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Merankebandi household tending to their kitchen garden. Burundi

Programmes nationaux d’assistance sociale pour l’amélioration de la nutrition infantile : Leçons apprises du Burundi, de l’Éthiopie et de la Tanzanie

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Chloe Angood est consultante en gestion de la connaissance pour la nutrition au bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe (ESARO).

Christiane Rudert est conseillère en nutrition au bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

Tayllor Renee Spadafora est spécialiste en politiques sociales au bureau régional de l’UNICEF pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

Nous tenons à remercier Annalies Borrel et Tomoo Okubo de l’équipe technique protection sociale et nutrition de l’UNICEF  au niveau mondial pour leur soutien et leurs contributions, ainsi que les équipes de l’UNICEF travaillant sur les politiques sociales et la nutrition dans les bureaux de l’UNICEF au Burundi, en Éthiopie et en Tanzanie pour leur soutien concernant la création des études de cas nationales sur lesquelles repose cet article.

Messages clés :

  • Les gouvernements de la région Afrique de l’Est et australe ont accompli de remarquables progrès dans la mise en œuvre de programmes d’assistance sociale à grande échelle visant l’aide financière des membres les plus vulnérables de la société.
  • Au Burundi, en Éthiopie et en Tanzanie, il a été observé que la combinaison de transferts monétaires avec des éléments « additionnels » (tels que le changement des comportements et des normes sociales, l’appui aux moyens d’existence, et les mises en lien avec des services) permet de répondre aux facteurs sous-jacents de la sous-nutrition infantile, améliorant ainsi les résultats en matière de nutrition.
  • Les programmes nationaux d’assistance sociale peuvent aller plus loin dans la prévention de la sous-nutrition en incluant des mécanismes de passage à l’échelle pour faire face aux crises, et en se combinant aux interventions liées aux systèmes alimentaires, afin d’améliorer l’accès aux aliments à haute valeur nutritionnelle à tout moment.

Contexte

Dans la région de l’Afrique de l’Est et australe, les systèmes nationaux de protection sociale évoluent rapidement pour lutter contre la pauvreté et la vulnérabilité des populations les plus fragiles. Il est observé que l’assistance sociale, généralement distribuée à grande échelle sous forme de transferts monétaires ou de bons alimentaires et les programmes de travaux publics, permet de réduire les niveaux de pauvreté extrême et d’accroître la sécurité alimentaire et la diversité des régimes alimentaires des ménages (Owusu-Addo, 2018). Une revue systématique et une méta-analyse récentes indiquent que les programmes de transferts monétaires produisent des effets positifs significatifs, quoique hétérogènes et modestes, sur le retard de croissance de l’enfant, l’émaciation infantile, la consommation de produits d’origine animale, la diversité des régimes alimentaires et l’incidence de la diarrhée (Manley et al., 2022). Les effets sur la nutrition peuvent être accentués lorsque les transferts monétaires sont combinés à d’autres interventions complémentaires, ou à des éléments « additionnels », tels que le changement des comportements et des normes sociales, l’appui aux moyens d’existence, et les mises en lien avec des services, notamment de soins primaires (Manley et al., 2022 ; Little et al., 2021.).

L’UNICEF soutient les gouvernements nationaux d’Afrique de l’Est et australe dans la conception et le pilotage de programmes « Cash Plus » qui favorisent l’accès, pour les ménages exposés à la malnutrition, aux transferts monétaires et à d’autres services afin de prévenir la sous-nutrition maternelle et infantile. Ces programmes sont destinés à faire face aux nombreuses causes sous-jacentes de la sous-nutrition par l’augmentation des ressources des ménages, ainsi que par l’accès à des aliments nutritifs, l’adoption de pratiques nutritionnelles positives et la facilitation de l’accès aux services, en particulier les services liés à la nutrition. Il s’agit là d’une contribution essentielle à la Stratégie de l’UNICEF pour la nutrition 2020-2030 (UNICEF, 2020), qui place le système de protection sociale au rang des cinq systèmes fondamentaux pour éradiquer toute forme de malnutrition d’ici à 2025. L’article suivant est étayé par les expériences de combinaison des transferts monétaires avec des conseils en matière de nutrition au Kenya, dont les résultats ont été rapportés dans le numéro 68 de Field Exchange (Angood et al., 2022). Il illustre également d’autres exemples de mise en œuvre de programmes « Cash Plus » au Burundi, en Éthiopie et en Tanzanie. Les exemples retenus et les leçons apprises proviennent d’études de cas dans les pays dans lesquels sont intervenues l’équipe du bureau régional de l’Afrique de l’Est et australe de l’UNICEF et l’équipe technique protection sociale et nutrition de au niveau mondial, en collaboration avec les équipes de pays de l’UNICEF. La liste complète des études de cas est disponible à l’adresse suivante : https://www.unicef.org/esa/reports/integrating-social-protection-and-nutrition.

