Enable low bandwidth mode Disable low bandwidth mode
FEX 63 Banner

Intégration de la prise en charge des enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère dans les unités de soins pédiatriques en Inde

Published: 

Read an English version of this article here

Par Praveen Kumar, Virendra Kumar, Sila Deb, Arpita Pal, Keya Chatterjee, Rajesh Kumar Sinha et Sanjay Prabhu

Praveen Kumar est pédiatre et professeur directeur de recherche au service de pédiatrie de l’hôpital pour enfants Kalawati Saran (KSCH), rattaché au Lady Hardinge Medical College, à New Delhi. Il est également coordinateur principal du Centre national d’excellence pour la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère.

Virendra Kumar est pédiatre et responsable du service de pédiatrie de l’hôpital pour enfants Kalawati Saran, rattaché au Lady Hardinge Medical College, à New Delhi. Il supervise le fonctionnement du Centre national d’excellence pour la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère.

Sila Deb est commissaire adjointe à la division Santé de l’enfant (en charge de la

nutrition) du ministère de la Santé et du bien-être familial du gouvernement de l’Inde.

Elle supervise le Programme national de santé infantile, qui traite notamment des questions de nutrition chez l’enfant.

Arpita Pal est responsable de la nutrition (suivi et évaluation) au bureau de l’UNICEF à New Delhi. Elle possède plus de 10 ans d’expérience dans les domaines de la santé publique et de la nutrition auprès du gouvernement et de l’UNICEF, en Inde.

Keya Chatterjee est une professionnelle de la santé publique. Elle était auparavant spécialiste de la nutrition pour l’UNICEF. Elle dispose d’une vaste expérience dans la mise en œuvre de programmes communautaires de nutrition à l’échelle des communautés et des établissements de santé.

Rajesh Kumar Sinha est responsable de programme (consultant senior) au sein du Centre national d’excellence, à l’hôpital pour enfants Kalawati Saran, à New Delhi. Il effectue des recherches et publie des travaux dans les domaines de la santé publique et de la nutrition, et réalise des évaluations économiques depuis une vingtaine d’années.

Sanjay Prabhu est conseiller principal à l’hôpital Bai Jerbai Wadia, à Mumbai. Il est également responsable du centre de réhabilitation nutritionnelle de l’hôpital.

Les auteurs tiennent à remercier le bureau de l’UNICEF à Delhi et la Mission nationale de santé (National Health Mission) à New Delhi, pour le soutien qu’ils ont apporté dans la gestion des services de prise en charge de la malnutrition aiguë sévère à l’hôpital pour enfants Kalawati Saran.

Lieu : Inde

Ce que nous savons : En Inde, les enfants souffrant d’émaciation sont actuellement hospitalisés dans des centres de réhabilitation nutritionnelle.

Ce que cet article nous apprend : Étant donné que la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère (MAS) dans les centres de réhabilitation nutritionnelle en Inde est limitée (manque de capacités et de main-d’œuvre qualifiée), la prise en charge des cas de MAS avec complications en hospitalisation a été intégrée aux services pédiatriques d’un grand hôpital de niveau 3 à New Delhi. Un nutritionniste a été affecté à chaque service afin de prendre les mesures anthropométriques, d’administrer les aliments thérapeutiques et de conseiller les pourvoyeurs de soin. Des recherches opérationnelles ont été menées en vue de comprendre la prévalence de la MAS dans les services pédiatriques, les taux de mortalité chez les enfants souffrant de MAS par rapport à ceux n’en souffrant pas, et de veiller au respect des protocoles. Entre février 2018 et octobre 2019, 44,8 % des 3444 nourrissons de moins de six mois admis souffraient d’une MAS avec complications, et 27,6 % des 6758 enfants âgés de 6 à 59 mois admis souffraient également de MAS avec complications. Les nourrissons de moins de six mois souffrant de MAS présentaient un risque de mortalité 3,44 fois plus élevé que les nourrissons qui n’étaient pas atteints de MAS (9,1 % contre 2,8 %). Les enfants âgés de 6 à 59 mois souffrant de MAS présentaient quant à eux un risque de mortalité deux fois supérieur à celui des enfants ne souffrant pas de MAS (6,1 % contre 3,0 %). Parmi les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre, on retrouve notamment des repas la nuit manqués (du fait des effectifs réduits la nuit), un manque de coordination des visites de suivi ainsi que l’absence de protocoles clairs de prise en charge des nourrissons de moins de six mois. À condition de renforcer les capacités et la formation du personnel, l’intégration de la prise en charge en hospitalisation des cas de MAS avec complications aux services pédiatriques en Inde permettrait d’alléger les pressions sur les centres de réhabilitation nutritionnelle, d’améliorer la couverture du traitement et de réduire les taux de mortalité liés à la MAS.

