Mettre les communautés au cœur de l’amélioration de la nutrition: Expériences du Bénin

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Professeur Roch Mongbo est le directeur général du Conseil de l’alimentation et de la nutrition de la République du Bénin (CAN-Bénin) et le point focal national du Mouvement SUN.

Minakpon Stanislas Hounkanlin est directeur du plaidoyer pour l’Association nationale des municipalités du Bénin, où il coordonne l’appui technique à la promotion de la nutrition, notamment en travaillant avec le Conseil de l’alimentation et de la nutrition.

Ophélie Hémonin est conseillère politique au Secrétariat du Mouvement SUN, où elle soutient un portefeuille de 10 pays africains francophones dans leurs efforts de mise à l’échelle pour atteindre leurs objectifs en matière de nutrition.

Cet article s’appuie sur les résultats d’interviews avec les parties prenantes menés au Bénin dans le cadre d’un examen approfondi du pays (« Deep Dive ») visant à soutenir l’examen à mi-parcours du Mouvement SUN. Le rapport final sera bientôt disponible sur le site web du Mouvement SUN.

Introduction

Lorsque le Bénin a rejoint le Mouvement « Scaling up Nutrition » (SUN) en 2011, il était grand temps pour le pays de prendre un engagement politique fort pour lutter contre la malnutrition. Malgré des taux de croissance économique encourageants et un climat politique stable, plus de la moitié de la population vit avec moins de 1,25 USD par jour ; on estime que 44,6 % des enfants de moins de cinq ans (EM5) souffrent d’un retard de croissance et 12 % d’émaciation1. En 2018, la prévalence nationale du retard de croissance des EM5 est tombée à 32,2 % (ce qui reste supérieur à la moyenne de 25 % des pays en développement), la prévalence de l’émaciation des EM5 est tombée à 5 % (ce qui est inférieur à la moyenne de 8,9 % des pays en développement) et le taux d’allaitement maternel exclusif est passé de 32 % à 41,6 %1. Cependant, le Bénin n’est pas en voie d’atteindre les objectifs mondiaux de l’Assemblée mondiale de la santé pour 2025 pour tous les indicateurs analysés avec des données adéquates, bien que ses résultats soient relativement bons par rapport à d’autres pays en développement1.

Développement de la nutrition à base communautaire

Avant même de rejoindre le Mouvement SUN, le Bénin avait mis en place des stratégies et des dispositifs institutionnels pour réduire la malnutrition. Un organisme multisectoriel et multipartite, le Conseil de l’Alimentation et de la Nutrition (CAN), a été créé en 2009 au sein du Bureau du Président. Le secrétaire permanent du CAN (SP-CAN) fait office de point focal SUN. La même année, le Plan stratégique de développement de l’alimentation et de la nutrition (PSDAN) a été lancé pour une période dix ans ; il considère les communautés comme une pierre angulaire de sa mise en œuvre. Le Programme de nutrition communautaire (PNC), un projet novateur qui pilote la section des interventions spécifiques à la nutrition du PSDAN dans 10 communes pilotes, en a été un élément clé.

En 2014, les enseignements tirés du PNC ont été transposés à plus grande échelle avec le vaste programme multisectoriel de santé, d’alimentation et de nutrition (PMSAN).  Financé par un prêt de 28 millions de dollars de la Banque mondiale, le PMSAN est axé sur la prévention et le traitement de la malnutrition dans 40 des 77 communes du Bénin2, dont les 10 communes du PNC.

