Aux Philippines, la multisectorialité est devenue une réalité : déploiement au niveau infranational

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L’équipe de gestion des connaissances SUN de l’ENN

Introduction

Les Philippines sont un archipel de l’Asie du Sud-Est qui compte plus de 105 millions d’habitants. Bien qu’il s’agisse d’un pays à revenu moyen inférieur, la dernière enquête nationale élargie sur la nutrition (2018-2020) montre une prévalence de retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans (EM5) de 30 % et une émaciation de 5 %, tandis que 4 % des EM5 sont en surcharge pondérale1. Au cours de la dernière décennie, les taux de prévalence du retard de croissance et de l’émaciation sont restés relativement stables2.

Entre juillet et septembre 2019, sous la direction et avec l’aide du Conseil national de nutrition des Philippines, l’Emergency Nutrition Network (ENN) a mené une étude de cas détaillée visant à explorer les programmes de nutrition infranationaux, en mettant l’accent sur la mise en œuvre du Plan d’action philippin pour la nutrition dans deux endroits, à savoir la ville de Gingoog dans la province de Misamis Oriental, et la province de Quirino3. Cet article résume les principales conclusions.

Évolution d’une approche multisectorielle de la nutrition

Les Philippines comptent de nombreux programmes de nutrition à leur actif, caractérisés par une approche multisectorielle et, suite à un décret présidentiel, le Conseil national de nutrition (CNN) a été formé dans les années 1970. Dès sa création, le CNN a travaillé avec un comité interagences composé des ministères de la Santé, de l’Éducation, de la Protection sociale et du Développement, et des Sciences et Technologies. Diverses interventions en matière de nutrition ont été mises en œuvre à grande échelle, telles que la création de centres de nutrition et de clubs d’amélioration rurale, ainsi que le recrutement et la formation d’ouvriers agricoles pour la création de potagers dans les foyers, les écoles et les communautés, à l’aide de technologies agricoles bio-intensives. Malgré ces efforts, la situation nutritionnelle du pays ne s’est pour ainsi dire pas améliorée.

En 2014, les Philippines ont rejoint le Mouvement SUN (Scaling Up Nutrition) afin d’améliorer leur stratégie multisectorielle en matière de nutrition. Comme l’ont exprimé les responsables du CNN interrogés, ils ont rejoint un mouvement mondial pour mieux comprendre comment rendre les approches multisectorielles plus efficaces.

Plan d’action philippin pour la nutrition (Philippine Plan of Action for Nutrition – PPAN) (2017-2022)

Le PPAN actuel (il y en a eu six depuis 1993) préconise une approche multisectorielle, avec une combinaison de programmes sensibles à la nutrition et de programmes spécifiques à la nutrition mis en œuvre à grande échelle. Cependant, dès son premier stade de développement, le PPAN (2017-2022) a été élaboré différemment des plans précédents. Il a été prévu sur une période de deux ans, avec des contributions et des consultations étendues à tous les niveaux, y compris une représentation infranationale (régions, provinces, villes et municipalités)4.

Le PPAN (2017-2022) met particulièrement l’accent sur les 1 000 premiers jours de la vie (de la conception à l’âge de deux ans) et se concentre aussi sur la nutrition des enfants d’âge scolaire et des adolescents. Le plan est partiellement chiffré : le coût des produits servant à la mise en œuvre d’interventions spécifiques en matière de nutrition est connu, et les agences individuelles reçoivent des budgets pour les activités sectorielles prévues. Toutefois, le coût des initiatives sensibles à la nutrition n’a pas été établi.

Responsabilité décentralisée par l’intermédiaire d’unités de gouvernance locales

Au début des années 1990, la décentralisation des services gouvernementaux nationaux, comprenant la décentralisation des services de santé vers les gouvernements provinciaux, municipaux et locaux élus au niveau local, appelés unités de gouvernance locale, a été un développement clé. L’étude de cas a révélé un niveau élevé d’adhésion de la part des unités de gouvernance locale dans les deux endroits. Il s’agissait notamment de comités de nutrition active, d’affectations spéciales pour la dotation de postes critiques, tels que les agents d’action en matière de nutrition des municipalités/villes, d’un soutien accru aux travailleurs de première ligne en matière de nutrition, connus sous le nom de Barangay Nutrition Scholars (BNS)5, et de nombreuses autres activités financées par les ressources des unités de gouvernance locale.

Charulatha Banerjee, spécialiste régionale de la gestion des connaissances de l’ENN, interroge des spécialistes de la nutrition des barangay

Cependant, il était clair que l’engagement en faveur de la nutrition dépendait en grande partie du leadership du chef de l’exécutif local, qu’il s’agisse du gouverneur ou du maire. En outre, le leadership doit être stable pour être efficace, comme l’a souligné le cas de la province de Quirino, où des postes critiques, dont celui de responsable de l’action en faveur de la nutrition, chargé de la coordination des comités de nutrition au niveau des collectivités territoriales et de l’élaboration des plans d’action municipaux/urbains en matière de nutrition, sont en place depuis plusieurs années.