Introduction

La sous-nutrition participe à environ deux tiers des décès des enfants en Inde (Swaminathan et al., 2019). Le nombre de cas est extrêmement élevée dans de nombreux États du pays. Des progrès ont été réalisés en ce qui concerne la réduction de l’insuffisance pondérale et du retard de croissance chez les enfants de moins de cinq ans en Inde au cours des dix dernières années. En revanche, le taux d’émaciation a augmenté durant cette période (figure 1). Il est urgent d’accorder plus d’importance à la prise en charge efficace de ce problème, notamment dans les États où le nombre de cas reste élevé.

Figure 1 : Prévalence de l’insuffisance pondérable, du retard de croissance, de l’émaciation et de l’émaciation sévère chez les enfants de moins de cinq ans en Inde

Source : Enquêtes nationales sur la santé des familles (NFHS 3 et 4) (Institut international des sciences de la population – IIPS 2007 et 2017)

Prise en charge de la MAS en Inde

Directives pour la prise en charge de la MAS

En 2007, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’UNICEF ont publié une déclaration commune mondiale pour renforcer la prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë (PCMA) de manière à assurer un passage à l’échelle rapide des services et de réduire le nombre de décès associés aux cas de MAS non traités (OMS et al., 2007). Les directives de l’OMS sur la prise en charge de la MAS de 1999 ont été mises à jour en 2013 (OMS, 2013). En Inde, la prise en charge de la malnutrition aiguë repose sur les directives de l’Académie indienne de pédiatrie publiées en 2007 et sur celles du ministère de la Santé et du bien-être familial de 2011 relatives à la prise en charge de la MAS au niveau des établissements de santé. Le gouvernement indien procède actuellement à la mise à jour de ces directives afin d’y intégrer des recommandations sur la prise en charge des cas de MAS sans complications à l’échelle communautaire. Dans le même temps, un petit nombre de programmes de PCMA sont en cours d’expérimentation dans plusieurs États du pays.

Centres de réhabilitation nutritionnelle

Dans l’ensemble des États du pays, les cas de MAS avec complications1 sont actuellement pris en charge par les centres de réhabilitation nutritionnelle rattachés aux établissements hospitaliers de soins pédiatriques existants. Les enfants ne présentant pas de complications médicales peuvent également être admis dans les centres de réhabilitation nutritionnelle, en particulier quand il n’existe pas de programme de PCMA dans les environs. Les centres de réhabilitation nutritionnelle prennent en charge les complications médicales, administrent une alimentation thérapeutique fabriquée localement pour les phases de stabilisation et de récupération nutritionnelle (au lieu des laits thérapeutiques F-75 et F-100 normalisés), et conseillent les pourvoyeurs de soin sur les pratiques d’alimentation et de soin. Les enfants atteints de MAS bénéficient de soins de routine supplémentaires, tels que la supplémentation en micronutriments administrée séparément, conformément aux lignes directrices du gouvernement (gouvernement indien, 2011).

Limites de l’approche axée sur les centres de réhabilitation nutritionnelle

Les données sur l’efficacité des centres de réhabilitation nutritionnelle montrent qu’ils ne fonctionnent pas tous de manière optimale. Les études révèlent qu’en l’absence de programmes de PCMA, environ 50 à 60 % des patients souffrant de MAS admis dans les centres de réhabilitation nutritionnelle ne présentent pas de complications médicales, et que les taux de mortalité se situent entre 0,4 et 3,5 % (Aguayo et al., 2014 ; Aguayo et al., 2013 ; Singh et al., 2014). Les soins hospitaliers représentent un coût important pour les États, mais aussi des frais de déplacement et des coûts d’opportunité élevés pour les familles (Puett et al., 2012 ; Tekeste et al., 2012). Ces coûts d’opportunité significatifs pour les familles se répercutent également sur l’accès et le recours aux services des centres de réhabilitation nutritionnelle. La qualité des soins prodigués dans ces centres pâtit souvent du manque de surveillance pédiatrique (tout particulièrement lorsque les centres se situent à l’extérieur des hôpitaux), du manque d’effectifs dans certains États, ainsi que du fort taux d’attrition du personnel (Tandon et al., 2019). Par conséquent, dans la pratique, les enfants atteints de MAS et présentant des complications médicales sont souvent hospitalisés dans des services pédiatriques, avant d’être renvoyés chez eux ou transférés vers des centres de réhabilitation nutritionnelle afin de poursuivre le processus de guérison.

