Privilégier la nutrition maternelle en Asie du Sud – Réflexions lors d’une conférence régionale

Plus tôt ce mois-ci, j'ai assisté à une conférence organisée conjointement par l'Association sud-asiatique de coopération régionale (SAARC), le Bureau régional de l'UNICEF pour l'Asie du Sud (ROSA) ainsi que Nutrition International afin de débattre et d’identifier quelles actions pourraient permettre d’accélérer les soins nutritionnels des femmes durant leur grossesse et après l’accouchement en Asie du Sud. Des représentants des huit pays de la SAACR ont participé à la conférence, chacun ayant envoyé des hauts fonctionnaires représentant leurs gouvernements respectifs, ce qui est peut-être un gage de l’importance donnée à ce problème dans la région. 

Une nutrition maternelle adéquate est importante en soi afin de garantir le bien-être des mères ainsi que les 1000 premiers jours de la vie du nouveau-né, qui représentent une période critique influençant sa santé et son état nutritionnel. La sous-alimentation de la mère est directement liée à la sous-alimentation des enfants, car on estime que 20 à 30 % des cas d'émaciation et de retard de croissance se produisent in utero.

La question de la nutrition maternelle n'a pas reçu l'attention nécessaire et c'est dans ce contexte que cette conférence, faisant partie de la série de rencontres organisées dans le cadre du programme STOP STUNTING, a été programmée afin d’attirer l'attention sur cette question cruciale en Asie du Sud.

Quel est le statut des femmes en Asie du Sud? 

  1. Plus de la moitié des mères adolescentes dans le monde y vivent, et leur nombre dépasse les 17 millions.
  2. C’est là également que 37 % des femmes souffrant d'anémie dans le monde se trouvent, atteignant ainsi un nombre stupéfiant de 227 millions de femmes anémiques, ce qui en fait un grave problème de santé publique et de développement dans la région.
  3. Un quart des femmes sud-asiatiques sont trop maigres, et une femme sur dix dans la région mesure moins d'un mètre quarante-cinq, ce qui témoigne souvent d'un retard de développement au cours de la grossesse et a donc un impact sur la santé de la mère et de l'enfant.
  4. L'embonpoint et l'obésité chez les femmes sont à la hausse dans tous les pays, plus de 30% des femmes dans 5 pays sur 8 étant en surpoids ou obèses.

Ces trois jours de conférence ont permis de procéder à des mises à jour techniques sur la nutrition maternelle, de partager les expériences de chaque pays et s'est conclue par un plan d'action pour permettre d'améliorer la situation au sein de leurs pays respectifs.

Les défis liés à la nutrition maternelle ont toutefois semblé pertinents, vous trouverez ci-dessous un résumé des sujets récurrents lors des échanges.

  1. Une analyse des politiques existantes dans l’ensemble des pays révèle que généralement, les 8 recommandations de l’OMS concernant les soins prénataux en cas d’expérience de grossesse positive sont mentionnées, néanmoins, une observation plus attentive a révélé que leur mise en pratique était variable et loin d'être systématique, même pour les suppléments en fer, acide folique (Vitamine B9) et en calcium.
  2. L'importance d’avoir une approche multisectorielle de la nutrition maternelle a souvent été évoquée, en prenant comme exemple les nombreux pays qui utilisent plusieurs plates-formes afin de proposer des services et délivrer des messages. L'accent a été mis sur l'identification active des plates-formes et des mécanismes de distribution innovants pour des apports simples mais vitaux, par exemple, chaque fille et chaque femme devraient avoir accès à la vitamine B9 même si elles sont incapables de se rendre dans un centre médical. La difficulté de traduction des politiques et des stratégies à l'échelon infranational était une problématique commune à tous les pays, les obstacles étant clairement situés en aval. C'est d’ailleurs un problème qui a été récemment examiné en détail par l'ENN au Népal, en Asie, au Sénégal et au Kenya.
  3. Les participants ont souligné l'importance de la contextualisation de toutes les recommandations; bien que cela soit important pour assurer la conformité et accroître leur portée, il faut garder à l'esprit qu'il ne faut pas modifier l'essentiel des recommandations qui sont basées sur des données concrètes.
  4. L'importance de la diversité alimentaire a été reconnue comme un facteur clé permettant l'amélioration de la nutrition. L'importance de préserver les connaissances autochtones à propos des aliments localement disponibles a souvent été évoquée. Un défi évoqué par le représentant du gouvernement afghan était le fait qu'il n'y ait pas de fonds disponibles permettant de promouvoir la diversité alimentaire auprès des ménages, tous les fonds étant alloués à l’amélioration des qualités nutritives des aliments. Une initiative intéressante de l'un des États de l'Inde mérite d'être mentionnée dans ce contexte: l'État du Karnataka, situé dans le sud du pays, a mis en place un programme de repas chauds préparés pour toutes les femmes enceintes et allaitantes par l'intermédiaire de l’, une association indienne s’intéressant à l’alimentation, aux soins et à l’éducation des enfants. Les repas sont élaborés de manière à convenir aux goûts locaux et répondent à 40% des besoins nutritionnels quotidiens. Les résultats de ce programme entièrement financé par le gouvernement n'ont pas encore été évalués, mais des changements positifs sont constatés à un niveau communautaire. De telles initiatives menées à grande échelle doivent faire l'objet d'un suivi attentif afin d'en tirer des leçons pour que d'autres puissent s'en inspirer.
  5. L'importance de la pertinence des données a fait l'objet de débats. On a constaté qu'en dehors de la supplémentation en vitamines B9, il y avait peu d'autres indicateurs liés à la nutrition maternelle qui étaient pris en compte à intervalles réguliers dans les enquêtes nationales. Dans des pays comme l'Inde, qui dispose de données ventilées abondantes sur la santé et la nutrition à niveau communautaire, la question de leur gestion a été soulevée, l’existence de nombreuses plates-formes utilisant toutes les mêmes bases de données s’avérant redondante. Comment cela pourrait-il être optimisé afin d’éviter les doublons et de simplifier la tâche des exécutants?

