Progresser vers une programmation multisectorielle en Mauritanie
Mohamed Ould Saleck est le coordinateur du Programme National de Nutrition du Ministère des Affaires sociales, de l’Enfance et de la Famille en Mauritanie.
Contexte
Un vaste pays avec une masse continentale de 1,03 millions de km, la Mauritanie a une population de plus de 3,5 millions d'habitants. Le pays possède d'importantes ressources naturelles : le minerai de fer, l'or et le cuivre, de modestes réserves de pétrole et de gaz extra côtiers et l’un des plus grands stocks de poissons au monde (la côte du pays mesure près de 750 km de long). L'économie de la Mauritanie, cependant, est extrêmement vulnérable aux chocs exogènes et aux changements climatiques ; les effets de ce dernier deviennent de plus en plus évidents.
Au cours des 15 dernières années, le gouvernement a fait des efforts considérables pour améliorer les soins de santé en ce qui concerne son programme national de formation, son système de recrutement, son infrastructure et ses équipements, et pour rendre les services de soins de santé plus accessibles. Il a également pris des mesures pour lutter contre la maladie à travers l'élaboration et la mise en oeuvre du Plan national de développement sanitaire (PNDS) pour la période 2012-2020. Quatre ans après sa mise en oeuvre, le Ministère de la santé (MdS) a lancé une évaluation à mi-parcours de ce plan pour recentrer la phase 2016-2020, conformément au premier Plan d’Action SCAPP (Strategie de croissance accelerée et de prospérité partagée). La première étape de la SCAPP est composée de 15 projets stratégiques et de 59 interventions prioritaires (réformes, projets et activités).
Malgré les progrès réalisés, la malnutrition reste un problème de santé publique majeur en Mauritanie. La prévalence de l’émaciation chez les enfants de moins de cinq ans (EM5) est très élevée à 15 pour cent (RMN 2017) et la prévalence des retards de croissance des EM5 est peu modifiée au cours des dix dernières années (29 pour cent en 2007 et 28 pour cent en 2017, (RMN 2017). En outre, le pays n'est pas en mesure d'atteindre les objectifs de l'Assemblée mondiale de la santé en ce qui concerne le surpoids chez les enfants de moins de 5 ans, avec une prévalence de 8 pour cent (RMN 2017). Le pays a toutefois fait des progrès au niveau de l’augmentation des taux d'allaitement exclusif, quoique d’une base très faible de 11 pour cent en 2007 par rapport à 27 pour cent en 2011 (RMN 2017).
Il est possible que l'absence de programmes multisectoriels et de la prévention de la malnutrition (l'accent ayant été mis sur les interventions d'urgence) ait contribué à la stagnation des retards de croissance au pays au cours de la dernière décennie. De plus, une analyse causale effectuée par l'ACF et la Croix Rouge française dans le Gorgol (Mauritanie) et à Matam (Sénégal) montre que ces régions à la frontière séparées par le fleuve Sénégal ne sont pas seulement soumises à des chocs majeurs (inondations et sécheresses) mais aussi à des micro-chocs fréquents que les communautés touchées ont du mal à anticiper et donc à résister.
Le développement des politiques et des programmes de nutrition
La Mauritanie a fait un certain nombre d'efforts relatifs à la politique et la gouvernance pour améliorer la situation nutritionnelle, tels que : la création du Conseil National de Développement de la Nutrition (CNDN), lié à un Comité technique permanent ; l'adoption de la Politique Nationale de Développement de la Nutrition (PNDN) ; et l'adhésion au Mouvement SUN en 2011.
Sur cette lancée au niveau national, le Ministère des Affaires sociales, de l'Enfance et de la Famille (MASEF) a mis en place un Programme National de Nutrition (PNN) (2013-2016) pour s’attaquer aux causes de la malnutrition et afin de promouvoir la bonne nutrition et les bonnes habitudes alimentaires au niveau des ménages. Le principal objectif du programme était d’améliorer l'état nutritionnel des nourrissons et des enfants âgés de 0 à 59 mois dans dix des 15 régions du pays. L'ancien PNN a été remplacé par un nouveau (2016-2025), plus axé de façon multisectorielle, tout en conservant les mesures importantes et spécifiques à la nutrition.
Depuis plusieurs années, le MASEF, avec le soutien de la Banque mondiale, dirige des activités de la nutrition sectorielle qui mettent l’accent sur la communication pour le changement de comportements (CCC). Ces activités visent à prévenir la malnutrition en éduquant les mères et en sensibilisant l'opinion aux problèmes liés à la malnutrition, bien que le niveau de couverture des activités multi-sectorielles reste limité.