L’Inde est face à un défi de taille : doter le pays d’établissements consacrés à la prise en charge des 9,5 millions d’enfants de moins de cinq ans qui sont atteints de MAS (IIPS, 2017). On estime que 0,9 million de ces patients présentent des complications médicales (en partant du principe que la prévalence des complications avoisine 10 %) et nécessitent donc d’être hospitalisés2. On compte actuellement environ 1100 centres de réhabilitation nutritionnelle opérationnels à travers le pays, disposant de 10 à 20 lits chacun. Même avec une occupation maximale des lits et en supposant que tous les patients admis présentent des cas de MAS avec complications et qu’ils restent en moyenne 15 jours dans les centres en question, il n’est possible de traiter qu’environ 0,4 million d’enfants par an. Ainsi, même dans des conditions optimales, les centres de réhabilitation nutritionnelle du pays ne peuvent traiter que 30 à 44 % de tous les cas de MAS avec complications médicales. C’est pourquoi il est impératif que les services pédiatriques contribuent à la prise en charge des cas de MAS avec complications en Inde, en sus de la prise en charge communautaire des cas sans complications, pour assurer la couverture nécessaire des services de traitement.

Tester la faisabilité de l’intégration de la prise en charge des cas de MAS avec complications dans les services pédiatriques

Afin de remédier à ce problème, le Centre national d’excellence pour la prise en charge de la MAS, à l’hôpital pour enfants Kalawati Saran, New Delhi, a mené des recherches opérationnelles entre février 2018 et octobre 2019, en collaboration avec le bureau de l’UNICEF en Inde. L’hôpital Kalawati Saran est l’un des plus grands hôpitaux pour enfants fournissant des soins de niveau 3 à Delhi. Il dispose en effet d’un service d’urgences pédiatriques, de services de pédiatrie générale, d’unités néonatales, d’unités de soins intensifs et d’un centre de réhabilitation nutritionnelle doté de 12 lits. Dans un premier temps, son centre de réhabilitation nutritionnelle, créé en 2012, fournissait uniquement des services aux enfants directement admis dans le centre. Toutefois, entre 2013 et 2015, ses services se sont progressivement étendus aux enfants atteints de MAS admis dans d’autres services de l’hôpital, auxquels on administrait des aliments thérapeutiques. Cette approche a ensuite continué d’évoluer. Ainsi, depuis 2018, un nutritionniste a été affecté à chacun des trois services pédiatriques afin d'effectuer les mesures anthropométriques de tous les enfants de moins de cinq ans dans les 12 à 24 heures suivant leur admission, d’administrer des aliments thérapeutiques et de recevoir les pourvoyeurs de soin en consultation.

Pour bien comprendre les répercussions de cette approche, des recherches opérationnelles ont été menées à l’hôpital Kalawati Saran entre février 2018 et octobre 2019 pour analyser la prévalence de la MAS chez tous les enfants de moins de cinq ans admis en unité d’hospitalisation dans les services pédiatriques, ainsi que leur statut final en lien avec leur état nutritionnel. Nous avons en outre documenté les expériences et les difficultés liées à l’intégration des protocoles de prise en charge de la MAS au sein des services pédiatriques.

Méthodes

Des mesures du poids et de la taille ont été réalisées pour chaque enfant et pour chaque âge déterminé afin de définir les z scores du poids-pour-taille et du poids-pour-âge. Afin de réaliser les mesures anthropométriques, un pèse-bébé électronique (SECA 334) avec une précision de 5 grammes, une toise en bois pour enfants fournie par l’UNICEF ainsi qu’un ruban non extensible pour la mesure du périmètre brachial ont été utilisés. En ce qui concerne les nourrissons de moins de six mois, il a été établi qu’ils souffraient de MAS en cas de z score du poids-pour-âge inférieur à -3 et/ou de z score du poids-pour-longueur inférieur à -3 et/ou d’œdème bilatéral. Pour les enfants âgés de 6 à 59 mois, on parle de MAS en cas de z score du poids-pour-taille inférieur à -3 et/ou de périmètre brachial inférieur à 115 mm et/ou d’œdème bilatéral en godet. Tous les cas de MAS ont été définis comme des cas avec complications, compte tenu du fait qu’ils ont été admis au sein de l’unité pédiatrique en raison d’une pathologie. Les complications médicales des enfants souffrant de malnutrition aiguë modérée ont été traitées en suivant les protocoles normalisés, et les pourvoyeurs de soin ont reçu des conseils nutritionnels conformément aux lignes directrices du gouvernement. Les cas de MAS ont été traités conformément aux protocoles de prise en charge de la MAS. Les mères de nourrissons âgés de moins de six mois atteints de MAS ont bénéficié d’un soutien en matière d’allaitement de la part du nutritionniste du service, de même que du centre dédié à l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant au sein de l’hôpital.

