Rompre le cercle vicieux de la malnutrition : concevoir un programme pour l'adolescence au Népal
Min Raj Gyawali est le responsable principal des services de Santé du programme Suaahara II au Népal1.
Kabita Aryal est l'administratrice communautaire des infirmiers au gouvernement du Népal.
Gyanu Neupane est un spécialiste du programme Santé de Suaahara II.
Keshab Shrestha est le responsable Eau, Assainissement et Hygiène de Suaahara II.
Indra Dhoj Kshetri est le responsable Communication chargé des changements sociaux et comportementaux de Suaahara II
Femila Sapkota est la responsable Nutrition de Suaahara II.
Introduction
L'adolescence est une période de croissance physique rapide, la deuxième immédiatement après la petite enfance s'agissant de la rapidité de croissance. Environ 25 % de la taille adulte et 50 % du poids adulte sont atteints au cours de cette période et une alimentation inadaptée pendant l'adolescence peut compromettre la croissance, conduisant à des retards de croissance, une maigreur ou un surpoids2. Certains adolescents sont déjà parents et de jeunes adolescents peuvent être de futurs mères et pères. Ainsi, leur bien-être nutritionnel et de santé n'influence pas seulement leurs propres vies mais aussi la santé et l'état nutritionnel de leurs enfants, qui sont le capital humain futur du pays. Réduire la malnutrition des adolescents peut aider à briser l’engrenage intergénérationnel de la malnutrition et, à court terme, améliorer le bien-être physique, mental, social et émotionnel des adolescents.
Centres de services adaptés aux adolescents
Au Népal, les adolescents forment presque un quart de la population totale3. La malnutrition est un problème de santé publique majeur. Chez des filles adolescentes âgées de 15 à 19 ans, la prévalence de l'anémie est de 44 %, celle de la petite taille (taille inférieure à 145 cm) est de 10 % et celle de la maigreur (basée sur l'indice de masse corporel (IMC) des filles adolescentes) est de 30 %4. La diversité alimentaire est un important facteur déterminant du bien-être nutritionnel. Obtenir une diversité alimentaire adéquate minimale requiert qu'un individu consomme des nourritures d'au moins cinq des 10 groupes alimentaires. La diversité alimentaire est faible au Népal. La récente Enquête démographique et de santé (EDS) montre que les filles adolescentes plus âgées et mariées (âgées de 15 à 19 ans) consomment des nourritures provenant en moyenne de quatre des 10 groupes recommandés4.
Afin de répondre aux besoins de santé des adolescents, plus de 1000 établissements de santé à travers le pays ont été désignés comme Service adapté aux adolescents (AFS, adolescent-friendly service) par le ministère de la Santé et de la Population (MoHP, Ministry of Health and Population). Les services adaptés aux besoins des adolescents comprennent des structures sanitaires ouvertes à des heures pratiques et offrant discrétion et confidentialité dans le cadre de l'assistance fournie par des professionnels de santé spécialement formés pour cette tranche d'âge. Cependant, ces services sont en nombre restreint et rencontrent de nombreuses barrières, telles que la faible connaissance des centres AFS par les adolescents, la timidité et des attitudes et normes socio-culturelles négatives à l'égard de la santé sexuelle et reproductive des adolescents5.
Un ensemble d'interventions en milieu scolaire
Suaahara II, un programme de nutrition multi-sectoriel mis en œuvre dans 42 des 77 districts du Népal, vise principalement les ménages au cours de la période de 1000 jours qui va du début de la grossesse au deuxième anniversaire d'un enfant. En 2018 Suaahara II a initié un ensemble intégré d'interventions pour l'adolescence en milieu scolaire en coordination avec les acteurs gouvernementaux au sein de 84 écoles secondaires dans des zones défavorisées dans quatre districts d'interventions duprogramme. Peu d'éléments montrent l'efficacité des programmes et interventions visant spécifiquement les filles adolescentes, en particulier dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, mais il existe des Lignes directrices de OMS sur la mise en œuvre d'actions efficaces visant à améliorer la nutrition des adolescents6 ; celles-ci ont été utilisées pour concevoir le programme Suaahara II . L'intervention se concentre sur les plus jeunes adolescents (âgés de 10 à 15 ans) et vise ainsi les élèves des classes 6 à 8, en partie parce que leurs croyances sont moins enracinées, parce qu'ils sont plus nombreux à pouvoir être rencontrés à l'école et parce que le projet s'accorde avec le programme gouvernemental de soins en milieu scolaire et la nouvelle stratégie promue pour la santé et le développement des adolescents.