Exemples d’interventions nationales « Cash Plus »

Le programme Merankabandi au Burundi

Le modèle Merankabandi met à la disposition de ménages chroniquement pauvres des transferts monétaires, ainsi qu’un appui aux moyens d’existence, à la nutrition et au changement des comportements et des normes sociales dans les communautés.

Le programme social Merankabandi est le filet de sécurité national de l’administration publique du Burundi. Tout a commencé par un programme pilote (2018-2022) financé par la Banque mondiale, et mis en œuvre grâce à l’appui technique de l’UNICEF et de ses partenaires. Le programme pilote visait 56 090 ménages vulnérables vivant dans une pauvreté extrême dans quatre provinces (Gitega, Karuzi, Kirundo et Ruyigi) et leur proposait des transferts monétaires et un soutien additionnel afin d’accroître leur résilience face aux crises et de prévenir la sous-nutrition. Les ménages admissibles étaient ceux composés d’enfants de moins de 12 ans, afin de toucher les plus jeunes enfants exposés à un risque élevé de retard de croissance, mais aussi de favoriser la fréquentation de l’enseignement primaire des enfants plus âgés.

La composante monétaire comprenait des paiements électroniques sans condition à hauteur de 24 dollars US tous les deux mois pour les ménages pendant 30 mois, soit 60 % du revenu moyen des ménages par personne. La composante « additionnelle » comprenait des interventions pour le changement des comportements et des normes sociales à destination des personnes s’occupant d’enfants dans les communautés, afin qu’ils adoptent de meilleures pratiques en matière de soin et de nutrition. Des espaces partagés sous tentes, appelés « Hinduringendo » (« Changeons nos comportements ») ont été établis dans chaque village (215, au total) avec un espace de rencontre, une installation pour se laver les mains, un jardin potager, un espace cuisine, une aire de jeux pour les enfants et des latrines. Les agents communautaires se servaient de ces espaces pour montrer les bonnes pratiques en matière de cuisine, de jardinage et d’hygiène. Ils y organisaient des séances de sensibilisation collective axées sur les compétences pertinentes et faciles à mettre en œuvre en utilisant des ressources et des denrées alimentaires disponibles au niveau local.

À mi-chemin du programme pilote, un financement supplémentaire a été accordé, afin de former des « groupes de solidarité » dans les régions cibles, dans le cadre d’une stratégie de sortie pour les participants au programme Merankabandi. Les membres des groupes de solidarité se sont réunis chaque semaine pour recevoir une éducation financière et épargner, ce qui a servi à soutenir des activités génératrices de revenus et régler des dépenses imprévues. Les jardins potagers bénéficiaient également d’un soutien continu, tandis que la communication pour le changement des comportements et des normes sociales a été renforcée. L’une des principales difficultés de mise en œuvre était le manque d’intégration des différentes composantes du programme : les transferts monétaires, la communication pour le changement des comportements et des normes sociales et les éléments propres aux groupes de solidarité sont en effet rarement accordés aux mêmes ménages, ni simultanément. Le modèle reposant sur les agents communautaires s’est également avéré très onéreux et chronophage, vu le recrutement et la formation nécessaires.

Les données issues du suivi en temps réel indiquent des changements positifs dans les ménages concernés par le programme et ce à différents niveaux du chemin causal d’impact sur la nutrition. On observe une amélioration de l’accès aux soins, des taux d’allaitement maternel exclusif, de la disponibilité des denrées alimentaires pour les enfants, du lavage des mains au savon et des installations sanitaires, ainsi que l’accroissement des prises de décisions conjointes dans les ménages, de l’épargne des ménages et de l’enregistrement des naissances. Les données de l’enquête recueillies en mars 2021 révèlent que la prévalence du retard de croissance chez les enfants âgés de moins de 5 ans dans les ménages participants s’élevait à 52,8 %, contre 69,8 % pour les ménages non participants dans les mêmes régions. La différence la plus importante est relevée dans le groupe d’âge des moins de 2 ans. Ce qui indique que, malgré la courte durée du projet (trois ans), la mise à disposition d’activités complémentaires « Cash Plus » a contribué à l’amélioration des résultats en matière de nutrition pour les enfants.

