l’émaciation sévère (encadré 1).

Encadré 1 : Mises à jour de lʼOMS concernant le traitement et la prévention de l’émaciation (2023)

Les enfants âgés de 6 à 59 mois souffrant d’émaciation sévère et/ou d’œdème nutritionnel qui sont inscrits dans un programme de soins ambulatoires doivent recevoir les doses dʼATPE suivantes :

150-185 kcal/kg/jour jusqu’à la « récupération anthropométrique » et la résorption de l’œdème nutritionnel. La recommandation précédente était d’administrer 150-220 kcal/kg/jour (OMS, 1999).

OU

150-185 kcal/kg/jour jusqu’à ce que l’enfant ne soit plus « sévèrement émacié » et ne présente plus d’œdème nutritionnel. La quantité peut ensuite être réduite en vue d’administrer 100-130 kcal/kg/jour jusqu’à la récupération anthropométrique et la résorption de l’œdème nutritionnel.

La récupération anthropométrique est définie par un score z de l’indice poids-pour-taille supérieur ou égal à -2 et/ou un périmètre brachial supérieur ou égal à 125 mm (en fonction des critères d’admission utilisés), ainsi que par l’absence d’œdème nutritionnel pendant au moins deux visites consécutives. L’émaciation sévère est définie par un score z de l’indice poids-pour-taille inférieur à -3 et/ou un périmètre brachial inférieur à 115 mm et/ou la présence dʼun œdème nutritionnel chez les nourrissons et les enfants âgés de 6 à 59 mois. Le dosage des ATPE doit être basé sur le poids et ne peut être déterminé sur la base du périmètre brachial ou simplifié à une dose unique, quel que soit le poids.

Ces dernières années, la recherche portant sur ce que l’on appelle les « approches simplifiées » a questionné le dosage des ATPE, se demandant s’il n’était pas inutilement élevé. Si tel est réellement le cas, cela pourrait entraîner un surcoût des programmes et un risque accru de mauvaise utilisation ou de gaspillage des ATPE (certains enfants ont du mal à finir le produit qui leur est octroyé). Les chercheurs se sont également demandé si le dosage pouvait être simplifié. Est-il nécessaire de calculer le dosage en fonction du poids de l’enfant ? La dose doit-elle augmenter proportionnellement au poids, à mesure que l’enfant se rétablit ? Des protocoles de dosage simplifiés (tels que l’étude ComPAS) ont été testés, selon lesquels deux sachets sont fournis par jour à tous les enfants souffrant d’émaciation sévère (Bailey et al., 2020). Cela représente environ 1 000 kcal par jour, et la dose est réduite à un sachet par jour (environ 500 kcal) lorsque les enfants atteignent un état d’émaciation modérée (périmètre brachial supérieur ou égal à 115 mm et inférieur à 125 mm).

Les nouvelles directives sont très claires lorsqu’il s’agit de réfuter certaines de ces innovations. Elles précisent que les doses dʼATPE doivent être attribuées en fonction du poids de l’enfant, et que le périmètre brachial ne peut pas être utilisé pour décider de la posologie ou pour mesurer la progression du traitement. Elles indiquent que les enfants souffrant d’émaciation sévère doivent recevoir 150-185 kcal/kg/jour (représentant plus de deux sachets par jour pour les enfants plus lourds/plus âgés, ce qui exclut la possibilité de déployer certains programmes utilisant un dosage simplifié). Ces nouvelles spécifications en matière de dosage représentent une légère réduction par rapport aux directives précédentes (150-220 kcal/kg/jour pour le traitement de l’émaciation sévère). Les nouvelles directives permettent également de réduire la dose à 100-130 kcal/kg/jour une fois que l’enfant atteint un état d’émaciation modérée.

Plusieurs articles publiés avant le lancement des nouvelles directives affirment qu’un régime simplifié avec un dosage réduit (par exemple, deux sachets pour le traitement de l’émaciation sévère, quel que soit le poids) obtient des résultats non inférieurs   à ceux obtenus avec les dosages standard basés sur le poids. Cela vaut à la fois pour le temps de récupération et le temps de traitement par rapport au régime standard (Bailey et al., 2020 ; Kangas, 2019 ; Likoswe et al., 2023). Un article publié après le lancement des nouvelles directives de l’OMS confirme ces conclusions (Bahwere et al., 2024). Cette étude est une analyse de données secondaires provenant d’Afghanistan et portant sur l’utilisation d’un dosage réduit devenu nécessaire en raison de ruptures de stock.

