Mobiliser des financements innovants et des ressources nationales pour la nutrition : Progrès et défis au Burkina Faso
Ella Compaoré est le point focal technique du secrétariat technique du ministère de la Santé du Burkina Faso1, chargé d’améliorer l’alimentation et la nutrition des mères et des enfants, et le point focal national SUN.
Jean Kaboré est chercheur au Centre National de la Recherche scientifique et technologique, qui est rattaché au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Burkina Faso.
Moussa Ouédraogo est nutritionniste au Secrétariat technique du ministère de la Santé, chargé d’améliorer l’alimentation et la nutrition des mères et des enfants.
Nicolas Meda est un spécialiste de la santé publique et conseiller spécial du président du Burkina Faso sur les questions de développement du capital humain.
Leonie Claudine Sorgho est l’actuelle ministre de la Santé, spécialiste en radiologie et en imagerie médicale.
Introduction
Ce n’est pas un secret : les pays du Mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) auront besoin de ressources financières supplémentaires, y compris nationales, afin d’atteindre les objectifs mondiaux de 2025 en matière de nutrition. La préparation du Sommet sur la Nutrition pour la croissance de 2020, qui se tiendra en décembre 2020 à Tokyo, est l’occasion de rester sur la bonne voie grâce à de nouveaux modèles de partenariat et à des financements innovants. Le Burkina Faso, un pays enclavé au centre de l’Afrique de l’Ouest avec une population d’environ 19 millions d’habitants, est l’un des pays qui a bénéficié de plusieurs infrastructures et mécanismes de financement pour lutter contre la malnutrition.
La prévalence nationale du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans (EM5) est de 21 % ; elle a diminué de près de moitié au cours de la décennie précédente (contre 43 % de prévalence en 2005) et la prévalence de l’émaciation chez les EM5 est de 8,5 %2. Le pays est en bonne voie d’atteindre les objectifs mondiaux en matière de retard de croissance des enfants de moins de cinq ans et d’allaitement exclusif, mais il est loin d’atteindre les autres objectifs (bien que certains progrès aient été réalisés)2. Entre 2012 et 2018, la prévalence de l’allaitement maternel précoce est passée de 29 % à 59 %, celle de l’allaitement maternel exclusif de 38 % à 55 % et celle de la diversité alimentaire de 5 % à 25 % au cours de la même période3.
Créer un environnement favorable
Le Burkina Faso a renforcé son engagement à réduire davantage la malnutrition au niveau politique en incluant le droit à l’alimentation dans sa nouvelle constitution et en donnant la priorité à la nutrition dans le plan national de développement économique et social du pays. En outre, le président actuel, Roch Marc Christian Kaboré, a été reconnu comme un champion de la nutrition pour la mise en place de l’Initiative des leaders africains pour la nutrition, avec quatre engagements clairs dans sa feuille de route : i) approuver la politique nationale relative à la nutrition et le plan stratégique multisectoriel de nutrition (2020-2024), dont le coût a été estimé à environ 463 millions USD ; ii) renforcer l’ancrage institutionnel de la nutrition à la présidence du Burkina Faso ; iii) nommer un point politique de nutrition à son bureau afin de tenir le président régulièrement informé des questions et des progrès en matière de nutrition ; et iv) accroître le financement de la nutrition au niveau national.
Encadré 1: Options de financement de la nutrition Les pays membres de SUN auront besoin de ressources supplémentaires ainsi que d’une mobilisation des ressources nationales afin d’atteindre les objectifs de nutrition globale pour 2025. La préparation du Sommet sur la Nutrition pour la croissance, en décembre 2020 à Tokyo, est l’occasion de rester sur la bonne voie grâce à des modèles de partenariat et à des financements innovants. Le cadre d’investissement mondial pour la nutrition de la Banque mondiale (2017) estime qu’il faut 7 milliards de dollars supplémentaires par an (10 dollars par enfant et par an) pour atteindre les quatre objectifs de l’Assemblée mondiale de la santé en matière de nutrition mondiale (70 milliards de dollars sur 10 ans)4. Ce chiffre de la Banque mondiale ne concerne que les interventions spécifiques à la nutrition. Les mécanismes de financement tels que le Mécanisme de Financement Mondial (GFF – Global Financing Facility), le Programme mondial pour l’agriculture et la sécurité alimentaire (GAFSP - Global Agriculture and Food Security Programme) et The Power of Nutrition (PoN) catalysent les ressources nationales par le biais d’un financement de contrepartie et peuvent agir comme « défragmenteurs », en rassemblant les ressources pour investir dans les plans gouvernementaux et pour permettre de travailler sur une plate-forme unique. Pour en savoir plus: https://scalingupnutrition.org/share-learn/financing-mechanisms-for-nutrition/ |
Mobilisation des ressources intérieures
C’est le président qui a décidé, suite au plaidoyer de la société civile, de doubler les dépenses gouvernementales en matière de nutrition, de 0,5 % à 1 % du PIB entre 2016 et 2018. En 2018, un suivi du budget national pour les interventions spécifiques et sensibles à la nutrition a montré que le soutien financier à la nutrition a grimpé à environ 101 millions de dollars, dont la majorité est allouée au ministère de la Santé (il est également prévu de commencer à retracer le financement des bailleurs de fonds avec le soutien de la société civile). Les principaux programmes actuellement mis en œuvre au moyen des ressources accrues comprennent la nutrition maternelle et infantile, l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, les programmes de vaccination et le renforcement de la collecte de données sur la nutrition. Bien qu’un programme d’alimentation scolaire soit déjà en place au Burkina Faso, une initiative présidentielle a pour but d’assurer une meilleure couverture avec une approche multisectorielle (incluant différents ministères, tels que l’Agriculture, la Santé et l’Éducation).