Tous les enfants admis à l’hôpital ont fait l’objet d’un suivi, depuis leur admission jusqu’à leur sortie, laquelle entre dans l’une des catégories suivantes aux fins de cette étude : sortie en vie ; patient considéré comme guéri à sa sortie ; sortie contre avis médical ; patient perdu de vue ; patient transféré ; ou patient décédé pendant le traitement. On parle de guérison si l’état de santé du patient s’est amélioré, s’il a suivi le traitement d’antibiotiques, si ses vaccins sont à jour, et si les pourvoyeurs de soin ont reçu des informations sur les soins et l’alimentation à apporter aux enfants. S’agissant des cas de MAS, une prise de poids de 5 g/kg/jour pendant trois jours consécutifs a été ajoutée aux critères de sortie. Après la sortie des patients, les pourvoyeurs de soin ont été encouragés à emmener leur enfant aux consultations de suivi dans le service ambulatoire, ainsi qu’à participer à des séances communautaires sur le suivi de la croissance. Le suivi peut être arrêté quand le périmètre brachial des enfants atteint ou dépasse 125 mm (si c’est cette mesure qui a été utilisée lors de leur admission) ou lorsque le z score du poids-pour-taille atteint ou dépasse -2 (si c’est cette mesure qui a été utilisée).

Des analyses ont été conduites pour évaluer le nombre total de cas de MAS ciblés par rapport au nombre total d’admissions durant la période étudiée (de février 2018 à octobre 2019) ainsi que tout écart entre le taux de mortalité des enfants souffrant de MAS et celui des enfants n’en souffrant pas. Les données ont été ventilées par âge (nourrissons de moins de six mois et enfants âgés de 6 à 59 mois). Outre l’étude quantitative, des bilans périodiques ont été réalisés auprès du personnel de santé et des pourvoyeurs de soin, et l’auteur des travaux a fait part de ses propres observations. L’étude rapporte également les expériences d’intégration à l’hôpital Bai Jerbai Wadia à Mumbai (encadré 1).

Résultats

Toutes les admissions ayant eu lieu au cours de la période (soit 10 214 enfants) ont été prises en compte dans l’étude, mais 12 d’entre elles ont été exclues de l’analyse en raison de données incomplètes. Sur les 10 202 enfants restants (99,9 %), 3444 (33,8 %) avaient moins de six mois et 6758 (66,2 %) étaient âgés de 6 à 59 mois. Parmi les nourrissons de moins de six mois, 1543 (44,8 %) souffraient de MAS, car ils présentaient un z score du poids-pour-longueur inférieur à -3 et/ou un z score du poids-pour-âge inférieur à -3 et/ou un œdème bilatéral. Parmi les enfants âgés de 6 à 59 mois, 1865 (27,6 %) étaient atteints de MAS (z scores du poids-pour-longueur ou du poids-pour-taille inférieur à -3 et/ou périmètre brachial inférieur à 115 mm et/ou œdème bilatéral).

Au total, 3249 (94,3 %) nourrissons de moins de six mois et 6496 (96,1 %) enfants âgés de 6 à 59 mois sont sortis en vie de l’hôpital et 195 (5,7 %) nourrissons de moins de six mois et 262 (3,9 %) enfants âgés de 6 à 59 mois sont décédés pendant le traitement. Parmi ceux qui sont sortis vivants, 85,6 % (soit 8732) étaient considérés comme guéris à leur sortie, 10,1 % (soit 1033) comme perdus de vue et 4,3 % (soit 437) ont fait l’objet d’un référencement vers d’autres établissements de santé. Chez les 1543 nourrissons de moins de six mois souffrant de malnutrition sévère (d’après le z score du poids-pour-taille et/ou du poids-pour-âge), la mortalité des patients hospitalisés a atteint 9,1 % (soit 141) contre 2,8 % (soit 54) chez les patients ne présentant pas de malnutrition sévère (figure 2). Les nourrissons de moins de six mois atteints de malnutrition sévère présentaient un risque de mortalité en hospitalisation 3,44 fois supérieur à celui couru par les nourrissons du même groupe d’âge ne souffrant pas de malnutrition sévère (p < 0,001). Le taux de mortalité en hospitalisation des enfants âgés de 6 à 59 mois atteints de MAS s’élevait à 6,1 % (soit 114) contre 3,0 % (soit 148) chez les enfants ne présentant pas de MAS (figure 2). Les enfants de ce groupe d’âge souffrant de MAS présentaient un risque de mortalité en hospitalisation 2,09 fois plus élevé que celui couru par les enfants ne souffrant pas de MAS (p < 0,001).