Cadres communaux de concertation

Dans chaque commune, le cadre institutionnel pour la mise en œuvre du programme est fourni par le Cadre communal de concertation (CCC), créé par décret municipal et présidé par le maire de la commune. Les réunions du CCC constituent une plate-forme où l’équipe municipale, les représentants locaux des ministères des Affaires sociales, de l’Agriculture, de la Santé et de l’Éducation, et les groupes de citoyens tels que les associations de femmes et les organisations non gouvernementales (ONG), se réunissent tous les trimestres et partagent des informations sur leurs plans de travail et leurs interventions respectives, les goulets d’étranglement et les progrès réalisés. Ensemble, ils coordonnent et planifient les interventions à mener par une ONG de mise en œuvre (sélectionnée par appel d’offres), qui dirige le suivi des indicateurs sectoriels liés à la nutrition et fait rapport au SP-CAN. En novembre 2016, les 40 communes du PMSAN avaient toutes mis en place leur cadre communal.

Impliquer les secteurs sensibles à la nutrition et promouvoir une approche basée sur les droits

La protection sociale est l’un des secteurs les plus décentralisés au Bénin. Les centres de promotion sociale (CPS), au nombre d’au moins un par commune, ont été créés à l’origine pour superviser la mise en œuvre des politiques et des stratégies du ministère des Affaires sociales et soutenir le développement communautaire au niveau de base, y compris les activités de promotion de la nutrition. Aujourd’hui, entre autres, grâce à la promotion des droits de l’enfant et du code de la famille, les centres organisent des sessions de mobilisation sociale sur différents sujets en mettant l’accent sur les femmes, les enfants et les groupes vulnérables. Par exemple, dans la commune d’Adja-Ouèrè, située à la frontière du Nigeria au sud-est du Bénin, le personnel du centre de protection sociale, en collaboration avec l’ONG, organise des séances hebdomadaires de dépistage des enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère (MAS) et les oriente vers les centres de traitement municipaux et hospitaliers.

Accélérer l’impact grâce à une coordination décentralisée de la nutrition

Dans le cadre du PMSAN, des comités de surveillance alimentaire et nutritionnelle (CSAN) et des groupes d’assistance nutritionnelle (GAN) ont été mis en place, composés de bénévoles choisis par les communautés pour chaque village et pour 10 ménages respectivement, afin d’assurer le suivi des enfants souffrant de malnutrition aiguë (à la fois sévère et modérée), ainsi que de fournir un soutien par le biais d’une éducation sociale et d’une éducation au changement de comportement aux fins de prévention. En quelques années, les participants des communautés d’Adja-Ouèrè sont passés d’une réunion pour partager des mises à jour sur les interventions à un travail commun de planification, de mise en œuvre, de suivi et d’établissement  de rapports.

Faire de la nutrition l’affaire de tous

La coordination locale en matière de nutrition semble être plus solide dans les communes où le maire veille à ce que la nutrition soit « l’affaire de tous ». À Adja-Ouèrè, le maire a donné l’exemple en s’adressant aux chefs d’arrondissement et aux chefs de village et de quartier urbain pour discuter de la nutrition, les impliquer dans les efforts déployés et en faire des champions de la nutrition. Grâce à ce leadership, l’appropriation du groupe de citoyens par les participants s’est accrue au fil du temps. Bien que la responsabilité de la mise en place du PMASN repose en théorie uniquement sur l’ONG chargée de la mise en œuvre, les membres ont commencé à rendre compte des interventions et à organiser des délégations conjointes pour visiter les familles vulnérables. Les progrès accomplis par Adja-Ouèrè, reconnus par un prix en 2014, ont créé un « effet domino » positif entre les communes du département du Plateau qui a conduit à une meilleure coordination, une meilleure couverture des activités de dépistage de la malnutrition, et un plus grand nombre d’enfants référés et traités pour la MAS (selon les parties prenantes interrogées pour l’étude de cas « Deep Dive »).