À la lumière de ces conclusions, la Banque mondiale a accordé un financement destiné à étendre le projet à 250 000 foyers dans les communes les plus pauvres de 18 provinces, pendant cinq ans. Au regard de l’inflation, et dans l’optique de produire un effet de plus grande ampleur, les ménages concernés perçoivent 54 dollars US tous les trois mois pendant 24 mois et bénéficient des mêmes activités en matière de changement des comportements et des normes sociales et d’un soutien pour la création d’emploi. Les réfugiés et les communautés d’accueil sont également visés. Au lieu d’agents communautaires, ce sont les mères de famille bénéficiant du programme Merankabandi et mettant en place des pratiques nutritionnelles positives qui sont recrutées et formées, en vue d’apporter un soutien à leurs pairs. L’objectif est double : il s’agit d’améliorer le lien entre les transferts monétaires et les composantes complémentaires, et de renforcer la pérennité du projet.

Le Programme de protection sociale fondé sur des activités productives en Éthiopie

En Éthiopie, un nouveau groupe de travailleurs sociaux fournit une prise en charge des cas individuels intégrée pour les bénéficiaires des transferts monétaires, tout en les mettant en lien avec de nombreux services de nutrition, de santé et d’agriculture.

Les efforts pour associer la protection sociale et la nutrition en Éthiopie sont principalement axés sur le Programme de protection sociale fondé sur des activités productives (PSNP) en zone rurale. Il s’agit du programme d’assistance sociale le plus important du pays. Il cible actuellement huit millions de foyers ruraux vivant dans une pauvreté extrême et exposés aux crises et à l’insécurité alimentaire. Ces foyers bénéficient d’une aide monétaire ou alimentaire, soit en échange de travaux publics, soit sans condition lorsque les capacités de travail du ménage sont limitées (« soutien direct »).

Les conclusions de l’évaluation du troisième PSNP (2010-2014) révèlent que, malgré l’amélioration de la sécurité alimentaire des ménages, ce programme n’a pas eu d’effets positifs sur la nutrition des enfants (IFPRI, 2013). Par conséquent, et étant donné le contexte du renforcement du paysage d’action publique en matière de nutrition en Éthiopie, le quatrième PSNP (2015-2020) comprenait des indicateurs explicitement liés à la nutrition et contenait des dispositions en la matière, spécialement conçues pour faciliter l’accès à un régime alimentaire varié, à de meilleures pratiques nutritionnelles et sanitaires, et à des services en matière de santé et de nutrition pour l’ensemble des participants (encadré 1).

Encadré 1. Les dispositions en matière de nutrition du quatrième PSNP en Éthiopie

  1. Ajout d’une possibilité pour les femmes enceintes, ainsi que les personnes s’occupant d’enfants âgés de moins de 12 mois ou d’enfants souffrant d’émaciation, d’être dispensées de travaux publics et de bénéficier d’un « soutien direct temporaire » pour faciliter la mise en place de pratiques nutritionnelles et de soin optimales.
  2. Introduction des « coresponsabilités » pour les bénéficiaires du soutien direct temporaire, notamment par la fréquentation d’établissements de santé et la participation à des séances de changement des comportements et des normes sociales organisées par les agents de santé communautaire.
  3. Augmentation de la valeur nutritionnelle des transferts alimentaires (notamment par l’ajout de légumineuses en plus des céréales et de l’huile)
    et de la valeur des transferts monétaires, afin de permettre l’achat de légumineuses.
  4. Droit des femmes à recevoir les distributions, car elles sont conjointement responsables du foyer, afin qu’elles puissent mieux contrôler les ressources du foyer.
  5. Introduction d’un mécanisme de passage à l’échelle des transferts pour faire face aux crises grâce à une budgétisation des urgences, renforçant ainsi la réactivité du système face aux crises.
  6. Sélection de projets de travaux publics présentant des avantages en matière de nutrition pour la communauté (par exemple, construction de garderies sur les chantiers, infrastructures d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’hygiène, jardins potagers, plantation d’arbres fruitiers).
  7. Amélioration des conditions de travail pour les femmes (la moitié de la charge de travail des hommes, travaux moins pénibles, construction de garderies à proximité des lieux de travail).
  8. Organisation de séances mensuelles de deux heures en faveur du changement des comportements et des normes sociales destinées aux personnes participant aux travaux publics (six séances sont comptabilisées comme une journée de travaux publics).
  9. Création de liens avec les activités d’appui aux moyens d’existence tenant compte des questions de nutrition pour les personnes participant aux travaux publics (par exemple, production de volailles, de lait de chèvre, de fruits ou de végétaux).
  10. Implication du secteur de la santé dans les processus du PSNP et sa planification.
  11. Intégration d’indicateurs liés à la nutrition et établissement de rapports sur les résultats en la matière.