Figure 2 : Mortalité en hospitalisation des nourrissons et des enfants atteints de malnutrition sévère par rapport aux autres enfants

Discussion

Les résultats révèlent qu’une proportion importante des enfants hospitalisés dans des unités de soins pédiatriques étaient atteints de MAS et que ces enfants présentaient un risque de mortalité élevé par rapport aux enfants ne souffrant pas de MAS, en particulier les nourrissons de moins de six mois. Cela met en lumière l’importance cruciale de dépister et de prendre correctement en charge les enfants atteints de MAS en milieu pédiatrique hospitalier en Inde, notamment dans les États qui présentent un nombre important de cas d’émaciation ou d’émaciation sévère. Cette étude montre que les cas de MAS avec complications peuvent être efficacement pris en charge dans ce contexte, en dispensant des formations supplémentaires au personnel en poste et en affectant un nutritionniste à chaque service. Ce protocole peut permettre d’étendre la couverture de la prise en charge en hospitalisation de la MAS avec complications afin de pallier les capacités limitées des centres de réhabilitation nutritionnelle et de réduire le risque de mortalité au sein de ce groupe vulnérable.

Les observations indiquent qu’un certain nombre de difficultés ont été rencontrées lors de la phase de mise en œuvre, qui nécessitaient d’être résolues, notamment :

Dépistage. L’hôpital pour enfants Kalawati Saran est un hôpital de soins tertiaires qui accueille de nombreux patients et est souvent débordé. De ce fait, il n’est pas possible de mesurer la longueur/taille ni le périmètre brachial de tous les enfants admis. Par conséquent, le traitement de la MAS est le plus souvent prescrit sur la seule base du z score du poids-pour-âge. L’affectation de nutritionnistes formés dans les services de pédiatrie a permis à l’établissement d’effectuer toutes les mesures anthropométriques nécessaires et de prendre en charge les enfants atteints de MAS conformément aux protocoles nationaux.

Soutien en matière d’alimentation thérapeutique et d’allaitement. La présence de nutritionnistes dans les services a permis de respecter les protocoles d’alimentation dans le cadre de la MAS. Les nutritionnistes ont calculé les quantités d’aliments thérapeutiques pour les phases de stabilisation (composés de lait de vache, de sucre, de poudre de riz et d’huile végétale afin d’assurer un apport d’environ 75 kcal et de 0,9 g de protéines pour 100 ml) et de récupération nutritionnelle (apport d’environ 100 kcal et 2,9 g de protéines pour 100 ml) à administrer aux enfants souffrant de MAS admis à l’hôpital. Ils ont calculé ces quantités à partir du poids des enfants mesuré chaque jour entre 10 heures et 11 heures. Les aliments thérapeutiques de stabilisation et de récupération nutritionnelle ont été fabriqués au sein du centre de réhabilitation nutritionnelle et les quantités adaptées à chaque enfant pour 24 heures ont été distribuées aux services dans des contenants en verre à conserver au réfrigérateur. Ce sont les nutritionnistes qui administraient ensuite ces préparations aux enfants de leur service dans la journée. Il s’est en revanche avéré impossible d’affecter un membre du personnel à cette tâche durant la nuit. Par conséquent, ce sont les pourvoyeurs de soin qui ont rempli cette mission après avoir reçu des instructions de la part des nutritionnistes. Ces derniers effectuaient en outre des visites de suivi tous les matins.

Si ce protocole a, dans l’ensemble, porté ses fruits, les rapports montrent toutefois que les pourvoyeurs de soin manquaient régulièrement un ou deux repas par nuit. C’est là une des limites de ce dispositif de prise en charge. Les protocoles d’administration de repas nocturnes sont peu suivis de manière générale dans les centres de réhabilitation nutritionnelle en Inde. Il s’agirait donc d’un problème commun à différentes structures (gouvernement de l’Inde, 2011 ; Aguayo et al., 2014 ; Singh et al., 2014). L’utilisation d’aliments thérapeutiques de stabilisation et de récupération nutritionnelle élaborés sur place pose également certains problèmes. En effet, au vu des expériences conduites dans d’autres hôpitaux (encadré 1), il semblerait que l’utilisation des préparations lactées thérapeutiques F-75 et F-100 recommandées par l’OMS contribuerait à un rétablissement plus rapide. Des recherches plus approfondies doivent être menées à ce sujet. En ce qui concerne les nourrissons de moins de six mois, les mères ont pu bénéficier d’un accompagnement en matière d’allaitement de la part des nutritionnistes au sein de chaque service et du centre de soutien de l’hôpital dédié à l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. Il n’a toutefois pas été possible d’intégrer la technique de supplémentation à l’aide d’un dispositif d’aide à la lactation dans ce contexte.

