Toile de fond
La malnutrition est associée à environ 50 pour cent des décès d’enfants dans les pays pauvres. La meilleure approche pour réduire cette mortalité consisterait à améliorer l’état et la résilience nutritionnels des populations, en particulier ceux des femmes et des enfants, afin d’éliminer la malnutrition avant toute autre chose.
Cependant, d’après les plus récentes estimations, 45 millions d’enfants sont déjà en état d’émaciation dans le monde (JME 2023). L’émaciation est l’une des formes de malnutrition comportant le plus grand risque de mort. Cette menace s’accroît considérablement à mesure que l’état de l’enfant se détériore et que son émaciation s’aggrave en l’absence de soins appropriés. Les formes les plus graves d’émaciation nécessitent un traitement plus intensif pour sauver la vie de l’enfant en raison des effets complexes qu’elle a sur les systèmes et les structures de son organisme. D’après les estimations,13,7 millions d’enfants souffrent d’émaciation sévère et ont besoin d’un traitement thérapeutique urgent. Ces chiffres augmentent chaque année et il est entendu que les chiffres officiels reflètent une sous-estimation, les cas incidents n’étant pas pris en compte.
Les nombres ou les pourcentages d’enfants gravement émaciés faisant l’objet d’un traitement au niveau mondial sont notoirement difficiles à trouver. Cela s’explique par l’utilisation de définitions différentes (MAS, émaciation sévère, PB très faible), le manque de rapports centralisés, l’absence d’évaluation systématique de la couverture et un partage transparent insuffisant. Voir notre vidéo sur les limites des estimations du pourcentage d’enfants bénéficiant d’un traitement.
Même en tenant compte de ces limites, tous les chiffres cités montrent clairement que, même pour les enfants souffrant des formes de malnutrition les plus sévères, nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour pouvoir leur dispenser un traitement approprié.
Le nombre d’enfants mal nourris augmentant chaque année et les ressources s’amenuisant en raison des tendances et des facteurs économiques mondiaux, il est de plus en plus important de cibler le traitement sur ceux qui en ont le plus besoin. Une manière de concentrer nos ressources de manière appropriée consiste à réserver le traitement le plus intensif de la malnutrition (celui qui exige le plus de ressources pour le prestataire de services ainsi que le client) à ceux qui risquent le plus de mourir, et à adopter une approche de traitement moins intensive, et/ou des approches de prévention, pour ceux dont le risque de décès est inférieur.
Quels étaient les besoins
Les données probantes recueillies par le WaSt TIG (voir liste des membres) suggèrent que le fait de souffrir à la fois d’émaciation et d’un retard de croissance (même à des niveaux modérés) comporte un risque supplémentaire. Pour les enfants présentant les deux déficits, le risque de décès est particulièrement élevé (similaire au risque de décès d’un enfant souffrant d’émaciation sévère). Cela indique que nous devons tenir compte à la fois de l’émaciation et du retard de croissance lorsque nous tentons de trouver les meilleurs moyens d’identifier les enfants qui risquent le plus de mourir et qui ont besoin d’un traitement.
Nous avons donc voulu revoir les méthodes que nous employons pour évaluer et identifier les enfants souffrant de malnutrition. Quelles sont celles de ces mesures et définitions de cas qui permettent le mieux de sélectionner les enfants qui risquent le plus de mourir, sans par ailleurs identifier un grand nombre d’enfants qui ne sont pas à haut risque ? Concrètement, comment les définitions de cas que nous utilisons peuvent-elles nous aider à parvenir efficacement à ceux qui en ont le plus besoin sans surcharger le système de santé ?
Dans le cadre des programmes de nutrition, nous utilisons principalement des mesures anthropométriques (ainsi que la présence d’œdèmes et de complications médicales) pour identifier les types et les degrés de malnutrition chez les enfants et, ainsi, élaborer nos définitions de cas. Pour les aspects à garder à l’esprit en ce qui concerne les indicateurs anthropométriques, ce qu’ils peuvent nous dire et ce qu’ils ne peuvent pas nous dire, veuillez regarder cette courte vidéo.
Pour évaluer la capacité de différentes définitions de cas à prédire le décès, nous avons dû trouver des études qui ont mené un suivi d’enfants dans le temps et qui ont été menées avant que le traitement ne soit largement disponible ou dans des contextes où il ne l’était pas. Une fois qu’un enfant commence à être traité, toute étude portant sur le risque de mortalité est biaisée par l’efficacité du traitement fourni. C’est pourquoi nous avons donné la priorité aux études dans lesquelles les enfants n’étaient pas traités afin d’obtenir une image précise du risque de mortalité, même si cela veut dire que nous avons choisi des études assez anciennes.
Ce que nous avons fait
Nous avons cherché des études de cohortes effectuant un suivi de l’anthropométrie et de la mortalité menées dans des pays à faible revenu à une époque où le traitement n’était pas très répandu, et en avons trouvé 12 provenant de 12 pays différents. Il apparaît clairement que les œdèmes nécessitent effectivement le traitement thérapeutique le plus intensif. C’est pourquoi nous avons concentré nos analyses sur les indicateurs anthropométriques. Nous avons testé 12 définitions de cas différentes afin de déterminer celles qui permettaient le mieux de prévoir les décès parmi les enfants âgés de 6 à 59 mois. Nous disposions de plusieurs critères de jugement que nous avons appliqués à ces définitions de cas. Voir notre tableau annoté des critères de jugement utilisés, avec une explication de chacun d’entre eux. Nous nous sommes également penchés sur les implications programmatiques possibles de nos résultats.
Tableau 1 : Tableau annoté des critères utilisés pour juger les différentes définitions de cas anthropométriques.