Mobiliser les maires

Au Bénin, les maires sont sollicités par deux canaux: l’Association nationale des communes du Bénin, membre à part entière de la plateforme multiacteurs pour la nutrition de la CAN, et le SP-CAN. Ce dernier a organisé une campagne de sensibilisation impliquant les gouverneurs de département (préfets) et a recruté six coordinateurs régionaux pour les aider à piloter et à coordonner les niveaux communal et départemental, et à rendre compte des progrès au niveau central. Cette stratégie s’est avérée gagnante, les gouverneurs s’assurant que tous les plans de développement local comprennent une ligne budgétaire pour la nutrition et que les représentants locaux des ministères incluent la nutrition dans leurs plans de travail. Un ancien maire et gouverneur du département du Couffo a même été nommé champion de la nutrition du Bénin pour sa promotion exceptionnelle de la nutrition, et le gouverneur du département du Plateau a présenté les progrès déployés pour passer « de la vision nationale à la mise en œuvre locale » lors du rassemblement mondial SUN de 2019 au Népal.

À partir de décembre 2018, chacune des 77 communes a élaboré un cadre de résultats commun énumérant les objectifs, les interventions chiffrées, les rôles et les responsabilités, ainsi que les calendriers. Aucun plan de développement local ne peut être validé dans une commune s’il ne comprend pas une ligne budgétaire dédiée à la nutrition, étape cruciale dans la hiérarchisation des priorités de la communauté en matière de nutrition. Cela a permis aux communes de s’autofinancer ; à ce jour, 25 communes de neuf départements ont conclu des accords de partenariat direct avec l’agence allemande de développement GIZ. La CAN a finalisé sa politique nationale de nutrition (2020-2030) et met actuellement la dernière main au plan stratégique multisectoriel de nutrition (le cadre commun de résultats au niveau national), qui est basé sur tous les plans municipaux – une véritable approche ascendante !

Les défis de la budgétisation de la nutrition

Le financement conjoint des plans d’action reste toutefois un défi, tout comme le maintien de la continuité et de l’élan politique en dépit des cycles politiques. À l’exception notable du secteur de l’éducation (la couverture alimentaire scolaire est passée de 31 % à 51 % en 2019) et du secteur des affaires sociales, les ministères de l’administration élue en 2016 semblent moins nombreux à donner la priorité aux interventions en matière de nutrition et à les budgétiser dans leurs programmes actuels. Cependant, un budget de fonctionnement minimum reste crucial dans un contexte où une grande partie de la mise en œuvre repose sur la motivation des travailleurs communautaires, qui travaillent souvent sur une base volontaire et au sein d’une infrastructure faible. Une approche en trois volets, consistant à plaider pour que les organismes gouvernementaux soutenant les processus de décentralisation incluent une ligne de nutrition; à collecter des fonds auprès de partenaires extérieurs pour soutenir directement les plans de développement locaux impliquant des actions de nutrition; et à faire participer plus activement le secteur privé au niveau local, pourrait être la voie à suivre.

Les conclusions de l’examen approfondi du pays ont montré que le renforcement de la volonté et du leadership politiques – par exemple, par une plus grande responsabilisation de la CAN par le biais de son président et une allocation substantielle des ressources publiques – peut être essentiel pour fournir aux plateformes locales les moyens nécessaires à la mise en œuvre et leur permettre de surmonter les obstacles politiques locaux. Il est également important de galvaniser l’engagement des maires pour lever les obstacles au progrès, tels que la méfiance traditionnelle à l’égard des centres de soin et des hôpitaux « modernes » et les tabous alimentaires, et pour encourager les partenariats locaux avec le secteur privé afin de mettre en place des systèmes alimentaires plus sensibles à la nutrition. Compte tenu de leur rôle important, une meilleure coordination, inclusion et représentation des organisations locales de la société civile participant à la mise en œuvre des plans d’action communaux en matière de nutrition dans la CAN peut également offrir des possibilités de convergence et d’impact plus important.


1 https://globalnutritionreport.org/resources/nutrition-profiles/africa/western-africa/benin/#profile

 Les départements du Bénin sont subdivisés en 77 communes, qui sont elles-mêmes divisées en arrondissements, eux-mêmes divisés en villages ou en quartiers de ville. Le nombre de villages par commune est variable.

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