Prise en charge du choc et de l’anémie chez les enfants malades atteints de MAS. Les recommandations nationales en matière de prise en charge du choc, de la déshydratation et de l’anémie n’ont pas été pleinement respectées. La plupart des internes sont formés aux directives « Paediatric Advanced Life Support », qui recommandent d’augmenter les rations alimentaires des enfants souffrant de choc, et suivent ces directives. Les internes des hôpitaux ont été formés en ce qui concerne le traitement en intra-veineuse des enfants atteints de MAS et les observations collectées indiquent que la majorité d’entre eux ont suivi les nouvelles recommandations. Cependant, bien que les lignes directrices de l’OMS et du gouvernement indien recommandent de ne transfuser du sang qu’aux enfants souffrant de MAS dont le taux d’hémoglobine est inférieur à 6 g/dL en cas de détresse cardiorespiratoire, les médecins de garde n’ont pas suivi ces instructions et ont transfusé des enfants dont le taux d’hémoglobine était inférieur à 8 g/dL. Si cette pratique est conforme aux recommandations relatives aux soins intensifs, elle est en revanche contraire à celles sur la prise en charge de la MAS.

Séances de consultation/thérapie par le jeu. Au début, nous avons rencontré des difficultés pour organiser des séances de consultation avec les mères et les pourvoyeurs de soin, car aucun espace n’était dédié à la prise en charge des enfants atteints de MAS au sein de l’hôpital. Les patients étaient dispersés dans les services pédiatriques, d’où certaines difficultés à réunir leurs pourvoyeurs de soin lors de séances de consultation. Nous avons essayé de résoudre ce problème en regroupant tous les enfants atteints de MAS et stables d’un point de vue hémodynamique dans un même espace afin de favoriser l’organisation de séances collectives. Cela s’est également avéré utile sur le plan logistique en ce qui concerne le suivi quotidien de la prise de poids des enfants souffrant de MAS en vue de surveiller leur évolution.

Sortie de patients ne remplissant pas les critères de sortie. Plusieurs patients ont été autorisés à sortir car ils ne présentaient plus de complications médicales, alors qu’ils ne remplissaient pas encore les critères de récupération nutritionnelle.

Suivi des enfants sortis de l’hôpital. Il a été extrêmement compliqué de coordonner les activités de suivi. La sortie des enfants des unités pédiatriques devait être suivie de consultations de contrôle au sein des services de soins ambulatoires, où il s’est révélé difficile d’assurer leur suivi, ces services étant surchargés. Afin de remédier à ce problème, les premières et quatrièmes consultations de suivi des futurs patients atteints de MAS seront réalisées par l’unité dédiée à la gastroentérologie, à l’hépatologie et à la nutrition pédiatriques. Les deuxièmes et troisièmes visites de suivi seront quant à elles effectuées au sein de la communauté par des agents sanitaires et sociaux certifiés ou des agents anganwadi dans les centres anganwadi, où des rations alimentaires à emporter seront également fournies. Les pourvoyeurs de soin recevront des conseils à cet effet.

Encadré 1 : Expériences d’intégration à l’hôpital Bai Jerbai Wadia, Mumbai

L’hôpital pour enfants Bai Jerbai Wadia à Mumbai est le plus grand hôpital de soins pédiatriques de niveau 3 de l’Inde de l’Ouest. Un système intégré de prise en charge de la MAS, constitué d’un centre de réhabilitation nutritionnelle et de services pédiatriques, a été mis en œuvre en 2019. Pendant l’année 2019, 211 patients souffrant de MAS ont été pris en charge par ce nouveau système, conformément aux protocoles de prise en charge de la MAS de l’OMS, et en utilisant les préparations F-75 et F-100 recommandées par l’OMS.

Depuis le lancement du programme, 182 (86,3 %) enfants atteints de MAS étaient considérés comme guéris à leur sortie, avec une prise de poids moyenne de 5,7 g/kg/jour et un taux de mortalité de 2 %. Après 12 semaines de suivi, 76 % des enfants étaient considérés comme totalement guéris (z score du poids-pour-taille inférieur à 2 écarts types) dans les centres anganwadi. La durée moyenne de prise en charge à l’hôpital était de 10,7 jours. Sur l’ensemble des cas de MAS admis, 54 (25,6 %) étaient des nourrissons de moins de six mois à qui l’on a administré des préparations F-75 et dont les mères ont reçu une aide et des conseils importants en matière d’allaitement. Le recours aux préparations F-75 et F-100 a permis de faciliter la préparation des repas et leur stockage et d’obtenir le bon dosage de micronutriments, tout en étant accepté par la plupart des patients. Le personnel pédiatrique a considéré que l’utilisation des préparations commerciales F-75 et F-100 avait contribué aux bons résultats de ce programme. Les soins nutritionnels ont par ailleurs commencé à être apportés aux patients dès leur admission, tous les repas nocturnes ont bien été administrés et toutes les mesures anthropométriques ont été réalisées.