Une nouvelle approche nationale en matière de communication pour le changement de comportements
La Mauritanie entreprend depuis longtemps des activités de sensibilisation afin d'encourager les gens à adopter des comportements préventifs en matière de santé, mais l’approche a changé au fil du temps. La stratégie actuelle du PNN repose sur les trois éléments clés suivants :
- Un Centre de Nutrition Communautaire (CNC) ;
- Une agente communautaire de nutrition (ACN), qui dirige le CNC ; et
- Une Mère relais. Cette agente est nommée par la communauté conformément aux critères, comme être capable de lire et écrire, d'être motivée pour faire ce travail et d'être capable de prendre la parole devant un public. L’agente doit être acceptée et choisie par consensus par les femmes du village ou du voisinage, dont l'agente doit être une résidente permanente.
Les ACN ont un certain nombre de responsabilités à assumer, telles que l’organisation des jours de peser des enfants pour surveiller leur croissance, en plus d'effectuer des dépistages systématiques des enfants dans le village ou du quartier, au moins une fois par mois, en prenant la mesure du périmètre brachial (PB). Elles sont responsables de référer les enfants souffrant de la malnutrition aux services de soins et de conseil, et d'en faire le suivi. Un traitement se référant au modèle de gestion communautaire de la malnutrition aiguë (GCMA) est offert dans la plupart des centres de santé ; la couverture géographique des interventions pour le traitement de la malnutrition aiguë sévère (MAS) est estimée à 88 pour cent (2012) (RMN 2017).
Les agentes distribuent des suppléments de fer aux femmes enceintes et aux femmes qui allaitent, elles veillent à ce que tous les enfants du village reçoivent des suppléments de vitamine A pendant les campagnes du Ministère de la santé, et elles donnent des comprimés de déparasitage aux enfants. Elles organisent également des séances d’éducation sur des sujets liés à la nutrition.
L’ACN est épaulée dans son travail par une Mère relais. En effet, toutes les femmes du village occuperont cette place à tour du rôle pendant un mois chacune, de sorte qu’elles restent connectées au CNC et qu'elles se sentent directement associées aux activités du centre. La petite « récompense » financière qu'elles reçoivent en fin de mois est en lieu et place des rations alimentaires, à défaut de laquelle il se pourrait que les femmes n’aient pas de motivation à fréquenter le centre.
Un responsable de programme surveille les activités des ACN et présente un rapport d’activité ACN en communiquant des chiffres à la fin de chaque mois. Le programme a reçu des fonds de la Banque mondiale afin d’inclure une composante de communication sur le changement des comportements nutritionnels et il a financé des activités rémunératrices pour soutenir l’activité économique des femmes qui sont généralement à la tête de leurs ménages dans les villages et dans les quartiers périphériques. Dans la prochaine phase du PNN, les CNC pourraient servir de passerelles vers l’élaboration de plateformes locales multi-sectorielles.
L'alignement des actions sur un Cadre commun de résultats (CCR)
Le nouveau PNN a été organisé à partir d'un Plan stratégique multisectoriel de nutrition (2016-2025) qui est en attente de validation politique. En tant que document de référence pour les interventions liées à la nutrition, il ne contient pas de plan d’action, mais il forme un cadre stratégique pour tous les acteurs impliqués. Un atelier de planification pour la mise en oeuvre du plan est prévu afin d’opérationnaliser ce dernier. Il privilégiera les actions qui contribuent à la nutrition et il évaluera la capacité d’exécution des acteurs.
Selon les orientations du Mouvement SUN, les interventions spécifiques énoncées dans le CCR seront opérationnalisées à travers des plans de renforcement qui sont en train d'être produits et qui détaillent le traitement de la malnutrition aiguë, en plus de promouvoir les bonnes pratiques alimentaires pour les nourrissons et les jeunes enfants, ainsi que la lutte contre le manque de micronutriments. Parmi les autres priorités, mentionnons :
- S’assurer de l’appui des partenaires financiers en passant en revue le PNN, conformément à l’approche CCR qui est axée sur les résultats, et en développant un système de suivi pour documenter les indicateurs d'impact; et
- Améliorer les procédures budgétaires et le financement en préparant une estimation du coût et en élaborant un plan de financement et un plan de mobilisation des ressources.
Référence
RMN 2017. Le Rapport mondial sur la nutrition (2017), Profils nutritionnels par pays : la Mauritanie. Bristol, Royaume Uni : Les initiatives de développement.