En outre, comme on l’a vu à Quirino, il y a eu une continuité des plans et des programmes entre les différents mandats des responsables. Assurer cette continuité, indépendamment des changements de direction, et veiller à ce que les programmes de nutrition soient fermement ancrés dans tous les plans de développement locaux, a clairement contribué à la durabilité des initiatives dans la province. 

Sensibiliser les secteurs à apporter de petits changements en vue d’améliorer la nutrition

Le PPAN souligne que les secteurs n’ont pas besoin de modifier radicalement leur programmation, mais plutôt de « peaufiner » les approches existantes pour qu’elles soient plus axées sur la nutrition. Par exemple, le ministère de l’Agriculture travaille en étroite collaboration avec le ministère de l’Éducation pour créer des jardins dans toutes les écoles, distribuer des semences et organiser des formations en agriculture. Le modèle de collaboration multisectorielle permet également à chaque secteur d’identifier des interventions ciblant des ménages particuliers au cours des 1 000 premiers jours (femmes enceintes et allaitantes et enfants de moins de deux ans) et les ménages dont les enfants sont émaciés, en retard de croissance ou les deux.

Tout en reconnaissant que la nutrition est la responsabilité première du secteur de la santé, les parties prenantes interrogées dans le cadre de cette étude de cas ont d’un commun accord souligné le rôle spécifique de chaque secteur dans l’amélioration de l’état nutritionnel de la population.

Créer un environnement motivant

Une caractéristique unique du PPAN actuel est son mécanisme d’incitatifs et de récompense. Un système de récompenses annuelles, basé sur les performances des unités de gouvernance locale, utilise un outil de suivi spécifique (Monitoring of Local Level Plan Implementation – MELLPI Pro) pour évaluer les performances des postes de santé des barangay et des travailleurs locaux du secteur de la nutrition. Les unités de gouvernance locale sont évaluées chaque année par des équipes régionales et reçoivent des récompenses en espèces en fonction de leurs résultats. Ces récompenses s’avèrent une motivation importante, chaque unité veillant avec soin à tenir une documentation appropriée pour garantir la conformité.

Nécessité d’une collaboration plus poussée

En raison des défis géographiques, il existe parfois une séparation entre les agences gouvernementales nationales et les unités de gouvernance, et la lenteur des processus bureaucratiques et des procédures nationales de passation des marchés publics a des répercussions sur la capacité des unités à se procurer efficacement les matériaux nécessaires à la mise en œuvre des programmes. 

Les mécanismes de suivi et d’évaluation doivent également être renforcés. Par exemple, tous les secteurs au niveau des collectivités territoriales auraient besoin d’un mécanisme conjoint permettant d’assurer le suivi de la couverture des interventions multisectorielles qui convergent vers les mêmes ménages.

Conclusion

Les Philippines sont confrontées à une forte prévalence de toutes les formes de malnutrition, y compris des taux croissants de surcharge pondérale dans tous les groupes de population ; pourtant, avec un engagement renouvelé en faveur d’une approche nutritionnelle multisectorielle, une responsabilisation au niveau du gouvernement local et des ressources adéquates allouées à la mise en œuvre du PPAN, le pays est bien placé pour accélérer la réalisation de ses objectifs nutritionnels.

Vous pouvez consulter l’étude de cas complète réalisée par l’ENN (https://www.ennonline.net/mspcasestudyphilippines2020) ainsi qu’une interview vidéo avec le chef de la division Politique et planification du Conseil national de nutrition sur le PPAN (2017-22) à l’adresse https://www.ennonline.net/mediahub/video/implementingppanphilippines.


1 http://www.fnri.dost.gov.ph/images//sources/eNNS2018/ENNS_Overview.pdf

https://globalnutritionreport.org/resources/nutrition-profiles/asia/south-eastern-asia/philippines/#profile

3 L’étude de cas des Philippines fait partie d’une série d’études de cas réalisés par l’ENN visant à comprendre les expériences des pays en matière de déploiement de programmes multisectoriels pour la nutrition, avec un accent sur le niveau sous-national. Les Philippines sont l’un des deux pays étudiés en 2019 et complètent la série de huit études de cas prévues dans le cadre du projet d’assistance technique pour la nutrition (ATN), apportant un soutien à la gestion des connaissances au Mouvement SUN. Les autres études de cas ont porté sur les pays suivants : Bangladesh, Éthiopie, Kenya, Népal, Niger, Sénégal et Zimbabwe.

Le processus a été soutenu par Nutrition International (NI) dans le cadre du projet ATN visant à fournir une assistance technique aux pays SUN en ce qui concerne l’élaboration de plans et de mécanismes multisectoriels pour la nutrition, sous la direction du Conseil national de nutrition. Du soutien a également été fourni par des agences des Nations unies, notamment le Programme alimentaire mondial et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, le Fonds des Nations unies pour l’enfance et l’Organisation mondiale de la santé. Des organisations non gouvernementales internationales, des organisations de la société civile et des institutions universitaires ont également pris part à ce processus.

5 Un barangay est la plus petite division administrative des Philippines et le terme philippin désignant un village, un district ou un quartier. Dans les zones métropolitaines, le terme désigne souvent un quartier du centre-ville, une banlieue ou un quartier de banlieue.

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