Prochaines étapes

Cet exemple révèle que l’intégration de la prise en charge de la MAS dans les services pédiatriques hospitaliers constitue un modèle de soins plus exhaustif et plus pérenne pour les enfants atteints de MAS avec complications et permet d’élargir la couverture du traitement. Pour que ce modèle soit pleinement efficace, il convient d’équiper les services pédiatriques d’infrastructures supplémentaires et d’y affecter des nutritionnistes. L’efficacité de cette approche sera également grandement renforcée par la publication de protocoles clairs de prise en charge des nourrissons de moins de six mois souffrant de MAS, ainsi que par la parution à venir des recommandations opérationnelles du gouvernement indien pour la prise en charge de la MAS dans les établissements de santé (lesquelles offriront des orientations plus claires sur les procédures de suivi). Par ailleurs, la formation de l’ensemble du personnel pédiatrique à la prise en charge de la MAS et le dépistage systématique de la MAS dans les services de pédiatrie seront également nécessaires. Certains éléments portent à croire que le recours aux préparations commerciales F-75 et F-100 favorise une prise en charge efficace des cas de MAS dans ce contexte, compte tenu des difficultés à évaluer la qualité des laits thérapeutiques préparées sur place et servis dans les services de pédiatrie.

Les auteurs de cet article ont présenté un rapport sur les conclusions de l’étude au ministère indien de la Santé et du bien-être familial, qui a reconnu l’efficacité et la pérennité de l’intégration de la prise en charge des cas de MAS avec complications dans les services de pédiatrie. Les prochaines recommandations opérationnelles préconiseront donc que tous les établissements de soins pédiatriques réservent quatre à cinq lits dans leur service de pédiatrie à la prise en charge des enfants atteints de MAS et présentant des complications médicales. Les enfants souffrant de MAS et de pathologies aiguës susceptibles d’avoir besoin de soins intensifs doivent être pris en charge dans les unités de soins intensifs pédiatriques/services pédiatriques, où ils pourront recevoir ce type de soins. Ces enfants se verront administrer des aliments thérapeutiques et recevront d’autres soins prévus dans le cadre de la prise en charge de la MAS dans les unités de soins intensifs pédiatriques/services pédiatriques. Une fois qu’ils seront stabilisés, ils pourront être transférés dans le centre de réhabilitation nutritionnelle.

Les résultats mettent également en lumière le rôle majeur que les pédiatres ont à jouer dans la prise en charge de la MAS avec complications. Or, dans beaucoup de centres de réhabilitation nutritionnelle, ils sont absents de ce processus. Les prochaines recommandations opérationnelles relatives à la prise en charge de la MAS recommanderont la création de nouveaux centres de réhabilitation nutritionnelle dans ces établissements uniquement si des soins pédiatriques y sont dispensés. Les États devraient également placer les centres de réhabilitation nutritionnelle existants sous la supervision des pédiatres de l’établissement de santé concerné (hôpital de district/sous-district) afin d’assurer une prise en charge médicale appropriée des enfants atteints de MAS avec complications. Il conviendra alors de nommer un pédiatre déjà en poste dans l’établissement de santé à la tête du centre de réhabilitation nutritionnelle. Il sera responsable de la prise en charge médicale au sein dudit centre.

Le ministère de la Santé et du bien-être familial recommandera par ailleurs la formation d’un centre d’excellence d’État pour la prise en charge de la MAS lorsqu’il y aura plus de 25 centres de réhabilitation nutritionnelle. Le centre d’excellence en question se situera dans une école de médecine publique dotée d’un service pédiatrique avec des infrastructures fonctionnelles de prise en charge de la MAS. Le centre d’excellence d’État pour la prise en charge de la MAS prodiguera des conseils techniques sur toutes les questions liées à la mise en œuvre du programme, à son suivi et à son évaluation. Il fournira en outre aux centres de réhabilitation nutritionnelle des contenus de formation pour les agents de santé de différents niveaux.

Conclusion

Cette étude est une des rares à examiner l’utilité de la prise en charge des enfants souffrant de MAS dans les services pédiatriques en Inde, au regard des recommandations nationales en matière de prise en charge de la MAS avec complications. Ce modèle pose certaines difficultés qui doivent être surmontées. Cependant, en dépit de ces difficultés, l’étude indique que le dépistage systématique et la prise en charge appropriée des cas de MAS avec complications médicales par les services pédiatriques, avec l’appui de centres de réhabilitation nutritionnelle sur place pour la prise en charge nutritionnelle, s’avèrent efficaces pour assurer la prise en charge hospitalière adéquate des enfants atteints de MAS avec complications médicales à grande échelle.


1 z score du poids-pour-taille inférieur à -3 et/ou périmètre brachial inférieur à 115 mm et/ou œdème bilatéral en godet avec complications médicales.