Une autre publication récente affirme que, dans les nouvelles directives, l’OMS a surestimé les apports énergétiques thérapeutiques recommandés dans ses calculs du nouveau dosage (Sachdev et Kurpad, 2024). Au lieu de l’apport énergétique recommandé par l’OMS de 150-185 kcal/kg/jour, les calculs des auteurs suggèrent que seulement 105-120 kcal/kg/jour sont nécessaires pour traiter les enfants souffrant d’émaciation sévère. Si cette hypothèse est avérée, cela signifie que la suralimentation, au regard  du nombre de calories, découlant des nouvelles directives pourrait avoir des répercussions négatives. Les auteurs affirment également que les directives présentent des lacunes en matière de conseils pratiques, notamment en ce qui concerne le calendrier et les modalités de passage à une alimentation préparée à domicile, ou encore la durée maximale de la phase d’alimentation thérapeutique. Il existe donc de nombreux arguments soutenant que le dosage préconisé dans les nouvelles directives de l’OMS est encore trop élevé.

Si l’administration de dosages réduits et simplifiés ne semble pas influer sur le taux de récupération et la durée du traitement, l’article afghan ainsi qu’une publication malienne (Potani et al., 2024) indiquent que la prise de poids et l’augmentation du périmètre brachial sont légèrement plus rapides avec des dosages plus élevés. Des études sur les dosages réduits ont également relevé le risque d’impact négatif sur la croissance linéaire, ce qui pourrait aggraver le retard de croissance (Kangas et al., 2019). Le nouvel article en provenance du Mali affirme que même la légère réduction de dosage autorisée dans les nouvelles directives de 2023 par rapport aux directives précédentes aura une influence sur la vitesse de croissance. Sur la base de ce postulat, le dosage recommandé dans les nouvelles directives de l’OMS est ainsi considéré comme trop bas lorsque l’on considère certains résultats ! Mais si ces arguments portent essentiellement sur la vitesse de la prise de poids. Une prise de poids plus rapide est-elle réellement préférable ?

Une prise de poids plus rapide est-elle préférable ?

Le traitement de l’émaciation sévère vise un rattrapage rapide de la croissance afin de réduire le risque de mortalité à court terme. Cependant, si l’on considère la santé à long terme, le taux optimal de prise de poids chez les enfants recevant un traitement pour l’émaciation sévère n’est pas connu à l’heure actuelle.

Un article publié en Jamaïque indique qu’une prise de poids rapide (supérieure à 13 g/kg/jour) dans le cadre de la réhabilitation en milieu hospitalier était associée à l’adiposité à l’âge adulte chez de jeunes adultes de poids normal ayant survécu à une émaciation sévère (Thompson et al., 2023). Les directives précédentes de l’OMS recommandaient une prise de poids supérieure ou égale à 10 g/kg/jour pour les patients hospitalisés. Les nouvelles directives de l’OMS préconisent un dosage dʼATPE de 150-185 kcal/kg/jour pour une prise de poids cible de 5-10 g/kg/jour. Cette valeur est inférieure à celle recommandée précédemment et se situe dans les limites associées aux risques cardio-métaboliques à long terme (selon l’analyse menée en Jamaïque). Il a été avancé qu’une prise de poids recommandée plus lente, de 3-4 g/kg/jour, était plus réaliste. Cette recommandation se fonde sur les gains de poids moyens chez les enfants guéris dans le cadre de programmes récents de prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) (Sachdev et Kurpad, 2024).

Dans une cohorte plus récente de survivants au Malawi, une prise de poids plus rapide (5,3 g/kg/jour en moyenne, allant de -3 à 27 g/kg/jour) a été associée à un risque plus faible de mortalité et de retard de croissance (Lelijveld et al., 2023). Cependant, un rapport taille-hanches plus important a également été observé, ce qui pourrait constituer un indicateur d’une future dyslipidémie. Cela suggère un schéma complexe de risques et d’avantages associés à une prise de poids plus rapide dans le cadre du traitement.

