Défendre la nutrition au Gabon
Un entretien avec Yves Fernand MANFOUMBI, ministre gabonais de l’Agriculture, de l’Élevage et du Programme GRAINE1 entre octobre 2016 et février 2017.
En tant que ministre, Manfoumbi a reconnu le fait que la malnutrition constituait une barrière considérable au développement socioéconomique et environnemental du pays. Le 21 décembre 2016, il a présenté une demande pour que le Gabon rejoigne le mouvement SUN (Scaling Up Nutrition - Renforcer la nutrition). En 2017, il a été décerné le titre de champion mondial de la nutrition du Mouvement SUN et, à ce titre, siège comme président honoraire de la plateforme de nutrition multisectorielle SUN au Gabon, participant à des réunions et agissant comme catalyseur et défenseur de la nutrition sur le terrain.
1. Quand vous êtes-vous senti concerné par la nutrition et son importance dans le développement de votre pays ?
Après ma nomination au poste de ministre de l’Agriculture, de l’Élevage et du Programme GRAINE, j’ai bien entendu pris contact avec tous les partenaires, parmi lesquels la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) qui m’a informé sur la deuxième Conférence internationale sur la nutrition, le forum du XXIe siècle consacré aux problèmes de nutrition dans le monde. À l’issue de cette conférence, l’assemblée représentant 187 pays a approuvé les deux documents finaux, à savoir la Déclaration de Rome sur la nutrition2 dans laquelle les pays s’engagent à éradiquer la faim et à prévenir la malnutrition sous toutes ses formes, et le Cadre d’action3 qui est le guide technique visant à faciliter la mise en œuvre de la Déclaration en définissant des stratégies claires et spécifiques pour concrétiser les engagements qui y sont pris. En tant qu’économiste financier, j’ai été très sensible à l’impact de la nutrition sur le PIB et au fait qu’un dollar investi dans la nutrition puisse en rapporter 16 de plus.4 Cela a réellement déclenché un déclic chez moi.
2. Quels sont, selon vous, les principaux problèmes nutritionnels au Gabon ?
Le Gabon est l’un de ces pays qui font « fausse route » pour ce qui est de la réalisation de quatre sur six indicateurs adoptés lors de la 65e Assemblée mondiale de la Santé (WHA) en 2012. Des progrès substantiels restent à accomplir pour atteindre les cibles relatives au retard de croissance et à l’émaciation qui touchent respectivement 18 pour cent et 3 pour cent des enfants de moins de 5 ans ; à l’anémie qui touche plus de la moitié des femmes en âge de procréer ; au surpoids chez les enfants de moins de cinq ans, associé à une prévalence de 8 pour cent et à la prévalence de l’allaitement maternel exclusif qui affiche le taux particulièrement faible de 6 pour cent5 Les carences en micronutriments chez les femmes et les enfants sont des défis majeurs en matière de santé publique.
3. Qu’est-ce qui a poussé votre pays à rejoindre le mouvement SUN en 2016 ?
À la suite d’une demande que nous avons présentée en décembre 2016, le Gabon a obtenu l’adhésion au mouvement SUN en janvier 2017 avec l’endossement au plus haut niveau du président de la République par délégation au Premier ministre. Nous l’avons fait afin que le Gabon puisse participer au dialogue qui nous permet d’interagir avec d’autres pays SUN et le système d’assistance du Mouvement, d’affiner nos compétences, d’améliorer notre compréhension des principaux enjeux et de parvenir à un accord sur des actions prioritaires, dans le but de s’assurer que nous sommes en bonne voie pour produire des résultats.
4. Comment le fait d’être membre du Mouvement SUN a-t-il aidé le Gabon ?
L’adhésion au mouvement SUN offre l’avantage d’aider les pays à célébrer les progrès réalisés par les autres pays SUN dans la mise en œuvre de leurs plans nationaux pour la nutrition, à mieux comprendre les enjeux et à déterminer ensemble des solutions à envisager.
5. En tant que ministre de l’Agriculture, pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne la plateforme nutrition multisectorielle de SUN, et de quelles façons les secteurs collaborent pour cibler la malnutrition ?