2 D’après les données de l’Enquête nationale sur la nutrition en Inde (ministère de la Santé et du bien-être familial, 2017), qui sous-estiment probablement les chiffres réels, le nombre de cas ciblés d’enfants souffrant d’émaciation avec complications médicales s’élèverait à 0,6 million. Après ajustement en fonction de l’incidence (en utilisant un facteur d’incidence de 1,6 conformément aux recommandations d’Isanaka et al., 2016), ce chiffre s’établit dans une fourchette de 0,9 à 1,4 million par an.


Références

Aguayo V. M., Jacob S., Badgaiyan N., Chandra P., Kumar A., et Singh K. (2014). « Providing care for children with severe acute malnutrition in India: new evidence from Jharkhand », Public Health Nutrition, vol. 17, no 1, p. 206 à 211.

Aguayo V. M., Agarwal V., Agnani M., Das Agrawal D., Bhambhal S., Rawat A. K., et Singh K. (2013). « Integrated program achieves good survival but moderate recovery rates among children with severe acute malnutrition in India », The American journal of clinical nutrition, vol. 98, no 5, p. 1335 à 1342.

Gouvernement de l’Inde (2011), « Operational guidelines on facility-based management of children with severe acute malnutrition », 2011. Ministère de la Santé et du bien-être familial du gouvernement de l’Inde, New Delhi.

Institut international des sciences de la population (IIPS) et ICF. 2007. Enquête nationale sur la santé des familles (NFHS 3), 2005-2006 : Inde. Mumbai : IIPS.

Institut international des sciences de la population (IIPS) et ICF. 2017. Enquête nationale sur la santé des familles (NFHS 4), 2015-2016 : Inde. Mumbai : IIPS.

Isanaka S., Boundy E. O. N., Grais R. F., Myatt M., et Briend A. (2016). « Improving estimates of numbers of children with severe acute malnutrition using cohort and survey data », American Journal of Epidemiology, vol. 184, no 12, p. 861 à 869.

Ministère de la Santé et du bien-être familial du gouvernement de l’Inde, UNICEF et Conseil de la population, 2019. Comprehensive National Nutrition Survey (CNNS) National Report. New Delhi.

OMS, 2007. Prise en charge communautaire de la malnutrition aiguë sévère : Déclaration commune de l’Organisation mondiale de la Santé, du Programme alimentaire mondial, du Comité permanent de la nutrition du Système des Nations Unies et du Fonds des Nations Unies pour l’enfance. Disponible à l’adresse suivante : https://www.who.int/nutrition/publications/severemalnutrition/9789280641479/fr/

OMS, 2009. La prise en charge de la malnutrition sévère : Manuel à l’usage des médecins et autres personnels de santé à des postes d’encadrement, Genève, OMS, 1999. Disponible à l’adresse suivante : https://www.who.int/nutrition/publications/severemalnutrition/9241545119/fr/

OMS, 2013. Lignes directrices : Mises à jour de la prise en charge de la malnutrition aiguë sévère chez le nourrisson et chez l’enfant. Genève, OMS, 2013.

Puett C., Sadler K., Alderman H., Coates J., Fiedler J. L. et Myatt M. (2012). « Cost-effectiveness of the community-based management of severe acute malnutrition by community health workers in southern Bangladesh », Health Policy and Planning, doi : 10.1093/heapol/czs070

Singh K., Badgaiyan N., Ranjan A., Dixit H. O., Kaushik A., Kushwaha K. P., et Aguayo V. M. (2014). « Management of children with severe acute malnutrition: experience of Nutrition Rehabilitation Centers in Uttar Pradesh, India », Indian pediatrics, vol. 51, no 1, p 21 à 25.

Swaminathan S., Hemalatha R., Pandey A., Kassebaum N. J., Laxmaiah A., Longvah T., et Gupta S. S. (2019). « The burden of child and maternal malnutrition and trends in its indicators in the states of India: The Global Burden of Disease Study 1990–2017 », The Lancet Child & Adolescent Health, vol. 3, no 12, p. 855 à 870.

Tandon M., Quereishi J., Prasanna R., Tamboli A. F., et Panda B. (2019). « Performance of Nutrition Rehabilitation Centers: A Case Study from Chhattisgarh, India », International Journal of Preventive Medicine, vol. 10, no 66. Disponible à l’adresse suivante : https://doi.org/10.4103/ijpvm.IJPVM_194_17

Tekeste A., Wondafrash M., Azene G. et Deribe K. (2012). « Cost effectiveness of Community-Based and In-Patient Therapeutic Feeding Programs to Treat Severe Acute Malnutrition in Ethiopia », Cost Effectiveness and Resource Allocation, doi : 10.1186/1478-7547-10-4

Published 

About This Article

Article type: 
Original articles

Download & Citation

Recommended Citation
Citation Tools