L’aspect le plus important est le fait que nous cherchions des définitions de cas susceptibles de nous aider à identifier, pour le traitement, le plus grand nombre d’enfants qui mourraient en l’absence de traitement (sensibilité) et le nombre minimum d’enfants qui survivraient en l’absence de traitement (spécificité).
Constat 1
L’analyse présentée sous forme de courbes ROC (Receiver Operating Characteristics – Caractéristiques du fonctionnement du récepteur) (une manière d’illustrer de façon graphique la performance des différentes mesures au moment d’identifier les enfants qui meurent ultérieurement à partir du jeu de données – c’est-à-dire ceux qui sont le plus à risque) (veuillez regarder cette courte vidéo, qui explique les résultats), nous permet de tirer les conclusions suivantes :
- Le PB et le WFA (rapport poids-pour-âge) sont les mesures les plus associées au risque de mortalité
- Ces deux mesures peuvent rendre compte de l’effet sur le risque de mortalité de l’émaciation et du retard de croissance concomitants.
- L’augmentation des seuils – dans le cas des définitions modérées, par exemple – augmente la sensibilité (car elle identifie un plus grand nombre d’enfants qui meurent ultérieurement) mais entraîne une hausse considérable du nombre de faux positifs (car elle identifie aussi un plus grand nombre d’enfants qui ne vont pas mourir).
- La combinaison d’indices anthropométriques peut aussi accroître la sensibilité, mais augmente également le nombre de faux positifs.
- L’augmentation de la fréquence du suivi – c.-à-d. dire la prise de mesures tous les mois - accroît considérablement notre capacité à repérer les enfants qui risquent le plus de mourir sans inclure un grand nombre d’enfants supplémentaires qui ne sont pas exposés à un risque élevé.
Constat 2
L’analyse de l’inclusivité à l’aide de diagrammes de Venn (incluant quatre cohortes comportant des mesures du PB) – pour voir quelles mesures présentes dans les données ont permis d’identifier le plus de décès (voir cette vidéo de quatre minutes expliquant les résultats de cette analyse à l’aide de LEGO) – nous permet de conclure que :
- En ajoutant la définition d’un rapport poids-pour-âge très faible à celle d’un PB très faible, nous identifions la grande majorité des décès associés à tous les déficits graves. Cela inclut les décès associés à l’émaciation et au retard de croissance (WaSt) et au score z du rapport poids-pour-taille (WHZ) très faible – autrement dit, il n’est pas nécessaire de les mesurer pour identifier les décès qui leur sont associés.
- On a obtenu des résultats similaires chez les nourrissons âgés de moins de 6 mois dans le cadre d’autres recherches.
- L’augmentation du seuil du PB à 125 mm, sans utiliser également le rapport poids-pour-âge (WFA), est également prometteuse pour identifier la plupart des décès, mais laisse passer certains enfants à haut risque.
Expliquer comment des mesures anthropométriques différentes et inclusives permettent d'identifier les enfants qui meurent sans traitement à l'aide de blocs de couleur :
Expliquer comment des mesures anthropométriques différentes et inclusives permettent d'identifier les enfants qui meurent sans traitement à l'aide de blocs de couleur :
Résumé des critères de jugement
Lorsque nous nous penchons sur tous les critères de jugement, nous constatons qu’un score z du rapport poids pour âge (WAZ) < -3 à lui seul et la définition combinée d’un PB < 115 mm ou un score z du rapport poids pour âge (WAZ) < -3 donnent les meilleurs résultats.

Constat 3
Afin d’explorer plus avant la manière dont le traitement peut être optimisé, nous nous sommes penchés sur le risque de décès pour différentes composantes des définitions de cas obtenant les scores plus élevés, c.-à-d. les différences de risque au sein du groupe d’enfants identifiés. Nous avons émis l’hypothèse selon laquelle dans le cadre d’un modèle de traitement rentable, les enfants à faible risque pourraient recevoir une forme de traitement moins intensive (mais tout de même efficace) que les soins thérapeutiques ambulatoires standard. Voir la diapositive et l’explication enregistrée de nos constats ci-dessous.