Les résultats de l’examen de situation finale du quatrième PSNP indiquent un changement restreint, voire aucun changement, sur un éventail de résultats en matière de nutrition et de facteurs sous-jacents de la nutrition. Une amélioration très légère de la sécurité alimentaire est observée dans les plaines (réduisant le déficit alimentaire de 12 jours par an), mais ce n’est pas le cas dans les régions montagneuses. On constate une très légère amélioration de la diversité des régimes alimentaires (+0,11 groupe alimentaire) dans les régions montagneuses, mais tel n’est pas le cas dans les plaines. Les régimes alimentaires des jeunes enfants (âgés de 6 à 23 mois) et le taux de recours aux services sanitaires sont similaires entre les foyers couverts par le PSNP et les autres. Les faibles résultats nutritionnels sont largement attribués au manque d’efficacité du programme du point de vue des transferts sociaux (transferts tardifs, irréguliers et d’une valeur monétaire faible), ainsi qu’au caractère sporadique de la mise en œuvre des dispositions nutritionnelles en raison des restrictions budgétaires.

En vue de mieux cerner comment améliorer les résultats en matière de nutrition du PSNP, le ministère du Travail et des Affaires sociales a mis en œuvre, avec l’appui technique de l’UNICEF, un programme de prestations de services sociaux essentiels intégrées à des transferts monétaires sociaux [Integrated Basic Social Services with Social Cash Transfer (IN-SCT)] entre 2016 et 2018 dans quatre woredas des régions des nations, nationalités et peuples du Sud et d’Oromia. Une approche de prise en charge des cas a été utilisée pour mettre en relation les bénéficiaires du soutien direct au titre du PSNP avec un ensemble de services intégrés, y compris des services pour un changement des comportements et des normes sociales, des services sanitaires et nutritionnels, un appui technique aux activités agricoles et un soutien aux moyens d’existence. Les bénéficiaires du PSNP ont continué de recevoir régulièrement, au titre du programme, des transferts de 3 kg de céréales par jour ou l’équivalent en espèces, suivant le contexte. Une évaluation de la situation finale a montré le succès des mises en lien entre les bénéficiaires et les services fournis par les travailleurs sociaux, mais révèle un manque d’effet sur les résultats de la nutrition infantile. Dans des zones ayant bénéficié d’interventions additionnelles sensibles à la question de la nutrition (appui technique aux activités agricoles, soutien aux moyens d’existence), certaines améliorations ont pu être observées sur les indicateurs du diagramme d’analyse logique, notamment pour ce qui est de la diversité des régimes alimentaires des ménages, de la sécurité alimentaire et des pratiques d’allaitement maternel.

Un programme pilote sur cinq ans, bâti sur les leçons apprises et intitulé Integrated Safety Net Pilot (ISNP), a été lancé en 2019 dans quatre woredas de la région Amhara et celle d’Addis-Abeba par le ministère du Travail et des Affaires sociales, avec l’appui technique de l’UNICEF. Ce programme emploie une approche de prise en charge des cas semblable à celle du programme pilote IN-SCT, en y ajoutant des composantes destinées à renforcer les mises en lien avec les services de santé, de nutrition, d’éducation et de protection. Une nouvelle vague de personnel spécialisé dans le domaine social (travailleurs des services communautaires) a été recrutée, afin de renforcer la cohérence de la prise en charge des cas individuels, grâce à un nouveau système de gestion informatique des données et des systèmes améliorés de recrutement et de référencement.

