Adoption officielle de la politique nationale de nutrition du Niger, ce qu’il faut retenir
Le 15 novembre dernier, le gouvernement nigérien a fait un grand pas en avant dans la lutte contre la malnutrition en adoptant sa toute première politique nationale de nutrition dite « politique nationale multisectorielle de sécurité nutritionnelle ». Cette politique a pour objectif d’éliminer toutes les formes de malnutrition pour atteindre la vision où chaque nigérien jouit d’un statut nutritionnel adéquat pour assurer le développement, la résilience et la prospérité du Niger. Cette vision pose la nutrition comme un outil de développement et de résilience et pas seulement comme une stratégie d’urgence. Elle définit les rôles et les responsabilités de toutes les parties prenantes (tels que les donateurs, les partenaires techniques, les organisations non gouvernementales, la société civile et le secteur privé, etc.) dans l'amélioration de la sécurité nutritionnelle du pays, soulignant ainsi l'importance de la participation de tous les acteurs dans la réduction de la malnutrition.
L’adoption de la politique nationale de nutrition du Niger a été rendu possible par le concours de plusieurs circonstances, notamment un engagement politique de haut niveau depuis la crise nutritionnelle qu’a connu le pays en 2005. Engagement qui s’est traduit par la création de la Direction nationale de la nutrition (en 2007), l’adhésion du Niger au mouvement SUN en 2011 et la création, la même année, du Haut-Commissariat à l’initiative 3N (HC-I3N), la plus haute institution chargée de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans le pays. Le HC-I3N, arrimé à la présidence, a conduit le processus d'élaboration, de validation et d'adoption de la politique nationale de nutrition et de son plan d’action. Cependant, il faut noter que le processus d’élaboration de la politique a été extrêmement inclusif, et a vu la participation du point focal SUN, les réseaux SUN (secteur privé, société civile, donateurs), les ONG nationales et internationales, les agences des Nations Unies dans le cadre de l’initiative REACH, ainsi que des consultations régionales et avec plus de dix Ministères des secteurs sensibles à la nutrition.
La nouvelle politique nationale de nutrition tire ses fondements des dernières évidences scientifiques disponibles, y compris des recommandations du Mouvement SUN concernant la programmation multisectorielle. Le document de politique qui en résulte contient huit engagements multisectoriels contribuant à améliorer la sécurité nutritionnelle pour tous.
Les engagements de la politique multisectorielle de nutrition du Niger:
Engagement 1 : Le Niger s’engage à assurer que les politiques et instruments qui protègent et améliorent la sécurité nutritionnelle et le cadre de vie des Nigériennes et des Nigériens, particulièrement au niveau des groupes vulnérables, soient formulés et guident les décisions et actions du Gouvernement et de ses partenaires.
Engagement 2 : Le Niger s’engage à assurer une nutrition et un développement optimal pour chaque enfant, une nutrition adéquate durant l’adolescence en particulier pour les jeunes filles, et un apport nutritionnel approprié pendant la grossesse et l’allaitement.
Engagement 3 : Le Niger s’engage à créer les conditions d’une disponibilité accrue de l’approvisionnement et de la consommation d’aliments diversifiés, pour garantir une alimentation quantitativement et qualitativement adéquate aux enfants de moins de cinq ans, aux adolescentes et adolescents, aux femmes enceintes et allaitantes et ceci durant les différentes périodes de l’année y compris la période de soudure.
Engagement 4 : Le Niger s’engage à assurer le développement et la mise à l’échelle de stratégies permettant un accès à l’eau potable, et aux infrastructures d’hygiène et d’assainissement pour les enfants, les femmes et les hommes.
Engagement 5 : Le Niger s’engage à ce qu’un socle de protection sociale ou des programmes de protection sociale contribuent directement ou indirectement à la promotion de la sécurité nutritionnelle en particulier pour les catégories les plus vulnérables.
Engagement 6 : Le Niger s’engage pour une éducation formelle et non formelle qui promeut la sécurité nutritionnelle.
Engagement 7 : Le Niger s’engage à lutter contre le surpoids et l’obésité, y compris la surnutrition des enfants, et à réduire l’incidence des maladies non transmissibles (prévenir et contrôler les maladies liées à la mauvaise alimentation et ses conséquences).
Engagement 8 : Le Niger s’engage à développer et mettre à l’échelle des stratégies de communication cohérentes et multisectorielles assurant un support politique, des changements sociaux et de comportements favorisant une meilleure nutrition.
Pour chaque engagement, un Ministère lead a été désigné pour diriger la réalisation de l’engagement et assurer la redevabilité. Un plan d'action a également été élaboré pour chaque engagement visant à soutenir la mise en œuvre des programmes sensibles à la nutrition et spécifiques à la nutrition. Ce processus a également été participatif avec la mise en place de huit groupes de travail qui se sont chargés de développer un ensemble d’actions pour chacun des engagements. Les plans d'action distincts ont été harmonisés en un seul plan multisectoriel visant à renforcer la programmation, mais aussi les synergies et la complémentarité entre les acteurs des différents secteurs et à servir d'outil de redevabilité, de suivi et d'évaluation.
