Répondre aux besoins sanitaires et nutritionnels des adolescents et des jeunes en Éthiopie
Meseret Zelalem est pédiatre et directrice de la direction de la santé maternelle et infantile du ministère de la Santé. Elle compte également à son actif dix ans d’expérience dans la supervision et l’encadrement des résidents et des services communautaires engagés dans la santé des élèves d’âge scolaire et les programmes de sensibilisation.
Sisay Sinamo est médecin et travaille au sein de l’unité fédérale de mise en œuvre des programmes de la Déclaration de Seqota (DS) au ministère de la Santé, où il dirige la phase d’innovation de la DS. Il a plus de 18 ans d’expérience dans le domaine de la santé publique internationale et de la nutrition.
Yetayesh Maru est un spécialiste de la nutrition en santé publique actuellement au service de l’UNICEF en Éthiopie. Il compte plus de 16 ans d’expérience dans les programmes, la recherche et l’évaluation dans les domaines du développement et de la nutrition d’urgence.
Introduction
L’Éthiopie compte un grand nombre d’adolescents (15-19 ans) et de jeunes (20-24 ans), qui représentent ensemble près de 22 % de la population1. Cette population jeune constitue une puissante ressource intellectuelle et économique pour le pays et ses besoins ont des implications sur l’agenda social, économique et politique de l’Éthiopie, car elle impose des exigences en matière de services de santé, d’éducation, d’eau et d’assainissement, de logement et d’emploi.
Le gouvernement éthiopien a mis en place une série de programmes et de stratégies visant à améliorer la santé et la nutrition des adolescents et des jeunes. Il s’agit notamment du programme national de nutrition (2016-2020), de la stratégie de santé et de nutrition à l’école (2014), du programme de santé et de nutrition à l’école (2017), de la Déclaration de Seqota (2015-2030) et de la stratégie nationale de santé des adolescents et des jeunes (2016-2020)2.
Questions relatives à la santé et à la nutrition des adolescents
La période de l’adolescence et de la jeunesse est caractérisée par une croissance physique intense et des besoins nutritionnels élevés ; au cours de cette période, les adolescents prennent jusqu’à 50 % de leur poids et de leur masse squelettique à l’âge adulte et jusqu’à 20 % de leur taille adulte, tandis que les adolescentes doivent remplacer la perte de fer entraînée par les menstruations3. L’adolescence est également considérée comme une « deuxième fenêtre d’opportunité » pour rompre le cycle intergénérationnel de la malnutrition, par exemple en améliorant la nutrition des adolescentes et en retardant les grossesses.
Un examen de la situation actuelle des adolescentes et des jeunes femmes en Éthiopie réalisé en 2019 peint un tableau très inquiétant. Il révèle que 13 % de la population des jeunes femmes âgées de 15 à 19 ans a commencé à avoir des enfants, 3 % d’entre elles ont donné naissance à l’âge de 15 ans et 21 % à l’âge de 18 ans4. Le pourcentage d’adolescentes décédées des suites d’une grossesse pendant la grossesse, l’accouchement et les deux mois suivants était de 17 % en 20162, et la majorité des jeunes femmes qui se sont mariées dans l’enfance ont donné naissance avant d’avoir terminé leur adolescence. Ces jeunes femmes avaient moins de chances de recevoir des soins qualifiés pendant la grossesse et l’accouchement, et on estime que cela contribue à un cinquième des décès d’adolescentes et à une augmentation de 50 % de la mortalité néonatale. Les adolescentes sont également plus susceptibles de donner naissance à des bébés prématurés et au poids insuffisant, qui sont plus vulnérables à la mort néonatale, à la malnutrition et aux infections.
En outre, 29 % des adolescents souffrent de sous-alimentation chronique, 3 % sont en surcharge pondérale ou obèses et environ 20 % des filles sont anémiques5, tandis que 28 % des filles consomment moins de trois repas par jour6. Aujourd’hui, au moins 51 % des jeunes de 14-19 ans souffrent des effets d’un retard de croissance pendant l’enfance. En outre, les anomalies du tube neural chez les nouveau-nés deviennent de plus en plus problématiques en raison de facteurs nutritionnels, maternels et environnementaux.
Les garçons adolescents sont également sous-alimentés : on estime que 59 % d’entre eux ont un faible indice de masse corporelle (IMC < 18,5) et 18 % sont anémiques5. L’Éthiopie porte l’un des fardeaux les plus lourds au monde de maladies tropicales négligées, avec plus de 10 millions d’enfants exposés à la schistosomiase et 18 millions d’enfants exposés aux helminthes (vers parasites) transmis par le sol. Les vers intestinaux sont endémiques dans 741 des 833 districts du pays. Ces helminthes ont un effet nocif sur la santé des jeunes et des adolescents, provoquant la malnutrition, l’anémie et des troubles du développement mental et physique.
En Éthiopie, les raisons pour lesquelles les adolescents quittent l’école diffèrent selon le sexe et le lieu de résidence (rural/urbain). La principale raison invoquée par les filles est le mariage précoce (29 % pour les zones urbaines et 40 % pour les zones rurales)7. Garantir une bonne santé et une bonne nutrition aux enfants d’âge scolaire peut favoriser leur assiduité et leurs résultats scolaires.