Ces résultats suggèrent que les enfants présentant un PB > 115mm et un score z du rapport poids-pour-âge (WAZ) < -3 pourraient éventuellement requérir un traitement moins intensif.
Modélisation des implications

Au vu de ce qui précède, nous avons voulu procéder à une estimation approximative des implications opérationnelles/pratiques de l’ajout d’un score z du rapport poids-pour-âge (WAZ) < -3 comme critère dans les programmes de traitement pour ce qui est de la taille du programme (par rapport à un programme n’admettant que les enfants présentant un PB < 115mm).
Nous avons effectué une simulation pour un district sanitaire hypothétique comptant 100 000 habitants.
Tout d’abord, nous avons pris le nombre de cas attendus d’enfants avec les définitions de cas (basé sur la prévalence tirée d’une base de données de 2 426 enquêtes nutritionnelles utilisées dans une analyse précédente effectuée par Myatt et al (2018).

Nous avons ensuite appliqué une estimation de la couverture pour atteindre le nombre potentiel de cas ciblés. Pour le PB, nous nous sommes basés sur les résultats de 227 évaluations de la couverture de programmes PCMA réalisées dans 29 pays entre 2009 et 2017, tels qu’ils sont enregistrés dans une base de données fournie par le Coverage Monitoring Network (Réseau de surveillance de la couverture). Pour le score z du rapport poids-pour-âge (WAZ), nous avons procédé à une analyse documentaire et appliqué des estimations basées sur les données de couverture de 23 programmes de surveillance (et de promotion) de la croissance de portée et de conception différentes dans 14 pays.

À ce stade, on a estimé que la taille d’un programme d’admission basé sur un PB < 115 mm et un score z du rapport poids-pour-âge (WAZ) < -3 était trois fois plus importante que celle d’un programme basé uniquement sur le PB.Toutefois, si l’on tient compte d’un traitement moins intensif pour les enfants supplémentaires – c.-à-d. si l’on considère la charge de travail plutôt que le nombre de cas ciblés – la taille du programme n’est alors que deux fois plus importante.

Qu’est-ce que cela signifie ?
Nous concluons que l’examen de la mortalité peut nous aider à mieux concevoir et aligner les services de traitement afin de parvenir aux enfants les plus à risque. Les programmes d’alimentation thérapeutique peuvent avoir un impact plus important (prévention de la mortalité et amélioration de la couverture) s’ils utilisent des mesures qui peuvent être prises fréquemment au niveau communautaire afin d’identifier les enfants et en utilisant un critère de PB < 115 mm ou score z du rapport poids-pour-âge (WAZ) < -3. L’utilisation de ce critère aurait des implications sur la taille du programme par rapport à un service traitant uniquement les enfants ayant un PB très faible. Cependant, nos constats suggèrent également qu’un traitement moins intensif pourrait bien convenir au groupe d’enfants dont le PB est supérieur à 115 mm et dont le score z du rapport poids-pour-âge (WAZ) est inférieur à -3. La prise en charge du nombre de cas ciblés supplémentaires exigerait ainsi peut-être moins de temps et de ressources du prestataire de services. Nous devons répondre aux questions en suspens sur ce que signifie « moins intensif » en termes de quantité de produit thérapeutique, de durée et de fréquence. Pour ce faire, ENN et le WaSt TIG ont conçu une étude d’intervention et tiennent à collaborer avec d’autres entités en vue de sa mise en œuvre.
Les Lignes directrices de l’OMS sur la prévention et la prise en charge de l’émaciation et de l’œdème nutritionnel (malnutrition aiguë) chez les nourrissons et les enfants de moins de cinq ans, récemment publiées, recommandent également l’utilisation d’un score z du rapport poids-pour-âge (WAZ) <-3 pour identifier les enfants à haut risque et souffrant d’une émaciation modérée en vue d’une intervention au moyen d’aliments spécialement formulés. Cela souligne encore la nécessité de mener des études d’intervention pour déterminer comment mettre en œuvre cette recommandation de manière appropriée.
Références :
Khara T, Myatt M, Sadler K, et al. Anthropometric criteria for best-identifying children at high risk of mortality: a pooled analysis of twelve cohorts. Public Health Nutrition. 2023;26(4):803–819. doi:10.1017/S136898002300023X
Briend A, Myatt M, Berkley JA, et al. Prognostic value of different anthropometric indices over different measurement intervals to predict mortality in 6–59-month-old children. Public Health Nutr. 2023 Jun;26(6):1210–1221. doi: 10.1017/S1368980023000149
Pour un complément d’informations sur tout aspect traité ci-dessus, veuillez consulter la section WaSt de notre site Web, ou pour discuter d’une collaboration potentielle, veuillez contacter : Tanya Khara, directrice technique d’ENN, tanya@ennonline.net.
Remerciements :
Un grand merci à André Briend et Hannah Fletcher pour la création de contenu et à l’équipe WaSt d’ENN (Natalie Sessions, Phil James, Amir Samnani et Kate Sadler) pour la relecture.
Le présent blog et les travaux qui y sont mentionnés ont été rendus possibles grâce au généreux soutien du peuple américain par l’intermédiaire de l’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development) et du ministère irlandais des Affaires étrangères. La responsabilité du contenu, qui ne reflète pas forcément les opinions des donateurs, incombe à ENN.