 

A mon avis, il y avait deux problématiques abordées au cours de cette conférence qui auraient mérité qu’on s’y attarde plus longuement.

  • Premièrement, la nutrition des adolescentes : dans une région où mariages et grossesses précoces sont courants, les adolescentes doivent avoir le même statut prioritaire que les femmes enceintes et les enfants si nous voulons éviter les retards de croissance (ainsi que l’émaciation). La plupart des interventions sur la nutrition se sont focalisées sur la période critique des 1000 jours, ce qui exclut les adolescentes à moins qu'elles ne soient enceintes. Une approche du cycle de vie qui inclurait l'adolescente est nécessaire, toutefois, ne pas perdre de vue les 1000 jours demeure nécessaire. La Politique nationale de la santé maternelle et infantile (2012) du Sri Lanka va d’ailleurs dans ce sens.
  • Deuxièmement, la charge de travail élevée des femmes et son impact sur leur nutrition et leur santé méritaient de faire l'objet de plus amples discussions. Même si nous déplorons la faible participation des femmes au marché du travail et leur sous-rémunération, nous devons admettre que le travail de la plupart de celles-ci au sein des classes sociales les plus défavorisées est non rémunéré et au détriment de leur propre santé, voire même au détriment de l'enfant à naître, si jamais elles sont enceintes. Pour s'attaquer à ce problème, il faut une approche multisectorielle tenant compte du genre. Comme cela a été mentionné au cours de l'une des sessions, l'importance d'un environnement favorable à l'amélioration de la nutrition maternelle ne saurait être trop soulignée, mais ce qui est essentiel, c'est un environnement permettant de soutenir les femmes et les enfants et qui les place au centre des débats comme participants actifs et non seulement comme objectifs du développement.

La conférence a eu lieu au bon moment, car on a pu constater que la plupart des pays de la région étaient en train de mettre en œuvre des plans et des politiques récemment approuvés en matière de nutrition, l'Asie du Sud ne sera pas en mesure d’atteindra pas les objectifs de développement durable (SDG) si la nutrition maternelle n'est pas privilégiée.

En conclusion, il ne fait aucun doute que la nutrition est clairement considérée comme un programme multisectoriel et que la nécessité d'attirer davantage l'attention sur la nutrition maternelle a été largement soulignée. Les organisateurs devraient songer à organiser une conférence consacrée à la nutrition des adolescentes, qui serait la prochaine de la série STOP STUNTING. Ceci étant l'un des domaines de prédilection du RNE, une réunion a récemment été organisée afin d'identifier les synergies, les opportunités, les priorités et les prochaines étapes pour contribuer au développement de la base de données sur la nutrition des adolescentes que l'on peut consulter en cliquant sur ce lien. Suivez-nous sur cette page.