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Partenariat entre les travailleuses de santé communautaire et de nutrition au Rajasthan, Inde

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Piyush Mehra est le directeur général de l’Antara Foundation. Depuis plus de trois ans, il dirige des programmes de santé et de nutrition maternelle et infantile en Inde, après dix ans d’expérience en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient.

Karthik Ram est adjoint principal à l’Antara Foundation, responsable des communications. Il a plus de cinq ans d’expérience en santé et nutrition maternelle et infantile, éducation et stratégie.

Contexte

Comptant plus de 68 millions d’habitants, le Rajasthan est l’un des huit États de l’Inde que l’on désigne comme États du « Empowered Action Group » [Groupe d’action qualifiée], qui, en d’autres termes, connaissent des niveaux élevés de dénuement. Les données sur la santé et la nutrition maternelle et infantile au Rajasthan1 indiquent que 23 pour cent des enfants âgés de moins de 5 ans sont émaciés, 39 pour cent d’entre eux connaissent un retard de croissance, et l’on estime que plus de 70 000 enfants âgés de moins d’un an meurent chaque année. Les autorités du Rajasthan ont constaté le problème et cherchent à devenir un modèle pour les services de santé et de nutrition. C’est dans ce but que l’Akshada Programme, partenariat établi entre les pouvoirs publics du Rajasthan, l’organisation philanthropique Tata Trusts et l’Antara Foundation, organisme sans but lucratif, s’efforce d’accroitre l’ampleur des améliorations en santé et nutrition maternelle et infantile au Rajasthan.

Services dans les villages

Trois groupes distincts de travailleuses — Accredited Social Health Activist (ASHA) [Militantes accréditées de santé sociale], Anganwadi Worker (AWW) et Auxiliary Nurse Midwife (ANM) [Sages-femmes auxiliaires de soins infirmiers] — sont chargés de piloter la prestation de services de santé et de nutrition dans les villages d’Inde. Chacune des membres de l’ASHA et de l’AWW dessert en général 1 000 personnes, mais les ANM en desservent 5 000 dans plusieurs villages. Chacune de ces catégories de travailleuses a un rôle distinct :

  • les membres de l’ASHA sont le premier point de contact pour la communauté. Elles donnent des conseils en se rendant à domicile et mobilisent les villageois pour qu’ils participent à des manifestations telles que les journées de santé et de nutrition du village ;
  • les AWW assurent le fonctionnement des Anganwadi Centres (AWC) où elles dispensent des services de nutrition aux femmes enceintes, aux mères allaitantes et aux jeunes enfants, avec notamment des repas de mi-journée pour les enfants âgés de 3 à 6 ans, des rations à emporter pour les enfants âgés de 6 mois à 3 ans et pour les femmes enceintes et les mères allaitantes, et des conseils de nutrition sur l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant pour les femmes enceintes et les mères ;
  • enfin les ANM fournissent aux femmes enceintes des services de diagnostic de base, de traitement et d’aiguillage vers les centres de santé.

Alors que ces trois groupes devraient desservir les mêmes bénéficiaires et assumer un rôle complémentaire, on constate souvent un défaut de coordination entre leurs personnels. La cause principale en est qu’ils travaillent pour des ministères différents : les AWW relèvent du ministère du Développement des femmes et des enfants, les ANM du ministère de la Santé. Au Rajasthan, le ministère du Développement des femmes et des enfants verse aux membres de l’ASHA un subside fixe, tandis que le ministère de la Santé leur verse un subside de motivation dépendant des résultats (pour les aiguillages vers les services de santé procréative et infantile, etc.). La tenue des rapports et les méthodes étant différentes, il leur est difficile de parler une langue commune, indispensable pour toute coordination ; il y a donc souvent des différences dans la manière dont les bénéficiaires sont déterminés.

Le cas de Radha

Radha (le nom a été modifié) est une petite fille de 18 mois, souffrant de malnutrition aigüe sévère dans un village du nord de l’Inde. Lorsqu’elle est venue au Centre Anganwadi local, l’AWW a découvert qu’elle présentait une insuffisance pondérale. Il y a deux problèmes ici. D’une part, la travailleuse AWW ne peut pas valider le fait que Radha souffre de malnutrition aigüe sévère sans mesurer son périmètre brachial pour confirmer le cas, ce pour quoi seule une ASHA est équipée. Mais l’ASHA ne parviendrait à la maison de Radha qu’au bout de plusieurs jours, du fait qu’elle suit le plan linéaire de visites (maisons 1 à 10 le premier jour, 11 à 20 le deuxième et ainsi de suite). La travailleuse AWW, en outre, n’a pas les connaissances techniques voulues pour déterminer si Radha devrait être aiguillée vers un traitement de la malnutrition aigüe sévère. C’est l’ANM, formée aux soins infirmiers, qui est le mieux qualifiée pour le faire, mais du fait qu’il n’y a pas circulation d’informations claires entre les trois travailleuses, les enfants comme Radha risquent de passer entre les mailles du filet.

Triple A : une plateforme partagée.

Une solution pratique a consisté à réunir les trois travailleuses de premier recours en une plateforme commune, désignée par le terme « Triple A » ou « AAA » (combinant ASHA, AWW et ANM). En six mois de 2016-17, la plateforme AAA a été créée dans 2 700 villages des districts de Jhalawar et de Baran du Rajasthan. Cette entreprise ambitieuse a été pilotée par les travailleuses elles-mêmes, appuyées par l’équipe Akshada (13 membres), et rendue possible par une collaboration étroite avec le système gouvernemental. Une directive commune, promulguée par les départements intégrés de santé et de services à l’enfance de l’État, a appelé les travailleuses de la plateforme AAA à coordonner leurs activités de santé et nutrition maternelle et infantile en mettant en commun leurs dossiers, en coordonnant l’utilisation des cartes de village et les visites à domicile, en tenant périodiquement des réunions conjointes et en améliorant la planification et la surveillance.