La plateforme multisectorielle regroupe différents ministères, la société civile, les partenaires techniques et financiers et a été mise en place sous la direction du ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et du Programme GRAINE (MAEPG). Actuellement, neuf ministères y sont représentés (y compris les ministères de la Santé, de l’Agriculture, du Commerce, de l’Infrastructure, de l’Éducation et de la Protection sociale) ainsi que cinq réseaux (gouvernement, Nations Unies, donateurs, société civile et secteur privé). La plateforme se réunit régulièrement (au moins une fois par mois, plus s’il y a des activités spécifiques) et discute des problèmes de nutrition, de la politique nationale en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle (PNSAN), de la stratégie d’orientation du mouvement SUN et du plan d’action de la politique, etc. Les capacités des membres de la plateforme multisectorielle sont regroupées de manière à ce que chacun comprenne son rôle dans la résolution des problèmes de sécurité alimentaire et nutritionnelle au Gabon. Les « classes vertes », un projet agricole visant à produire des aliments nutritifs dans les écoles par le biais de jardins scolaires, illustre la collaboration des secteurs. L’éducation nutritionnelle sera mise en œuvre dans les écoles grâce aux efforts conjugués des ministères de l’Éducation et de la Santé.
6. Parlez-nous de la nouvelle politique nationale en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle (PINSAN) (2018-2025). Comment a-t-elle été mise au point ?
En ma qualité de ministre, j’ai œuvré dès ma nomination en octobre 2016 afin que le Gabon dispose d’un document de politique nationale en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle (PNSAN). Cela répond à l’une des recommandations de la deuxième Conférence internationale sur la nutrition.
Une formation sur la nature multisectorielle de la nutrition et sur le rôle de chaque secteur a été organisée avec l’appui technique de la FAO, de l’UNICEF et de l’OMS, pour encourager les membres de la plateforme à améliorer leur contribution à la PNSAN. Chaque secteur a apporté son soutien à la rédaction du document et j’ai suivi les différentes étapes du processus pour les amener au plus haut niveau.
En mars 2017, j’ai parrainé l’organisation de l’atelier de validation du document de la PNSAN et, en juillet 2017, le Conseil de ministres a entériné le document validé, permettant ainsi au Gabon de disposer, 9 mois après ma prise de fonction, d’un cadre stratégique de référence et d’orientation pour tous les secteurs et acteurs concernés.
Les ressources financières seront mobilisées par le gouvernement avec le soutien des partenaires. REACH apportera son appui technique à l’élaboration d’un cadre de coordination entre le gouvernement et le système des Nations Unies, et MQSUN+ aidera à mettre au point un plan d’action chiffré pour la PNSAN.
7. La PNSAN comprend-elle des interventions visant à lutter contre la prévalence du surpoids, de l’obésité et de la malnutrition ?
La PNSAN prend en compte toutes les interventions de lutte contre la faim et la malnutrition ; de ce fait, elle intègre les interventions sensibles à la nutrition, mais aussi les interventions spécifiques à la nutrition, faisant entrer en ligne de compte toutes les formes de malnutrition. En collaboration avec la FAO, le gouvernement a lancé un projet visant à élaborer des recommandations alimentaires nationales et un guide alimentaire pour le Gabon, afin de susciter une prise de conscience au sujet de l’alimentation saine.
8. Quel rôle voyez-vous pour le secteur privé en matière de malnutrition ?
Le secteur privé a un rôle de responsabilité sociale à jouer dans la lutte contre la malnutrition, c’est pourquoi un fort plaidoyer est nécessaire afin de l’amener à financer des interventions sur le terrain. Une initiative actuellement en discussion avec l’agro-industrie est l’enrichissement de l’huile de cuisson en vitamine A.
9. Quels conseils donneriez-vous pour lutter contre la malnutrition à d’autres pays qui connaissent des problèmes similaires à ceux du Gabon ?
Les autres pays doivent s’assurer qu’ils disposent d’un cadre de politiques juridiques qui prend toute la problématique en compte ; la nutrition étant multisectorielle, ses causes doivent être mises au jour afin de proposer des solutions et de déterminer le rôle de chacun dans la mobilisation des bénéficiaires aux fins d’interventions durables.
1Le programme GRAINE (Gabonaise des Réalisations Agricoles et des Initiatives des Nationaux) est une priorité majeure du gouvernement, qui a pour but de limiter les importations de produits agricoles, d’améliorer la santé alimentaire, de créer des emplois durables et de promouvoir le développement économique.
2www.fao.org/resources/infographics/infographics-details/en/c/266118/
4Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. 2014. Global Nutrition Report 2014 : Actions and Accountability to Accelerate the World’s Progress on Nutrition (Rapport mondial sur la nutrition : action et responsabilité pour accélérer l’amélioration de la nutrition dans le monde). Washington, DC.
5Rapport mondial sur la nutrition (GNR) 2017. Rapport mondial sur la nutrition (2017). Profils nutritionnels par pays : Gabon. Bristol, Royaume-Uni : Les initiatives de développement.