À la lumière des leçons apprises dans le cadre du quatrième PSNP, de nouvelles dispositions sensibles à la question de la nutrition ont été conçues et seront intégrées au cinquième, et plus vaste, PSNP, avec l’appui de la Banque mondiale. Parmi ces nouvelles dispositions figurent : une sélection de biens communautaires favorables à  la nutrition dans le cadre des projets de travaux publics ; l’intégration de la prise en charge des cas et des référencements vers les services sanitaires et nutritionnels ; un renforcement des activités de changement des comportements et des normes sociales en matière de nutrition pour les bénéficiaires du PSNP ; le passage des femmes, pendant leur grossesse et jusqu’au premier anniversaire de leur enfant, de la modalité de soutien en échange de la réalisation de travaux publics à la modalité de soutien sans condition ; la mobilisation de « femmes championnes de la nutrition » ; et la création de solutions de garderie sur les chantiers publics. Le cinquième PSNP dispose également d’une composante visant à renforcer la réactivité face aux chocs et à permettre le passage à l’échelle des transferts, tant horizontalement (élargissement à un plus grand nombre de bénéficiaires) que verticalement (accroissement de la valeur des transferts), en cas de crises. Les futures évaluations du PSNP examineront avec rigueur l’impact de ces dispositions.

Merankebandi participant and her children. Burundi, 2021

Le programme Stawisha Maisha en Tanzanie

Le programme Stawisha Maisha vise le changement des comportements et des normes sociales chez les bénéficiaires du programme public de transferts monétaires, afin de soutenir l’adoption de pratiques positives en matière d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant dans les ménages chroniquement pauvres.

Le deuxième Programme de protection sociale fondé sur des activités productives (2020-2023) est le programme d’assistance sociale du gouvernement tanzanien. Il cible 1,2 million de bénéficiaires dans les ménages chroniquement pauvres (recensés par un système commun de ciblage). Les ménages dépourvus de capacité de travail perçoivent des transferts monétaires sans condition (« soutien direct »), et ceux disposant d’une capacité de travail prennent part à des travaux publics rémunérés pendant la période de soudure. Tous les ménages bénéficiaires ayant des enfants âgés de moins de 18 ans reçoivent également un transfert monétaire variable en fonction de leur recours aux services de santé, de nutrition et d’éducation. Les ménages concernés par le deuxième Programme de protection sociale reçoivent des transferts monétaires bimensuels à hauteur de 5,30 dollars US et 24,10 dollars US par jour, suivant les critères d’admissibilité.

L’UNICEF a travaillé main dans la main avec l’administration publique entre 2018 et 2019 pour mettre à l’essai le programme Cash Plus Stawisha Maisha dans deux districts. Le programme testait l’efficacité de l’ajout de deux séances supplémentaires sur le changement des comportements et des normes sociales pour les foyers concernés par le deuxième Programme de protection sociale. L’objectif était d’améliorer les pratiques en matière d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, en parallèle des transferts monétaires destinés à faciliter l’accès à des aliments nutritionnels. Des séances animées par les pairs sur le changement des comportements et des normes sociales ont été dispensées aux pourvoyeurs de soins et aux autres membres des ménages sur les lieux de paiement du programme, à l’occasion de chacun des six jours de paiement tout au long de l’année.

Au total, les séances sur le changement des comportements et des normes sociales ont touché 10 837 pourvoyeurs de soins sur 127 lieux de paiement, et 85 % des participants ont assisté à la totalité des six séances. La méthodologie d’évaluation présentait des lacunes, aussi est-il un peu prématuré de tirer des conclusions sur l’impact du programme. Cependant, un examen de la situation finale révèle que les bénéficiaires ont accepté l’approche utilisée, que des activités ont été intégrées par les équipes de protection sociale et que les participants ont beaucoup appris en ce qui concerne les pratiques d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant. L’une des principales limites rencontrées résidait dans l’usage de supports écrits face à une audience largement illettrée. D’un point de vue monétaire, l’efficacité du programme s’est avérée plutôt faible en 2019, en raison de plusieurs défauts de paiements dus à des pénuries de financement. Le manque de couverture en matière de services de santé et de nutrition dans certaines des zones ciblées rendait impossible la mise en lien des bénéficiaires du programme avec ces services.