La première étape a été de constituer une base de données commune et d’axer les interventions sur les cas à haut risque. Chacun des trois groupes avait auparavant sa propre méthode de tenue des dossiers : les AWW organisent la population par famille, les ASHA par ménage, et les ANM travaillent à partir de dossiers des couples mariés susceptibles de procréer (où la femme est en âge de procréer). Avec la plateforme AAA, les groupes ont collaboré pour établir une carte commune pour la couverture des ménages et des familles dans les villages. Sur ces cartes, elles ont assigné des numéros aux maisons et placé des « bindis 2 » dénotant les différentes catégories de bénéficiaires et permettant de les suivre, la priorité allant à ceux qui présentaient le risque le plus élevé — bindi rouge pour les grossesses à haut risque, jaune pour les enfants présentant une malnutrition aigüe modérée, et jaune avec un point rouge pour les cas de malnutrition aigüe sévère. Dans ce système, les données sont représentées visuellement. La plateforme AAA fait également appel aux membres des pouvoirs publics locaux, aux enseignants et autres personnes influentes pour faire valider ces cartes. Cela a permis à la communauté de mieux apprécier le travail des AAA et a rehaussé le statut de ces dernières dans les villages.  

Réunion des trois travailleuses communautaires en santé et nutrition au village de Khandi, à Rajasthan avec une carte du village 

Coordination des interventions

Avec les conseils des responsables du programme Akshada, les AAA ont pris conscience qu’elles pouvaient se servir des cartes pour planifier leur activité. Ils ont programmé les visites à l’aide d’algorithmes, sur la base des besoins de la population. Les visites à domicile aux nouveau-nés (soins de proximité), les enfants sortis des services de soins de néonatalogie et les centres de traitement de la malnutrition étaient les priorités. L’ASHA est ainsi présente quand et où on a le plus besoin d’elle.

Fait important, la plateforme AAA se réunit tous les mois, après la journée de santé et de nutrition du village, afin d’évaluer les travaux et les données des uns et des autres, de planifier les activités du mois suivant et de conclure par une séance d’apprentissage entre pairs. La nouvelle alliance a également permis d’organiser des visites conjointes dans des ménages en difficulté comme celui de Radha.

Depuis la mise en place de la plateforme AAA, le statut nutritionnel de Radha est vérifié à la fois par l’ASHA et l’AWW qui partagent les informations. Elles alertent l’ANM, qui donne des conseils médicaux au cours d’une visite conjointe que les familles prennent au sérieux. Sur la plateforme AAA, la maison de Radha est marquée d’un « bindi » jaune et rouge dans la carte du village. L’ASHA intègre cette visite dans son calendrier de visites et va voir la famille de Radha plus fréquemment.

Évaluation de l’impact

L’impact se mesure par la surveillance active et l’évaluation des indicateurs (par ex. : calendriers des visites aux familles montrant la priorité accordée aux bénéficiaires à haut risque, indicateurs de soins tels que les relevés d’examens et visites prénataux, indicateurs de progression, notamment les rencontres AAA animées par les responsables de programme) et le renforcement du système de santé (adoption par l’État). Des données de suivi limitées (de mars à avril 2018 pour les centres d’Anganwadi, couvrant 10 % de la population du district de Jhalawar) ont montré que l’identification des cas de malnutrition aigüe sévère par rapport aux estimations a augmenté de 1,1 % en mars à 2,6 % rien qu’en avril ; le pourcentage des enfants dont le tour de bras a été mesuré a augmenté de 52 % en mars à 62 % en avril et l’identification des cas de malnutrition aigüe modérée par rapport aux estimations a augmenté de 4,7 à 10,6 % durant la même période.

La plateforme AAA est utile à la communauté en ce sens que les bénéficiaires ne sont plus « invisibles » et qu’il est de la responsabilité de l’équipe de s’assurer que leurs ménages sont suivis. Les soins sont dispensés en temps opportun à ceux qui en ont le plus besoin. L’établissement de la carte du village et la curiosité relative au « bindi » sur les maisons ont permis de transformer les villageois en usagers autonomes des services de santé et de nutrition. Des outils tels que la carte du village peuvent avoir une utilité plus large dans la gouvernance locale.

Étapes suivantes et principaux enseignements

En décembre 2017, le gouvernement de l’État a adopté la plateforme AAA et envisagé son extension. Plus de 100 000 ASHA, ANM et AWW à travers l’État sont formées par vidéoconférence : le prochain défi est de trouver comment apporter un soutien optimal à cette vaste initiative. En outre, une technologie fort intéressante permettant le partage de données en temps réel entre les trois types de travailleuses est également en cours de déploiement dans certaines zones.

On peut d’ores et déjà tirer plusieurs enseignements du processus AAA, par exemple sur le fait que la valeur des données pour l’aide aux travailleurs de santé et de nutrition des villages réside dans leur partage. Par ailleurs, la cooptation de la communauté détermine, en fin de compte, le succès de l’intervention, et un partenariat avec les pouvoirs publics est indispensable pour que les opérations puissent être étendues et perpétuées. Le dénominateur commun est que les trois femmes cadres qui travaillent ensemble peuvent améliorer les paramètres de nutrition au niveau des villages.

 

1Données sur la santé et la nutrition obtenues grâce à la quatrième enquête nationale sur la santé familiale (2015-16) ; données sur la population obtenues grâce au recensement à l’échelle de l’Union de 2011.

2Points de couleur portés sur le front par les femmes de certaines communautés en Inde.

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