Lorsque les gouvernements contribuent financièrement à la mise en œuvre des plans nationaux de nutrition au moyen des ressources nationales, les bailleurs de fonds et autres partenaires de développement sont plus susceptibles de prendre des engagements financiers, comme cela a été le cas au Burkina Faso. Le pays a mis en place plusieurs mécanismes et outils de financement innovants. Il s’agit notamment de 20 millions de dollars au titre du Mécanisme de financement mondial et du financement du PoN (programme opérationnel national) de 10 millions de dollars. D’autres financements proviennent de bailleurs de fonds plus traditionnels, tels que la Banque mondiale, l’Union européenne et la Fondation Bill et Melinda Gates (BMGF), ainsi que du soutien technique et financier des agences des Nations unies et des organisations non gouvernementales (ONG). Hormis le soutien de la BMGF qui s’adresse principalement aux ONG, l’ensemble du soutien financier est fourni au gouvernement par l’intermédiaire du ministère de la Santé.
Les défis du financement intérieur
À ce jour, le Burkina Faso n’a pris aucun engagement financier dans le cadre de N4G. Malgré les progrès réalisés, obtenir un financement national reste difficile, notamment la création de lignes budgétaires au niveau national et sectoriel pour soutenir les activités de nutrition. En 2017, le gouvernement a accepté de créer une ligne budgétaire consacrée à l’achat d’aliments thérapeutiques prêts à l’emploi (ATPE) pour un montant maximum de 1,8 million de dollars. Toutefois, cette ligne, qui devrait connaître une augmentation de 909 000 USD par an, n’a pas encore été réalisée en raison de problèmes de sécurité et d’autres facteurs.
Enseignements tirés et prochaines étapes
L’engagement des parlementaires a permis de plaider en faveur d’une augmentation des allocations budgétaires de l’État pour la nutrition au Burkina Faso, et d’une exonération des droits et taxes pour les fortifiants importés utilisés dans la production locale des ATPE et d’autres produits destinés à traiter la malnutrition aiguë. Il faut toutefois poursuivre le plaidoyer auprès de la société civile, des champions de la nutrition et du secteur privé pour pouvoir mettre en place des stratégies innovantes de financement de la nutrition dans le pays, notamment en développant une réponse rapide aux besoins humanitaires causés par l’insécurité, qui a augmenté les demandes financières.
En mars 2020, le Secrétariat technique (STAN) organise un atelier national de plaidoyer avec une série de parties prenantes, y compris des parlementaires, pour rendre ces engagements opérationnels, en particulier le financement d’interventions spécifiques au sein du plan stratégique multisectoriel pour la nutrition (2020-2024). Afin d’atteindre les objectifs du programme de nutrition, le pays, par l’intermédiaire du président, devrait s’engager à allouer des ressources à la nutrition en prévoyant des lignes budgétaires pour l’achat d’intrants nutritionnels et à augmenter les ressources destinées aux interventions spécifiques et sensibles à la nutrition.
1 Le Secrétariat technique chargé de l’amélioration de l’alimentation et de la nutrition des mères et des enfants (STAN) a été créé par décret en 2017 au sein du ministère de la Santé afin de coordonner la mise en œuvre de la politique nutritionnelle multisectorielle par l’intermédiaire du Conseil national de concertation en nutrition.
3 Rapport de l’enquête nutritionnelle selon la méthodologie SMART (2018). Ministère de la Santé.