Facteurs affectant la santé et la nutrition des adolescents
Les principaux facteurs ayant une incidence négative sur l’état nutritionnel des adolescents et des adolescentes sont liés à l’environnement extérieur, comme le manque d’accès aux services de santé et de nutrition de base pour les adolescents, le manque d’accès à la nourriture en général, et l’augmentation progressive de l’accès et du recours aux points de restauration rapide (tels que les cantines scolaires, les magasins d’alimentation et les marchands). Des facteurs individuels, tels que les circonstances psychologiques et biologiques, déterminent certains comportements ; des facteurs familiaux tels que les préférences alimentaires des parents et l’environnement social (notamment la pression des pairs et les perceptions de la communauté) jouent également un rôle important.
Stratégie éthiopienne en matière de santé et de nutrition des adolescents et des jeunes
Le Plan stratégique national pour la santé des adolescents et des jeunes (2016-2020) définit les besoins et les enjeux prioritaires en matière de santé et de nutrition auxquels sont confrontés les adolescents et les jeunes en Éthiopie. La stratégie aborde l’activité physique ainsi que la santé reproductive, le VIH, la consommation de substances nocives, la santé mentale, les maladies chroniques liées à la nutrition, les blessures, la violence sexiste et les pratiques traditionnelles néfastes. Les activités sont axées sur l’amélioration de la diversité alimentaire et sur l’offre de conseils et de tests de dépistage en matière de nutrition (par l’intermédiaire des clubs de santé et de nutrition scolaires et des établissements de santé adaptés aux jeunes), la prévention et le traitement de l’anémie (supplémentation hebdomadaire en fer et en acide folique), la gestion de l’hygiène menstruelle, le déparasitage et l’augmentation de l’activité physique (terrains de jeux scolaires adaptés aux jeunes avec des installations de tennis, de volley-ball et de football).
Plates-formes de prestation
Environ 90 % des adolescents éthiopiens sont scolarisés et ces établissements sont les principales plates-formes permettant de fournir des services de santé et de nutrition adaptés aux adolescents (voir figure 1). Des efforts sont également en cours pour rendre les établissements de santé « conviviaux pour les jeunes » afin d’y mener des interventions en dehors de l’école, et plus de 2 000 centres de jeunesse sont construits par le gouvernement. Dans certaines régions, des travailleurs spécialement formés à l’éducation sanitaire fournissent des services dans les écoles et les centres de jeunesse.
• Les plates-formes pour adolescents non scolarisés comprennent les centres de jeunesse et les établissements de santé. Les centres de jeunesse sont utilisés pour le développement des compétences, tandis que les établissements de santé fournissent des services de nutrition adaptés aux jeunes (voir figure 1).
• Les plates-formes pour adolescents en milieu scolaire soutiennent la fourniture de services de nutrition adaptés aux jeunes (voir figure 1).
Défis et leçons apprises
La mise en œuvre du Plan stratégique national pour la santé des adolescents et des jeunes ne s’est pas déroulée sans difficulté. Mentionnons notamment : l’absence d’un mécanisme de coordination spécifique entre les secteurs et les partenaires de mise en œuvre ; le taux de rotation élevé du personnel formé ; la faible participation des parties prenantes ; l’allocation inadéquate des ressources financières, humaines et logistiques ; le manque de données ventilées par âge et par sexe ; les barrières socioculturelles liées à la santé et à la nutrition des adolescents et des jeunes ; le manque d’intégration au sein du programme d’enseignement ; et la participation insuffisante des jeunes. À cet égard, le gouvernement a également élaboré des stratégies d’atténuation pour réduire l’impact de ces difficultés, telles que la mise sur pied d’un groupe de travail technique et la création de structures dans les ministères sectoriels d’exécution pour superviser le Plan stratégique ; la sensibilisation du public ; le mentorat pour amener les jeunes à poursuivre leur scolarité et la formation aux moyens de subsistance pour les jeunes non scolarisés ; et la mobilisation des jeunes pour qu’ils jouent un rôle actif dans la gestion de leurs problèmes de santé et de nutrition.
1 https://www.worldometers.info/world-population/ethiopia-population/
3 Organisation mondiale de la santé, 2005. Nutrition in adolescence issues and challenges for the health (La nutrition à l’adolescence : questions et défis pour la santé).
4 Ethiopian Public Health Institute (EPHI) [Ethiopia] et ICF. 2019. Ethiopia Mini Demographic and Health Survey 2019: Key Indicators (Mini enquête démographique et de santé en Éthiopie 2019 : indicateurs clés) Rockville, Maryland, États-Unis : EPHI et ICF. https://dhsprogram.com/pubs/pdf/PR120/PR120.pdf
5 EDHS (2016) report https://dhsprogram.com/pubs/pdf/FR328/FR328.pdf
6 Enquête sur les connaissances, les attitudes et les pratiques des adolescentes scolarisées en matière de nutrition dans les régions de Somali, Gambella, SNNP et Oromia, Éthiopie. UNICEF (2016)
7 Enquête sur les jeunes adultes en Éthiopie (2009)