Vue d’ensemble

Outre la question du dosage spécifique, convient-il vraiment de se concentrer sur l’apport énergétique de façon si détaillée si l’on tient compte de la variation considérable des conditions de vie individuelles ? L’environnement et la disponibilité de nourriture au sein du foyer, la culture du partage, la charge de morbidité infectieuse et d’autres risques sanitaires jouent tous un rôle important dans la pathogenèse de l’émaciation. Le fait de se concentrer sur de légers changements de dosage peut détourner l’attention des questions beaucoup plus difficiles (et potentiellement plus lourdes de conséquences) qui doivent être abordées. La réduction des rechutes, l’augmentation de la couverture, le renforcement des systèmes de santé et l’amélioration de l’alimentation à domicile ne sont que quelques-uns de ces défis.

Un récent article d’opinion sur les nouvelles directives a souligné l’accent mis sur les ATPE et le manque d’intérêt pour l’utilisation d’aliments préparés à domicile afin de traiter l’émaciation sévère et modérée lorsque possible (Rohloff et al., 2024). L’article de Sachdev et Kurpad indique également que :

« Les directives actuelles de l’OMS ne font pas mention du processus de transition de l’intervention basée sur les produits (ATPE) à une alimentation préparée à domicile. Il ne s’agit certainement pas de poursuivre indéfiniment l’utilisation des ATPE chez ces sujets – une stratégie peu pratique et un moyen inéluctable de développer ultérieurement des facteurs de risque cardio-métaboliques »

Cela soulève une autre question concernant les directives : quand le traitement doit-il être arrêté ? Certains enfants sont classés comme ne répondant pas au traitement lorsqu’ils sortent de l’hôpital après 12 semaines de prise en charge. Cependant, il est tout à fait possible qu’ils en retirent des bienfaits mais aient simplement besoin de plus de temps pour atteindre les critères de sortie en place. Les travaux en cours du Groupe d’intérêt technique sur la concomitance de l’émaciation et du retard de croissance (WaSt TIG) visent, entre autres, à distinguer ces enfants de ceux qui, réellement, ne répondent pas au traitement.

D’autres problèmes méritent d’être pris en compte en ce qui concerne les régimes de dosage, notamment les ruptures de stock dʼATPE et la faible couverture des traitements. À l’heure actuelle, le régime de dosage simplifié et réduit est déjà appliqué dans de nombreux contextes, comme à Gaza, où la situation a exigé un lancement et un passage à l’échelle très rapides des programmes de PCMA. Avant le siège de Gaza en 2023, les programmes de PCMA étaient très peu répandus. Des infrastructures, des équipements et des ressources humaines considérables ont dû être mis en place en partant de zéro, afin de combattre le lourd fardeau de la malnutrition qui met en péril la vie des enfants. Dans ce contexte, les régimes de dosage simplifiés, basés uniquement sur le périmètre brachial, se sont avérés être l’option la plus réalisable.

L’exigence énoncée dans les directives de 2023 (« le dosage doit être déterminé en fonction du poids de l’enfant ») pourrait avoir d’énormes implications pour la couverture des traitements. Bien que les gouvernements nationaux puissent prendre leurs propres décisions quant aux mesures à mettre en œuvre dans leur contexte, les nouvelles directives peuvent s’avérer prohibitives. Elles découragent en effet la mise en place de programmes basés uniquement sur le périmètre brachial, nécessitent d’avoir accès à des balances et à des piles, et requièrent un certain niveau d’alphabétisation de la part des agents de santé. Les directives de l’OMS devraient-elles reconnaître que, dans certains contextes (comme à Gaza), l’obligation de déterminer le dosage en fonction du poids de l’enfant pourrait compromettre l’augmentation de la couverture des programmes, à l’inverse d’une approche logistiquement plus simple basée uniquement sur le périmètre brachial ? Est-il vraiment important de calculer le dosage en fonction du poids si la faisabilité et la couverture risquent d’être compromises dans des scénarios complexes ?

