Série de la revue The Lancet publiée en 2023 sur l’allaitement maternel : Dévoiler les tactiques prédatrices de l’industrie des laits maternisés
Cet article résume les conclusions de la série consacrée à l’allaitement maternel publiée par la revue The Lancet en 2023, disponible à l’adresse suivante :
https://www.thelancet.com/series/Breastfeeding-2023.
Cette série met en évidence les stratégies commerciales qui créent une demande artificielle de laits maternisés et en évalue les conséquences sur les familles, les prestataires de soins de santé, les employeurs et les responsables politiques (The Lancet, 2023).
Il a été démontré que l’allaitement maternel a des bienfaits pour la santé des mères et des nourrissons dans les pays à revenu faible comme élevé. Or, moins de la moitié des enfants du monde sont nourris au sein tel que le recommande l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). Depuis des décennies, les fabricants de laits maternisés agissent dans l’ombre pour tirer profit des peurs et des inquiétudes des parents et faire de l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants une industrie incroyablement lucrative, estimée à plusieurs milliards de dollars. Désormais forts d’un immense pouvoir économique, ces fabricants l’exercent dans le domaine politique pour que l’industrie des laits maternisés reste sous-réglementée et que les services en faveur de l’allaitement maternel continuent de manquer de ressources. Telles sont les conclusions accablantes de la série d’études sur l’allaitement maternel publiée par The Lancet en 2023.
Les auteurs des trois études de cette série présentent les stratégies multidimensionnelles et hautement efficaces que les fabricants de laits maternisés déploient pour cibler les parents, les professionnels de santé et les décideurs politiques. Ils décrivent en quoi les pratiques de marketing douteuses de l’industrie (qui violent le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel élaboré par l’OMS) s’accompagnent souvent d’activités de lobbying visant à influencer les pouvoirs publics, dont la plupart sont menées à couvert par l’intermédiaire d’associations d’entreprises et d’organisations de façade qui travaillent à éroder la protection de l’allaitement maternel dans la loi et à affaiblir les réglementations relatives aux aliments.
Les auteurs de la première étude de la série (Pérez-Escamilla et al., 2013) retracent l’évolution normale du comportement des nourrissons au cours des premiers mois de leur vie et en décrivent les effets sur les pratiques d’alimentation. Ils concluent que les mécanismes courants d’adaptation du nourrisson à son environnement après la naissance (dont les pleurs, un comportement fluctuant et des nuits courtes) sont souvent interprétés à tort comme la manifestation de problèmes d’alimentation. Par ailleurs, les auteurs constatent que l’une des principales raisons pour lesquelles les mères arrêtent d’allaiter et utilisent des laits maternisés est qu’elles jugent elles-mêmes manquer de lait.
La deuxième étude de cette série (Rollins et al., 2023) traite des méthodes de marketing des laits maternisés. Les auteurs exposent la manière dont les fabricants de laits maternisés présentent le comportement normal des nourrissons sous un angle différent afin de tirer parti des inquiétudes et des espoirs des parents pour vendre leurs produits. Les laits maternisés sont commercialisés au moyen d’un système d’influence multidimensionnel, sophistiqué, puissant et doté de ressources suffisantes, qui génère la demande de ces produits et en assure la vente au détriment de la santé et des droits des familles, des femmes et des enfants. Les plateformes numériques et l’utilisation de données sur les individus à des fins de marketing ciblé et personnalisé ont considérablement élargi la portée et renforcé l’influence de ce système. En plus d’affirmer que leurs produits peuvent soulager les nourrissons ou les aider à mieux dormir la nuit, les fabricants insinuent qu’ils peuvent favoriser le développement du cerveau et stimuler l’intelligence. Aucune de ces affirmations n’a pourtant été démontrée. L’alimentation des enfants est de plus présentée comme un bien de consommation, et les entreprises font la promotion croisée de laits pour nourrissons, puis pour bébés, pour jeunes enfants et des laits de croissance dans un ordre logique et avec la même image de marque. Ces stratégies visent à une fidélisation envers la marque et constituent une tentative évidente d’échapper à la législation qui interdit de faire de la publicité pour les laits maternisés.
Les forces politiques et économiques qui permettent à l’industrie d’exercer son influence et qui compromettent l’allaitement maternel dans un contexte d’inégalités majeures entre les genres font l’objet de la troisième étude de la série (Baker et al., 2023). Les auteurs exposent des facteurs structurels du manque d’efficacité généralisé des efforts de promotion, de protection et de soutien de l’allaitement maternel dans le cadre des systèmes de soins de santé. L’étude met notamment en cause l’existence de relations de pouvoir fondées sur le genre et privilégiant le biomédical, qui entravent la prestation aux mères de soins respectueux des différences culturelles et centrés sur les femmes ; d’un environnement idéologique qui tolère et encourage les entreprises à influencer les systèmes de santé ; ainsi que de politiques économiques de réduction des dépenses publiques. La croissance du marché des laits maternisés découle également du fait que les pouvoirs publics et les systèmes économiques ne reconnaissent pas correctement la valeur de l’allaitement maternel et de la prestation de soins (qu’effectuent en majorité les femmes), ainsi que du manque de financement de la protection de la maternité. L’accès à des services de protection de la maternité adéquats est impossible pour un demi-milliard de femmes dans le monde, dont la majorité sont sous-payées, occupent des emplois précaires ou travaillent dans le secteur informel.
Les auteurs postulent donc que la publicité des laits maternisés devrait être interdite. Ils estiment nécessaire d’adopter une convention-cadre centrée sur les droits des enfants et des femmes afin de protéger les parents et les communautés du marketing de produits alimentaires destinés aux enfants de moins de 3 ans, y compris des systèmes de marketing pour les laits maternisés. Une telle convention restreindrait la publicité, mais non la vente de ces produits.
Surmonter les obstacles structurels à l’allaitement nécessite la mise en œuvre stricte de réformes de grande envergure non limitées au secteur de la santé. Ces réformes devront notamment comprendre des mesures de mobilisation politique et sociale, et viser à réduire l’influence et le pouvoir économique des entreprises. Les gouvernements ont l’obligation de garantir l’accès de leurs citoyens à des informations objectives sur l’alimentation des nourrissons et des jeunes enfants, en plus d’adopter des politiques non influencées par l’industrie. Défendre pleinement et équitablement les droits des femmes et des enfants au sein du foyer, au travail, dans les espaces publics et en matière de soins de santé constitue une responsabilité sociale.
Références
Baker P, Smith JP, Garde A et al (Lancet Breastfeeding Series Group) (2023) The political economy of infant and young child feeding: confronting corporate power, overcoming structural barriers, and accelerating progress. The Lancet, 401, 10375, 503–524. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)01933-X
The Lancet (2023) Unveiling the predatory tactics of the formula milk industry. The Lancet, 401, 10375, 409. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(23)00118-6
Pérez-Escamilla R, Tomori C, Hernández-Cordero S et al (Lancet Breastfeeding Series Group) (2023) Breastfeeding: Crucially important, but increasingly challenged in a market-driven world. The Lancet, 401, 10375, 472–485. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)01932-8
Rollins N, Piwoz E, Baker P et al (Lancet Breastfeeding Series Group) (2023) Marketing of commercial milk formula: A system to capture parents, communities, science, and policy. The Lancet, 401, 10375, 486–502. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(22)01931-6