Avec l'adoption officielle de la politique nationale de nutrition, le Niger a franchi une étape importante dans la lutte contre la malnutrition dans le pays. Cependant, la politique nationale multisectorielle de sécurité nutritionnelle, comme toutes les politiques, énonce simplement l'engagement d'agir et de nombreux défis se présentent pour transformer cet engagement en impact sur le terrain. Le premier et indéniablement le plus grand défi reste le financement des interventions nutritionnelles. En 2011, le gouvernement du Niger a créé une ligne budgétaire pour les interventions nutritionnelles, mais celle-ci reste peu ambitieuse et mal approvisionner. Actuellement, les fonds budgétaires alloués à la nutrition, à travers cette ligne budgétaire, s'élèvent à environ 1 milliard de francs CFA. Le plan d'action multisectoriel actuel est budgétisé pour plus de 200 milliards de FCFA sur 3 ans (2017-2018), ce qui équivaut à environ 70 milliards de dollars par an. L’investissement exact dans le domaine de la nutrition dans le pays n’est pas bien connu en raison de l’absence d’une évaluation rigoureuse des investissements de nutrition. Cependant, il est bien établi que la majeure partie du financement de la nutrition dans le pays provient actuellement de donateurs extérieurs et est mise en œuvre par des ONG nationales et internationales qui sont différentes des structures et des systèmes gouvernementaux. Ainsi, ce financement et l'expertise développée par ces partenaires de soutien ne sont pas durables.
Le renforcement des ressources humaines est un autre défi que le gouvernement doit relever pour garantir l’adoption effective de ce plan. Ce défi devient encore plus complexe avec l'introduction de la nouvelle politique multisectorielle qui nécessite des ressources humaines supplémentaires non seulement dans le secteur de la santé mais également dans les autres secteurs sensibles à la nutrition. Le plan d'action multisectoriel, énonce clairement dans l'engagement 1, la nécessité de procéder à une analyse des gaps en ressources humaines et à l'élaboration d'un programme de renforcement des capacités. Nutrition International a offert, par le biais du programme TAN, de développer le plan de renforcement des capacités et d'autres outils pour la mise en œuvre de la nouvelle politique de nutrition.
Un autre défi de taille à la mise en œuvre de la nouvelle politique, c’est la difficulté de convaincre les autres secteurs de mener des interventions sensibles à la nutrition, car la nutrition est une dimension presque entièrement nouvelle pour eux. L'intégration de la nutrition dans des secteurs sensibles à la nutrition et leur coordination sont une condition de succès. Un cadre de coordination multisectoriel, le CMPS4 existe déjà, mais il est resté très peu fonctionnel jusqu’ici. La coordination de la nouvelle politique multisectorielle de nutrition, qui repose sur ce cadre de coordination précédent, reste donc un défi à relever. La bureaucratie dans le pays peut s'avérer être un autre défi pour le succès de cette politique, étant donné que le pays dispose déjà de multiples cadres de coordination horizontaux et verticaux qui ne fonctionnent pas pleinement, en raison notamment d'une bureaucratie excessive autant que d'un manque de financement. Il importe donc de déterminer clairement comment ces cadres de coordination vont être redynamiser.
Malgré les nombreux défis, il n’en reste pas moins que la nouvelle politique nationale multisectorielle de sécurité nutritionnelle dispose des atouts indéniables pour renforcer les actions en faveur de la sécurité nutritionnelle et aider le Niger à réaliser les objectifs de développement durable à l'horizon 2030. La création de l'initiative 3N en tant qu'institution au sein de la présidence met en évidence l'engagement du pays en faveur de la sécurité nutritionnelle et constitue l'un des atouts les plus précieux pour la mise en œuvre de sa politique multisectorielle en matière de nutrition.
Nutrition International a commencé à développer des outils de mise en œuvre de la politique de nutrition, notamment un plan de renforcement des capacités, un plan de suivi et évaluation, un plan de communication et plaidoyer et un cadre de coordination. Les partenaires de la nutrition dans le pays devraient s’aligner sur la nouvelle politique de nutrition. Espérons que ce soutien des ONG sera mieux coordonné dans le cadre de la nouvelle politique de nutrition afin d’éviter les doublons et d’améliorer les synergies.
Le Niger a une longue histoire de prise en charge de la malnutrition aiguë par le biais du système de santé à travers tout le pays. Des leçons de ce programme peuvent être tirées pour servir à développer des programmes sensibles à la nutrition dans d'autres secteurs. Les cadres de coordination mis au point aux niveaux national, sous-national et communautaire offrent d’excellentes opportunité de coordination multisectorielle à renforcer et à développer.