Gaza est également confrontée à des difficultés liées à l’importation de fournitures et de matériels. La réduction du dosage permet de répartir les stocks disponibles entre un plus grand nombre d’enfants. L’article récent sur l’Afghanistan (Bahwere et al., 2024) décrit la décision qui a été prise de réduire le dosage des ATPE dans le but d’atténuer le risque d’une période de rupture de stock. Cette situation est due à un nombre élevé de cas de malnutrition et à des contraintes financières. Actuellement, les ruptures de stock sont fréquentes dans de nombreuses régions du monde. Est-il acceptable de réduire les dosages pour augmenter la durée des stocks lorsque l’on sait qu’aucun approvisionnement n’est prévu ? Plus important encore, comment pouvons-nous mieux prévenir les ruptures de stock ? La question des ruptures de stock est délicate et fait l’objet d’un article distinct dans ce numéro.

Le débat sur le dosage approprié d’ATPE à administrer se poursuivra sans aucun doute, et il faut espérer que de nouvelles données seront produites pour aider à trancher la question dans le cadre de futures directives. Des données probantes supplémentaires sont nécessaires pour trouver un équilibre entre les délais de guérison optimaux et les risques pour la santé à long terme. Il convient également de garder à l’esprit la couverture des programmes, la santé à long terme, les régimes alimentaires des familles et la prévention des rechutes. Les orientations relatives à la mise en œuvre qui devraient suivre la publication des directives de l’OMS de 2023 attireront, espérons-le, davantage l’attention sur ces questions passées sous silence. En abordant ces questions, nous pouvons encourager les gouvernements nationaux à mettre en œuvre des programmes adaptés à chacun de leur contexte.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter Natasha Lelijveld à l’adresse suivante : natasha@ennonline.net 

Références

Bahwere P, Funnell G, Qarizada AN et al (2024) Effectiveness of a nonweight-based daily dosage of ready-to-use therapeutic food in children suffering from uncomplicated severe acute malnutrition: A nonrandomized, noninferiority analysis of programme data in Afghanistan. Maternal & Child Nutrition, 20, 3, e13641

Bailey J, Opondo C, Lelijveld N et al (2020) A simplified, combined protocol versus standard treatment for acute malnutrition in children 6-59 months (ComPAS trial): A cluster-randomized controlled non-inferiority trial in Kenya and South Sudan. PLOS Medicine, 17, 7, e1003192

Kangas ST, Salpéteur C, Nikièma V et al (2019) Impact of reduced dose of ready-to-use therapeutic foods in children with uncomplicated severe acute malnutrition: A randomised non-inferiority trial in Burkina Faso. PLOS Medicine 16, 8, e1002887

Lelijveld N, Cox S, Anujuo K et al (2023) Post-malnutrition growth and its associations with child survival and non-communicable disease risk: A secondary analysis of the Malawi ‘ChroSAM’cohort. Public Health Nutrition, 26, 8, 1658-1670

Likoswe BH, Chimera-Khombe B, Patson N et al (2023) A systematic review on the optimal dose and duration of ready-to-use therapeutic food (RUTF) for 6–59-month-old children with severe wasting or oedema. Nutrients, 15, 7, 1750

Potani I, Tausanovitch Z, Ritz C et al (2024) The relationship between energy provided and growth during severe wasting treatment. Maternal & Child Nutrition, 20, 4, e13693

Rohloff P, Gupta S, López Canu W et al (2024) New WHO guideline on the prevention and management of acute malnutrition in infants and young children: Remaining challenges. BMJ Paediatrics Open, 8, 1, e002471

Sachdev HS & Kurpad AV (2024) The recent WHO guideline on acute malnutrition overestimates therapeutic energy requirement. The Lancet Regional Health Southeast Asia, 25, 100419

Thompson D, McKenzie K, Opondo C et al (2023) Faster rehabilitation weight gain during childhood is associated with risk of non-communicable disease in adult survivors of severe acute malnutrition. PLOS Global Public Health 3, 12, e0002698

World Health Organization (2023) WHO guideline on the prevention and management of wasting and nutritional oedema (acute malnutrition) in infants and children under 5 years. app.magicapp.org

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