L’UNICEF et le Fonds d’action sociale de la Tanzanie (TASAF) ont œuvré ensemble à la conception de la deuxième mouture du programme Stawisha Maisha, qui est en cours de mise en œuvre dans la zone des lacs. Les modifications de conception effectuées en application des enseignements tirés de la première phase comprennent l’augmentation de la fréquence des réunions de groupe (désormais hebdomadaires), des réunions au sein des communautés, plutôt que sur les lieux de paiement, le ciblage des mères et des pourvoyeurs de soin directs, ainsi que l’utilisation de la radio comme principal canal de communication. Les séances pourront être mieux effectuées grâce à la distribution de radios à manivelle, de supports améliorés en matière de communication sur le changement des comportements et des normes sociales, et à une supervision continue des travailleurs du programme. Un mécanisme de renforcement du suivi et de l’évaluation est en cours de mise au point, afin de recueillir des données intéressantes pour l’intégration et le passage à l’échelle à venir.

Leçons apprises

Les données de ces études de cas révèlent que le fait d’effectuer des transferts monétaires en parallèle d’interventions « additionnelles » permet d’éliminer les obstacles à une nutrition optimale, en effaçant les limitations financières, en facilitant l’accès à des aliments nutritionnels, l’utilisation de services nutritionnels ou autres, et en améliorant les pratiques en matière de soin et d’alimentation. Cette stratégie est d’autant plus efficace lorsque les équipes de protection sociale et de nutrition travaillent ensemble à la conception et à la mise en œuvre de programmes communs.

L’impact des programmes « Cash Plus » est plus important lorsque les transferts monétaires sont d’une valeur adaptée, qu’ils sont effectués de manière régulière, prévisible et versés dans les temps, ainsi que lorsque des éléments « additionnels » sont fournis en parallèle aux mêmes populations. Des leçons apprises au Burundi, il ressort que ce dernier point requiert une planification conjointe, l’établissement de liens entre les systèmes et une communication régulière entre les équipes de protection sociale, de nutrition et autres.

La combinaison d’une communication pour le changement des comportements et des normes sociales et des transferts monétaires peut inciter les populations vulnérables à adopter de meilleures pratiques en matière d’alimentation et de soin des enfants. Des formations visant le changement des comportements et des normes sociales peuvent être dispensées par des groupes de volontaires de la communauté formés dans le cadre du système de santé (comme au Burundi), ou par le système de sécurité sociale (comme en Tanzanie). On retire des leçons apprises en Tanzanie et au Burundi que le changement des comportements et des normes sociales est plus susceptible de survenir lorsque la population cible a accès à des services de nutrition de qualité et à des aliments variés.

Un système de référencement pour les bénéficiaires de transferts monétaires vers plusieurs services permet d’améliorer l’accès à de nombreux services, ainsi que leur utilisation, en vue de soutenir la nutrition et le bien-être des enfants, comme cela a pu être démontré dans le cadre du programme pilote Integrated Safety Net Pilot en Éthiopie. Cela sera d’autant plus efficace lorsque des circuits de référencement clairs existeront entre les équipes sectorielles et lorsque les systèmes d’information seront intégrés ou partagés. Des services intégrés de prise en charge des cas offrent des possibilités efficaces de gestion des référencements, et cette gestion peut être opérée par des volontaires formés issus de la communauté (comme en Éthiopie).

L’expérience du Burundi montre le potentiel des jardins potagers, de l’appui à l’augmentation de l’épargne des foyers et du soutien aux moyens d’existence et à la création d’emploi pour augmenter les revenus des foyers des bénéficiaires de transferts et rendre plus durable l’accès à des aliments variés pour les enfants. Adapter les interventions d’appui aux moyens d’existence pour soutenir la disponibilité des aliments à haute valeur nutritionnelle pour les enfants, en fournissant, par exemple, des graines et du petit bétail, permettrait aux familles de mettre en pratique les conseils reçus lors des activités de changement des comportements et des normes sociales.

Les programmes « Cash Plus » doivent faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation solides, afin de recueillir des données de qualité. Les cadres de suivi devraient être conçus de sorte à montrer les conséquences sur l’ensemble du chemin causal d’impact en matière de nutrition, y compris les indicateurs, afin de mesurer les évolutions à court terme (telles que la diversité du régime alimentaire, les changements dans les pratiques et l’accès aux services) comme à long terme. Les conclusions peuvent alimenter la conception de chaque nouvelle version du programme, comme en Éthiopie, pour veiller à ce que les leçons apprises favorisent l’amélioration du programme et accentuent son impact au fil du temps. Des informations fiables permettent également d’appuyer le plaidoyer en faveur des investissements pour un futur passage à l’échelle.