Améliorer l'engagement des adolescents
Pour améliorer les connaissances et pratiques des adolescents liées à la santé, à la nutrition et à l'eau, l'assainissement et l'hygiène (EAH) et, par la suite, diminuer la malnutrition et la mauvaise santé, les sujets suivants ont été choisis pour être inclus dans un programme de discussions de groupes menées entre pairs : les pratiques alimentaires, l'utilisation régulière de comprimés vermifuges, de fer et d'acide folique, la consultation des institutions de santé sur tout sujet ou problème de santé et de nutrition, le traitement de l'eau potable, le lavage des mains avec de l'eau et du savon aux moments cruciaux, le maintien de l'hygiène menstruelle, le fait de repousser l'âge du mariage et de continuer d'aller à l'école. L'approche globale consiste à s'engager en profondeur avec les adolescents pour leur faire mieux prendre conscience de l'importance pour leurs vies de pratiques essentielles de santé et de nutrition et pour les équiper des connaissances, des compétences et du pouvoir de prendre la responsabilité et le leadership sur ces problèmes dans leurs communautés.
Définition de l'intervention
La conception du projet a commencé par des discussions internes comprenant la consultation d'experts locaux et mondiaux afin de trouver un consensus sur les buts et les sujets prioritaires. Ã cette fin, il a été essentiel de créer des outils efficaces pour le programme tels qu'un agenda pour les étudiants et les enseignants pour les guider dans leurs accomplissements essentiels, qui sert également d'aide-mémoire. Les outils ont été révisés à la suite de d'essais et d'évaluations dans les écoles et partagés avec les autorités gouvernementales et d'autres experts locaux et internationaux. L'étape suivante a consisté à sélectionner trois enseignants par école et les coordinateurs des administrations locales de la santé et de l'éducation ainsi que les agents techniques et les responsables sur le terrain de Suaahara afin d'utiliser l'ensemble du programme pour faciliter les discussions entre pairs. La collecte de données et la surveillance du programme font partie des activités en cours.
Apprentissage entre pairs
Une fois les formations terminées, les élèves formés, appelés élèves-ressources, partageront leurs nouvelles connaissances avec leurs pairs au ratio de 1 élève-ressource pour 5 pairs, à tout moment, formellement et informellement, lorsqu'ils se rendront au coin sathi (ami). Ces coins sont en cours de mise en place dans les écoles secondaires sélectionnées. Du matériel de nutrition de santé et d'EAH pour les adolescents y sera disponible. Ils seront aussi utilisés pour des réunions régulières, des partages d'expérience et d'autres interactions entre les élèves/pairs. Suaahara IIa aussi créé des événements basés sur ce programme pour les pairs destinés à être intégrés à une émission de radio déjà existante pour les adolescents intitulée « Discussions avec mon meilleur ami ». Les élèves pourront donc écouter cette émission et discuter de ses contenus entre eux dans les coins sathi . Un système de tableaux de résultats en matière de santé et de nutrition à l'école est en cours de création. Il est utilisé pour évaluer les progrès et les lacunes sur une base semestrielle. La notation, pour évaluer les performances des élèves et des élèves-ressources ainsi que les connaissances et pratiques de tous les participants, sera faite en présence des enseignants, des élèves, des comités de gestion des écoles et des représentants des parents.
Suaahara IIinclut également un agenda d'étude se concentrant sur la santé et le bien-être nutritionnel des filles adolescentes âgées de 10 à 19 ans et suivra une cohorte de 1000 pendant au moins quatre ans afin d'acquérir une meilleure compréhension de cette population sous-étudiée et d'aider à combler les lacunes locales et mondiales des connaissances, en particulier à l'égard des aspirations des adolescentes et de leurs connaissances et pratiques en matière de nutrition, de santé et d'EAH.
Lorsque la phase initiale aura été achevée avec succès, le programme prévoit de s'agrandir en 2020 à 102 nouvelles écoles, s'étendant à tous ces niveaux scolaires dans les écoles restantes dans les quatre districts choisis, en collaboration avec le ministère de la Santé, le ministère de l'Ãducation et l'administration locale. L'agrandissement de l'échelle de l'intervention est destiné à s'aligner et à soutenir les districts du programme gouvernemental pour les apports complémentaires en fer et en acide folique pour les adolescents.
1Suaahara II (« bonne nutrition ») est un programme multi-sectoriel financé par USAID qui a investi 63 millions de dollars pour une période de cinq ans (2016-2021) dans le but de soutenir le déploiement de stratégies spécifiquement ou indirectement liées à la nutrition dans 42 des 77 districts (3 353 sur 6 741 circonscriptions).
2OMS. Adolescent nutrition: a review of the situation in selected South-East Asian countries. Bureau régional de l'Asie du Sud-Est : OMS, 2006.
3CBS. National population and housing census 2011. Katmandou, Népal : Bureau central des statistiques, 2012
4Ministère de la santé, New ERA, Inc. II. Nepal Demographic and Health Survey 2016. Katmandou, Népal : Ministère de la santé, New ERA and ICF International, Calverton, Maryland, 2016.
5UNFPA. Assessing Supply Side Constraints Affecting the Quality of Adolescent Friendly Services (AFS) and the Barriers for Service Utilization. Katmandou, Népal : UNFPA, UNICEF, Division de la santé familiale, 2015.
6www.who.int/nutrition/publications/guidelines/effective-actions-improving-adolescent/en/