Merankebandi participant tending to her kitchen garden. Burundi, 2021

Conclusions

Un nombre croissant de ressources nationales et étrangères sont investies dans l’élaboration de programmes publics d’assistance sociale à grande échelle dans la région de l’Afrique de l’Est et australe, afin de venir financièrement en aide aux membres les plus vulnérables de la société. Ces programmes offrent une excellente occasion de répondre à la question de la pauvreté en tant que l’une des causes sous-jacentes de la sous-nutrition infantile. Les exemples des pays fournis dans le présent document indiquent que, grâce à l’introduction intentionnelle de dispositions en matière de nutrition dans le cadre de leur conception et à l’ajout d’éléments « additionnels » spécifiques à la question de la nutrition, les programmes d’assistance sociale ont le potentiel nécessaire pour balayer plusieurs obstacles à l’amélioration de la nutrition infantile (au-delà des seuls obstacles financiers) de sorte à parvenir à un changement positif en matière de nutrition. Le passage à l’échelle des programmes dans de nombreux pays est évidemment indispensable pour contribuer à la réduction de la pauvreté nationale et aux objectifs en matière de nutrition. La mobilisation de nombreux secteurs (y compris celui de la nutrition) dans les efforts de politique sociale, ainsi que dans la conception et dans l’évaluation des programmes d’assistance sociale, est cruciale pour parvenir à leur réalisation.

À l’avenir, l’une des possibilités pour la région de l’Afrique de l’Est et australe réside dans l’intégration de mécanismes réactifs aux chocs, dans le cadre de programmes nationaux d’assistance sociale, ce qui permettrait le passage à l’échelle de l’assistance monétaire ou en bons alimentaires en situation de crise. Cela favorisera la prévention de la malnutrition en cas de crise aiguë due aux phénomènes climatiques dans la région, dans le cadre d’une stratégie plus vaste de prévention de la malnutrition et de résilience en matière de nutrition. Il existe également d’autres possibilités d’améliorer la capacité des systèmes plus larges de protection sociale à soutenir un changement durable dans le domaine de la nutrition. Il peut s’agir entre autres de l’amélioration du droit du travail pour les femmes pour soutenir de meilleures pratiques en matière d’alimentation du nourrisson et du jeune enfant, ainsi que d’une évolution des régimes d’assurance-maladie vers la couverture sanitaire universelle, notamment au moyen d’un accès universel à des services nutritionnels, tels que la prise en charge de l’émaciation, la supplémentation en micronutriments et le conseil. Des efforts de transformation des systèmes alimentaires s’imposent également pour améliorer et faciliter plus largement l’accès à des aliments nutritionnels, notamment à des sources de protéines, de sorte que l’assistance sociale se traduise par une amélioration du régime alimentaire chez les jeunes enfants.

Pour de plus amples informations, veuillez contacter Chloe Angood à l’adresse suivante : cangood@unicef.org.

Références

Angood C, Kamudoni P & Kinyanjui G (2022) Cash transfers and health education to address young child diets in Kenya. Field Exchange, 68. https://www.ennonline.net/fex/68/socialprotectionkenya

IFPRI (2013) Productive Safety Net Program (PSNP). https://essp.ifpri.info/productive-safety-net-program-psnp/

Little M, Roelen K, Lange B et al (2021) Effectiveness of cash-plus programmes on early childhood outcomes compared to cash transfers alone: A systematic review and meta-analysis in low- and middle-income countries. PLoS Med, 18, 9, e1003698. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1003698 

Manley J, Alderman H & Gentilini U (2022) More evidence on cash transfers and child nutritional outcomes: A systematic review and meta-analysis. BMJ Global Health, 7, e008233.

Owusu-Addo E, Renzaho A & Smith B (2018) The impact of cash transfers on social determinants of health and health inequalities in sub-Saharan Africa: A systematic review. Health Policy and Planning, 33, 5, 675-696. https://doi.org/10.1093/heapol/czy020

UNICEF (2020) Nutrition, for Every Child: UNICEF Nutrition Strategy 2020-2030. UNICEF, New York. https://www.unicef.org/reports/nutrition-strategy-2020-2030

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